Le rachat d’Activision par Microsoft aboutira-t-il en 2023, soit dix ans après avoir été cédé par Vivendi ?

Pendant que des actionnaires ont porté plainte en justice contre Activision Blizzard et son conseil d’administration pour « conflits d’intérêts », une enquête pour délit d’initié a par ailleurs été ouverte par le gendarme boursier américain. Quant à la FTC (antitrust), elle pourrait encore bloquer l’opération à tout moment.

Ce n’est pas gagné. La méga-acquisition d’Activision Blizzard annoncée le 18 janvier dernier par Microsoft pour 68,7 milliards de dollars pourrait ne pas aboutir en 2023. Car les obstacles s’accumulent, tant devant la justice que devant les autorités boursière et antitrust. Issu il y a quinze ans de la fusion entre Activision et Vivendi Games, l’éditeur de « Call of Duty » espère que la fusion devrait aboutir « au cours de l’exercice financier de Microsoft se terminant le 30 juin 2023 ».

Conflits d’intérêts et risques antitrust
Depuis la précédente cession d’Activision en 2013 par Vivendi et son introduction en Bourse, il y aura dix ans l’an prochain si la vente à Microsoft arrive à son terme, Robert Kotick alias Bobby (photo de gauche) et Brian Kelly (photo de droite) ont conservé ensemble une participation de près de 25 % du groupe. Le premier est encore directeur général d’Activision Blizzard, tandis que le second en est encore le président du conseil d’administration. C’est justement au sujet des administrateurs que des actionnaires – une demi-douzaine, selon le site Polygon.com (1) – ont porté plainte devant des tribunaux californien, newyorkais et pennsylvanien contre Activision Blizzard pour notamment « conflits d’intérêts potentiels » en interne. Les six recours judiciaires ont été déposés entre fin février et début mars pour dénoncer le côté « injuste » de cette méga-fusion au détriment des actionnaires du public.
Dans la plainte datée du 24 février dernier et enregistrée par un tribunal californien, un actionnaire – Kyle Watson, défendu par le cabinet d’avocats Brodsky & Smith – affirme que « la répartition des avantages de la transaction indique que les initiés d’Activision sont les principaux bénéficiaires de cette transaction proposée, et non pas les actionnaires publics de la société tels que le plaignant ». Et d’ajouter : « Le conseil d’administration et les dirigeants de la société sont en conflit parce qu’ils auront obtenu des avantages uniques pour eux-mêmes de la proposition de transaction, non disponible pour le plaignant en tant qu’actionnaire public d’Activision ». Sont ainsi visés des membres du conseil d’administration d’Activision qui possèdent actuellement d’importantes parts d’actions de l’entreprise, lesquelles seront toutes échangées en contrepartie de la fusion une fois réalisée. Ainsi, entre autres, Robert Kotick détenant déjà 4,4 millions d’actions en possèdera 6,5 millions après l’opération ; Brian Kelly passera de 1,1 million d’actions à 1,2 million. De plus, certains contrats de travail avec des cadres d’Activision donnent droit à une indemnité de départ. « Ces “parachute d’or” sont significatifs, et donneront droit à chaque directeur ou dirigeant à des millions de dollars, non partagés avec le plaignant », pointe-ton dans la plainte. Pour ne citer qu’eux : Robert Kotick – qui pourrait quitter l’entreprise à la suite des affaires d’harcèlements sexuels qu’il est soupçonné en novembre 2021 d’avoir étouffées – touchera 14,3 millions de dollars en cash, Armin Zerza 4,1 millions de dollars en cash et 21,1 millions en actions, Daniel Alegre 5,5 millions de dollars en cash et 23,4 millions en actions. De leurs côté, Barry Diller, David Geffen et Alexander von Furstenberg font l’objet d’une enquête du gendarme de la Bourse américain (SEC) soupçonnés de délit d’initié. Selon le Wall Street Journal du 8 mars, ils auraient acquis des actions Activision quelques jour avant l’annonce du rachat par Microsoft (2). Sur un autre front judiciaire, celui des concentrations cette fois, le méga-deal entre Microsoft et Activision sera passé au crible par la redoutée FTC, la Federal Trade Commission, qui a demandé le 3 mars « des données supplémentaires » de la part des deux entreprises. L’agence de presse Bloomberg avait révélé le 1er février que cette autorité américaine du commerce est chargée de mener l’enquête antitrust, puis d’autoriser ou pas cette fusion au regard du droit de la concurrence (3). De quoi inquiéter Microsoft sur l’issue de son offre sur Activision Blizzard, puisque la présidente de la FTC – Lina Khan, en fonction depuis septembre 2021 – est réputée plutôt hostile aux positions dominantes des Big Tech (4).
L’intégration verticale « Microsoft-Activision » (MA), combinaison entre l’écosystème des consoles Xbox et le catalogue de jeux vidéo comme le blockbuster « Call of Duty » (CoD), fait craindre des abus de position dominante (5). Sony pourrait être la première victime collatérale de cette fusion, alors que le japonais génère de gros revenus avec la série CoD d’Activision Blizzard sur sa propre console PlayStation.

