La future Commission européenne est appelée à faciliter la consolidation du marché unique des télécoms

Après le livre blanc publié le 21 février par la Commission européenne pointant la fragmentation du marché unique des télécoms, le rapport « Letta » du Conseil de l’UE – présenté le 17 avril – va dans le sens de la consolidation des opérateurs télécoms en Europe. Au détriment des consommateurs ?

Les précédentes Commission européenne (« Prodi », « Barroso », « Juncker ») et l’actuelle « von der Leyen », en fin de mandat, étaient plutôt favorables aux consommateurs en encourageant la concurrence et la baisse des prix. La prochaine Commission européenne, qui s’installera en novembre 2024, sera-t-elle plus à l’écoute des grands opérateurs télécoms en facilitant la consolidation des acteurs du marché avec le risque de hausses tarifaires ?
Le livre blanc « Infrastructures numériques » (1), que la Commission européenne a soumis le 21 février à consultation publique jusqu’au 30 juin prochain, prépare les esprits à un changement de doctrine, au nom de la « défragmentation » du marché unique des télécoms. Et présenté le 17 avril dernier, le rapport « Avenir du marché unique » (2) – commandité par le Conseil de l’Union européenne, présidé par Charles Michel (photo de gauche), auprès de l’Italien francophile Enrico Letta (photo de droite) – va dans le sens de ce livre blanc. Il va même plus loin dans la future intégration des télécoms dans les Vingt-sept. Les télécommunications – autrement dit les communications électroniques – font partie des trois secteurs, avec l’énergie et les services financiers, qui sont mis en avant par Enrico Letta, et sur lesquels il préconise de travailler pour créer plus d’intégration dans l’Union européenne.

« Le secteur des télécoms de l’UE menacé si… »
Objectif : défragmenter le marché unique européen pour encourager les investissements paneuropéens sur ces « trois piliers », et, en particulier, favoriser la consolidation du marché des télécoms en faveur d’opérateurs télécoms d’envergure européenne. « Je propose des feuilles de route concrètes pour accélérer l’intégration dans les domaines de la finance, de l’énergie et des télécommunications, en mettant l’accent sur la nécessité de réaliser des progrès au cours de la prochaine législature (2024-2029) », écrit-il, tout en tirant la sonnette d’alarme : « La viabilité économique de l’ensemble du secteur des télécommunications de l’Union est menacée si aucune mesure immédiate n’est prise ». Dévoilé le 17 avril lors d’une conférence de presse de Charles Michel et d’Enrico Letta, ce rapport « Future of the single market » de 147 pages (3) a été formellement remis le 18 avril aux chefs d’Etat et de gouvernements européens. Enrico Letta (ancien Premier ministre italien) estime que les télécoms sont l’une des principales causes de la baisse de compétitivité de l’UE.

