Le sud-coréen Samsung se réorganise pour rester le numéro un mondial des smartphones, devant Apple

Pour ne pas se faire rattraper par l’américain Apple ni par le chinois Xiaomi sur le marché mondial des smartphones, où il est premier, le groupe Samsung Electronics – filiale high-tech du chaebol sud-coréen – met les bouchées doubles : nouveaux modèles « S22 » plus puissants et nouvelle réorganisation.

Le Mobile World Congress (MWC) est de retour à Barcelone, du 28 février au 3 mars. Après deux années impactées par la pandémie, notamment par l’annulation de l’édition de 2020 (1), la grand-messe internationale de l’écosystème mobile (2) a bien lieu physiquement cette année dans la capitale de la région espagnole de Catalogne.
Parmi 1.500 exposants, le sud-coréen Samsung Electronics occupe une superficie équivalente à huit stands. Il n’en fallait pas moins pour le toujours numéro un mondial des smartphones, qui, selon le cabinet d’étude Omdia, en a vendus pas moins de 271,5 millions d’unités en 2021. En revanche, son rival américain Apple est physiquement aux abonnés absents comme le montre la liste des exposants du MWC (3). La marque à la pomme est le numéro deux mondial avec ses iPhone, lesquels se sont vendus l’an dernier à 236,2 millions d’exemplaires. Si le chinois Huawei – après les bâtons dans les roues que lui ont mis les Etats-Unis durant dix ans (4) – n’est plus en mesure, avec ses 35 millions de smartphones vendus en 2021, de disputer à Apple la seconde place mondiale, son compatriote Xiaomi, avec ses 190,2 millions d’unités vendues (5), est en bonne voie pour croquer la pomme. Apple et Xiaomi rêvent chacun de détrôner Samsung de son piédestal.

Nouvelle gamme et nouvelle gouvernance
Mais Samsung Electronics entend bien garder sa couronne et tenir à distance ses deux challengers. Lors de sa 53e assemblée générale annuelle le 16 mars prochain, sous la présidence de Jae-Wan Bahk (photo de gauche) qui va partir à la retraite, le géant sud-coréen entérinera sa réorganisation et de profonds changements dans son management de direction, afin d’être plus que jamais en ordre de bataille pour se maintenir sur le trône. Sans attendre l’ouverture du grand raout barcelonais, le fabricant des Galaxy a annoncé dès le 9 février trois nouveaux modèles de la gamme (S22, S22+ et S22 Ultra) où la photo, la vidéo, l’intelligence artificielle, le micro-processeur de 4 nanomètres et la 5G sont mis en avant. Depuis ce jour-là, les appareils sont en pré-commandes. Une nouvelle tablette est aussi mise sur le marché (Tab S8 Ultra), tandis que deux autres ont été mises à jour (Tab S8 et S8).