Avenir de « Call of Duty » sur Sony PS
Pour couper court à ces soupçons d’éviction de la concurrence, Microsoft avait assuré fin janvier qu’il respectera les accords en cours entre Activision et Sony sans préciser leur échéance – trois jeux de CoD à venir d’ici fin 2023 seraient sécurisés (6), mais après ? Microsoft cherche en tout cas à renforcer son emprise sur l’industrie du jeu vidéo, en étant à la fois fabricant de consoles et éditeurs de titres. Il y a un an, la firme de Redmond a finalisé le rachat pour 7,5 milliards de dollars de ZeniMax Media, la maison mère de Bethesda Softworks et d’autres studios de jeux vidéo (7). Si cette fusion «MA » devait être résiliée par l’une ou l’autre partie, plus de 2 milliards de dollars seront dus soit à Microsoft ou inversement à Activision Blizzard. @

Charles de Laubier

Yves Guillemot n’exclut pas de vendre (cher) Ubisoft

En fait. Le 17 février, le PDG d’Ubisoft, Yves Guillemot a indiqué que « s’il y avait une offre d’achat [sur son groupe], le conseil d’administration l’examinerait bien sûr dans l’intérêt de tous les parties prenantes ». Cinq ans après avoir mis en échec Vincent Bolloré (Vivendi) qui voulait s’en emparer, Ubisoft n’exclut pas d’être racheté.

En clair. Le français Ubisoft Entertainment, l’une des premières majors mondiales du jeu vidéo, n’est pas à vendre mais ne s’opposerait pas à être cédé au prix fort. C’est ce qu’a laissé entendre le PDG cofondateur du groupe, Yves Guillemot, lors d’une conférence téléphonique avec des analyses le 17 février dernier. « Nous avons toujours pris des décisions dans l’intérêt de nos parties prenantes, qui sont nos employés, nos joueurs et nos actionnaires. Ubisoft peut rester indépendant : nous avons le talent, l’échelle financière et un large portefeuille de propriétés intellectuelles originales. Cela dit, s’il y avait une offre d’achat, le conseil d’administration l’examinerait bien sûr dans l’intérêt de tous les intervenants », a-t-il dit. Peu après, le directeur financier du groupe, Frédérick Duguet, a tenu à préciser : « Nous ne spéculerons pas sur les raisons pour lesquelles les gens n’ont fait aucune offre ». Et Yves Guillemot d’ajouter aussitôt : « Ou si une offre a été faite ». La direction du groupe familial – fondé il y a plus de 35 ans par les frères Guillemot – se refuse donc à en dire plus sur l’intérêt potentiel d’un candidat, ou plusieurs, au rachat d’Ubisoft, mais elle n’en fait pas non plus un sujet tabou. D’autant que des rafales de consolidations soufflent depuis le début de l’année sur le marché mondial des éditeurs de jeux vidéo : Microsoft s’est emparé d’Activision Blizzard pour près de 70 milliards de dollars ; Take-Two interactive a jeté son dévolu sur Zynga pour 11 milliards de dollars ; Sony a racheté Bungie pour 3,6 milliards de dollars Ce n’est pas la première qu’Ubisoft suscite l’intérêt d’acheteurs potentiels : à partir de 2015, Vivendi – qui s’était délesté d’Activision Blizzard deux ans plus tôt (1) – a cherché à lancer une OPA hostile sur l’éditeur de « Assassin’s Creed », « Rayman », « Les Lapins Crétins » ou encore « Just Dance », ainsi que sur l’autre éditeur vidéoludique de la famille, Gameloft (2).
Mais les frères Guillemot ont tenu tête à Vincent Bolloré – Breton comme eux (3). Si Vivendi a réussi son OPA sur Gameloft en 2016, il a dû renoncer en 2017 pour Ubisoft (4). Avec les perspectives alléchantes des métavers et des NFT dans le jeu vidéo (play-to-earn), des acheteurs potentiels tels que Netflix, Amazon, Tencent, Byte Dance (TikTok) ou encore Sony sont en embuscade pour faire des offres. A moins que Microsoft ne remette au pot. @

