Les « CSA » européens veulent plus de la Commission européenne contre les fake news

Les Google, Facebook et autres Twitter ont été contraints de se constituer en « police privée » pour chasser sur Internet les fausses informations. Liberté d’expression et liberté d’informer sont passées au crible pour supprimer les infox. Mais pour les « CSA » européens, cela ne pas assez loin.

Le groupe des régulateurs européens des médias audiovisuels, l’Erga (1), a publié le 6 mai son « rapport sur la désinformation et l’évaluation de la mise en œuvre du code de pratique » pour lutter contre les fake news. Ce rapport final intervient deux ans après l’adoption par la Commission européenne de mesures fondées sur les conclusions et les recommandations présentées le 12 mars 2018 par « un groupe d’experts de haut niveau » pour lutter contre la désinformation en ligne (2).

Autorégulation des acteurs du Net
Dans la foulée, le 24 avril 2018, la Commission européenne publiait une communication intitulée « Lutter contre la désinformation en ligne : une approche européenne » (3), qui préconisait un code de bonnes pratiques et de nouvelles règles visant à accroître la transparence et l’équité des plateformes en ligne, notamment la mise en place d’un réseau indépendant de vérificateurs de faits dans le cadre d’une démarche d’autorégulation des acteurs du Net. Ces derniers ont été fermement invités à coopérer avec l’exécutif européen dans cette croisade contre les mensonges, les manipulations et les informations erronées. Le 16 octobre 2018, les premiers signataires de ce « code de bonne conduite » furent Facebook, Google, Twitter et Mozilla (éditeur du navigateur Firefox).
Dans le même temps, l’Edima (European Digital Media Association) – lobby basé à Bruxelles et représentant les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) ainsi que Airbnb, Allegro, eBay, Expedia, Mozilla Mozilla, OLX, Snap, TripAdvisor, Twitter, Verizon Media, Yelp et Spotify – signait également ce code « anti-fake news », tout comme les associations professionnelles représentant l’industrie de la publicité et les annonceurs (EACA, IAB Europe, WFA et UBA). Microsoft a également rejoint le 22 mai 2019 les entreprises signataires. C’est lors des élections européennes de mai 2019 que les plateformes numériques participantes – Facebook, Google et Twitter en tête – ont publié des rapports mensuels sur la mise en œuvre de leurs actions dans le cadre de ce « code de pratique sur la désinformation » et dans un souci de « transparence de la publicité politique ». Cinq relevés mensuels ont été publiés sur cette période électorale, de janvier à mai 2019, dont le dernier publié il y a un an, le 14 juin (4). L’Erga en a fait la synthèse dans un rapport « monitoring » intermédiaire, en concluant que les GAFAM pouvaient mieux faire. « Google, Twitter et Facebook ont fait des progrès évidents dans la mise en œuvre des engagements du “Code of Practice on Disinformation” en créant une procédure ad hoc pour l’identification des publicités politiques et de leurs sponsors, et en rendant accessible au public les publicités en question. Il s’agissait d’un effort sérieux visant à accroître la transparence. Cependant, bien que les plateformes aient fourni des informations substantielles qui pouvaient être significatives pour les utilisateurs individuels, le suivi indique que les bases de données auraient dû être davantage développées [notamment plus détaillées, ndlr] afin de fournir les outils et les données nécessaires pour assurer la qualité électorale » (5). Les régulateurs européens de l’audiovisuel avaient en outre déjà constaté que les notions de « désinformation » et de « publicité politique » n’ont pas de définitions partagées par les Etats membres, dont certains n’ont même aucune définition des publicités politiques. A cela s’ajoutait aussi le fait que la plupart des « CSA » en Europe disposaient de compétences, de pouvoirs et de ressources juridiques très limités pour s’engager dans l’activité de surveillance des plateformes en ligne. Il y a un an, l’Erga estimait alors que l’approche de coopération en matière de régulation – appelée aussi co-régulation – adoptée par les institutions européennes ne devait pas empêcher d’aller plus loin en rendant exécutoires ou contraignantes (enforceable) les dispositions du code « anti-infox ».