Jong-Hee Han devient l’homme fort
Le dimanche 27 février, soit la veille de l’ouverture du MWC à Barcelone, Samsung organise un show « Galaxy » pour montrer sa « nouvelle ère d’appareils mobiles connectés » pour le travail et l’apprentissage (6), tout en vantant l’utilité du stylet (S Pen) et son innovation des smartphones pliables (Z Fold et Z Flip). Certains médias spéculaient aussi sur le lancement tant attendu en milieu de gamme du Galaxy A53 (et d’autres nouveautés « A »). Samsung entend encore marquer les esprits avec de nouvelles innovations, comme il l’avait fait il y a plus de dix ans en lançant le Galaxy Note qui fut le premier « phablet » doté d’un grand écran 5,3 pouces et du stylet. Les modèles Note 20 and Note 20 Ultra sortis en août 2020 furent les derniers de la série best-seller, la firme de Séoul misant sur les smartphones pliables. Les fans de Note avaient exprimé leur déception.
La série « S » (S21, S22, …) prend le relais avec… l’emblématique S Pen sur le côté, également utilisable sur les tablettes Tab de la marque. Victime de son succès, le fabricant sud-coréen a cependant confirmé des retards dans le calendrier de livraison des nouveaux Galaxy S22. Par exemple, le smartphone le plus haut de gamme n’a pas pu être disponible le 25 février et pourrait accumuler du retard jusqu’au 15 mai pour certains modèles, sinon fin mars au plus tôt au lieu du 11 mars initialement prévu. « L’intérêt pour la série Galaxy S22 est à un niveau record avec un volume de pré-commande dépassant nos attentes », a-t-il été expliqué à PC Mag (7). Les problèmes qui perdurent encore dans l’approvisionnement en composants pèse aussi sur la production de la « Galaxy ». Malgré ces obstacles – rançon de la gloire pour le numéro un mondial –, Samsung s’attend à une demande forte en 2022, notamment sur ses modèles premium.
La filiale high-tech du chaebol de Séoul entérinera le 16 mars prochain, à l’occasion de son assemblée générale annuel, sa réorganisation annoncée en décembre dernier. Une nouvelle division a été créée, appelée Device eXperience (DX) et dirigée par Jong-Hee Han (photo de droite), promu vice-président. Après avoir dirigé la division téléviseurs de Samsung Electronics, ce dernier – qui aura 60 ans le 15 mars – se retrouve propulsé à la tête de la DX pesant 138 milliards de dollars de chiffre d’affaires (cumul 2021) et comprenant l’activité mobile et réseaux (IM (8)) et les appareils électroniques grand public (CE (9)), y compris les écrans de télévision dont il avait la charge (10). Cette nouvelle division englobe également les équipements numériques, de santé et appareils médicaux, dont les wearables (bracelets et montres connectées). Le but de cette fusion interne est de renforcer les synergies et d’accélérer le développement de produits, afin de ne pas se faire rattraper ni par Apple ni par Xiaomi. Parallèlement, la division Device Solutions (DS) – incluant les micro-processeurs et les mémoires pour un total de chiffre d’affaires 2021 de 104,6 milliards de dollars – change de patron en la personne de Kye-Hyun Kyung. Tandis que « Tae-Moon Roh, président et responsable de Mobile eXperience (MX), et Jung-Bae Lee, président et responsable de l’activité Mémoire – soit les cœurs de métiers respectifs des divisions DX et DS – se joindront également au conseil d’administrateur. En outre, (…) le groupe recommande (…) la nomination du nouveau directeur financier Hark-Kyu Park au poste de directeur général », détaille le document remis aux actionnaires pour la prochain AG du 16 mars (11). Jong-Hee Han devient, lui, l’homme fort de Samsung Electronics, succédant ainsi à Kim Ki-Nam (alias Kinam Kim) qui était depuis 2018 viceprésident et CEO de la division DS.
Cette réorganisation tourne aussi définitivement la page de l’ère « Lee Jae-Yong » (alias Jay Y. Lee), le petit-fils du fondateur du chaebol Samsung, qui fut propulsé à la tête de sa célèbre filiale électronique il y a près de dix ans, en décembre 2012 (12), avant de devoir en démissionner après avoir été condamné et emprisonné en 2017 pour corruption et détournement de fonds (13). L’héritier du groupe « trois étoiles » – c’est la signification en coréen de « Samsung » – a succédé à son père Lee Kun-Hee, décédé en octobre 2020, à la tête du chaebol et l’est encore malgré sa nouvelle condamnation prononcée en janvier 2021. Après qu’il ait été réincarcéré, le gouvernement sud-coréen lui a accordé une libération conditionnelle controversée. Samsung Electronics a totalisé l’an dernier un chiffre d’affaires global de 233,8 milliards de dollars (+ 18 % sur un an), dont 35 % réalisés en Amérique, 18 % en Europe, 16,3 % en Chine, 15,7 % en Corée et 15 % en Asie et Afrique. Ainsi, l’Europe a contribué à elle seule pour 42 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2021. Tandis que la rentabilité du groupe sud-coréen affiche un bénéfice net de 33,3 milliards de dollars, soit un bond de 51 % malgré la pandémie de coronavirus et la pénurie de composants.

Aussi n°1 mondial des semi-conducteurs
Mais Samsung Electronics a un autre atout : le groupe hightech fabrique aussi des semi-conducteurs et, selon le cabinet d’étude Counterpoint (14), il s’est même offert en 2021 la première place mondiale en y délogeant l’américain Intel grâce à la dynamique de ses ventes de circuits logiques et de mémoires (Dram et Nand flash). Alors que la pénurie de composants commence à se résorber, le marché des semiconducteurs a un bel avenir devant lui avec le déploiement de la 5G, l’engouement pour la réalité virtuelle et les métavers, le calcul haute performance ou encore la voiture connectée et autonome. @

Charles de Laubier

Fusionner SFR et Free pour passer à un Big Three ?