Nintendo fait son entrée le 1er octobre dans l’indice Nikkei de la Bourse de Tokyo, grâce à la Switch

La firme de Kyoto – renommée mondialement grâce à Mario, Pokémon ou Animal Crossing, mais aussi à sa console de jeux vidéo Switch (95 % de ses revenus) – trouve la consécration en intégrant l’indice boursier Nikkei. Shuntaro Furukawa est à la manette de « Big N » depuis plus de trois ans et lance le 8 octobre la Switch Oled.

Le 1er octobre 2021 marque pour Nintendo – dont les origines remontent à 1889 mais qui porte son nom actuel depuis 70 ans – une consécration : la firme cotée à la Bourse de Tokyo et géant mondial des jeux vidéo fait son entrée dans l’indice Nikkei (1), lequel calcule les performances boursières de 225 grandes entreprises japonaises tous secteurs confondus. Avec sa notoriété universelle et une capitalisation boursière de plus de 50 milliards d’euros (6,4 milliards de yens au 1er octobre), « Big N » ne pouvait pas ne pas devenir l’une des icônes emblématiques du célèbre indice (2).
C’est chose faite, bien que la « maison mère » de Mario ou de Pokémon n’ait pas attenu cette distinction du Nihon Keizai Shinbun (nom du quotidien économique nippon qui publie le Nikkei) pour assurer son rayonnement mondial. Nintendo a fait ses premiers pas en Bourse en 1962 à Osaka et à Kyoto (ville où se situe son siège social depuis le début), avant d’être coté à Tokyo à partir de 1983. A ce jour, la firme de Kyoto a vendu partout dans le monde plus de 5,1 milliards de jeux vidéo et quelque 800 millions d’appareils – dont les fameuses consoles portables Switch. Que de chemin parcouru entre la petite entreprise de cartes à jouer fondée par Fusajiro Yamauchi et la multinationale de jeux vidéo présidée depuis plus trois ans par Shuntaro Furukawa (photo). L’action évolue à des niveaux proches de son plus haut historique.

A plus de 5 ans, la Switch en fin de vie ?
Entré au milieu des années 1990 dans cette fascinante kabushiki gaisha (comprenez société par actions japonaise), Shuntaro Furukawa est passé par la case « Switch » avant de succéder à Tatsumi Kimishima en juin 2018 à la présidence. Le quadragénaire – il aura 50 ans le 10 janvier prochain – est pas peu fier de sa poule aux œufs d’or. « En mars de cette année, la Switch est entrée dans sa cinquième année depuis son lancement [succédant à la Wii U, ndlr]. Cependant, contrairement à la cinquième année des cycles de vie de nos systèmes de jeu précédents, celle-ci a (encore) actuellement une très forte dynamique. En tenant compte de ces deux points, nous avons établi nos prévisions de ventes de matériel à 25,5 millions d’unités pour le présent exercice [avril 2021- mars 2022, contre 28,8 millions un an auparavant, ndlr] », a-t-il pronostiqué en mai dernier lors d’une présentation des résultats financiers du groupe (dont l’année fiscale se termine le 31 mars).