Renforcer les autorités de surveillance
Cela supposait aussi, selon l’Erga, que les autorités de régulation chargées de surveiller le respect de ces dispositions par les plateformes du Net disposent également d’outils, d’accès aux informations et de l’autonomie nécessaires pour s’acquitter de cette tâche. « Il est crucial que les autorités de surveillance [« monitors », dans le texte, ndlr] aient la possibilité de créer leurs propres requêtes, filtres et outils d’analyse qui devraient être orientés vers les données brutes, non filtrées et non gérées dans les bases de données des plateformes numériques. L’information devrait être fournie de manière à leur permet également d’établir facilement le volume de publicité sur une période de temps définie, de comprendre des informations détaillées sur les pages où les publicités apparaissent, de connaître qui financent ces publicités, et d’identifier le problème pertinent pour chaque annonce en question », avait encore conclu l’Erga. Toujours dans son rapport intermédiaire de juin 2019, le groupe des régulateurs européens des médias audiovisuels avait appelé la Commission européenne à aller plus loin et au-delà de la seule publicité politique, « première étape d’un processus qui, inévitablement, rapprochera les deux parties (régulateurs et plateformes) tant au niveau européen qu’au niveau national ». L’Erga souhaitait « un niveau de coopération plus élevé ». Un an après son rapport intermédiaire, force est de constater que les premières recommandations de l’Erga n’ont toujours pas été suivis d’effet.

Mais respecter la liberté d’expression
Le groupe des régulateurs européens des médias audiovisuels en a donc remis une couche à travers son rapport final publié le 6 mai dernier (6). « Malgré des efforts notables fournis par les plateformes, l’application de ce code n’est pas encore optimale, à ce jour », insiste le groupe des « CSA » européens auprès de la Commission européenne. Il lui recommande d’agir maintenant dans trois directions pour améliorer la lutte contre la dissémination des infox en ligne : « Améliorer le code existant, étendre ses engagements et explorer de nouveaux outils pour tendre vers une régulation plus efficace, cette dernière étant assortie d’obligations claires de rendre compte selon des procédures davantage harmonisées et dans des délais appropriés », résume le communiqué du CSA en France, daté du 6 mai. Et le président de l’Erga, Tobias Schmid (photo) d’enfoncer le clou : « La lutte contre la désinformation est de la plus haute importance pour notre démocratie. Nous devons préserver la valeur du discours public sur Internet en empêchant la diffusion délibérée de fausses informations tout en respectant la liberté d’expression. (…) Mais un danger doit être combattu là où il se présente. Par conséquent, nous devons également trouver des moyens de renforcer les efforts des [plateformes numériques] signataires pour accroître l’efficacité des mesures du code et de leurs activités de reporting ». L’Allemand Tobias Schmid est par ailleurs directeur de l’autorité médiatique du plus puissant Land, la Rhénaniedu- Nord-Westphalie, ainsi que chargé des Affaires européennes de la DLM qui réunit en Allemagne les directeurs des autorités médiatiques. Au-delà des publicités politiques, l’Erga estime que la pandémie du coronavirus démontre qu’il faut aller plus loin dans la lutte contre la désinformation : « La prolifération de fausses nouvelles, guidées par des objectifs politiques et/ou axés sur le profit, qui accompagne la récente éclosion de covid-19, n’est qu’un exemple de la façon dont les stratégies de manipulation de l’information posent de graves menaces à la formation de l’opinion publique. Il est important de démystifier de telles nouvelles pour protéger les valeurs démocratiques et contrer les tentatives d’incitation à la haine et à la violence ». A nouveau, les régulateurs de l’audiovisuel recommandent que l’ensemble des plateformes numérique de contenus sur Internet opérant en Europe adhèrent à ce code contre la désinformation. Et concrètement, ils appellent à une bien plus grande transparence, y compris des données beaucoup plus détaillées (en particulier des données par pays) sur la façon dont les signataires mettent en œuvre le code « antiinfox ». De façon à uniformiser l’application de ce code de bonne conduite, l’Erga suggère que les plateformes mettent à disposition des ensembles de data, des outils de suivi des données et des informations spécifiques à chaque pays donné pour permettre au régulateur national un suivi indépendant. L’Erga propose en outre d’aider la Commission européenne (au niveau de sa DG Connect) à établir des définitions pertinentes, y compris en matière de publicité politique, ainsi que des lignes directrices pour assurer une approche plus cohérente entre les Etats membres.
Et pour que la lutte contre les fake news soit vraiment efficace, se limiter à Google, Facebook ou Twitter ne suffit plus, toujours selon les « CSA » européens : « Le nombre de signataires du code de pratique sur la désinformation est limité et ne comprend pas certaines plateformes importantes, les services d’information et de communication et les acteurs de l’industrie de la publicité qui sont actifs dans l’Union européenne. Par conséquent, tous les efforts possibles doivent être déployés pour augmenter le nombre de plateformes signataires du code, afin d’éviter les asymétries réglementaires ». Quant à l’auto-régulation flexible actuelle, si elle a pu être un premier pas important et nécessaire, elle a montré aussi ses limites et son insuffisante efficacité. Pour contrer la désinformation en ligne, il est aussi suggéré à la Commission européenne de passer à « une approche de co-régulation ». Aussi, l’Erga se propose de l’aider en 2020 à identifier les mesures spécifiques et pour les plateformes les indicateurs de performance-clés – les « KPI », disent les Anglo-saxons, pour Key Performance Indicators. Last but not the least : l’Erga veut aider Bruxelles à définir des outils nécessaires aux activités de surveillance (monitoring) et d’exécution des autorités de régulation nationales.

