Le marché unique a 30 ans, pas celui du numérique

En fait. Le 1er janvier 2023, le marché unique européen a eu 30 ans. Il comprend 27 Etats membres depuis le Brexit de janvier 2020 – contre 12 lors de sa création en 1993. Internet alors embryonnaire n’était connu que des centres de recherche et des universités. Le « Digital Single Market », lui, émerge en 2015.

En clair. Si le marché unique européen a 30 ans au 1er janvier 2023, il n’en va pas de même pour le marché unique numérique qui est fixé comme objectif en 2015 seulement. Neelie Kroes, auparavant commissaire européenne en charge de l’« Agenda numérique » (2010-2014) en avait rêvé (1) ; la Commission Juncker (2014-2019) en a fait une stratégie pour l’Union européenne. Avant elle, la Commission Barroso (2004-2014) avait bien commencé à poser des jalons d’un « marché unique pour les contenus et les services en ligne » (2), tâche confiée à Neelie Kroes justement (ex-commissaire à la Concurrence), mais il faudra encore attendre pour que le spectre s’élargisse.
C’est seulement le 6 mai 2015 que Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, lance la stratégie « marché unique numérique pour l’Europe » (3) afin de « casser les silos nationaux dans la régulation télécoms, le droit d’auteur et la protection des données ». Mission sensible confiée alors au duo Andrus Ansip-Günther Oettinger (4), le premier en charge du Marché unique numérique et le second à l’Economie numérique et à la Société. Objectif : déverrouiller les marchés et abolir les frontières. En voulant « briser les barrières nationales en matière de réglementation (…) du droit d’auteur » (licences multi-territoriales, géo-blocage, chronologie des médias, copie privée, exceptions au droit d’auteur, …), Jean-Claude Juncker va faire sortir de ses gonds les industries culturelles redoutant la fin de « l’exception culturelle ». Le Parlement européen, qui avait adopté dès avril 2012 une résolution « sur un marché unique du numérique concurrentiel » (5), puis une seconde en juillet 2013, accueille favorablement le Digital Single Market de Juncker par une troisième en janvier 2016. Des avancées majeures suivront : fin du géo-blocage injustifié, fin des frais d’itinérance mobile, fin des surcoûts de portabilité transfrontalière des contenus en ligne, fin des violations envers la neutralité d’Internet, fin des restrictions à la libre circulation des données, …
La directive sur les « services de médias audiovisuels » à la demande (SMAd) sera adoptée en novembre 2018, celle sur « le droit d’auteur dans le marché unique numérique » en avril 2019, ou encore, sous l’actuelle Commission von der Leyen, les règlements DSA (Digital Services Act) et DMA (Digital Markets Act) adoptés en 2022. @

La BEI, la CDC et le groupe Axel Springer soutiennent toujours le moteur de recherche Qwant

La Banque européenne d’investissement (BEI) lui a accordé « un rééchelonnement raisonnable » de sa dette. La Caisse des Dépôts (CDC) et le groupe allemand Axel Springer sont toujours ses plus importants actionnaires. Ayant échappé à la banqueroute, Qwant pourra fêter ses dix ans en 2023.

« Face à la domination sans réel partage de Google, la concurrence européenne s’organise. C’est le cas de Qwant, moteur de recherche franco-allemand qui tente de percer en assurant à ses utilisateurs un respect total de leur vie privée et des contenus non violents pour les plus jeunes », peut-on encore lire sur le site web (1) de la Banque européenne d’investissement (BEI), le plus gros créancier de Qwant. Il y a sept ans, la start-up française bénéficiait d’un prêt de la BEI de 25 millions d’euros.