8 octobre : Switch Oled, mais pas 4K
Les sorties des jeux « Animal Crossing: New Horizons » (mars 2020) puis un an après de « Monster Hunter Rise » (mars 2021), auxquelles avait précédé celle de « Ring Fit Adventure » (octobre 2019), ont contribué à maintenir l’attrait d’un public fan. D’autres nouveaux titres à venir tenteront de prolonger cette dynamique sans précédent. Il faut dire que les périodes de confinement et de couvre-feux depuis le début de la pandémie du covid-19 ont largement profité aux jeux vidéo. Malgré la baisse inéluctable des ventes de sa console qui est arrivée en fin de cycle (- 22 % rien que sur le trimestre avril-juin 2021), Big N a vendu plus de 84,5 millions d’exemplaires de la Switch depuis sa sortie mondiale en mars 2017, dont 21,5 millions en Europe – second marché pour Big N après « les Amériques » (3). Le japonais a même vendu plus de consoles en 2020 que son compatriote Sony avec sa PlayStation et son rival américain Microsoft avec sa Xbox. La barre des 100 millions de Switch pourrait être franchie avec l’aide du nouveau modèle tant attendu, disponible à partir du 8 octobre : cette sortie mondiale de la Switch Oled – à l’écran plus grand et au meilleur rendu des couleurs grâce justement à la technologie Oled, d’origine française (4) – est un cap décisif pour la firme de Kyoto, dont 95 % de son chiffre d’affaires dépendent de l’écosystème de sa console.
La rentabilité de Nintendo, qui emploie au total plus de 6.500 personnes, en dépend aussi, sans doute trop : lors de la dernière année fiscale (achevée le 31 mars dernier), le groupe de « Super Mario » a dégagé un bénéfice net record supérieur à 480,3 milliards de yens (soit 3,7 milliards d’euros) : un bond de 86 % sur un an. Mais pour l’année 2021-2022 en cours, il s’attend à un sérieux recul de près de 30 % de ce résultat net, à 340 milliards de yens (2,6 milliards d’euros). La fin de cycle conjuguée à la pénurie mondiale de puces – ces semi-conducteurs indispensables à la production de la plupart des produits high-tech – aura un impact certains, tout comme la concurrence des jeux mobiles sur smartphone au détriment des consoles. En termes de chiffre d’affaires, en hausse cette fois de près de 35 % lors du même exercice, il s’établit à 1.758,9milliards de yens (13,4milliards d’euros), dont la quasi-totalité (les 95 % des ventes cités plus haut représentant 1.666 milliards de yens) sont issus de la plateforme Switch et de ses jeux vidéo dédiés (en croissance sur un an de 36,7 %). Le reste des revenus provient essentiellement des recettes sur mobile et des redevances de propriété intellectuelle (licences Pokémon en tête), ainsi que des cartes à jouer (l’activité historique devenue embryonnaire). Ces résultats se sont avérés bien au-dessus des prévisions avancées par Shuntaro Furukawa lui-même. La Switch résiste mieux à la mobilité que chez ses adversaires car sa console est hybride, utilisable dans un salon ou une chambre sur un écran TV à l’aide d’un dock, mais aussi comme appareil portable en dehors de la maison ou dans les transports en commun. Les exclusivités de ses blockbusters, tels que Mario, Pokémon ou encore Zelda, rendent la gamme au logo rouge incontournable.
Avec sa Switch Oled enfin disponible, après des mois de spéculations autour d’une « Switch Pro », Nintendo fait un pas vers l’ère de la neuvième génération où l’on a déjà vu en novembre 2020 Sony lancer sa Playstation 5 et Microsoft sa Xbox Series X. Alors que la place dominante de Big N est de plus en plus contestée par ses rivaux, sa nouvelle console à l’écran plus grand (7 pouces, presque 18 cm), au prix conseillé de 350 dollars ou euros (au lieu de 299 pour la première Switch en 2017), veut jouer les gros bras avec un doublement de sa capacité mémoire – à 64 Go – par rapport à la génération précédente. Mais de nombreux fans regrettent, outre la non-augmentation de la puissance de calcul, que Big N ait adopté l’Oled mais pas la 4K – l’utrahaute définition – comme l’ont fait Sony et Microsoft. La firme de Kyoto a même démenti, par un tweet du 30 septembre (5), les affirmations de Bloomberg sur des développements 4K. Shuntaro Furukawa a-t-il préféré attendre que les orages (pandémie et pénurie de puces) passent, quitte à prendre le risque que les ventes de l’« Oled » soient décevantes ? Ce nouveau modèle semble une transition, tant les ventes de ces derniers mois s’essoufflent, en particulier pour le modèle portable, la Switch Lite, lancée en septembre 2019 et à un prix pourtant plus abordable (199 euros). Les rumeurs d’une « Switch Pro » enfin 4K, grâce à la technologie DLSS (6) de Nvidia (dont la Switch Oled continue d’utiliser la puce Tegra), peuvent continuer de courir.