Vers une loi européenne « anti-infox » ?
Mais les régulateurs européens de l’audiovisuel et des médias veulent que les institutions européennes aillent encore plus loin, quitte « à envisager une régulation fixée par la loi, comme l’ont fait certains Etats membres tels que la France (7) ou l’Allemagne (8) ». Cette régulation pourrait être prévue par le futur Digital Services Act (DSA) que doit présenter (lire p. 3) la Commission européenne d’ici la fin de l’année. @

Charles de Laubier

Piratage des contenus sportifs : vers de nouveaux moyens d’une lutte efficace après le déconfinement ?

Comme par magie, le piratage sur Internet des retransmissions sportives en direct a disparu avec l’annulation de la plupart des rencontres et des épreuves, en raison de la pandémie de covid-19. Mais avec la sortie progressive du confinement à partir du 11 mai, le live streaming sportif illicite reprendra.

Par Richard Willemant*, avocat associé, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Selon une étude de l’Hadopi réalisée avec l’Ifop et publiée le 14 avril, 13 % des internautes interrogés regardaient encore fin mars des retransmissions sportives en direct durant le confinement – bien que beaucoup de rencontres ont été annulées depuis. Et tous biens culturels confondus, le piratage en ligne a légèrement diminué en un an pour représenter 21 % de leur consommation (1). En mai 2019, l’Hadopi publiait une autre étude avec l’Ifop où 45 % des consommateurs de contenus sportifs en live-streaming en France déclaraient s’être désabonnés d’une offre légale pour consommer le même contenu de manière illégale (2).

