A défaut de grande réforme du quinquennat, le paysage audiovisuel français (PAF) entame sa mue

Alors que plus de soixante sénateurs ont saisi le 30 septembre 2021 le Conseil constitutionnel sur le projet de loi « Anti-piratage », adopté définitivement la veille par l’Assemblée nationale, la grande réforme de l’audiovisuel du quinquennat n’a pas eu lieu. Mais le gouvernement y est allé par touches.

Par Charles Bouffier, avocat counsel, et Cen Zhang, avocat, August Debouzy*

La réforme de l’audiovisuel, envisagée par le président de la République comme une des réformes majeures de son quinquennat, a fait preuve de résilience et d’adaptation pour surmonter la crise sanitaire et les bouleversements de l’agenda parlementaire qu’elle a engendrés. En effet, le gouvernement s’est adapté aux contraintes conjoncturelles. Et ce, après que l’examen de l’ambitieux projet de loi sur la régulation de l’audiovisuel à l’ère du numérique, qui promettait une modification profonde du paysage audiovisuel et numérique français, ait été interrompu dès le 5 mars 2020.

Le financement du cinéma français
Le gouvernement a entrepris de mener cette réforme de manière progressive, l’abordant sous différents angles et par le biais de plusieurs textes législatifs et règlementaires. La réforme de l’audiovisuel public, initialement envisagée, a été distraite de cet ensemble. Résultat : le 29 septembre 2021, un pilier majeur de la réforme de l’audiovisuel – le projet de loi sur « la régulation et la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique » a définitivement été adopté à l’Assemblée nationale après son adoption au Sénat. Le vote de ce texte « Anti-piratage », qu’examine actuellement le Conseil constitutionnel saisi le lendemain par plus de soixante sénateurs, est l’occasion de dresser un panorama synthétique des dispositions phares de la réforme de l’audiovisuel et des prochaines étapes, qui cristallisent l’attention des professionnels du secteur et ont vocation à refaçonner le paysage audiovisuel français (PAF).
• Le décret SMAd. Les services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) regroupent les services de vidéos à la demande par abonnement (SVOD), payants à l’acte ou gratuits, et les services de télévision de rattrapage (replay). Les SMAd – en particulier ceux établis à l’étranger, y compris dans un autre Etat membre de l’Union européenne – ont longtemps échappé à la réglementation française sur les services de médias audiovisuels, notamment en matière d’obligation de contribution financière à la production des œuvres ou de publicité. Comme la directive européenne « SMA » du 14 novembre 2018 l’a rendu possible, le décret SMAd (1) transposant cette directive vise à étendre la réglementation des services de médias audiovisuels aux SMAd, y compris aux services étrangers dès lors qu’ils visent la France. Entré en vigueur le 1er juillet 2021, il prévoit que les SMAd établis en France, dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 1 million d’euros, doivent conclure une convention avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) précisant leurs obligations, notamment en matière de contribution au financement des œuvres (2). Pour ceux qui ne sont pas établis en France mais qui visent le territoire français, ils peuvent aussi conclure cette convention avec le régulateur. A défaut, ils communiquent à celui-ci les informations relatives à leur activité en France (3).
Concernant les plateformes de SVOD dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 5 millions d’euros et la part d’audience supérieure à 0,5 %, elle doivent en consacrer entre 20 % et 25 % au financement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes ou d’expression originale française (4), dont une part importante à la production indépendante (5). Cette obligation de contribution au financement pèse également sur certains services de télévision de rattrapage et sur les services payants à l’acte (SVOD à l’acte) et gratuits (6). Quant aux plateformes de SMAd dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 1 million d’euros et la part d’audience supérieure à 0,1 %, elles ont l’obligation d’inclure dans leur catalogue de films et d’œuvres audiovisuelles au moins 60 % d’œuvres européennes et 40 % d’œuvres françaises, tout en mettant en valeur ces œuvres (7). Enfin, le décret prévoit des dispositions ayant trait à la publicité, au téléachat et au parrainage applicables aux SMAd (8).