En fait. Le 2 février, Patrick Drahi, fondateur d’Altice, a été auditionné par la commission d’enquête « concentration dans les médias » du Sénat. Dix ans après le lancement de Free Mobile, au grand dam du triopole mobile à l’époque, il estime qu’aujourd’hui le passage de quatre à trois opérateurs télécoms en France se fera « tôt ou tard ».

En clair. « Je pense que ce serait mieux pour le marché français que deux opérateurs français se rapprochent pour être plus forts, plutôt qu’un des quatre opérateurs français termine dans les mains de je ne sais qui… Alors que ce sont quand même des infrastructures importantes », a confié Patrick Drahi, président d’Altice, groupe qu’il a fondé il y a vingt ans et qui est la maison mère de SFR depuis huit ans.
Il répondait à la sénatrice Sylvie Robert qui lui demandait si «un rapprochement entre [son]groupe Altice et Iliad [maison mère de Free] serait à l’étude ». Réponse de celui qui avait ravi en 2014 SFR (1) au nez et à la barbe de Bouygues Telecom: « Pas du tout. Il n’y a aucune étude de rapprochement. Moi, je suis copain avec tout le monde. Je suis copain avec Xavier [Niel, patron de Free], avec Martin [Bouygues, propriétaire de Bouygues Telecom], avec Stéphane [Richard, patron d’Orange, en fin de mandat]…», a-t-il assuré. Pour autant, Patrick Drahi estime inéluctable le passage de quatre à trois opérateurs télécoms dans l’Hexagone, se remémorant la consolidation dans le câble qu’il avait orchestrée à partir de 2002, il y a vingt ans, juste après avoir fondé sa société Altice, devenue maison mère de Numericable puis de SFR (2). « J’ai tout essayé dans la consolidation du marché des télécoms français, a-t-il rappelé en en riant. Je n’y suis pas arrivé. Mais j’aime bien insister dans la vie… Je ne suis pas pressé ; cela se fera un jour ou l’autre. Pourquoi ? Parce qu’aux Etats-Unis ils étaient quatre ; ils ne sont plus que trois [après la fusion Sprint/T-Mobile en 2020, ndlr]. Le profit de chacun des trois opérateurs américains restants [Verizon, AT&T et T-Mobile, ndlr], est supérieur au chiffre d’affaires de l’ensemble du marché des télécoms français : comment voulez-vous que l’on résiste par rapport à ces gens-là ? C’est impossible », a-t-il prévenu, craignant que Bouygues Telecom ou Free – « qui ne gagnent pas beaucoup d’argent » – soient rachetés par un opérateur étranger.
Martin Bouygues était non-vendeur en 2015 de sa filiale Bouygues Telecom (3), avant d’y être depuis 2018 favorable (4). Passer de quatre opérateurs à un Big Three est demandé depuis longtemps par Orange et SFR pour mettre un terme à la bataille tarifaire au profit des investissements dans la fibre optique et la 5G. Orange, membre de l’Etno à Bruxelles et de la GSMA à Londres, milite dans ce sens. @

Projet de fusion TF1-M6 : Xavier Niel appelle à la rescousse la Commission européenne

Le président du conseil d’administration du groupe Iliad (maison mère de Free dont il est le fondateur), Xavier Niel, estime que la Commission européenne serait bien mieux à même d’instruire le projet de fusion entre TF1 et M6, au lieu de laisser faire l’Autorité de la concurrence.

A défaut d’avoir pu racheter le groupe M6, pour lequel il s’était porté candidat parmi d’autres au printemps dernier auprès du principal actionnaire vendeur, l’allemand Bertelsmann, Xavier Niel (photo) est décidé à mettre des bâtons dans les roues du projet de fusion entre TF1 – filiale du groupe Bouygues qui a été retenue comme l’acquéreur – et M6. L’Autorité de la concurrence, qui n’a pas attendu d’avoir la notification de cette opération pour lancer dès le mois d’octobre (1) les « tests de marché » (2) avec envoi de questionnaires aux professionnels concernés, compte rendre sa décision d’ici à l’été 2022.