Le cadre juridique actuel inadapté
Les dommages causés aux entreprises titulaires d’une licence d’exploitation audiovisuelle des manifestations sportives (3) sont considérables. Le cadre juridique actuel pour lutter contre le streaming illégal est inadapté, tout particulièrement pour les contenus sportifs qui sont par nature éphémères et qui requièrent donc des mesures efficaces de prévention ou de cessation immédiate des atteintes. Hélas, les délais actuels d’obtention d’une mesure judiciaire de blocage ou de référencement d’un contenu illicite sont incompatibles avec la nécessité d’agir, dans un délai de seulement quelques heures, pour faire interrompre un flux pirate. Le contournement d’une mesure de blocage par la mise en ligne d’un site miroir permettant la poursuite des agissements illicites est également difficile à combattre, puisqu’en l’état du droit français une nouvelle action judiciaire est alors nécessaire. Les diffuseurs peuvent certes, en invoquant leurs droits voisins d’entreprise de communication audiovisuelle, agir en référé (4) ou par la procédure accélérée au fond (5) qui permet de solliciter toute mesure propre à faire cesser une atteinte à leurs droits, notamment un blocage ou un déréférencement du site litigieux. Mais les modalités pratiques de ces procédures nécessitent l’obtention d’une autorisation préalable et ne permettent pas d’obtenir une décision à très brefs délais, même par la voie d’une assignation « d’heure à heure ». La voie de la requête (6) – qui permettrait, elle, d’obtenir une décision dans un délai très court – est souvent déconseillée, en raison des risques élevés d’inexécution ou de remise en cause par les intermédiaires techniques, lesquels contestent généralement la réalité des circonstances qui justifieraient de déroger au principe du contradictoire. Le législateur semble avoir pris la mesure de la situation. Le projet de loi française relative à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique (7), qui transpose les directives européennes « Droit d’auteur » (8) et « Services de médias audiovisuels » (9), comprend une réforme du dispositif de lutte contre la contrefaçon sur Internet, en particulier en cas de retransmission illicite des manifestations et compétitions sportives. Le texte, dont l’examen a été déprogrammé fin mars en raison du covid-19 et sera présenté dans quelques semaines, poursuit le bon objectif, mais risque d’aboutir – en dépit des amendements adoptés à ce jour – à une solution inefficace ou trop complexe à mettre en œuvre.
Parmi les mesures-phares du projet de loi, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), issue de la fusion de l’Hadopi et du CSA, hérite des compétences de ces deux autorités, auxquelles sont ajoutées de nouvelles prérogatives. Parmi les moyens dévolus à l’Arcom, il est prévu l’intervention d’agents habilités et assermentés qui pourront enquêter sous pseudonyme et constater, par procès-verbal, les faits susceptibles de constituer des infractions. Un nouvel article L. 333-11 du Code du sport permettrait aux titulaires de droits d’exploitation des contenus sportifs de saisir l’Arcom afin que ses enquêteurs procèdent à des constatations. La nouvelle autorité aura aussi pour mission de créer une liste noire de sites web portant atteinte de « manière grave et répétée » aux droits d’auteurs. En outre, les prestataires de services publicitaires et les fournisseurs de moyens de paiement devront rendre publique l’existence de relations commerciales avec une personne inscrite sur cette liste noire. L’objectif est double : retracer les flux financiers pour les assécher, selon le principe du « Follow the Money », et inciter ces acteurs aux bonnes pratiques par la sanction d’une publicité négative dite « Name & Shame ».

Vers des ordonnances « dynamiques »
Le projet de loi de réforme de l’audiovisuel prévoit un système d’exécution dynamique des décisions judiciaires, à l’image des « Dynamic Injunctions » obtenues en Angleterre (10) et aux Pays-Bas (11) par la Premier League (le championnat d’Angleterre de football, plus importante compétition britannique du ballon rond), afin de lutter plus efficacement contre les sites miroirs. Dès lors qu’une décision sera passée en force de chose jugée, un titulaire de droit pourra saisir l’Arcom qui aura le pouvoir de « demander à toute personne susceptible d’y contribuer, et pour une durée ne pouvant excéder celle restant à courir pour les mesures ordonnées par le juge, d’empêcher l’accès à tout service de communication au public en ligne reprenant en totalité ou de manière substantielle le contenu » litigieux. Par ailleurs, le titulaire de droits pourra saisir l’autorité de régulation, afin qu’elle demande un déréférencement du contenu.