Sa situation financière reste fragile
L’annonce de ce prêt européen avait été faite en grande pompe lors de la grande conférence numérique franco-allemande qui avait eu lieu le 28 octobre 2015 à l’Elysée, en présence d’un certain Emmanuel Macron (2), alors ministre français de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique. L’eau a depuis coulé dans le Rhin et la société franco-allemande – vedette de la French Tech promue par celui qui est devenu en 2017 président de la République – a dû faire face cette année à deux échéances de remboursements de la BEI. Mais au lieu de devoir régler 5 millions d’euros en janvier et 10 millions d’euros en juin, l’entreprise a obtenu de la banque au Luxembourg « un rééchelonnement raisonnable de la dette », indique Raphaël Auphan (photo), directeur général de Qwant, à Edition Multimédi@.
Les nouvelles échéances sont confidentielles. Il nous précise que sur les 25 millions d’euros initialement annoncés en 2015, ce sont finalement 20 millions d’euros qui ont été tirés par l’entreprise auprès de la BEI. Qwant s’était endetté non seulement auprès de la BEI mais aussi en janvier 2017 auprès de la Caisse des dépôts (CDC) à hauteur de 15 millions d’euros. A cela s’ajoutaient 5 millions d’euros levés auprès du groupe de médias allemand Axel Springer, son actionnaire historique (3). Qwant doit en outre 3millions d’euros à l’Etat au titre du prêt garanti par celui-ci (PEG) accordé durant la crise sanitaire. « La dette de Qwant n’a pas diminué en 2021 », nous indique Raphaël Auphan, par rapport aux 39,3 millions d’euros d’endettement de 2020. Quant au prêt de 8 millions d’euros consenti en mai 2021 par le chinois Huawei sous forme d’obligations convertibles, « il s’agit d’une dette qui sera bientôt remboursée ». Et l’accord de « l’utilisation du moteur de recherche sur les smartphones Huawei arrive aussi à échéance ». L’an dernier, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 10,3 millions d’euros (4), pour une perte nette de 9,2 millions d’euros. Alors qu’en 2020 le déficit était de 12,8 millions pour un chiffre d’affaires de 7,5 millions d’euros (5). La situation financière reste fragile, mais Qwant peut compter sur le soutien de ses deux principaux actionnaires – Axel Springer et la CDC – qui ont réinjecté en 2020 de l’argent frais. Le premier était entré à hauteur de 18,4 % du capital de Qwant en 2014, via son fonds Axel Springer Digital Ventures, mais sa participation est moindre depuis l’entrée de la CDC.
Après l’ère de son PDG fondateur Eric Léandri (6), lequel a été contraint en janvier 2020 de passer les rênes de l’entreprise mal en point, Qwant a pris un nouveau départ début juillet 2021 avec une nouvelle direction : le tandem actuel composé de Corinne Lejbowicz, présidente, et Raphaël Auphan. « Nous sommes une tech de croissance et nous avons un plan de développement qui demandera de nouveaux moyens financiers », explique le directeur général. Qwant ne cesse d’innover. Il indique par exemple qu’« une offre spécifique de moteur de recherche, toujours gratuit, respectueux de la vie privée et sécurisé, sera proposée en 2023 aux entreprises ». Son offre « privacy » va s’étoffer. En plus de Qwant Search (moteur principal), Qwant Junior (dédié aux 6-12 ans), Qwant Maps (service de cartographie « sans laisser de traces »), Qwant VIPrivacy (extension de navigation anti-tracking publicitaire) et bientôt de Qwant pour les entreprises, d’autres produits sont en projet, dont un éventuel VPN (réseau privé virtuel). Depuis juin, le moteur de recherche permet de traduire ses textes dans 28 langues grâce à un partenariat avec la société allemande DeepL.

