La concurrence mondiale des constellations de satellites pour l’accès à Internet s’intensifie

Les opérateurs télécoms traditionnels font comme si les opérateurs de satellites pour l’accès à Internet n’étaient pas une menace à terme pour leurs offres fixes et mobiles. Or les constellations Starlink (SpaceX), Kuiper (Amazon) et OneWeb (Eutelsat) pourraient un jour les court-circuiter.

Les constellations de satellites pour des accès haut débit à Internet montent en puissance dans l’Hexagone. Starlink, créée et exploitée par la société SpaceX, est opérationnelle en France depuis mai 2021 et a fait l’objet jusqu’à ce jour de dixhuit décisions de l’Arcep (1). OneWeb, du groupe indobritannique intégré au français Eutelsat, a été officiellement lancée en France en février 2023 et compte cinq décisions de l’Arcep (2). Quant à Kuiper du groupe Amazon, elle a obtenu le 20 juin de la part de l’Arcep six décisions autorisant Amazon Kuiper France à opérer sur l’Hexagone (3).

Orbite basse et haut débit
Ce dernier nouvel entrant satellitaire en date en France, Kuiper, fourbit ses armes avant de tester à grande échelle son service au quatrième trimestre 2024, puis de commercialiser les accès à Internet par satellites en 2025. « Nous prévoyons d’expédier cet été nos premiers satellites de production terminés, et nous visons notre première mission Kuiper à grande échelle pour le “Q4” à bord d’une fusée Atlas V de l’ULA [United Launch Alliance, ndlr]. Nous continuerons d’augmenter nos taux de production et de déploiement de satellites d’ici 2025, et nous demeurons sur la bonne voie pour commencer à offrir des services aux clients l’année prochaine », a indiqué le 27 juin sa maison mère Amazon. L’objectif de la firme de Jeff Bezos : « Connecter des dizaines de millions de clients à travers le monde » (4).

Dans sa lettre aux actionnaires datée du 11 avril 2024, Andy Jassy, le directeur général d’Amazon a précisé son marché potentiel : « Kuiper […] vise à fournir une connectivité haut débit aux 400 à 500 millions de ménages qui ne l’ont pas aujourd’hui, ainsi qu’aux gouvernements et aux entreprises qui recherchent une meilleure connectivité et une meilleure performance dans les zones les plus reculées » (5). Kuiper prévoit de déployer dans un premier temps les 3.236 satellites en orbite basse (LEO) que la FCC (6) a autorisés en juillet 2020 (7). Quelque 7.774 satellites supplémentaires sont en attente d’une autorisation, ce qui ferait à terme de Kuiper la plus grande constellation occidentale avec un total de 11.010 satellites. La plupart décolleront de la base spatiale de Kennedy en Floride, puis d’autres de la base de Kourou en Guyane française. Pour le géant du e-commerce diversifié, cela représente un investissement de plus de 10 milliards de dollars. La production et les autorisations réglementaires ont cependant pris plus de temps que prévu. Kuiper de Jeff Bezos (photo de gauche) s’annonce comme le plus grand rival de Starlink de Elon Musk (photo de droite). Avec déjà plus de 3 millions de clients dans le monde, dont entre 10.000 et 20.000 en France, Starlink a pris une longueur d’avance dans cette « guerre des étoiles ». En France, l’accès à Internet haut débit est proposé depuis 2021 à 40 euros par mois (50 euros pour les entreprises) avec en plus la location du matériel Starlink à 10 euros par mois – à moins de l’acheter pour 249 euros (8). Le débit descendant est de 40 à plus de 220 Mbits/s et le débit montant est de 8 à plus de 25 Mbits/s, avec un temps de latence de 20 à 60 millisecondes (ms). Starlink Internet Services Limited est l’opérateur en Europe, basé à Dublin en Irlande. En France, Bouygues Telecom a annoncé le 9 juillet dernier qu’il devenait un « revendeur officiel de Starlink » pour le marché des entreprises, « leur permettant ainsi de bénéficier du très haut débit, en plus de la fibre optique, notamment dans le cadre du décommissionnement du réseau cuivre » (9). Mais il faudra y mettre le prix.
De son côté, OneWeb – qui a fusionné en 2023 avec Eutelsat pour donner naissance à Eutelsat Group (10) – a pris du retard par rapport au calendrier initial des déploiements d’infrastructures au sol. En plus de sa flotte de 36 satellites géostationnaires (GEO), le nouvel ensemble franco-indobritannique opère OneWeb et sa constellation en orbite basse (LEO) composée de plus de 600 satellites. D’après Eva Berneke, directrice générale d’Eutelsat Group, OneWeb connaît maintenant « une dynamique commerciale forte ». Mi-2024, un accord de 500 millions de dollars sur sept ans est entré en vigueur avec Intelsat qui vend des accès OneWeb en plus de ses capacités géostationnaires (GEO).