Vers un jeu de domino européen
Or, parmi les opposants – comme Canal+ – à cette mégafusion audiovisuelle si elle était acceptée, Xavier Niel, président du conseil d’administration d’Iliad (maison mère de Free dont il est le fondateur), conteste non seulement ce projet « TF1- M6 » mais aussi le fait que ce dossier puisse être instruit à Paris par l’Autorité de la concurrence et non pas à Bruxelles par la Commission européenne. Canal+ serait sur la même longueur d’onde. En novembre dernier, d’après Les Echos, il l’a fait savoir directement auprès des autorités antitrust de l’exécutif européen. Parmi elles, il y a la « DG Comp » (3) qui est chapeautée par la commissaire Margrethe Vestager, viceprésidente de la Commission européenne. Cette montée de Xavier Niel au créneau européen est intervenue après que le Conseil d’Etat, en France, l’ait débouté le 5 novembre de son recours en référé déposé le 27 octobre.
Selon Capital, il exigeait que l’Autorité de la concurrence (ADLC) explique pourquoi elle « s’estime compétente » pour examiner cette opération de concentration. Les juges du Palais Royal l’ont débouté de sa demande (4). Qu’à cela ne tienne, le président d’Iliad porte l’affaire au niveau européen en arguant du fait que le nouvel ensemble TF1-M6 ne sera pas contrôlé uniquement par le groupe Bouygues, mais conjointement avec le géant allemand Bertelsmann et actuel propriétaire de M6. Détenu par la discrète famille Mohn (5), le géant international des médias Bertelsmann, qui possèdera 16 % du nouvel ensemble avec deux sièges au conseil d’administration, réalise en France moins les deux tiers de son chiffre d’affaires européen. Ce qui plaide, selon Xavier Niel, pour un examen de cette opération de concentration à l’échelon européen et non pas franco-français. Or le groupe de Martin Bouygues, qui aura 30 % du nouvel ensemble et quatre sièges au conseil d’administration, est pour l’instant considéré a priori comme l’acquéreur et réalisant plus des deux tiers de son chiffre d’affaires européen en France. Ce qui en fait, notamment aux yeux de TF1 et de l’ADLC, une affaire française relevant du gendarme de la concurrence hexagonale. Ni dans son communiqué du 8 juillet (6) ni dans celui du 17 mai (7), le premier groupe privé français de télévision ne mentionne la Commission européenne, mais seulement l’ADLC et le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Pourtant : « Ce mariage fait de TF1-M6 un groupe très important sur le plan européen », avait estimé Michel Abouchahla, président du magazine Ecran Total spécialisé dans le cinéma, dans un entretien à l’AFP fin mai dernier. Avec un chiffre d’affaires conjugué proche des 3,5 milliards d’euros, le nouvel ensemble pourrait peser pas loin de 5 % de la production de fiction en Europe, d’après l’Observatoire européen de l’audiovisuel.
Dans un autre entretien à l’AFP, Isabelle de Silva – alors présidente de l’ADLC – avec évoqué Bruxelles en ces termes : « Sur des opérations d’envergure telles que celle-ci, nous aurons sûrement des échanges avec la Commission européenne (…), d’autant que la problématique qui se pose aujourd’hui en France pourrait se présenter demain en Belgique ou en Allemagne ». Et surtout, l’opération TF1-M6 pourrait être suivie en Allemagne par la fusion des médias télévisés de Bertelsmann avec le groupe de chaînes gratuites et payantes ProSiebenSat.1 Media. Ce dernier est détenu à hauteur de 15 % par l’italien Mediaset (appartenant à la holding Fininvest de Sylvio Berlusconi), lequel prévoit de fusionner ses activités italiennes, espagnoles et allemande dans sa nouvelle holding de droit néerlandais baptisée Media For Europe (MFE). Bref, un vrai jeu de domino dans l’audiovisuel européen et le marché publicitaire de la télévision.