Développer son propre « master index »
Pour autant, Qwant reste encore dépendant de l’index Bing de Microsoft et de sa régie publicitaire Bing Ads. « Nous poursuivons le développement de notre propre master index, actuellement de 10 milliards de documents. Et sur certains segments comme l’actualité en France nous répondons à 100 % des requêtes », nous assure Raphaël Auphan. Le zéro-tracking séduit à ce jour 6 millions d’utilisateurs par mois, bien loin des 37,9 millions d’utilisateurs par mois pour le moteur de recherche Google en France. Peu importe puisque Qwant ne prétend plus devenir son « grand » rival en Europe, mais seulement une alternative « respectueuse de la vie privée ». Cela ne l’empêche pas de se réjouir lorsque la filiale d’Alphabet est mise à l’amende comme le 14 septembre (7). @

Charles de Laubier

Au coeur de l’enquête « Microsoft-Activision » de la Commission européenne, il y a le géant Sony

En ouvrant le 8 novembre une « enquête approfondie » sur le projet d’acquisition d’Activision Blizzard par Microsoft, la Commission européenne ne mentionne pas Sony qui domine encore le marché mondial du jeu vidéo avec sa console PlayStation. Comment le japonais a convaincu Bruxelles d’agir.

(Comme concession, Microsoft a proposé à Bruxelles d’accorder une licence « Call of Duty » de 10 ans à Sony pour sa PlayStation, selon Reuters le 28 novembre)

« La Commission européenne craint qu’en acquérant Activision Blizzard, Microsoft puisse verrouiller l’accès aux jeux vidéo d’Activision Blizzard pour consoles et ordinateurs personnels [afin d’être proposés en exclusivité sur les seules console Xbox de Microsoft, ndlr], notamment à des jeux emblématiques et rencontrant un énorme succès (jeux de type «AAA») tels que “Call of Duty” », a-t-elle fait savoir le 8 novembre pour justifier l’ouverture d’une enquête approfondie sur le projet de rachat de l’éditeur de jeux vidéo Activision Blizzard (1), dont la célèbre licence « Call of Duty » (2).

Jim Ryan s’est rendu à Bruxelles le 8 septembre
Si la Commission européenne et sa vice-présidente exécutive chargée de la politique de concurrence, Margrethe Vestager, ne mentionnent aucunement Sony dans leur annonce, le géant japonais est considéré comme l’instigateur de cette enquête approfondie. Dès le 20 janvier 2022, soit deux jours après l’annonce par Microsoft de son projet de méga-acquisition d’Activision Blizzard pour 68,7 milliards de dollars, un porte-parole de Sony s’était exprimé pour la première fois sur cette opération envisagée : « Nous nous attendons à ce que Microsoft respecte les accords contractuels et continue de veiller à ce que les jeux Activision soient multiplateformes », avait-il déclaré dans un entretien au Wall Street Journal (3).
Le groupe nippon tient à ce que tous les jeux d’Activision Blizzard demeurent disponibles sur les plateformes de jeux vidéo non-Microsoft si la méga-acquisition devait être autorisée. Autrement dit, la console PlayStation de Sony doit pouvoir continuer à proposer notamment « Call of Duty », ce jeu de tir à la première personne (4) qui relève de la catégorie « AAA » des jeux vidéo à gros budget. Six mois après l’annonce qui n’a cessé depuis de faire des vagues dans le monde des jeux vidéo, Jim Ryan (photo de droite), PDG de Sony Interactive Entertainment (SIE) depuis avril 2019 en charge notamment de l’activité PlayStation (5), se serait rendu lui-même à Bruxelles le 8 septembre dernier – soit avant que le deal « Microsoft-Activision » ne soit formellement notifié à la Commission européenne le 30 septembre – pour faire part officiellement de ses inquiétudes sur les conséquences de ce rachat s’il devait aboutir. C’est ce qu’avait révélé Dealreporter, site d’information spécialisé dans les fusions et acquisitions (M&A). Jim Ryan a dénoncé la position dominante potentielle d’une fusion « Microsoft-Activision » au seul profit de l’écosystème de la Xbox. « Les effets réseau sont tels que si Microsoft devait bloquer l’accès à “Call of Duty” sur la PlayStation, des millions d’utilisateurs migreraient alors vers la Xbox. Il y a risque de forclusion », a expliqué en substance le PDG de SIE à Bruxelles, en appuyant ses dires par des études économiques. Et il a déclaré que la proposition de Microsoft de garder « Call of Duty » pendant encore trois ans – voire cinq ans – sur PlayStation était « inadéquate à plusieurs niveaux », estimant que la proposition de la firme de Redmond « sape ce principe » qui consiste pour Sony à « garantir que les joueurs PlayStation continueront à avoir la plus haute qualité avec “Call of Duty” » (6). Google serait lui aussi préoccupé par le rachat d’Activision Blizzard par Microsoft.
Alors que l’autorité de la concurrence britannique – la CMA (7) – s’est aussi emparée de ce dossier brûlant pour rendre son verdict d’ici le 1er mars 2023, la Commission européenne s’est donnée jusqu’au 23 mars pour prendre sa décision. En attendant, Sony continue de dominer le marché mondial des consoles de jeux vidéo assorties de leurs plateformes en ligne, loin devant Microsoft et Nintendo. En présentant le 1er novembre dernier ses résultats sur le second trimestre de son année fiscale se terminant le 31 mars 2023, Hiroki Totoki, le directeur financier de la firme nipponne, a rehaussé ses prévisions de ventes de la console PlayStation 5 (PS5) de 18 millions à 23 millions d’unité sur l’exercice en cours 2022/2023. En revanche, la prévision de la rentabilité annuelle de son activité jeux vidéo a été revue à la baisse en raison des craintes de récession économique mondiale qui pourrait réduire le pouvoir d’achat des consommateurs.