La Switch va battre la Wii, pas la DS
Certains fans espèrent quand même le modèle 4K en 2022, année probable de la suite du blockbuster « Zelda Breath of the Wild » (BotW) que son producteur, Hidemaro Fujibayashi, a en effet annoncée – lors de la grand-messe du jeu vidéo E3 2021 – pour l’an prochain. Une chose est sûre : tous modèles confondus et depuis son lancement, la Switch est en passe de battre les ventes de la Wii (101,6 millions vendues depuis 2007). Mais les statistiques fournies par Big N montrent que la DS (depuis 2005) et la Game Boy (depuis 1998) resteront encore longtemps les consoles les plus vendues de l’histoire de Nintendo, avec respectivement 154 millions et 118,6 millions d’unités écoulées. @

Charles de Laubier

Après l’aubaine du confinement, le jeu vidéo retient son souffle avant la 9e génération de consoles

L’industrie mondiale du jeu vidéo va négocier un tournant délicat avec l’arrivée en fin d’année de la 9e génération de consoles. En France, après une année 2019 marquée par un recul du chiffre d’affaires (- 2,7 %), la fébrilité est palpable. Annulations d’événements et aucune prévision pour 2020.

« Nous ne faisons pas de prévisions pour le second semestre car il y a trop d’inconnues et l’évolution du marché s’avère complexe à appréhender. Nous dresserons le bilan de cette année en février 2021. D’ici là, nous sortirons en octobre prochain une étude avec Médiamétrie sur le profil des joueurs », indique à Edition Multimédi@ Julie Chalmette, présidente du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (Sell), lequel a eu 25 ans en mars dernier mais n’a pas vraiment l’esprit à faire la fête.

Après le recul de 2019, le covid-19
Représentant vingt-trois adhérents – parmi lesquels Activision Blizzard, Electronic Arts, Ubisoft Entertainment, Take-Two Interactive, Bandai Namco Entertainment, Sony Interactive Entertainment, Disney Interactive Studios, Bethesda Softworks, Focus Home Interactive, Innelec Multimédia, ou encore Microsoft –, le Sell pèse plus de 90 % du marché français du jeu vidéo mais reste dans l’expectative. Coup sur coup, après les annonces d’urgence sanitaire du gouvernement mi-mars, les deux événements qu’organise ce syndicat ont dû être annulés pour cause de pandémie et malgré un calendrier post-confinement. L’Interactive and Digital Entertainement Festival (IDEF), destiné aux professionnels du secteur, devait se tenir du 29 juin au 1er juillet 2020 à Juan-Les-Pins, tandis que le Paris Games Week (PGW), ouvert au grand public, prévoyait de fêter ses dix ans du 23 au 27 octobre. Cependant, Julie Chalmette, par ailleurs présidente de ZeniMax Media France (Bethesda Softworks), a prévu d’organiser pour les professionnels concernés par la distribution « un rendez-vous business digital d’ici début juillet, permettant de dresser le bilan du marché du 1er semestre et d’aborder les enjeux du reste de l’année, au regard du contexte actuel ». Mais, publiquement, aucun bilan ni prévision ne se sera fourni en raison du contexte incertain. Aucune prise de parole média non plus. Cette année, le coronavirus s’est invité dans la partie. Pour autant, les jeux vidéo ont profité à font du « Restezchezvous ». A l’instar des Etats-Unis où le mois d’avril a enregistré un record en termes de dépenses vidéo ludiques et de fréquentation des plateformes de jeux vidéo, d’après le cabinet d’études NPD, la France n’a pas échappé à cet engouement. Mais il est trop tôt pour en dresser le bilan. Outre-Atlantique, la grand-messe E3 (Electronic Entertainment Expo), qui devait avoir lieu en juin, a aussi été annulée. Quant à la Gamescom, qui était au mois d’août en Allemagne (à Cologne), elle sera virtualisée. Ce sera aussi le cas du Tokyo Game Show (TGS), qui devait se tenir du 24 au 27 septembre prochains. En attendant des jours meilleurs, la France fait le dos rond. Le 26 février dernier, soit une dizaine de jours avant le début de confinement qui allait durer deux mois, Julie Chalmette avait dressé le bilan d’une année 2019 en baisse dans la dix-septième édition de « L’Essentiel du jeu vidéo » (1). « Au cours d’une année de transition qui précède l’arrivée de nouvelles consoles, l’industrie du jeu vidéo a marqué un léger recul, avait souligné la présidente du Sell. Résultat, après six années de croissance ininterrompue, le secteur a enregistré l’an dernier sa première baisse depuis 2012, avec un léger repli de 2,7 %, à 4,8 milliards d’euros ». La barre des 5 milliards d’euros, par rapport au record de 2018 à 4,9 milliards, n’aura finalement pas été franchie. Certes, le secteur est historiquement cyclique, mais cette fois l’incertitude économique sans précédent va sans doute peser sur cette industrie vidéo ludique habituée à la croissance continue. Le côté cyclique tient au rythme des générations de consoles de jeux qui se succèdent.
L’actuelle 8e génération de consoles (PS4, Xbox One, Wii U, Steam, …) a déjà précipité le déclin des jeux vidéo vendus sur supports physiques (2). Mais après sept-huit ans de bons et loyaux services, et après avoir capté 65,5 % du marché français des jeux vidéo (d’après une étude du CNC d’octobre dernier (3)), cette 8e génération de consoles de salon et de consoles portables est à bout de souffle (4). Alors que le jeu vidéo voit son avenir de plus en plus mobile, bientôt sur la 5G, et en Cloud Gaming (5) comme avec Stadia de Google, PlayStation Now (PSN) de Sony et le futur « xCloud » de Microsoft (6), la 9e génération de consoles se fait attendre.