Un « quasi-monopole » de la TV privée
Le gendarme de la concurrence estime le poids du nouvel ensemble TF1-M6 à l’aune des chiffres d’affaires nets (après rabais) de la publicité télévisée de chacun des deux groupes privés. Leur part de marché publicitaire cumulée en 2020 dépasserait les 75 % (49 % pour TF1 et 27 % pour M6) sur le marché français de la pub TV, lequel totalise plus de 2,8 milliards d’euros cette année-là (hors digital). Lors d’une audition devant le CSA le 5 juillet (8), le vice-président d’Iliad, Maxime Lombardini, avait mis en garde contre un « quasi-monopole de la télévision privée ». @

Charles de Laubier

Autorité de la concurrence : ce que disait Isabelle de Silva sur le projet de fusion TF1-M6 avant la fin de son mandat

Isabelle de Silva a achevé le 13 octobre dernier son mandat de cinq ans à la présidence de l’Autorité de la concurrence. La conseillère d’Etat était candidate à sa propre succession, mais elle a été « un peu surprise » de ne pas être renouvelée. Etait-elle un obstacle à la fusion envisagée par TF1 et M6 ?

Le (ou la) président(e) de l’Autorité de la concurrence est nommé(e) par décret du président de la République. Le 14 octobre 2016, François Hollande avait ainsi placé Isabelle de Silva (photo) à la tête des sages de la rue de l’Echelle. La conseillère d’Etat paie-t-elle aujourd’hui le fait d’avoir succédé à Bruno Lasserre grâce au prédécesseur d’Emmanuel Macron ? Nul ne le sait. Une chose est sûre : l’actuel président de la République n’a pas renouvelé Isabelle de Silva dans ses fonctions et sans pour autant désigner de remplaçant (Emmanuel Combe assurant l’intérim). Et ce, malgré « ses compétences dans les domaines juridique et économique ». Cette conseillère d’Etat, à la double nationalité franco-américaine et polyglotte, qui plus est énarque sortie dans « la botte » en 1994, n’avait en rien démérité durant ses cinq années de mandat à l’autorité antitrust française – bien au contraire aux dires de nombreuses personnes des mondes politique, économique et médiatique. « Sur le moment, j’ai eu un petit peu de surprise (…) J’espérais continuer, c’est vrai (…) », a-telle confié le 11 octobre sur BFM Business. C’est sur Twitter qu’elle avait confirmé dès le 4 octobre son départ, alors qu’elle le savait depuis près de deux semaines auparavant.

Diluer le poids « pub » de TF1-M6 avec les GAFA ?
Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il donc décidé de se passer de ses bons et loyaux services à la tête du gendarme de la concurrence ? N’avait-elle pas le soutien de Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance ? La réponse est au palais de l’Elysée, d’où aucun commentaire sur cette non-reconduction n’a filtré ni aucun remerciement public à Isabelle de Silva n’a été formulé. Son départ s’apparente à une éviction à six mois de l’élection présidentielle et surtout en pleine instruction du dossier le plus sensible de la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron : le projet de fusion entre les deux grands groupes privés de télévision, TF1 et M6. Or, lorsqu’elle était encore présidente de l’antitrust français, Isabelle de Silva n’avait pas caché que marier les deux n’allait pas de soi et que donner sa bénédiction à ces deux acteurs majeurs du paysage audiovisuel français (PAF) n’était pas évident.