Rationaliser le nombre d’opérateurs télécoms
« De nouveaux entrants ont remis en question les opérateurs historiques ; les prix de détail ont chuté ; le passage à un réseau en fibre optique a progressé et l’évolution des réseaux 3G vers des réseaux 5G se poursuit, bien que lentement. Mais, en raison des différences importantes entre les Etats membres y compris en matière d’investissement, nous sommes loin d’atteindre les objectifs de la stratégie de l’Union pour 2030 qui vise à répondre de manière adéquate aux besoins en matière de connectivité », souligne-t-il à l’attention du Conseil de l’UE. Entre d’« importantes disparités » et la « fragmentation des règles », le marché unique des télécoms est, d’après lui, « entravé ». Le rapport « Letta » constate qu’un opérateur européen moyen ne dessert que 5 millions d’abonnés, contre 107 millions aux Etats-Unis et 467 millions en Chine. En outre, une comparaison en termes d’investissement montre des niveaux ajustés au PIB par habitant de 104 euros en Europe en 2021, contre 260 euros au Japon, 150 euros aux Etats-Unis et 110 euros en Chine.
En creux, Enrico Letta regrette que les Commission européenne successives aient fait la part belle aux consommateurs des Vingtsept par une politique de concurrence et de baisse des tarifs sur fond de neutralité des réseaux : « Malgré la mise en œuvre du “règlement sur le marché unique des télécommunications”, qui a introduit le “paradigme de l’Internet ouvert” [en référence à la neutralité du Net du règlement européen du 25 novembre 2015, ndlr (4)] dans l’acquis communautaire, dans le secteur, l’Union compte toujours 27 marchés nationaux distincts. Cette fragmentation entrave la croissance des opérateurs paneuropéens, limitant leur capacité à investir, à innover et à rivaliser avec leurs homologues mondiaux ». Selon lui, les télécoms doivent passer à une dimension européenne pour être mieux à même de faire face à la concurrence des géants américains, chinois voire indiens. Et que, à l’instar de l’énergie et des services financiers, « il est urgent de rattraper le retard et de renforcer la dimension du marché unique pour les communications électroniques ». Pour les opérateurs télécoms, le marché pertinent devrait être plus européen (transfrontalier) par consolidation (concentration). Enrico Letta considère d’ailleurs que le livre blanc « Infrastructures numériques » va dans le sens d’une intégration des télécoms dans les Vingt-sept. La Commission européenne y dresse d’ailleurs le constat suivant : « La fragmentation réglementaire se reflète dans la structure du marché. Alors qu’il y a environ 50 opérateurs mobiles et plus de 100 opérateurs fixes dans l’UE, seuls quelques opérateurs européens (par ex. Deutsche Telekom, Vodafone, Orange, Iliad et Telefonica) sont présents sur plusieurs marchés nationaux. En ce qui concerne les marchés mobiles, au niveau des services, 16 Etats membres ont trois opérateurs de réseaux mobiles, neuf Etats membres en ont quatre et deux Etats membres en ont cinq ». Autre constat que souligne la Commission européenne : « Les prix du haut débit mobile et fixe sont généralement plus bas dans l’UE qu’aux Etats-Unis pour la grande majorité des tarifs, ce qui apporte d’importants avantages à court terme aux consommateurs ». De son côté, le rapport « Letta » ne développe pas plus avant ce que pourrait être cette consolidation que les opérateurs télécoms historiques en Europe appellent de leurs vœux – via notamment l’Etno, leur lobby bruxellois. En France, par exemple, le débat d’un passage à trois opérateurs télécoms au lieu de quatre perdure depuis des années, avec Orange et SFR (Altice) qui en rêvent (5). En février 2024, en Espagne, la Commission européenne a autorisé sous condition la fusion d’Orange et de MásMóvil (6). Un signe de changement de doctrine ?
Quoi qu’il advienne, Enrico Letta apporte de l’eau au moulin « pro-telcos » du commissaire européen Thierry Breton (photo ci-contre) qui milite pour un « Telecom Act » (7). Désormais appelé Digital Networks Act (DNA), ce projet de règlement télécoms envisage – à la demande de l’Etno – une « contribution équitable » (network fees ou fair share) que verseraient les Gafam aux opérateurs télécoms pour emprunter leurs réseaux. Enrico Letta, lui, n’évoque pas explicitement le sujet sensible des network fees, mais il veut remédier à « la relation déséquilibrée entre les [telcos] et les grandes plateformes en ligne ». Les géants du Net, eux, contestent cet Internet à péage (8). Thierry Breton, lui, compte bien rendre le DNA « incontournable pour le prochain mandat » de la Commission européenne, l’ancien PDG de l’ex-France Télécom (octobre 2002- février 2005) l’ayant assuré le 1er mars à Paris (9) devant l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef). « Je suis pour la concurrence, mais il faut avoir une concurrence que l’on appelle dans notre jargon level-playing field (10) avec une vision mondiale en permanence, parce que nos concurrents sont mondiaux et pas seulement intra-communautaires », avait-il justifié.