La 9e génération se fait désirer
Sony n’a pas encore fixé de date de sortie de la PlayStation 5 (PS5), en deux versions (dont une sans disque dur), mais cela pourrait être en novembre, en même temps que son rival Microsoft et sa Xbox Series X dévoilée sous le nom de code « Scarlett » il y a un an mais pas disponible avant la fin de l’année. Pour faire patienter, le japonais a présenté le 12 juin à Tokyo une vingtaine de jeux exclusifs pour la PS5. Nintendo ne lancera pas de nouvelle Switch en 2020, sa console hybride (portable ou fixe) ayant été lancée début 2017 et sa version Switch Lite en août dernier. @

Charles de Laubier

Google Stadia devrait faire décoller le marché du « cloud gaming », au détriment de… Netflix

Google est le premier GAFAM à se lancer sur le marché mondial – encore embryonnaire – du « cloud gaming » avec Stadia, sa plateforme disponible depuis le 19 novembre. Microsoft et Amazon seront les prochains, en 2020. Netflix pourrait être la première victime collatérale.

Contre toute attente, le numéro un mondial de la SVOD, Netflix, pourrait être la première victime collatérale de la plateforme Stadia que Google vient de lancer en Amérique du Nord et en Europe. Le PDG fondateur de Netflix, Reed Hastings, n’avait-il pas dit en janvier dernier que les jeux vidéo comme Fortnite, édité par Epic Games, ou des plateformes de jeux en streaming, comme Twitch d’Amazon, étaient bien plus des concurrents que ne l’étaient par exemple Amazon Prime Video ou HBO de WarnerMedia ?