La bataille entre PS Plus et XG Pass
La déception de Sony vient de sa plateforme de jeux en streaming par abonnement PlayStation Plus (PS Plus) qui, alors qu’elle a été refondue l’été dernier, se veut la rivale de Xbox Game Pass (XG Pass) pour jouer sur console, ordinateur ou dans le cloud. Le japonais a vu le nombre de ses abonnés PS Plus décliner à 45,4 millions, perdant près de 2 millions d’abonnés sur son second trimestre se terminant fin septembre (par rapport à la fin juin). « Nous constatons que cette diminution résulte d’une plus grande baisse que prévu dans l’engagement des utilisateurs de PlayStation 4 », a expliqué le groupe de Tokyo (Minato). @

Charles de Laubier

Bertelsmann avait prévenu : l’échec « TF1-M6 » aura un impact sur tout l’audiovisuel en Europe

Le projet de « fusion » entre TF1 et M6 a fait couler beaucoup d’encre depuis seize mois. L’annonce le 16 septembre 2022 de son abandon laisse le groupe allemand Bertelsmann (maison mère de RTL Group, contrôlant M6) sur un gros échec face aux Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+.

La discrète famille milliardaire Mohn, propriétaire de Bertelsmann, doit s’en mordre les doigts. Son homme de confiance, Thomas Rabe (photo), PDG du premier groupe de médias européen et directeur général de sa filiale RTL Group (elle-même contrôlant M6 en France), avait pourtant mis en garde les autorités antitrust françaises : si elles ne donnaient pas leur feu vert à la vente de M6 (alias Métropole Télévision) à TF1 (groupe Bouygues), cela aurait un « un impact profond sur le secteur audiovisuel en Europe ». En insistant : « J’espère que les décideurs en sont conscients ».