Telcos et Gafam : « droits et obligations équivalents »
Parmi les douze scénarios du livre blanc soumis à consultation jusqu’au 30 juin, il est aussi question de « changer de paradigme réglementaire » en allégeant les charges qui pèsent sur les opérateurs de réseaux et en leur permettant de fournir leurs services de façon « plus efficace ». Le livre blanc prône aussi de « garantir des règles du jeu équitables et des droits et obligations équivalents pour tous les acteurs et les utilisateurs des réseaux numériques ». Le rapport « Letta » et le livre blanc se rejoignent pour créer les conditions pour qu’émergent des « opérateurs [télécoms] paneuropéens » à « grande capacité d’investissement ». Ils comptent aussi sur le Gigabit Infrastructure Act (GIA), adopté le 23 avril dernier en première lecture au Parlement européen (avant un vote le 29 avril), pour faciliter le déploiement des réseaux. @

Charles de Laubier

Bertelsmann avait prévenu : l’échec « TF1-M6 » aura un impact sur tout l’audiovisuel en Europe

Le projet de « fusion » entre TF1 et M6 a fait couler beaucoup d’encre depuis seize mois. L’annonce le 16 septembre 2022 de son abandon laisse le groupe allemand Bertelsmann (maison mère de RTL Group, contrôlant M6) sur un gros échec face aux Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+. La discrète famille milliardaire Mohn, propriétaire de Bertelsmann, doit s’en mordre les doigts. Son homme de confiance, Thomas Rabe (photo), PDG du premier groupe de médias européen et directeur général de sa filiale RTL Group (elle-même contrôlant M6 en France), avait pourtant mis en garde les autorités antitrust françaises : si elles ne donnaient pas leur feu vert à la vente de M6 (alias Métropole Télévision) à TF1 (groupe Bouygues), cela aurait un « un impact profond sur le secteur audiovisuel en Europe ». En insistant : « J’espère que les décideurs en sont conscients ». RTL Group perd une bataille devant Netflix Thomas Rabe s’exprimait ainsi dans une interview au Financial Times, publiée le 31 août dernier. « Si les autorités décident de s’opposer à cette combinaison [TF1-M6],c’est une occasion perdue, non seulement pour cette année mais pour le long terme », prévenait-il. Soit quinze jours avant l’abandon du projet en raison des exigences de l’Autorité de la concurrence (cession soit de la chaîne TF1, soit de la chaîne M6 pour que l’opération soit acceptable). Thomas Rabe estimait qu’un échec du projet ne laisserait rien présager de bon en Europe : « Si cet accord ne passe pas en France, il sera très difficile pour un accord similaire de passer en Allemagne et dans d’autres pays ». Or Bertelsmann prévoit justement en Allemagne de fusionner ses télévisions avec le groupe de chaînes payantes et gratuites ProSiebenSat.1 Media (1). Cela reviendra pour la famille Mohn à racheter ProSiebenSat.1, le rival allemand de RTL Group. Et aux Pays-Bas, RTL Nederland a annoncé il y a un an qu’il va absorber les activités audiovisuelles et multimédias de Talpa Network, le groupe néerlandais fondé par John de Mol. Parallèlement, afin de se recentrer sur « la création de champions média nationaux », Bertelsmann a vendu RTL Belgium aux groupes DPG Media et Rossel, et RTL Croatia au groupe CME du magnat des médias Ronald Lauder (2). Comme avec TF1 en France et ProSiebenSat.1 en Allemagne, l’objectif de la fusion avec Talpa Network aux Pays- Bas est le même : répliquer en Europe à l’offensive des plateformes numériques mondiales américaines, que sont Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou encore Apple TV+, en créant localement des groupes « cross-media » de taille capables d’investir dans les technologies et la créativité – en particulier dans des contenus premiums pour rivaliser avec les productions originales des GAFAN. Et à l’heure où Netflix, Amazon/Freevee (3) et Disney+ s’ouvrent à la publicité audiovisuelle, ces consolidations sur le marché européen de la télévision traditionnelle visent à résister avec des écrans publicitaires attractifs. Les éditeurs de télé redoutent en plus que l’audience des plateformes de SVOD soit certifiée et comparée avec celle de leurs chaînes (4). Dans leur communiqué commun du 16 septembre annonçant l’abandon du projet de fusion, RTL Group et Bouygues (maison mère de TF1 acquéreur de M6) sont amères : « Les parties regrettent que l’Autorité de la concurrence n’ait pas tenu compte de la rapidité et de l’ampleur des changements qui ont touché le secteur de l’audiovisuel française. Ils continuent de croire fermement qu’une fusion des groupes TF1 et M6 aurait fourni une réponse appropriée aux défis découlant de la concurrence accrue des plateformes internationales » (5). Le groupe de Martin Bouygues renonce ainsi à un ensemble de plus de 3,4milliards d’euros de chiffre d’affaires, qui aurait constitué le quatrième acteur de l’audiovisuel européen. De son côté, Bertelsmann a aussitôt relancé le processus de cession de M6. Les candidats au rachat de M6 – dont l’autorisation de diffusion en France arrivera à échéance le 5 mai 2023 – avaient jusqu’au jeudi 29 septembre pour déposer leurs offres fermes (6). Et Bertelsmann n’aura que l’embarras du choix mais le groupe allemand doit aller vite au regard de cette échéance devant l’Arcom. Il y a trois favoris au rachat de M6 : Daniel Kretínsky (CMI) ; Stéphane Courbit (FL Entertainment (7)) avec Rodolphe Saadé (CMA CGM) et Marc Ladreit de Lacharrière (Fimalac) ; Xavier Niel avec l’italien MediaForEurope. Et d’autres potentiels candidats : Vivendi, Altice, NRJ, … En France, l’Arcom et l’Arcep divergeaient Quant à l’Arcom et à l’Arcep, ils ont rendu public le 21 septembre leur avis respectif sur le projet de rachat de M6 par TF1 – avis remis cinq mois plus tôt à l’Autorité de la concurrence. L’Arcom a émis des réserves en raison « des effets notables (…) sur les marchés publicitaires, de l’édition et de la distribution, ainsi que (…) de l’acquisition de programmes », tout en prenant en compte des mouvements de concentration en Europe face aux plateformes de streaming (8). L’Arcep, elle, y était défavorable, craignant « des risques sur le marché de la fourniture d’accès à Internet, au détriment des utilisateurs » (9), mais sans parler de ce qui se passe en Europe. @

