Le CSA se défend de vouloir être « le régulateur de l’Internet » mais veut le coréguler via conventions

Le CSA souhaite inciter les plateformes du Net à signer avec lui des
« conventions volontaires » par lesquelles une corégulation – sur fond d’engagements obligatoires – pourrait s’instaurer sur les services en ligne.
Par ailleurs, le CSA voit ses pouvoirs étendus au stockage de données.

« Dans le cadre de la loi, nous avons des pouvoirs de conventionnement : les chaînes de télévision et les radios qui sont soumises à notre sphère de régulation (… (1)) ne peuvent fonctionner que si elles ont signé leur convention. Vis à vis des partenaires à l’égard desquels nous n’avons aucun pouvoir reconnu par la loi, (…) nous sommes toujours prêts à nous engager dans une démarche conventionnelle. Mais encore faut-il que nous ayons des partenaires, y compris de la sphère de l’Internet, qui veuillent s’engager dans cette démarche », a expliqué Olivier Schrameck (photo), président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), lors d’un dîner-débat organisé le 26 mai dernier par le Club audiovisuel de
Paris (CAVP).

Conventions avec des acteurs du Net
Google/YouTube, Dailymotion, Facebook, Apple, Amazon et toutes les autres plateformes numériques ayant une dimension audiovisuelle échappent en effet à la régulation du CSA, dont les compétences sont limitées par la loi aux chaînes et aux radios diffusées par voie hertzienne terrestre. Pour pouvoir émettre, ces dernières
sont en effet tenues de signer une convention d’engagements – obligatoires – en contrepartie de l’autorisation d’usage de fréquences. Mais Olivier Schrameck souhaite élargir le spectre du conventionnement en faisant valoir la possibilité pour les autres acteurs, notamment les fournisseurs de contenus sur Internet, de signer avec le CSA des « conventions volontaires ». « Je suis persuadé qu’ils [les acteurs du Net, dont
les plateformes vidéo, ndlr] peuvent y avoir intérêt, car l’enracinement socioculturel
– pour ne pas parler de l’économique et du financier – que permet de sceller le conventionnement avec une autorité publique (dont j’aime à penser que la reconnaissance est établie dans notre pays), peut être un atout, y compris sur le plan commercial ». Le CSA table sur le fait que les acteurs du Web et des applications mobiles sont de plus en plus soucieux de leur image et de la confiance qu’ils inspirent localement auprès de leurs utilisateurs.
La jeune génération est d’ailleurs au coeur de la réflexion du gendarme des télécoms, lequel a fait état d’un sondage : 74 % des parents sont inquiets des risques pour l’éducation de leurs enfants que constituent les modes individualisés de visionnage des programmes sur la télévision mais surtout sur le Web et sur l’ensemble des réseaux sociaux – sur Internet en général. « Nous passons d’un mode de visionnage familial et commun à un mode de visionnage individuel et caché. Pour les parents, il y a un vrai problème d’attraction des mineurs vis à vis de programmes qui sont susceptibles de troubler leur psychisme. (…) C’est d’ailleurs pour cela que, dès 2013, je me suis permis de poser ce problème à la représentation nationale non pas du tout pour revendiquer des compétences supplémentaires pour le CSA, non pas pour faire du CSA “le régulateur de l’Internet” – Je le connais suffisamment pour savoir qu’il ne le supporterait pas, car c’est contraire à son état d’esprit –, mais pour encourager à cette démarche de corégulation, d’autorégulation », a encore insisté le président du CSA.

Pour l’heure, les plateformes du Net interviennent en ordre dispersé en appliquant leur propre règlement interne – des sortes de « polices privées » (dixit Olivier Schrameck) qui sont d’inspirations très différentes suivant l’entreprise concernée. « Or les devoirs que nous avons en matière d’éducation des mineurs sont les mêmes, quelle que soit l’origine de l’information qui leur est dispensée », fait-il remarquer. Et de faire part de son inquiétude : « Mais il reste un énorme problème, un énorme trou noir : nous savons parfaitement que les mineurs ont accès par un simple clic à des sites (web) qui sont susceptibles de les perturber profondément. Donc, il importe de se poser la question. L’Etat, qui ne peut pas tout faire, prend ses responsabilités en ce qui concerne la pédopornographie ou l’incitation aux attentats djihadistes. Il faut aller au-delà ».

Vers une corégulation de l’Internet
Devant le CAVP, le président du CSA s’est félicité de l’avant-projet de la directive européenne révisée sur les services de médias audiovisuels (SMA), censée réformer celle de 2010, car ce texte législatif – présenté par la Commission européenne le 25 mai (2) – invoque justement la corégulation dans ce domaine, voire une harmonisation des pratiques dans l’Union européenne, tout en appelant à une association de protection des mineurs qui puisse service d’intermédiaire. Il s’agit de l’Alliance pour une meilleure protection des mineurs en ligne, chargée d’élaborer un code déontologique pour protéger les mineurs des contenus préjudiciables tels que la pornographie et la violence, et tous les citoyens de l’incitation à la haine (3). « Plutôt que de s’en remettre à l’autorégulation, les autorités nationales de régulation de l’audiovisuel [comme le
CSA en France, ndlr] auront compétence pour faire respecter les règles, ce qui, selon
la législation nationale applicable, pourra aussi, éventuellement, donner lieu à des amendes », a expliqué la Commission européenne dans le cadre de son projet de nouvelle directive SMA.