RTL Group perd une bataille devant Netflix
Thomas Rabe s’exprimait ainsi dans une interview au Financial Times, publiée le 31 août dernier. « Si les autorités décident de s’opposer à cette combinaison [TF1-M6],c’est une occasion perdue, non seulement pour cette année mais pour le long terme », prévenait-il. Soit quinze jours avant l’abandon du projet en raison des exigences de l’Autorité de la concurrence (cession soit de la chaîne TF1, soit de la chaîne M6 pour que l’opération soit acceptable). Thomas Rabe estimait qu’un échec du projet ne laisserait rien présager de bon en Europe : « Si cet accord ne passe pas en France, il sera très difficile pour un accord similaire de passer en Allemagne et dans d’autres pays ».
Or Bertelsmann prévoit justement en Allemagne de fusionner ses télévisions avec le groupe de chaînes payantes et gratuites ProSiebenSat.1 Media (1). Cela reviendra pour la famille Mohn à racheter ProSiebenSat.1, le rival allemand de RTL Group. Et aux Pays-Bas, RTL Nederland a annoncé il y a un an qu’il va absorber les activités audiovisuelles et multimédias de Talpa Network, le groupe néerlandais fondé par John de Mol. Parallèlement, afin de se recentrer sur « la création de champions média nationaux », Bertelsmann a vendu RTL Belgium aux groupes DPG Media et Rossel, et RTL Croatia au groupe CME du magnat des médias Ronald Lauder (2). Comme avec TF1 en France et ProSiebenSat.1 en Allemagne, l’objectif de la fusion avec Talpa Network aux Pays- Bas est le même : répliquer en Europe à l’offensive des plateformes numériques mondiales américaines, que sont Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou encore Apple TV+, en créant localement des groupes « cross-media » de taille capables d’investir dans les technologies et la créativité – en particulier dans des contenus premiums pour rivaliser avec les productions originales des GAFAN. Et à l’heure où Netflix, Amazon/Freevee (3) et Disney+ s’ouvrent à la publicité audiovisuelle, ces consolidations sur le marché européen de la télévision traditionnelle visent à résister avec des écrans publicitaires attractifs. Les éditeurs de télé redoutent en plus que l’audience des plateformes de SVOD soit certifiée et comparée avec celle de leurs chaînes (4). Dans leur communiqué commun du 16 septembre annonçant l’abandon du projet de fusion, RTL Group et Bouygues (maison mère de TF1 acquéreur de M6) sont amères : « Les parties regrettent que l’Autorité de la concurrence n’ait pas tenu compte de la rapidité et de l’ampleur des changements qui ont touché le secteur de l’audiovisuel française. Ils continuent de croire fermement qu’une fusion des groupes TF1 et M6 aurait fourni une réponse appropriée aux défis découlant de la concurrence accrue des plateformes internationales » (5). Le groupe de Martin Bouygues renonce ainsi à un ensemble de plus de 3,4milliards d’euros de chiffre d’affaires, qui aurait constitué le quatrième acteur de l’audiovisuel européen.
De son côté, Bertelsmann a aussitôt relancé le processus de cession de M6. Les candidats au rachat de M6 – dont l’autorisation de diffusion en France arrivera à échéance le 5 mai 2023 – avaient jusqu’au jeudi 29 septembre pour déposer leurs offres fermes (6). Et Bertelsmann n’aura que l’embarras du choix mais le groupe allemand doit aller vite au regard de cette échéance devant l’Arcom. Il y a trois favoris au rachat de M6 : Daniel Kretínsky (CMI) ; Stéphane Courbit (FL Entertainment (7)) avec Rodolphe Saadé (CMA CGM) et Marc Ladreit de Lacharrière (Fimalac) ; Xavier Niel avec l’italien MediaForEurope. Et d’autres potentiels candidats : Vivendi, Altice, NRJ, …

En France, l’Arcom et l’Arcep divergeaient
Quant à l’Arcom et à l’Arcep, ils ont rendu public le 21 septembre leur avis respectif sur le projet de rachat de M6 par TF1 – avis remis cinq mois plus tôt à l’Autorité de la concurrence. L’Arcom a émis des réserves en raison « des effets notables (…) sur les marchés publicitaires, de l’édition et de la distribution, ainsi que (…) de l’acquisition de programmes », tout en prenant en compte des mouvements de concentration en Europe face aux plateformes de streaming (8). L’Arcep, elle, y était défavorable, craignant « des risques sur le marché de la fourniture d’accès à Internet, au détriment des utilisateurs » (9), mais sans parler de ce qui se passe en Europe. @