Charles de Laubier

Yves Guillemot n’exclut pas de vendre (cher) Ubisoft

En fait. Le 17 février, le PDG d’Ubisoft, Yves Guillemot a indiqué que « s’il y avait une offre d’achat [sur son groupe], le conseil d’administration l’examinerait bien sûr dans l’intérêt de tous les parties prenantes ». Cinq ans après avoir mis en échec Vincent Bolloré (Vivendi) qui voulait s’en emparer, Ubisoft n’exclut pas d’être racheté. En clair. Le français Ubisoft Entertainment, l’une des premières majors mondiales du jeu vidéo, n’est pas à vendre mais ne s’opposerait pas à être cédé au prix fort. C’est ce qu’a laissé entendre le PDG cofondateur du groupe, Yves Guillemot, lors d’une conférence téléphonique avec des analyses le 17 février dernier. « Nous avons toujours pris des décisions dans l’intérêt de nos parties prenantes, qui sont nos employés, nos joueurs et nos actionnaires. Ubisoft peut rester indépendant : nous avons le talent, l’échelle financière et un large portefeuille de propriétés intellectuelles originales. Cela dit, s’il y avait une offre d’achat, le conseil d’administration l’examinerait bien sûr dans l’intérêt de tous les intervenants », a-t-il dit. Peu après, le directeur financier du groupe, Frédérick Duguet, a tenu à préciser : « Nous ne spéculerons pas sur les raisons pour lesquelles les gens n’ont fait aucune offre ». Et Yves Guillemot d’ajouter aussitôt : « Ou si une offre a été faite ». La direction du groupe familial – fondé il y a plus de 35 ans par les frères Guillemot – se refuse donc à en dire plus sur l’intérêt potentiel d’un candidat, ou plusieurs, au rachat d’Ubisoft, mais elle n’en fait pas non plus un sujet tabou. D’autant que des rafales de consolidations soufflent depuis le début de l’année sur le marché mondial des éditeurs de jeux vidéo : Microsoft s’est emparé d’Activision Blizzard pour près de 70 milliards de dollars ; Take-Two interactive a jeté son dévolu sur Zynga pour 11 milliards de dollars ; Sony a racheté Bungie pour 3,6 milliards de dollars Ce n’est pas la première qu’Ubisoft suscite l’intérêt d’acheteurs potentiels : à partir de 2015, Vivendi – qui s’était délesté d’Activision Blizzard deux ans plus tôt (1) – a cherché à lancer une OPA hostile sur l’éditeur de « Assassin’s Creed », « Rayman », « Les Lapins Crétins » ou encore « Just Dance », ainsi que sur l’autre éditeur vidéoludique de la famille, Gameloft (2). Mais les frères Guillemot ont tenu tête à Vincent Bolloré – Breton comme eux (3). Si Vivendi a réussi son OPA sur Gameloft en 2016, il a dû renoncer en 2017 pour Ubisoft (4). Avec les perspectives alléchantes des métavers et des NFT dans le jeu vidéo (play-to-earn), des acheteurs potentiels tels que Netflix, Amazon, Tencent, Byte Dance (TikTok) ou encore Sony sont en embuscade pour faire des offres. A moins que Microsoft ne remette au pot. @