La Chine arrive et l’Europe a son Iris2
Selon le cabinet d’études Grand View Research, le marché mondial de l’accès à Internet par satellite devrait atteindre 14 milliards de dollars en 2030. La Chine et l’Europe ne veulent pas être à la traîne : l’Empire du Milieu a plusieurs flèches à son arc spatial, avec de prochaines constellations (Honghu-3 à 10.000 satellites, Guowang à 13.000, ou encore Casic à 300 satellites) ; l’Union européenne, elle, mise sur Iris2 qui devrait proposer en 2027 un accès Internet sécurisé (11), si les retards ne s’accumulent pas pour le consortium SpaceRise (12). @

Charles de Laubier

Le géant du e-commerce Amazon, fondé par Jeff Bezos, fête ses 30 ans et la 10e édition de ses « Prime Day »

C’est la fête à Amazon ! Créé dans un garage près de Seattle le 5 juillet 1994 par Jeff Bezos – proche de redevenir la personne la plus riche du monde –, le site web de vente en ligne Amazon a 30 ans. Devenu le numéro mondial du e-commerce, « Amazon.com, Inc. », coté en Bourse depuis 1997, s’est largement diversifié.

Cela fait trois ans ce 5 juillet que Jeff Bezos (photo) – né Jeffrey Preston Jorgensen (60 ans cette année) et adopté à l’âge de quatre ans par un émigré cubain (Miguel Bezos), avec lequel sa mère s’était remariée – a passé en 2021 les rênes de son empire Amazon à Andy Jassy. Celui-ci est depuis lors le second directeur général en 30 ans d’existence du site Internet de commerce en ligne, devenu un géant diversifié du numérique. C’est justement aussi ce 5 juillet que la firme au sourire – s’étirant de la lettre A au Z de son logo officiel depuis l’année 2000 – fête sa création par Jeff Bezos, le 5 juillet 1994, dans le garage d’une maison louée à Bellevue dans la banlieue de Seattle (Etat de Washington). Après avoir travaillé dans successivement une fintech (Fitel), une banque (Bankers Trust) puis un fonds spéculatif (D. E. Shaw & Co), le jeune ingénieur – diplômé huit ans plus tôt de l’université de Princeton (1986) – décide de cofonder avec sa femme MacKenzie Scott (rencontrée lors de son dernier emploi) une librairie en ligne pour vendre des livres. Son entreprise s’appelle d’abord « Cadabra » mais, certains comprenant « cadavre », il la rebaptise quelques mois après « Amazon », du nom du plus grand fleuve mondial qu’est l’Amazone (« Amazon » en anglais) en Amérique du Sud, correspondant bien à son ambition d’en faire « la plus grande librairie du monde ». Et en commençant par un « A », Amazon se retrouve en haut des listes de sites web !

De « plus grande librairie » à n°1 du e-commerce
Le site web Amazon.com est lancé un an après, le 16 juillet 1995. Le mois suivant, le président Jeff Bezos annonce la couleur : « World’s Largest Bookseller Opens on the Web » (1). Entre les disques compacts, le matériel informatique, les logiciels informatiques, les vidéos et les livres, le pionnier du e-commerce choisit d’abord de vendre des livres, en raison du très grand nombre de titres disponibles et de leurs prix modiques. Bingo ! Les ventes en ligne s’envolent. Il faut investir massivement pour faire face à la demande : moins de deux ans après le lancement d’Amazon.com, la société entre en Bourse, le 15 mai 1997, à 18 dollars l’action, sous le symbole « AMZN ». Elle est aujourd’hui à 197 dollars (au 04-07-24), son plus haut niveau historique. Soit 1.094 % de croissance en vingt-sept ans. Mille dollars investis lors de l’introduction en Bourse d’Amazon, valent aujourd’hui 10.944 dollars.