Sports : mesures difficiles à mettre en œuvre
Pour faciliter l’exécution de ces décisions, l’Arcom adoptera des modèles-types d’accord avec les intermédiaires techniques. En cas d’échec, le titulaire de droits pourra saisir l’autorité judiciaire en référé ou sur requête. Ce nouveau régime serait une avancée, mais il est étonnant qu’il ne soit pas conçu comme un dispositif d’injonction stricto sensu. Le nouvel article L. 333-10 du Code du sport permettra au titulaire des droits d’exploitation audiovisuelle d’une manifestation ou d’une compétition sportive et à la ligue sportive de « saisir le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond ou en référé, aux fins d’obtenir toutes mesures proportionnées propres à prévenir ou à faire cesser cette atteinte, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ». Le texte prévoit néanmoins trois conditions : l’atteinte doit être « grave et répétée » ; « l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux » du site web doit être « la diffusion sans autorisation de compétitions ou manifestations sportives » ; la mesure doit avoir pour but de « prévenir ou de remédier à une nouvelle atteinte grave et irrémédiable » aux droits d’exploitation. Ces trois conditions cumulatives sont très restrictives et pourraient vider le nouveau dispositif de tout son intérêt. Par ailleurs, il est permis de douter de la conformité de cette disposition aux textes européens et aux engagements internationaux de la France en matière de respect des droits de propriété intellectuelle, car elle ajoute des conditions actuellement non prévues. Enfin, notons que le dispositif est prévu « afin de prévenir ou de remédier à une nouvelle atteinte grave et irrémédiable » dont la charge de la preuve pèse sur le demandeur. Ce nouveau dispositif pourrait hélas se révéler moins utile et efficace que le droit actuel incluant l’action spéciale prévue par l’article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle (procédure accélérée au fond déjà évoquée plus haut). La suite du texte offre des exemples de ce que le juge pourra ordonner aux fins de faire cesser les atteintes : « au besoin sous astreinte, la mise en œuvre, pour chacune des journées figurant au calendrier officiel de la compétition ou de la manifestation sportive, dans la limite d’une durée de douze mois, de toutes mesures proportionnées, telles que des mesures de blocage, de retrait ou de déréférencement, propres à empêcher l’accès à partir du territoire français, à tout service de communication au public en ligne identifié ou qui n’a pas été identifié à la date de ladite ordonnance diffusant illicitement la compétition ou manifestation sportive, ou dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est la diffusion sans autorisation de compétitions ou manifestations sportives ».
Les députés ont aussi étendu le délai initial de mise en œuvre des mesures pour une durée de 12 mois, au lieu des 2 mois prévus initialement, afin de prendre en compte les manifestations sportives de courte durée, comme le tournoi de Roland-Garros, qui pourront être protégées à titre préventif, et de rendre le dispositif plus robuste pour lutter contre les sites miroirs sur Internet. Poursuivant ce même objectif, le texte précise que les mesures peuvent être prises à l’encontre de tout site web contrefaisant, ceci incluant des sites Internet qui n’ont pas été visés par l’ordonnance initiale. Il s’agit d’un dispositif d’exécution dynamique des ordonnances prévu spécialement pour les retransmissions illicites de manifestations sportives. Sous les réserves qui concernent particulièrement l’article L. 333-10 I. du Code du sport, ce texte de loi pourrait constituer une avancée majeure pour endiguer le piratage des contenus sportifs en ligne. Il n’est pas encore trop tard pour que les parlementaires assouplissent les conditions de mise en œuvre pour atteindre un niveau de protection équivalent à celui résultant des décisions de jurisprudence obtenues par la Premier League. Dans une étude conjointe, l’Hadopi et le CSA soutiennent que la voie d’endiguement du piratage « sportif » sur Internet et du live streaming illicites passera par le développement de l’offre Over-the-Top (OTT) et par une offre légale moins fragmentée, première cause de piratage. En effet, les internautes qui visionnent du contenu sur des sites Internet illicites ont un profil proche du consommateur de l’offre légale OTT, susceptible, par son développement, de les ramener dans le sérail.

La cherté des offres légales pousse au piratage
Les consommateurs sont souvent repoussés par l’envolée du coût d’accès au sport par la multiplication de l’offre légale. En 2019, pour être sûr de voir jouer Neymar et ses coéquipiers en championnat de France de football de Ligue 1 et au niveau européen en Ligue des Champions, il fallait débourser plus de 50 euros par mois (12). Trop cher, d’autant que ce tarif « contenus » vient s’ajouter à l’abonnement « accès » qui a augmenté avec la fibre optique. Les conditions ne sont pas réunies pour que la consommation audiovisuelle illicite – qui peut prendre plusieurs formes – disparaisse. @

* Richard Willemant, associé du cabinet
Féral-Schuhl/Sainte-Marie, est avocat aux barreaux de Paris et
du Québec, agent de marques de commerce, médiateur
accrédité par le barreau du Québec, délégué à la protection des
données, et cofondateur de la Compliance League.

Loi audiovisuelle : David Kessler était « sceptique »

En fait. Le 3 février, David Kessler – haut fonctionnaire et, depuis 2014, directeur général d’Orange Content – est décédé à l’âge de 60 ans. Sa dernière intervention publique remonte au 7 novembre 2019, aux 29es Rencontres cinématographiques de Dijon (RCD). Il exprimait des doutes sur la réforme audiovisuelle.