Le monde de l’audiovisuel et du cinéma s’apprête à être bousculé par la naissance de Warner Bros. Discovery

Qui ne dit mot consent : à l’échéance du 9 février, aucune autorité antitrust américaine n’a contesté le projet de fusion entre WarnerMedia, filiale de l’opérateur télécoms américain AT&T, et son compatriote Discovery. L’Union européenne, elle, a déjà donné son feu vert en décembre. Le géant Warner Bros. Discovery naîtra au printemps. Feux verts pour le lancement au printemps du nouveau géant du divertissement, du cinéma et de l’audiovisuel – streaming vidéo et chaînes payantes compris : Warner Bros. Discovery (WBD). Bien que la fusion entre les deux groupes américains WarnerMedia et Discovery ait été annoncée en mai 2021 (1), cette prise de contrôle de la filiale de contenus audiovisuels et cinématographiques de l’opérateur télécoms AT&T par son compatriote Discovery, lequel en prend le contrôle, entame sa dernière ligne droite. Et ce, en vue de la finalisation – au deuxième trimestre – de cette mégafusion à 43 milliards de dollars pour AT&T. Cette somme servira à l’opérateur télécoms pour se désendetter et renforcer ses investissements dans la 5G et la fibre optique. Le nouveau groupe WBD sera placé sous la houlette de David Zaslav (photo). L’ensemble compte faire jouer des synergies technologiques, marketing et numériques pour dégager dans les deux ans « plus de 3 milliards de dollars » d’économie, selon le projet de lettre aux actionnaires (2) présentée le 1er février dernier en même temps que le prospectus de l’opération de spin-off (3). WarnerMedia et Discovery discutent en outre depuis novembre dernier de la fusion de leurs deux plateformes de SVOD : HBO Max et Discovery+. Les Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+ n’auront qu’à bien se tenir. WBD sera coté au Nasdaq et tiré par le streaming « Le regroupement en une seule plateforme entraînera des économies considérables. Je pense qu’il y aura aussi des avantages significatifs pour les consommateurs à fusionner en une seule plateforme », avait déclaré le directeur du streaming et de l’international chez Discovery, le Français Jean-Briac Perrette (4). La future plateforme commune de SVOD, « HBO Max Discovery+ », s’approchera des 100 millions d’abonnés et promet de bousculer les marchés audiovisuels et cinématographique au niveau mondial, y compris les chaînes payantes. Ce nouveau rival de taille pourrait mettre fin au leadership de Netflix (dont le service en ligne fut créé en 2007 avec aujourd’hui près de 222 millions d’abonnés), déjà mis à mal par l’irruption de la plateforme Disney+ (lancée en 2019 et atteignant 118 millions d’abonnés). L’ensemble Warner Bros. Discovery devrait peser d’emblée plus de 50 milliards de dollars de chiffre d’affaires pour une valorisation attendue d’environ 130 milliards de dollars. Le conseil d’administration de la nouvelle société sera composé de treize membres, dont sept avec le président du conseil nommés par AT&T, tandis que Discovery nommera six membres, dont David Zaslav, son actuel patron. Le géant des télécoms, qui se délestera de sa filiale WarnerMedia au cours du deuxième trimestre, organisera une conférence virtuelle le 11 mars avec les investisseurs sur les aspects financiers de ce spin-off. SVOD : HBO Max et Discovery+ face à Netflix Warner Bros. Discovery sera alors un nouveau géant qui sera coté au Nasdaq à New York, sous le symbole « WBD ». Les actionnaires d’AT&T en détiendront 71 %, tandis que ceux de Discovery les 29 % restants. « Cette transaction offre l’occasion de créer un concurrent mondial plus fort dans le streaming et le divertissement numérique », s’est félicitée la firme de Dallas (où se situe le siège d’AT&T). Il s’agit aussi pour les deux groupes qui vont fusionner de rattraper leur retard sur le peloton de tête du marché mondial du streaming et de la SVOD constitué de Netflix, Disney+, Amazon Prime Video et Apple TV+. « La WBD combinera les actifs de divertissement, de sport et d’actualité de WarnerMedia avec les principales entreprises internationales de divertissement et de sport de Discovery, afin de créer une entreprise mondiale de divertissement de premier plan et autonome », est-il prévu, les deux parties amenées à fusionner étant en outre rompues à l’exploitation de licences à travers le monde. Rivaliser