La question du « marché pertinent »
Car, de deux choses l’une en termes de « marché pertinent » : soit l’analyse concurrentielle s’en tient à la publicité télévisée, et dans ce cas la position dominante du couple TF1-M6 (près de 75 % de part de marché en France (4)) n’est pas souhaitable, soit le marché pertinent est élargi à la publicité en ligne pour permettre de relativiser le poids des deux groupes télévisés au regard de celui des GAFA (Google/YouTube et Facebook en tête) dans la publicité numérique, et leur fusion deviendrait alors acceptable. A notre connaissance, aucune autorité antitrust dans le monde n’a encore considéré dans une même analyse de marchés pertinents la publicité télévisée et la publicité numérique comme un tout.
Dans son avis du 21 février 2019 sur ce qui devait être la grande réforme de l’audiovisuel du quinquennat d’Emmanuel Macron (finalement abandonnée en 2020 face à l’état d’urgence sanitaire), l’Autorité de la concurrence avait déjà démontré que « la pratique décisionnelle nationale et européenne distingue le marché de la publicité télévisuelle des autres marchés de la publicité, ainsi que les marchés de la publicité en ligne et de la publicité hors ligne ». Et ce, quand bien même serait observé un mouvement de convergence entre les marchés de la publicité télévisuelle et de la publicité en ligne, et notamment dans le mode d’achat des espaces publicitaires mais aussi dans les outils de mesure de l’audience quel que soit l’écran (5). Télévision et Internet font bon ménage, l’image de marque pour la première et l’acte d’achat pour l’autre, sans parler de la publicité ciblée des chaînes hertziennes (TNT) sur leurs propres services de télévision de rattrapage (MyTF1 et 6Play pour ne citer que les principaux « replay » des deux acteurs candidats au rapprochement).
Pour autant, les sages de la rue de l’Echelle alors présidés par Isabelle de Silva ont considéré que « la publicité télévisuelle et la publicité sur Internet en format vidéo demeurent encore en l’état actuel complémentaires en termes d’objectifs » – tout en s’appuyant sur un décret de 1992 sur la publicité télévisée (6) pour justifier la « délimitation des marchés » et la spécificité des « secteurs interdits » à la publicité télévisée (boisson alcoolisées, édition littéraire, cinéma, …) propres aux chaînes et inexistantes en ligne. « Le cadre réglementaire de la publicité télévisuelle [empêchant en particulier aux chaînes d’offrir aux annonceurs de la publicité ciblée, ndlr] ne permet pas cet arbitrage [à savoir pour les annonceurs de choisir entre publicité en ligne et publicité télévisuelle, ndlr]» avait conclu l’Autorité de la concurrence. Ce constat fait il y a deux ans ne fait pas les affaires aujourd’hui de Martin Bouygues (PDG du groupe éponyme propriétaire de TF1) et de Nicolas de Tavernost (PDG de M6, filiale du groupe allemand Bertelsmann), qui exigent au contraire que l’on mesure leur futur ensemble TF1-M6 en tenant compte des GAFA. « Les évolutions qui affectent la publicité en ligne (…) doivent-elles conduire à modifier le cadre d’analyse de l’Autorité de la concurrence et ses délimitations de marché ? Cela fait partie des sujets qui feront l’objet de toute notre attention », avait néanmoins assuré Isabelle de Silva le 7 avril au Sénat lors de son audition (7). Renouveler Isabelle de Silva à la présidence de l’antitrust français aurait pu être un mauvais signal lancé par Emmanuel Macron aux deux influents dirigeants du PAF, et ce au moment où les « tests de marché » – étape cruciale de la procédure antitrust et du contrôle des concentrations – avaient commencé sous la houlette d’Isabelle de Silva.
Lors de sa dernière intervention du 11 octobre, soit deux jours avant la fin de son mandat, celle-ci a fait le point sur ce projet de fusion délicat qu’elle ne pourra finalement pas mener à bien : « S’agissant du dossier TF1-M6, le travail a été bien entamé. Les tests de marché ont commencé et vont se poursuivre jusqu’à novembre. Il reste maintenant au marché à s’exprimer. Nous avons reçu des signaux d’inquiétude de certains acteurs qui pourront à présent formuler leurs préoccupations. C’est à l’aune d’un grand nombre d’informations factuelles, objectives, que l’Autorité pourra prendre [d’ici à l’été 2022, ndlr] sa décision ». L’ancienne présidente de l’antitrust a toujours montré qu’elle n’était pas en service commandé sur ce dossier éminemment politique, même si Emmanuel Macron est favorable, lui, à cette fusion TF1-M6. Sans son aval ni Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, ni Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) n’auraient pris position en faveur de cette fusion.

Maistre et Bachelot y sont favorables
Le président du CSA, lui aussi nommé par décret du président de la République, n’a pas attendu la remise de son avis prévue début 2022 pour se dire favorable à ce projet de fusion « naturel » et « compréhensible ». Roch-Olivier Maistre l’a dit le 7 septembre devant un parterre de publicitaires (8), tout en rappelant que le régulateur de l’audiovisuel (9) aura ensuite à se prononcer sur le renouvellement des autorisations d’émettre de TF1 et M6 qui arrivent à échéance au printemps 2023. Quant à Roselyne Bachelot, elle avait déclaré fin août sur France Info : « Cette fusion ne m’inquiète pas ». Fermez le ban ? Au-delà de la question publicitaire, le projet de fusion TF1-M6 soulève des questions liées aux acquisitions de films récents dans la chronologie des médias, aux droits audiovisuels, et à la production indépendante. @

Charles de Laubier

Nintendo fait son entrée le 1er octobre dans l’indice Nikkei de la Bourse de Tokyo, grâce à la Switch

La firme de Kyoto – renommée mondialement grâce à Mario, Pokémon ou Animal Crossing, mais aussi à sa console de jeux vidéo Switch (95 % de ses revenus) – trouve la consécration en intégrant l’indice boursier Nikkei. Shuntaro Furukawa est à la manette de « Big N » depuis plus de trois ans et lance le 8 octobre la Switch Oled.