Meilleures fenêtres pour la SVOD
• L’accord attendu sur la chronologie des médias.
Les fenêtres de diffusion successives sont convenues entre les professionnels du secteur et les éditeurs des services de médias. Elles sont rendues obligatoires en application du code du cinéma et de l’image animée définissant les délais à respecter pour l’exploitation d’un film sur différents supports après sa sortie en salle. L’ordonnance du 21 décembre 2020 a confirmé la volonté du gouvernement d’adapter la chronologie des médias pour répondre à l’évolution des modes de consommation des œuvres, en particulier de la VOD/SVOD (9). Cette adaptation constitue en outre une demande forte des SMAd, que ceux-ci estiment justifiée par les nouvelles obligations financières auxquelles ils sont assujettis. Par un décret du 26 janvier 2021, le gouvernement avait fixé le délai alloué aux professionnels du secteur pour trouver un nouvel accord sur la chronologie des médias (10) – à savoir au 31 mars 2021. Ce délai a été largement dépassé, les professionnels du secteur n‘étant toujours pas parvenus à un accord sur la nouvelle chronologie applicable.

Blocages sur la proposition du CNC
En l’état, proposé par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) le 19 juillet 2021 mais suscitant encore des résistances, le dernier projet d’accord en cours de discussion prévoit notamment : pour les services de télévision payants de cinéma (Canal+, OCS) respectant certaines conditions (accord avec les organisations professionnelles du cinéma, engagements financiers et de diffusion, versement des taxes au CNC, convention avec le CSA, …), une première fenêtre d’exploitation entre 6 et 9 mois à compter de la sortie en salle ; pour les plateformes de SVOD, par défaut, une fenêtre d’exploitation à 15 mois, ou une fenêtre d’exploitation plus courte à 12 mois (sous réserve du versement des taxes), pouvant être réduite jusqu’à 6 mois (11).
• Le Projet de loi « Anti-piratage ». Le projet de loi sur « la régulation et la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique » (12), adopté définitivement le 29 septembre 2021, crée un nouveau régulateur en charge de l’audiovisuel et du numérique, tout en étoffant l’arsenal juridique contre le piratage des programmes audiovisuels, culturels et sportifs sur internet. Le Conseil constitutionnel a été saisi par soixante sénateurs, qui contestent notamment le mécanisme de sanction en cas de non-respect des obligations d’investissement dans la création audiovisuelle et cinématographique.
La principale réforme est la création de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), issue de la fusion à venir entre le CSA et l’Hadopi. Sa compétence élargie en matière de contenus audiovisuels et numériques portera sur : la protection des œuvres, la sensibilisation du public contre le piratage, l’encouragement au développement de l’offre légale, la régulation et la veille dans le domaine des mesures techniques de protection et d’identification des œuvres protégée, la protection des mineures, et la lutte contre les discours de haine en ligne et la désinformation. Outre les pouvoirs réglementaires et de sanction des deux autorités préexistantes, l’Arcom sera dotée de nouveaux pouvoirs de régulation, notamment de conciliation en cas de litige ou des pouvoirs d’enquête. Trois mécanismes majeurs viennent renforcer la lutte contre le piratage des œuvres :
• la « liste noire » des sites contrefaisants que l’Arcom pourra rendre publique, définie comme la liste des sites « portant atteinte, de manière grave et répétée, aux droits d’auteurs ou aux droits voisins », tandis que les annonceurs devront rendre publique, au moins une fois par an, l’existence de relations avec de tels sites ;
• le déréférencement des sites miroirs, l’Arcom pouvant se prévaloir d’une décision judiciaire pour demander d’empêcher l’accès à un site miroir ou de faire cesser le référencement du site concerné ;
• la lutte contre la « retransmission illicite des manifestations et compétitions sportives » (le « live streaming »), en procédure accélérée au fond ou en référé. Le projet de loi « Anti-piratage » vise également à protéger l’accès au patrimoine cinématographique français, en instaurant un régime de notification préalable, auprès du ministère de la Culture, des cessions envisagées de catalogues d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles français. Le non-respect de cette obligation pourra entraîner une sanction pécuniaire dont le montant est proportionnel à la valeur des œuvres concernées.
• Les projets de décrets « TNT » et « Câble-satellite ». En cette fin de quinquennat, le gouvernement se penche en particulier sur la modernisation du régime applicable aux services de télévision diffusés par voie hertzienne (TNT) et des éditeurs de services de télévision distribués par les réseaux n’utilisant pas les fréquences assignées par le CSA. D’une part, le projet de décret TNT proposé par le ministère de la Culture (13) vise à moderniser le régime applicable aux éditeurs de services de télévision nationaux, en vue de réaliser un rééquilibrage de leurs droits et obligations, afin de tenir compte de la concurrence exercée par les services non linéaires (notamment les SMAd) et les acteurs extranationaux. Le projet de décret propose d’assouplir les obligations des services de télévision nationaux par une baisse de la part de production indépendante, un meilleur accès à la coproduction, et un élargissement du mandat de commercialisation des œuvres.