Un « Netflix » potentiel du jeu vidéo en ligne
C’est la bataille des activités de divertissement chronophages qui se joue là. A part le sommeil, qui est un concurrent inévitable et incontournable, le temps disponible des utilisateurs-consommateurs est un « marché » à conquérir afin de retenir leur attention – d’autres auraient dit « capter une part quotidienne de “temps de cerveau disponible” » (1). Pour les GAFAM et les « Netflix » tournés vers le grand public, le premier défi à relever est celui de se faire une place dans l’économie de l’attention, qui consiste à retenir l’attention justement – véritable ressource rare – des utilisateurs déjà saturés de contenus en tout genre. « Pour nous, il s’agit de prendre du temps à d’autres activités de loisirs. Notre croissance est fondée sur la qualité de l’expérience, comparée à toutes les autres façons de passer du temps devant un écran », avait expliqué en début d’année Reed Hastings, tout en admettant qu’« [il] luttait et perdait davantage face à Fortnite que face à HBO ». Le patron de Netflix, avec ses 158 millions d’abonnés aujourd’hui dans le monde (dont 6 millions en France), s’est pourtant dit confiant à force de miser sur la qualité de l’expérience de ses clients. Mais cela suffira-t-il pour retenir tous ceux qui seront tentés d’aller s’abonner ailleurs, notamment chez Stadia de Google, ou chez le futur « xCloud » de Microsoft, voire auprès de PlayStation Now (PSN) de Sony (700.000 abonnés séduits depuis cinq ans), lorsque cela ne sera pas sur Prime Video d’Amazon en pleine offensive ?
La puissance de feu de Stadia, premier cloud gaming d’un géant du Net et que dirige Phil Harrison (photo), réside non seulement dans l’investissement que Google (filiale d’Alphabet) met dans son infrastructure mondiale de centre de données, mais aussi dans les capacités informatiques dédiées à sa nouvelle plateforme de jeux vidéo en ligne. Car en matière de cloud gaming, l’idée est que les abonnés vidéo-ludiques n’ont plus à se préoccuper de la performance de leur propre matériel et carte graphique : tout est dans le nuage et dans le réseau. Plus besoin d’installer une configuration de jeu suffisamment puissante, et donc coûteuse. Un écran – smartphone, tablette, télévision connectée, ordinateur – et une manette compatible feront l’affaire.
C’est la plateforme de cloud gaming qui s’adapte de façon optimale au terminal utilisé, tant en termes de puissance de calcul que de qualité vidéo. Toute la puissance informatique se situe sur les serveurs distants de Stadia. La définition de l’image (HD, ultra-HD, 4K ou 8K) et la réactivité du jeu (très faible temps de latence) reposent sur la puissance de calcul (processeurs performant) et la vitesse du réseau (bande passante élevée, sur la fibre optique et la future 5G). Ces méga-capacités délocalisées dans les nuages donnent naissant à un marché mondial des jeux vidéo complètement dématérialisés, puissance de calcul comprise. Le fait que l’utilisateur n’aura plus à investir dans du matériel trop coûteux tel que tour gaming, PC gamer, carte graphique full ou ultra HD, processeur graphique GPU (Graphics Processing Unit) ou multi-GPU, etc. Du coup, au-delà des geeks et aficionados du jeux vidéo déjà tout équipés, le cloud gaming devrait attirer un nouveau public de joueurs occasionnels (casual gamers). Le potentiel de ces utilisateurs familiaux prêts à s’abonner à un « Netflix » du jeu vidéo en ligne est évalué à plusieurs millions de personnes, voire à des dizaines de millions de nouveaux-venus à travers le monde.

Un marché mondial encore embryonnaire
Google proposera plusieurs abonnements, en fonction du profil des joueurs, à commencer cette année par « Stadia Pro » pour 9,99 dollars par mois. Depuis le lancement du 19 novembre dans une quinzaine de pays, Stadia propose pour l’instant 22 jeux vidéo et d’ici la fin de l’année une trentaine de titres. Mais, hormis l’effet « Noël », la vraie montée en charge de la plateforme de Google devrait intervenir durant l’année 2020 avec un catalogue plus étoffé et une offre de base encore plus grand public. Le marché mondial du cloud gaming permet ainsi aux joueurs en ligne de s’affranchir des contraintes matérielles avec des jeux vidéo totalement dématérialisés, bien plus que ne le permet les jeux en streaming où la puissance d’exécution dépend encore du niveau de gamme côté joueur.
Mais, pour l’heure, force est de constater que ce segment de marché est encore embryonnaire par rapport à la taille globale du jeu vidéo : le cloud gaming a généré à peine plus de 300 millions de dollars en 2018, sur un total mondial du jeu vidéo de 120 milliards de dollars. Autrement dit, si l’on se réfère à ces chiffres compilés par SuperData Research (groupe Nielsen) et l’Idate : le cloud gaming ne pèse qu’un quart de 1 % du marché ! En France, où le jeu vidéo (terminaux, équipements et jeux) totalise en 2018 un chiffre d’affaires de 4,9 milliards d’euros TTC, selon le Sell ; ou 3,6 milliards d’euros HT, selon l’Idate, le tout-dématérialisé est encore quasi-inexistant.