Le 1er octobre 2021 marque pour Nintendo – dont les origines remontent à 1889 mais qui porte son nom actuel depuis 70 ans – une consécration : la firme cotée à la Bourse de Tokyo et géant mondial des jeux vidéo fait son entrée dans l’indice Nikkei (1), lequel calcule les performances boursières de 225 grandes entreprises japonaises tous secteurs confondus. Avec sa notoriété universelle et une capitalisation boursière de plus de 50 milliards d’euros (6,4 milliards de yens au 1er octobre), « Big N » ne pouvait pas ne pas devenir l’une des icônes emblématiques du célèbre indice (2).
C’est chose faite, bien que la « maison mère » de Mario ou de Pokémon n’ait pas attenu cette distinction du Nihon Keizai Shinbun (nom du quotidien économique nippon qui publie le Nikkei) pour assurer son rayonnement mondial. Nintendo a fait ses premiers pas en Bourse en 1962 à Osaka et à Kyoto (ville où se situe son siège social depuis le début), avant d’être coté à Tokyo à partir de 1983. A ce jour, la firme de Kyoto a vendu partout dans le monde plus de 5,1 milliards de jeux vidéo et quelque 800 millions d’appareils – dont les fameuses consoles portables Switch. Que de chemin parcouru entre la petite entreprise de cartes à jouer fondée par Fusajiro Yamauchi et la multinationale de jeux vidéo présidée depuis plus trois ans par Shuntaro Furukawa (photo). L’action évolue à des niveaux proches de son plus haut historique.

A plus de 5 ans, la Switch en fin de vie ?
Entré au milieu des années 1990 dans cette fascinante kabushiki gaisha (comprenez société par actions japonaise), Shuntaro Furukawa est passé par la case « Switch » avant de succéder à Tatsumi Kimishima en juin 2018 à la présidence. Le quadragénaire – il aura 50 ans le 10 janvier prochain – est pas peu fier de sa poule aux œufs d’or. « En mars de cette année, la Switch est entrée dans sa cinquième année depuis son lancement [succédant à la Wii U, ndlr]. Cependant, contrairement à la cinquième année des cycles de vie de nos systèmes de jeu précédents, celle-ci a (encore) actuellement une très forte dynamique. En tenant compte de ces deux points, nous avons établi nos prévisions de ventes de matériel à 25,5 millions d’unités pour le présent exercice [avril 2021- mars 2022, contre 28,8 millions un an auparavant, ndlr] », a-t-il pronostiqué en mai dernier lors d’une présentation des résultats financiers du groupe (dont l’année fiscale se termine le 31 mars).