avec les plateformes de streaming Netflix ou Disney+ nécessite plus que jamais de « réunir des créateurs de contenu de calibre mondial et des catalogues de séries et de films de grande qualité dans le secteur des médias ». • WarnerMedia apporte à WBD ses grands studios d’Hollywood et ses productions de divertissement, d’animations, d’information et de sports (plutôt de stock ou scripted). Au-delà de l’emblématique major du cinéma américain Warner Bros., l’ex-Time Warner (renommé WarnerMedia en 2018) édite la chaîne de télévision payante HBO, la chaîne d’information en continu CNN, les réseaux de télévision par câble ou satellite TNT, TBS et TruTV (Turner) ou encore des programmes pour enfants Cartoon Network et DC Comics. Et c’est en mai 2020 que la plateforme de streaming vidéo HBO Max a été lancée aux Etats-Unis, avant d’être rendue accessible dans d’autres pays dont certains en Europe depuis l’automne 2021. Prochaine extension géographique, annoncée en début de mois par Johannes Larcher (5), directeur de HBO Max à l’international : le 8 mars prochain. Mais toujours pas en France car OCS, filiale d’Orange (66,67 % du capital) et de Canal+ (33,33 %), détient jusqu’à fin 2022 l’exclusivité des contenus HBO (6). Lors d’une conférence téléphonique le 26 janvier dernier, le PDG d’AT&T John Stankey a indiqué qu’ensemble la chaîne premium HBO et la plateforme HBO Max avaient atteint 73,8 millions d’abonnés. Mais c’est à peine un tiers du parc d’abonnés de Netflix et moins de deux-tiers de celui de Disney+. • Discovery, qui ne possède pas de studio de cinéma, apporte de son côté à WBD des programmes audiovisuels de divertissement de la vie réelle, de téléréalité (real life) et de sport (plutôt du flux ou unscripted) auprès de passionnés ou de superfans. Le groupe, dont le principal actionnaire est le « cow-boy du câble » et magnat des médias John Malone (7), diffuse des programme-phares sur tous les écrans tels qu’Eurosport, Discovery Channel, HGTV, Travel Channel, MotorTrend, Animal Planet ou encore Science Channel. Et dans les plateformes numériques et applications mobiles, Discovery apporte un savoir-faire en termes d’innovation. Dès 2015, le service de SVOD Motor Trend OnDemand est lancé pour les passionnés de voitures. En 2019, Food Network Kitchen est diffusé en live et on-demand pour les fans de cuisine. Puis, c’est à partir de 2020 qu’est déployée la plateforme de SVOD Discovery+, d’abord en Inde, puis l’année suivante aux Etats-Unis. Discovery+ s’appelait auparavant Dplay (en 2019) après avoir été lancé sous le nom de QuestOD (en 2018). Au Hollywood Reporter début août dernier, le directeur général de Discovery, David Zaslay, avait indiqué que Discovery+ avait atteint les 18 millions d’abonnés (8) : plus de douze fois moins que Netflix et plus de six fois moins que Disney+. Puis à Fierce Video début novembre dernier le Français Jean-Briac Perrette (photo ci-contre) chez Discovery, avait actualisé le nombre d’abonnés à 20 millions au 30 septembre dernier. « Nous voulons accélérer dans le domaine des services de streaming de média et de divertissement, en mode Directto- Consumer (DTC), pour les consommateurs du monde entier », a expliqué la firme de Dallas le 2 février dernier lors de la présentation de la scission d’avec sa filiale de contenus. Feux verts de l’Europe et des Etats-Unis Auprès du gendarme de la Bourse américaine (la SEC), Discovery a pris acte qu’il n’y a eu à l’échéance légale du 9 février dernier (9) aucune contestation au projet de fusion « WBD », ni de la part de la Federal Trade Commission (FTC), présidée depuis septembre 2021 par Lina Khan et pourtant plutôt hostile aux positions dominantes (10), ni du DoJ (département de la Justice) ni même de la FCC (régulateur des communications). Alors même que le DoJ avait reçu le 4 décembre 2021 une lettre de près de trente Démocrates américains (11) l’exhortant à examiner de très près le dossier « Discovery-WarnerMedia » avant de rendre sa décision. Car selon ces parlementaires américains, le futur WBD risque de réduire la diversité et l’inclusivité des contenus proposés aux consommateurs, lesquels pourraient être amenés à les payer plus cher. Quant à la Commission européenne, elle a déjà fait savoir le 3 janvier dernier qu’elle avait autorisé le contrôle de WarnerMedia par Discovery (12). @