Microsoft et Amazon en embuscade
Les promesses de Google avec Stadia, premier GAFAM à débarquer sur ce marché naissant, seront attentivement scrutées, à commencer par le pionnier Sony qui a divisé par deux en octobre dernier le prix de son abonnement à PSN (à 9,99 dollars/9,99 euros par mois) pour s’aligner sur « Stadia Pro ». Si Stadia réussit à conquérir 10 millions de gamers en un an, l’Idate estime que Google aura réussi son pari.
De son côté, Microsoft se prépare activement en vue du lancement en 2020 de son « Project xCloud » pour ne pas se laisser distancer par Stadia. Le cloud gaming constitut surtout pour le « M » de GAFAM un relais de croissance potentiel, au moment où sa Xbox One montre des signes de faiblesse dans ses ventes qui stagnent. Il faut dire que sa console de huitième génération a fêté ses six ans d’existence le 22 novembre dernier. Or la neuvième génération, identifiée sous le nom de « Projet Scarlett » et dévoilée en juin dernier à la grand-messe E3 à Los Angeles, ne sera disponible que… fin 2020. Pour contrer Google, Microsoft a même annoncé au printemps dernier une alliance avec son rival de toujours Sony dans le jeu en streaming. Leur accord prévoit « des développements communs pour leurs services de jeux et contenus en streaming ». Le cloud gaming fait clairement partie du périmètre de cette alliance Microsoft-Sony. Le géant américain du logiciel pour PC et le fleuron nippon de l’électronique grand public vont ainsi conjuguer leurs savoir faire dans les jeux vidéo et dans le cloud, notamment avec Azure (2). Microsoft a posé des jalons dans le streaming vidéoludique avec Xbox Live et la diffusion en live de jeux en ligne en lançant en 2017 le service Mixer (3) pour concurrencer Twitch d’Amazon. Il y a un an, soit dix-huit mois après son lancement, Microsoft indiquait que Mixer avait séduit 20 millions d’utilisateurs mensuels. Le projet xCloud est un défi autrement plus élevé. A l’occasion de son événement X019 à Londres (mi-novembre), dédié à tout l’univers Xbox, la firme de Redmond a dévoilé la deuxième phase des développements du xCloud qui fait l’objet d’une version bêta aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Corée du Sud (non disponible en France à ce stade). Son ouverture en Europe est prévue en 2020.
Amazon, non seulement géant du e-commerce mais aussi géant du cloud avec sa filiale AWS (4), est lui aussi en embuscade. Déjà fort de sa plateforme Twitch, la plateforme de jeux vidéo en streaming rachetée en août 2014 pour 970 millions de dollars, Amazon pourrait aussi se lancer en 2020 dans le cloud gaming. En tout cas, le site Cnet.com a repéré une annonce d’emploi « New AWS Gaming Initiative » (5). Et qu’est-ce qui empêcherait la firme de Jeff Bezos de devenir dans la foulée éditeur de jeux vidéo ? A l’instar de Netflix qui a ses « Originals », les géants du cloud gaming en formation auront leurs jeux vidéo exclusifs produits par et pour eux-mêmes. Microsoft a déjà ses exclusivités-maison, comme « Gears 5 ». Sony en a quelques-uns tels que « God of War ». Google a fait développer par le studio Tequila Works son premier jeu exclusif, « Gylt », disponible sur Stadia.
Quant au chinois Tencent, il pourrait créer la surprise dans le cloud gaming avec son service Instant Play, depuis qu’il s’est allié en début d’année dans ce domaine à l’américain Intel. Les américains Valve et Nvidia, déjà positionnés avec leur plateforme de streaming respective – Steam et GeForce Now – sont également attendus au tournant. L’américain Electronic Arts, leader mondial des jeux vidéo, teste encore son « Project Atlas » (6) dans les nuages. Sans oublier la start-up française Blade qui a procédé à une nouvelle levée de fonds de 30 millions d’euros (soit au total 100 millions d’euros depuis sa création en 2015) pour accélérer le déploiement de son offre virtuelle Shadow (ordinateur dématérialisé pour jeux vidéo).

Développements pour tous écrans et Big Data
Pour les créateurs de jeux vidéo, le cloud gaming est d’ailleurs l’assurance de moins dépendre des performances plus ou moins à la hauteur des équipements des joueurs, tout en développant des jeux adaptés d’emblée à l’ensemble des terminaux et écrans accédant à une plateforme unique dans le nuage. Pour les plateformes, c’est pour elles l’opportunité d’accéder au Big Data que va générer massivement le cloud gaming intégrant un réseau social de gamers, afin d’exploiter à leur profit les données personnelles et les données de jeux pour adapter et faire évoluer leurs offres. @

Charles de Laubier