Décrets « TNT » et « Câble-Satellite » en vue
D’autre part, le nouveau décret « Câble-satellite » se substituera au décret « Câble-satellite » de 2010 et définit les obligations des éditeurs de services de télévision ou de radio diffusés via câble et satellite. Les chaînes seront notamment tenues de financer davantage la production française et européenne. Une nouvelle monture du texte est attendue, après la consultation publique en juillet 2021 (14). @

* Les auteurs remercient Myriam Souanef,
élève avocate, pour la qualité de ses recherches
et sa contribution à la rédaction de cet article.

DAB+ : la RNT subira-t-elle le même sort que la TNT ?

En fait. A quelques semaines des 10 ans (le 30 novembre) de l’extinction du signal analogique de la télévision au profit de la télévision numérique terrestre (TNT), la France a accéléré le 12 octobre le déploiement de la radio numérique terrestre (RNT), alias le DAB+. La France pourrait fixer une date d’extinction de la FM.

Yahoo, racheté par le fonds new-yorkais Apollo, en fait-il assez contre les fake news ? Le CSA en doute

Jusqu’alors filiale de Verizon, Yahoo est désormais sur une nouvelle orbite depuis son rachat – avec d’autres entités-sœurs comme AOL ou TechCrunch – par le fonds d’investissement américain Apollo. En France, Yahoo devra continuer à rendre compte au CSA de sa lutte contre les fake news.

« Plus encore que l’année passée, Verizon Media se distingue par une déclaration particulièrement étique [d’une extrême maigreur, ndlr], tant sur la forme que sur la quantité des éléments communiqués ». C’est en ces termes que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a critiqué le 21 septembre la réponse de Yahoo, qui était encore en 2020 la filiale européenne de l’opérateur américain Verizon basée en Irlande (à Dublin). Celle-ci n’a rendu que huit pages parsemées de captures d’écran sur les mesures que Yahoo Search et Yahoo Portal ont pris pour lutter contre les fake news.