Charles de Laubier

Fusionner SFR et Free pour passer à un Big Three ?

En fait. Le 2 février, Patrick Drahi, fondateur d’Altice, a été auditionné par la commission d’enquête « concentration dans les médias » du Sénat. Dix ans après le lancement de Free Mobile, au grand dam du triopole mobile à l’époque, il estime qu’aujourd’hui le passage de quatre à trois opérateurs télécoms en France se fera « tôt ou tard ». En clair. « Je pense que ce serait mieux pour le marché français que deux opérateurs français se rapprochent pour être plus forts, plutôt qu’un des quatre opérateurs français termine dans les mains de je ne sais qui… Alors que ce sont quand même des infrastructures importantes », a confié Patrick Drahi, président d’Altice, groupe qu’il a fondé il y a vingt ans et qui est la maison mère de SFR depuis huit ans. Il répondait à la sénatrice Sylvie Robert qui lui demandait si «un rapprochement entre [son]groupe Altice et Iliad [maison mère de Free] serait à l’étude ». Réponse de celui qui avait ravi en 2014 SFR (1) au nez et à la barbe de Bouygues Telecom: « Pas du tout. Il n’y a aucune étude de rapprochement. Moi, je suis copain avec tout le monde. Je suis copain avec Xavier [Niel, patron de Free], avec Martin [Bouygues, propriétaire de Bouygues Telecom], avec Stéphane [Richard, patron d’Orange, en fin de mandat]…», a-t-il assuré. Pour autant, Patrick Drahi estime inéluctable le passage de quatre à trois opérateurs télécoms dans l’Hexagone, se remémorant la consolidation dans le câble qu’il avait orchestrée à partir de 2002, il y a vingt ans, juste après avoir fondé sa société Altice, devenue maison mère de Numericable puis de SFR (2). « J’ai tout essayé dans la consolidation du marché des télécoms français, a-t-il rappelé en en riant. Je n’y suis pas arrivé. Mais j’aime bien insister dans la vie… Je ne suis pas pressé ; cela se fera un jour ou l’autre. Pourquoi ? Parce qu’aux Etats-Unis ils étaient quatre ; ils ne sont plus que trois [après la fusion Sprint/T-Mobile en 2020, ndlr]. Le profit de chacun des trois opérateurs américains restants [Verizon, AT&T et T-Mobile, ndlr], est supérieur au chiffre d’affaires de l’ensemble du marché des télécoms français : comment voulez-vous que l’on résiste par rapport à ces gens-là ? C’est impossible », a-t-il prévenu, craignant que Bouygues Telecom ou Free – « qui ne gagnent pas beaucoup d’argent » – soient rachetés par un opérateur étranger. Martin Bouygues était non-vendeur en 2015 de sa filiale Bouygues Telecom (3), avant d’y être depuis 2018 favorable (4). Passer de quatre opérateurs à un Big Three est demandé depuis longtemps par Orange et SFR pour mettre un terme à la bataille tarifaire au profit des investissements dans la fibre optique et la 5G. Orange, membre de l’Etno à Bruxelles et de la GSMA à Londres, milite dans ce sens. @