Stratégie monopolistique contestée
Et comme pour célébrer cette performance, la capitalisation boursière d’« Amazon.com, Inc. » (sa dénomination sociale) a atteint pour la première fois la barre des 2.000 milliards de dollars en début d’après-midi du mercredi 26 juin. La firme de Jeff Bezos rejoint ainsi le club très fermé des entreprises cotées à « 2 trillion » (comme disent les Anglosaxons) que sont Microsoft, Apple, Nvidia et Alphabet (Google). Quant à Jeff Bezos, il est en passe de redevenir l’homme le plus riche du monde, après l’avoir été de 2017 à 2021. Selon Forbes (2), sa fortune s’élève à 214,3 milliards de dollars (au 05-07-24), devant Bernard Arnault (LVMH) et juste derrière Elon Musk, le patron de Tesla, de SpaceX et X (ex-Twitter). Le président d’Amazon détient encore près de 10 % de l’entreprise, tout en étant propriétaire de Blue Origin, société aérospatiale développant des fusées qu’il a créée en 2000, et du quotidien Washington Post qu’il a racheté en 2013. La méga-valorisation d’Amazon est le résultat d’une stratégie de diversification, jusqu’à devenir en outre un hyperscaler du cloud avec Amazon Web Services (AWS) créé il y a une vingtaine d’années, tout en étant un des plus grands studios de cinéma d’Hollywood avec l’acquisition en mars 2022 de MGM (Metro Goldwyn Mayer) pour 8,5 milliards de dollars (3). Dernière conquête : l’espace, avec la constellation Kuiper pour accéder à Internet par satellites à partir de cette année en phase bêta (4).
Pour devenir le colosse du e-commerce, la boutique en ligne de Jeff Bezos s’est, dans ses deux premières années d’existence, rapidement mis à vendre d’autres produits que des livres. Ce à quoi ne s’attendait pas la plus grande librairie traditionnelle des Etats-Unis, Barnes & Noble, lorsque celle-ci a porté plainte contre Amazon – action judicaire enclenchée trois jours avant l’entrée en Bourse de la future Big Tech – pour lui contester sa prétention à se revendiquer comme « la plus grande librairie du monde ». Alors que, selon Barnes & Noble qui venait de lancer son propre site web de vente en ligne, « Amazon n’[était] pas du tout une librairie ; c’[était] un courtier en livres ». Dès 1998, la plateforme de Jeff Bezos a commencé à vendre aussi de la musique et des vidéos, tout en acquérant des boutiques en ligne de vente de livres, y compris en Europe. L’année suivant, des jeux vidéo, de l’électronique grand public, des logiciels, des jeux et des jouets et bien d’autres articles sont venus grossir ses références. Walmart, le géant américain de la grande distribution, a poursuivi lui aussi l’ambitieux nouvel entrant pour finalement trouver un accord amiable. D’autres acteurs traditionnels seront victimes de cette concurrence venue du Net. Par exemple, la grande chaîne de distribution de jouets Toys “R” Us fera faillite après avoir noué en 2000 avec Amazon un accord sur dix ans pour en être son fournisseur officiel, tout en renonçant à son propre site de vente en ligne. Le piège. Car Amazon est devenu depuis lors juge et partie : à la fois revendeur en ligne de produits négociés en direct mais aussi place de marché (marketplace)pour le compte de marchands tiers. Ces derniers peuvent se retrouver court-circuités. Un quart de siècle plus tard, Amazon est toujours controversé. Sa position dominante est contestée, y compris aux Etats-Unis où la Federal Trade Commission (FTC) – présidée par Lina Khan réputée « anti-Amazon » (5) –, dix-sept Etats américains et le procureur général de Porto Rico (Antilles) poursuivent depuis septembre 2023 Amazon devant la justice pour abus de position de « monopole » entretenu par des « stratégies anticoncurrentielles et injustes » comme « empêcher ses rivaux et ses vendeurs de baisser les prix », « dégrader la qualité pour les acheteurs » ou encore « étouffer l’innovation ». Et Lina Khan d’enfoncer le clou : « Notre plainte explique comment Amazon a utilisé un ensemble de tactiques punitives et coercitives pour maintenir illégalement ses monopoles » (6).
La procédure suit son cours. La plainte de près de 180 pages (7) ayant été amendée mi-mars 2024. La firme de Jeff Bezos est accusée d’évincer la concurrence, d’étouffer les nouveaux entrants et de faire en sorte qu’aucun rival actuel ou futur ne puisse menacer sa domination. Ces agissements ont, selon la FTC, « un impact sur des centaines de milliards de dollars de ventes au détail chaque année, touchent des centaines de milliers de produits vendus par des entreprises, grandes et petites, et touchent plus de cent millions d’acheteurs ». Malgré la gravité des griefs formulés à l’encontre du géant Amazon, la justice américaine se hâte lentement : le juge John Chun, dans l’Etat de Washington, a fixé par ordonnance (8) le procès au… 13 octobre 2026 !

A l’œil en Europe et class action en Angleterre
En décembre 2022, Amazon avait conclu un accord (9) avec la Commission européenne pour éviter in extremis une pénalité qui aurait pu atteindre 10 % de son chiffre d’affaires mondial. Mais avec le Digital Markets Act (DMA), le gatekeeper du e-commerce est à nouveau dans le collimateur de Bruxelles qui, en ouvrant une enquête le 25 mars dernier (10), le soupçonne de privilégier ses propres produits. Au Royaume-Uni cette fois, une class action de vendeurs a été déposée le 27 juin 2024 contre Amazon pour abus de position dominante et concurrence déloyale (11) : près de 3,2 milliards d’euros (12) de dommages et intérêts lui sont réclamés. Pour l’instant, pas de quoi gâcher les 10e Prime Days d’Amazon, les 16 et 17 juillet. @

Charles de Laubier