Charles de Laubier

La disparition des MVNO n’est pas bon signe pour la concurrence mobile en France et ses tarifs

Les rachats successifs des MVNO depuis dix ans – dont dernièrement Coriolis, Syma ou encore EIT (Crédit Mutuel Mobile, NRJ Mobile, CIC Mobile, Auchan Telecom, …) – ne sont pas de bon augure pour les consommateurs. Cette concentration prépare-t-elle un passage à trois opérateurs mobiles ?

Les opérateurs de réseau mobile virtuel, ou MVNO (Mobile Virtual Network Operator), sont une espèce en voie de disparition. Bien que ne disposant pas de leur propre réseau radio, ils sont néanmoins considérés comme des opérateurs mobiles à part entière. Aussi, pour offrir des services mobiles à leurs abonnés, ces MVNO – qui ne sont plus qu’une petite quinzaine en France – s’appuient sur les services d’un ou de plusieurs opérateurs de réseau mobile choisi parmi les quatre présents sur le marché (Bouygues Telecom, Free Mobile, Orange et SFR) auxquels ils leur achètent des communications en gros.

Bérézina virtuelle depuis dix-huit mois
Mais force est de constater que leur part de marché cumulée chute depuis décembre 2020 où ils atteignaient 11,9 %, pour se retrouver à seulement 6,7 % à fin juin 2022, d’après les chiffres publiés par l’Arcep le 4 août dernier. Au meilleur de leur forme, en 2014, la cinquantaine de MVNO d’alors affichaient 8,9 millions de clients, soit alors 13 % du marché de la téléphonie mobile. A l’époque, la montée en charge de Free Mobile – lancé il y a dix ans – leur avait déjà coupé l’herbe sous le pied. Les trois opérateurs mobiles historiques, Orange, SFR et Bouygues Telecom, avaient répliqué à l’opérateur de Xavier Niel en lançant leurs propres marques low-cost : respectivement Sosh, Red et B&You. Depuis lors, les MVNO étaient entre le marteau (les opérateurs de réseau mobile qui les hébergent) et l’enclume (les offres à bas prix de ces même opérateurs hôtes). Bref, ce fut des conditions concurrentielles telles que les MVNO furent cantonnés à des marchés de niche (les communautés ethniques, les expatriés, les voyageurs d’affaires, les jeunes, etc.).
D’une cinquantaine à leur apogée, les MVNO en France sont passés à une trentaine avant 2020, pour se retrouver une quinzaine aujourd’hui – en perdant au passage quelque 3,7 millions de clients en dix-huit mois – passant d’un total de 9 millions à seulement 5,3 millions de clients à fin juin 2022 – et en cédant 5,2 points de part de marché. Cette bérézina est due notamment aux MVNO qui, à bout de souffle, se sont fait racheter par des opérateurs de réseau mobile, le plus souvent leur propre opérateur hôte. Ainsi, en mai dernier, SFR (groupe Altice) s’est emparé de Syma Mobile et de ses près de 700.000 clients (acquisition finalisée fin juin). Ce MVNO s’appuyait à la fois sur les réseaux d’Orange et de SFR. Sa maison mère Altice France avait déjà acquis auparavant Coriolis et ses 500.000 clients – considéré comme le deuxième « virtuel » en France – à la suite du feu vert fin avril de l’Autorité de la concurrence (1). Moins d’un an auparavant, Altice France avait aussi mis la main sur un autre MVNO arrimé au réseau SFR : Afone et ses moins de 80.000 clients, notamment avec les offres Afone Mobile et Reglo Mobile vendues dans les supermarchés Leclerc. Ironie de l’histoire : Afone avait saisi en 2006 l’Arcep pour régler un différend avec SFR qui refusait, à l’époque, de lui ouvrir son réseau pour être un « full MVNO » ! Le gendarme des télécoms avait finalement donné raison à Afone en avril 2006 dans une décision que SFR avait attaquée devant la cour d’appel, laquelle avait rejeté ce recours (2). Dans l’acquisition de MVNO, SFR s’était déjà distingué en rachetant les 2 millions de clients de Virgin Mobile (Omea Telecom, ex-Omer Télécom) qui fut absorbés fin 2014, mettant un terme à l’aventure du premier MVNO français en taille (3).
De son côté, Bouygues Telecom a racheté fin 2020 le MVNO Euro-Information Telecom (EIT) — filiale du Crédit Mutuel intégrant NRJ Mobile, CIC Mobile, Crédit Mutuel Mobile, Auchan Telecom (cédé par Auchan) et Cdiscount Mobile. EIT, né en 2005 avec la marque NRJ Mobile, utilisait les réseaux « hôtes » d’Orange, de Bouygues Telecom et de SFR pour franchir lui aussi la barre des 2 millions de clients. EIT avait racheté en 2018 le fonds de commerce de Sisteer, un MVNE (Mobile Virtual Network Enabler) proposant un ensemble de services ou d’équipements nécessaires à l’activité d’opérateur mobile à des MVNO tels que Carrefour Mobile (racheté en 2012 par Orange), Grand Public Darty Telecom (cédé à Bouygues Telecom), ZeroForfait (revendu à Prixtel), Budget Mobile et SIM+.