En clair. Aux Rencontres cinématographiques de Dijon (1), le 7 novembre dernier, il était « là par accident » (dixit), car c’est Maxime Saada, PDG de Canal+, qui devait intervenir dans le débat sur la loi audiovisuelle, mais qui n’est pas venu… David Kessler, à la tête d’Orange Content, avait dû le remplacer au pied levé. Sur le projet de loi, il a exprimé surprise, scepticisme et regret : « Que cela Canal+ ou Orange (OCS), nous avons été un peu surpris du fait que le projet de loi sur l’audiovisuel ne dit et ne fait quasiment rien en faveur de la télévision payante, a lancé celui qui fut conseiller culture et communication de François Hollande à l’Elysée (2012-2014). Je suis frappé de voir qu’on accroît les taxes sur la VOD (par la loi de Finances), ce qui défavorise les deux plateformes françaises qui restent, myCanal et Orange VOD. Et il n’y a pas de mesure majeure sur les télévisions payantes, qui sont quand même les concurrentes directes des plateformes : le choix du consommateur se fait entre Canal+ et OCS, d’une part, et Netflix, Amazon Prime Video, Apple TV+ ou demain Disney+, d’autre part ». L’ancien directeur du Conseil supérieur de l’audiovisuel (1996- 1997) s’est aussi dit « plus sceptique sur la mise en œuvre de cette loi sur l’audiovisuel » : « Je pense que les choses seront plus difficiles qu’on ne l’imagine. J’ai souvent le sentiment qu’en France on fait dire à la directive européenne (SMA (2)) un peu plus qu’elle ne dit. Elle fait des avancées majeures – quotas d’exposition des œuvres (sur les plateformes) et possibilité de contribution (des plateformes au financement des œuvres) pour le pays de destination. Mais la directive ne remet pas en cause l’architecture fondamentale sur laquelle l’Europe s’est bâtie, à savoir que le pays d’origine reste celui où les choses se décident. Je ne suis pas sûr que ce soit le régulateur français [futur CSA-Hadopi, ndlr] qui puissent vérifier tout ça [la conformité des plateformes]» . L’ancien directeur du Centre national du cinéma (2001-2004) a aussi regretté que la loi audiovisuelle n’obligera pas Netflix à préfinancer le cinéma français car cette plateforme de SVOD « ne fait pas de cinéma car il ne sort pas de films en salles ». Et le haut fonctionnaire et ancien conseiller culture du Premier ministre Lionel Jospin (1997-2001) a conclu : « Je ne suis donc pas sûr que l’on ait été jusqu’au bout pour réformer notre système ». @

Haine sur Internet : la loi Avia veut lutter
contre un fléau sans « privatiser la censure »

Le marathon parlementaire de la future loi « Avia » contre la haine sur Internet n’en finit pas. Rédigé à la va-vite, le texte est controversé. Le délai de retrait de 24 heures – disposition supprimée puis réintégrée (délai ramené à 1 heure dans certains cas) – illustre la valse-hésitation du législateur.

Par Rémy Fekete, avocat associé, cabinet Jones Day

C’était il y a 37 ans… Dans « L’ère du vide » (1), Gilles Lipovetsky s’essayait déjà à analyser jusqu’où l’individualisme emmenait la société contemporaine, à force de tout tourner en dérision, de mettre fin à toute hiérarchie, vers une ère postmoderne. Ce postmodernisme se traduisait selon l’auteur, par une forme d’épuisement des valeurs collectives, de réduction de la violence physique, et globalement une ère de bien-pensance dans laquelle l’engagement laissait place à la tolérance.

Droit moral des auteurs de films et de séries : le final cut «à la française» s’imposera par la loi

Netflix, Amazon Prime Video ou encore Disney+ seront tenus de respecter le final cut « à la française », qui requiert l’accord du réalisateur pour le montage définitif d’un film ou d’une série. Ce droit moral est visé par le projet de loi sur l’audiovisuel présenté le 5 décembre dernier.

Charles Bouffier, avocat conseil, et Charlotte Chen, avocate, August Debouzy

Le final cut désigne la version définitive du montage d’une œuvre cinématographique ou audiovisuelle – un film ou une série par exemple – distribuée ou diffusée. Le final cut désigne également un droit, celui que détient la personne qui a le pouvoir de décider de ce montage définitif. S’il est d’usage aux Etats-Unis que le producteur ait ce pouvoir décisionnel (laissant éventuellement au réalisateur le loisir d’éditer une version « director’s cut »), la situation française est différente en vertu notamment des droits moraux dont jouissent les auteurs.