Apollo : Yahoo sur une nouvelle orbite
Verizon, qui a cédé en mai dernier ses activités médias (Yahoo, AOL, TechCrunch, Engadget, Autoblog, …) au fonds d’investissement new-yorkais Apollo Global Management pour une acquisition de 5 milliards de dollars finalisée le 1er septembre dernier (1), garde néanmoins une participation minoritaire de 10 % dans son ex-filiale Verizon Media rebaptisée Yahoo, Inc. Verizon avait fait les acquisitions d’AOL et de Yahoo respectivement en mai 2015 pour 4,4 milliards de dollars et en juillet 2016 pour 4,8 milliards de dollars (2). Depuis le 27 septembre, la nouvelle société a un nouveau directeur général : Jim Lanzone (photo), réputé être « un vétéran des médias et des technologies » aux Etats-Unis. Ancien patron de Tinder (3), il succède à Guru Gowrappan qui chapeautait Yahoo chez Verizon Media depuis trois ans et qui devient, lui, consultant chez Apollo (4).
Vingt-sept ans après avoir été cofondé par Jerry Yang et David Filo, puis devenu une icône du Net dans les années 1990 (au point que Microsoft a tenté en vain de l’acheter en 2008 pour près de 45 milliards de dollars…), Yahoo avec sa quinzaine de services édités revendique une audience totale de 900 millions d’utilisateurs dans le monde. Ses contenus – actualités, informations financières et sportives, boutiques, jeux vidéo, etc. – sont issus le plus souvent de partenariats locaux qui tirent parti des synergies instaurées entre publicité (Yahoo Ad Tech), moteur de recherche (Yahoo Search) et média (Yahoo Portal).
En France, d’après Médiamétrie, Yahoo enregistre sur le seul mois de juillet 2021 plus de 27 millions de visiteurs uniques avec un rythme journalier moyen de 8,7 millions de visiteurs uniques. Ce qui place le moteur de recherche et portail média à la dixième place des audiences de l’Internet global (ordinateur et/ou smartphone et/ou tablette), derrière Google, Facebook, YouTube, Amazon, WhatsApp, Instagram, Wikipedia, TousAntiCovid et Leboncoin.fr. Au moment de répondre succinctement au CSA sur ses mesures prises en 2020 pour lutter contre les fausses informations (5), comme ce fut le cas en 2019 pour la première fois, Yahoo était encore pleinement aux mains de Verizon Media qui est à l’origine du maigre rapport via sa filiale irlandaise. Le CSA a ainsi reçu, pour la deuxième édition de son bilan annuel des mesures « anti-fake news » mises en œuvre (6), onze réponses de plateformes – Yahoo, Dailymotion, Facebook, Google, LinkedIn, Microsoft, Snapchat, Twitter, Wikimédia, Webedia, Unify – ayant l’obligation de coopérer conformément à la loi française du 22 décembre 2018 pour lutter contre la manipulation de l’information (7). Mais Yahoo n’a pas répondu pleinement aux attentes de CSA, lequel reproche en outre à Verizon Media d’avoir continué à « refus[er] de coopérer » et à ne pas suivre les indications déjà formulées l’an dernier par le régulateur pour « confirmer l’inclusion des portails d’information proposant des contenus de tiers ». Le groupe américain a persisté à considérer – à tort selon le régulateur car la loi ne prévoit pas de critères d’exclusion – que le portail d’information Yahoo Portal n’avait pas à se soumettre au devoir de coopération prévu par la loi française contre les fake news. Yahoo estime qu’il ne s’agit pas là d’une « plateforme ouverte où les utilisateurs/fournisseurs de contenu peuvent seuls sélectionner et afficher leur contenu ». Reste à savoir si le nouveau patron de Yahoo, Jim Lanzone, entendra la réprimande française afin de mieux coopérer à l’avenir avec le CSA, et notamment de mettre en place un dispositif « facilement accessible et visible » permettant aux utilisateurs de signaler des fausses informations.

L’après-« Oath » et « Marissa Mayer »
Le site d’actualité HuffPost ne fait plus partie, lui, de la galaxie du nouveau Yahoo, puisque l’ex-The Huffington Post a été racheté l’an dernier par Buzzfeed qui en a finalisé l’acquisition auprès de Verizon mi-février dernier, avec des licenciements à la clé (8). Avec le fonds Apollo, Yahoo entame une nouvelle ère après celles plutôt décevantes de Marissa Mayer (9) (2012-2017), d’Oath (10) (2017-2019), puis de Verizon Media (2019-2021). L’opérateur télécoms américain a perdu beaucoup d’argent avec son ex-pôle médias faute de recettes publicitaires suffisantes ; le fonds d’investissement y trouvera-t-il son compte ? @

Charles de Laubier

Les « CSA » des Vingt-sept veulent leur ERGA+

En fait. Le 5 juillet, l’ERGA, groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels réunissant les « Conseil supérieur de l’audiovisuel » des Vingt-sept, a publié ses « propositions visant à renforcer le Digital Service Act » (DSA) en cours d’examen au Parlement européen. Parmi elles : un ERGA+ face aux GAFAM.

Piratage : l’amende de 350 € vraiment écartée ?

En fait. Le 13 juillet, à l’Assemblée nationale, se tiendra la deuxième séance publique sur le projet de loi « Régulation et protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique ». Une commission mixte paritaire présentera son rapport. Le Sénat renoncera-t-il définitivement à l’amende de 350 euros pour piratage ?