Le CSA veut devenir « médiateur »
Le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA), composé de l’ensemble des vingt-huit autorités nationales de l’audiovisuel et viceprésidé depuis janvier par Olivier Schrameck, est désormais chargé d’évaluera
les codes déontologiques en matière de corégulation et de conseiller la Commission européenne en la matière.
En France, le président du CSA se dit « disponible » vis à vis des plateformes du Net,
« mais il ne s’impose pas – ni par la loi, ni par sa volonté », précise Olivier Schrameck. Il y a en outre aussi des producteurs audiovisuels ou cinématographiques qui souhaitent pouvoir garantir au public la protection des mineurs, par l’intermédiaire de conventions ou de labellisation. « Nous sommes là pour les y aider ».

Plus largement, le CSA ne veut pas être perçu comme « le protecteur attitré des éditeurs et des diffuseurs » de chaînes de télévision notamment. « Nous avons eu
le souci de faire la part à l’ensemble des partenaires incluant les producteurs et les distributeurs [de films ou de programmes] », a tenu à clarifier Olivier Schrameck devant le monde de l’audiovisuel du CAVP. « Le CSA souhaite être “La maison des médias”, des éditeurs et des diffuseurs comme des producteurs et des distributeurs », a-t-il insisté, tout en citant en exemple des accords que le CSA a pu obtenir entre les uns et les autres, comme celui entre les producteurs (de cinéma) et OCS (Orange Cinéma Séries), accord qui a influé sur l’accord entre les producteurs et Canal+.
Le gendarme de l’audiovisuel se voit plus aujourd’hui comme « un médiateur entre des intérêts non pas divergents mais complémentaires » dès lors qu’il s’agit de relations entre les producteurs et les diffuseurs, de numérotation des chaînes sur la TNT ou le câble, ou encore du problème tout nouveau du stockage des données (voir encadré ci-dessous). Ainsi, la mue du régulateur de l’audiovisuel est en cours : jusqu’alors sa raison d’être dépendait des fréquences hertziennes ; désormais le numérique lui pose une question existentielle. A défaut de devenir aussi régulateur du Net, la corégulation des services de médias audiovisuels lui donne de nouveaux pouvoirs. @

Charles de Laubier

ZOOM

Le CSA devient le régulateur du stockage de données
« Sur le stockage des données, qui n’est pas normalement dans nos compétences, nous avons évoqué ce problème auprès des parlementaires parce qu’il influe profondément sur les équilibres économiques et créatifs de l’audiovisuel. Résultat,
le Sénat vient de voter une disposition qui nous donne compétence en matière de règlement de différends sur le stockage des données », s’est félicité le 26 mai dernier Olivier Schrameck, le président du CSA, devant le Club audiovisuel de Paris (CAVP).

YouTube et Netflix rattrapés par la directive « SMA »

En fait. Le 25 mai, la Commission européenne a présenté un projet de mise à jour de la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA) du 10 mars 2010, afin que les Vingt-huit puissent mieux prendre en compte et de façon harmonisée les plateformes vidéo de type YouTube ou Netflix dans leur législation.

En clair. « De nos jours, les spectateurs regardent des contenus vidéo non seulement sur leurs chaînes de télévision, mais aussi, de plus en plus, en passant par des services de vidéo à la demande (comme Netflix et Mubi (1)) et des plateformes de partage de vidéos (telles que YouTube et Dailymotion) », a expliqué le 25 mai la Commission européenne pour justifier sa proposition de révision de la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA). Les ministres concernés des Etats membres puis le Parlement européen doivent encore approuver ou corriger ce projet législatif dans les prochains mois. Il s’agit de « parvenir à un meilleur équilibre des règles qui s’appliquent aujourd’hui aux organismes traditionnels de radiodiffusion télévisuelle,
aux fournisseurs de vidéos à la demande et aux plateformes de partage de vidéos ».