8 octobre : Switch Oled, mais pas 4K
Les sorties des jeux « Animal Crossing: New Horizons » (mars 2020) puis un an après de « Monster Hunter Rise » (mars 2021), auxquelles avait précédé celle de « Ring Fit Adventure » (octobre 2019), ont contribué à maintenir l’attrait d’un public fan. D’autres nouveaux titres à venir tenteront de prolonger cette dynamique sans précédent. Il faut dire que les périodes de confinement et de couvre-feux depuis le début de la pandémie du covid-19 ont largement profité aux jeux vidéo. Malgré la baisse inéluctable des ventes de sa console qui est arrivée en fin de cycle (- 22 % rien que sur le trimestre avril-juin 2021), Big N a vendu plus de 84,5 millions d’exemplaires de la Switch depuis sa sortie mondiale en mars 2017, dont 21,5 millions en Europe – second marché pour Big N après « les Amériques » (3). Le japonais a même vendu plus de consoles en 2020 que son compatriote Sony avec sa PlayStation et son rival américain Microsoft avec sa Xbox. La barre des 100 millions de Switch pourrait être franchie avec l’aide du nouveau modèle tant attendu, disponible à partir du 8 octobre : cette sortie mondiale de la Switch Oled – à l’écran plus grand et au meilleur rendu des couleurs grâce justement à la technologie Oled, d’origine française (4) – est un cap décisif pour la firme de Kyoto, dont 95 % de son chiffre d’affaires dépendent de l’écosystème de sa console.
La rentabilité de Nintendo, qui emploie au total plus de 6.500 personnes, en dépend aussi, sans doute trop : lors de la dernière année fiscale (achevée le 31 mars dernier), le groupe de « Super Mario » a dégagé un bénéfice net record supérieur à 480,3 milliards de yens (soit 3,7 milliards d’euros) : un bond de 86 % sur un an. Mais pour l’année 2021-2022 en cours, il s’attend à un sérieux recul de près de 30 % de ce résultat net, à 340 milliards de yens (2,6 milliards d’euros). La fin de cycle conjuguée à la pénurie mondiale de puces – ces semi-conducteurs indispensables à la production de la plupart des produits high-tech – aura un impact certains, tout comme la concurrence des jeux mobiles sur smartphone au détriment des consoles. En termes de chiffre d’affaires, en hausse cette fois de près de 35 % lors du même exercice, il s’établit à 1.758,9milliards de yens (13,4milliards d’euros), dont la quasi-totalité (les 95 % des ventes cités plus haut représentant 1.666 milliards de yens) sont issus de la plateforme Switch et de ses jeux vidéo dédiés (en croissance sur un an de 36,7 %). Le reste des revenus provient essentiellement des recettes sur mobile et des redevances de propriété intellectuelle (licences Pokémon en tête), ainsi que des cartes à jouer (l’activité historique devenue embryonnaire). Ces résultats se sont avérés bien au-dessus des prévisions avancées par Shuntaro Furukawa lui-même. La Switch résiste mieux à la mobilité que chez ses adversaires car sa console est hybride, utilisable dans un salon ou une chambre sur un écran TV à l’aide d’un dock, mais aussi comme appareil portable en dehors de la maison ou dans les transports en commun. Les exclusivités de ses blockbusters, tels que Mario, Pokémon ou encore Zelda, rendent la gamme au logo rouge incontournable.
Avec sa Switch Oled enfin disponible, après des mois de spéculations autour d’une « Switch Pro », Nintendo fait un pas vers l’ère de la neuvième génération où l’on a déjà vu en novembre 2020 Sony lancer sa Playstation 5 et Microsoft sa Xbox Series X. Alors que la place dominante de Big N est de plus en plus contestée par ses rivaux, sa nouvelle console à l’écran plus grand (7 pouces, presque 18 cm), au prix conseillé de 350 dollars ou euros (au lieu de 299 pour la première Switch en 2017), veut jouer les gros bras avec un doublement de sa capacité mémoire – à 64 Go – par rapport à la génération précédente. Mais de nombreux fans regrettent, outre la non-augmentation de la puissance de calcul, que Big N ait adopté l’Oled mais pas la 4K – l’utrahaute définition – comme l’ont fait Sony et Microsoft. La firme de Kyoto a même démenti, par un tweet du 30 septembre (5), les affirmations de Bloomberg sur des développements 4K. Shuntaro Furukawa a-t-il préféré attendre que les orages (pandémie et pénurie de puces) passent, quitte à prendre le risque que les ventes de l’« Oled » soient décevantes ? Ce nouveau modèle semble une transition, tant les ventes de ces derniers mois s’essoufflent, en particulier pour le modèle portable, la Switch Lite, lancée en septembre 2019 et à un prix pourtant plus abordable (199 euros). Les rumeurs d’une « Switch Pro » enfin 4K, grâce à la technologie DLSS (6) de Nvidia (dont la Switch Oled continue d’utiliser la puce Tegra), peuvent continuer de courir.

La Switch va battre la Wii, pas la DS
Certains fans espèrent quand même le modèle 4K en 2022, année probable de la suite du blockbuster « Zelda Breath of the Wild » (BotW) que son producteur, Hidemaro Fujibayashi, a en effet annoncée – lors de la grand-messe du jeu vidéo E3 2021 – pour l’an prochain. Une chose est sûre : tous modèles confondus et depuis son lancement, la Switch est en passe de battre les ventes de la Wii (101,6 millions vendues depuis 2007). Mais les statistiques fournies par Big N montrent que la DS (depuis 2005) et la Game Boy (depuis 1998) resteront encore longtemps les consoles les plus vendues de l’histoire de Nintendo, avec respectivement 154 millions et 118,6 millions d’unités écoulées. @

Charles de Laubier