Patrice Gélinet, membre du CSA : « Sans Radio France et France Médias Monde, la RNT ne peut réussir »

Au sein du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), dont il est membre, Patrice Gélinet préside le groupe « Radios analogiques et numériques ». Pour EM@, il fait le point sur la RNT. Un deuxième appel à candidatures est prévu début juin. Le gouvernement pourrait donner cette fois le feu vert à Radio France.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Le CSA s’apprête à lancer un appel à candidatures en vue de la diffusion de la RNT sur Lille, Lyon et Strasbourg. Le calendrier initial le prévoyait avant fin mars : pourquoi ce retard (1) et quand est-il prévu de le lancer ? Puis quand l’appel à candidatures suivant – sur Nantes, Rouen et Toulouse cette fois – se déroulera ?
Patrice Gélinet :
Les études d’impact d’éventuelles autorisations en radio numérique terrestre (RNT) et la consultation publique, qui doivent précéder les appels à candidatures à Lille, Strasbourg et Lyon, ont pris plus de temps que prévu. Ce sont quatre études d’impact
– une pour chacune de ces trois villes et une nationale – qui ont été rendues publiques le 19 avril dernier (2). Les réponses à la consultation doivent être rendues au plus tard le 13 mai, si bien que les appels pourraient être lancés le 1er juin en fonction de ces réponses. Les candidats devront remettre leur candidature dans la seconde quinzaine de juillet au plus tard ; la sélection devrait se faire au mois d’octobre. Quant aux appels suivants prévus à Nantes, Rouen et Toulouse, ils devraient pouvoir être lancés au quatrième trimestre de cette année.

Netflix hésite à se lancer dans le sport, sans l’exclure

En fait. Le 14 avril, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a publié une étude sur « l’offre “overthe- top” de contenus sportifs en France » émanant des chaînes TV (France Télévisions, Canal+, BeIn, …) ou des acteurs du Net (Yahoo, Google, Twitter, …). Un des grands absents du sport est… Netflix.

En clair. Ira ? Ira pas ? Le géant mondial de la vidéo à la demande par abonnement Netflix retransmettra-t-il un jour – en SVOD ou en live – des événements sportifs comme commencent à le faire par exemple Yahoo, Google ou encore Twitter ? Avec ses 81,5 millions d’abonnés dans le monde, dont plus de 2 millions en Europe (1), le groupe fondé par Reed Hastings est tenté de rivaliser avec les acteurs du Net lancés dans la bataille des droits de diffusion sportifs (2).
Mais il y a débat au sein même de Netflix pour savoir si le jeu en vaut vraiment la chandelle. Lors de leur événement-séduction organisé pour l’Europe à Paris, à la Cité du cinéma de Saint-Denis le 11 avril dernier, le PDG Reed Hastings et son directeur des programmes Ted Sarandos ont assuré à RadioTimes.com qu’il n’avaient pas de projet de diffusion sportive en live. « Est-ce que le sport serait quelque chose que vous feriez ? » leur a-t-il été demandé : « Non, en aucun pas », a répondu Ted Sarandos
en estimant qu’« il y a beaucoup de valeur ajoutée préparée d’avance dans le divertissement quand vous regarder un film ou une émission de télévision, mais
pas beaucoup de valeur pour le sport dans la mesure où vous voulez le regarder en direct avec tout le monde ». Pourtant, publiée trois après le show de Netflix axé sur les séries, l’étude du CSA sur l’offre OTT (Over-The-Top) de contenus sportifs en France (3) cite les propos de Ted Sarandos tenus lors de la 43e conférence « Global Media and Communications » organisée par la banque UBS à New York début décembre 2015 et rapportés par les médias américains tels que The Hollywood Reporter ou le New York Post. Ted Sarandos dit en substance que Netflix pourrait un jour se lancer dans les rencontres sportives, mais uniquement s’il créait lui-même l’événement et en possédait donc les droits : « S’il y a un modèle où nous créons nos propres ligues des sports, cela pourrait être intéressant », a-t-il dit précisément. Ted Sarandos a pris en exemple X Games, la compétition de sports extrêmes détenue par Disney qui la diffuse chaque année sur sa propre chaîne sportive ESPN. Mais il a ajouté que Netflix ne souhaitait pas acquérir des droits auprès des ligues de sport car, au-delà du fait qu’elles sont en position de force dans la négociation sur les prix, rendre disponible à la demande ce type de contenu n’apporterait aucune valeur ajoutée à l’utilisateur. @

Réforme audiovisuelle à l’heure du Net : la France ne peut passer à côté d’un changement de paradigme

La loi « Liberté de la communication » de 1986 – 30 ans ! – est devenue obsolète depuis la mondialisation de l’audiovisuel induite par Internet. Sa réforme reste timorée. La ligne Maginot du PAF (paysage audiovisuel français) peine à laisser place à un cadre ambitieux pour conquérir le PAM (mondial).

Par Rémy Fekete, avocat associé, cabinet Jones Day

Près d’un an après que la Commission européenne ait « jeté
les bases de l’avenir numérique de l’Europe » (1) en initiant la création d’un marché numérique européen, les parlementaires français envisagent une réforme du secteur audiovisuel. Cette révision du cadre légal intervient dans un contexte de crise des médias traditionnels : Canal+ affiche une perte de 264 millions d’euros en 2015 contre 21 millions en 2012 ; TF1 semble se diriger sous la barre des 20 % de part d’audience (2) ; M6 a refranchi à la baisse celle des 10%; les bouquets satellitaires ne parviennent que péniblement à remplir leurs canaux en raison de la diffusion des chaînes sur Internet ; les radios subissent aussi une baisse d’audience sans précédent.