Des MVNO détenus par les « telcos »
Quant à La Poste Mobile, elle dispose du vaste réseau de distribution postale physique : plus de 8.000 bureaux de poste à l’époque (5.000 aujourd’hui complétées par plus de 4.000 points-relais). Ce qui a permis à cette filiale du groupe La Poste (51 % du capital) et de SFR (49 %) – créée en 2011 à partir des actifs de Simplicime, héritier d’un pionnier des MVNO français, Debitel (marque qui a disparu en 2008) – d’atteindre un parc total de près de 2 millions de clients. Ce MVNO publicprivé, La Poste Mobile, a fait de SFR son unique opérateur hôte. A la suite de ces acquisitions en série (4), la plupart des clients des MVNO ainsi absorbés ont été encouragés voire forcés à basculer sous la marque de l’opérateur mobile acheteur. D’autres ont disparu eux aussi. Pour les MVNO détenus à plus de 51 % par un opérateur de réseau mobile – comme Bouygues Telecom Business-Distribution (ex-EIT), Keyyo détenus par Bouygues Telecom ou Nordnet contrôlé par Orange – l’Arcep les comptabilise non pas en tant que MVNO mais en intégrant leurs clients dans ceux de l’opérateur hôte et maison mère.

Free, toujours pas de MVNO
Les derniers survivants des opérateurs mobiles virtuels se nomment, par ordre alphabétique :
côté particuliers, Joi Telecom (ACN Communications), Brazile Telecom (téléphonie pour seniors), CTExcelbiz (China Telecom), Lebara France, Lycamobile, Vectone (Mundio) ou encore Truphone ;
côté entreprises, Alphalink, Cellhire, Cubic Telecom (MtoM (5)), Netcom, SCT Telecom, Sewan Communications, Truphone, Voip Telecom, Airmob (racheté par Altitude) ou encore Transatel (MtoM).
Ce dernier, Transatel, fut un pionnier français des MVNO qui fut racheté en février 2019 par l’opérateur télécoms historique japonais NTT. Cofondé en 2000, Transatel s’est historiquement développé auprès d’une clientèle composée d’hommes d’affaires européens, de résidents étrangers et de transfrontaliers, mais aussi en tant que MVNE/A (Mobile Virtual Network Enabler/Aggregator) pour le compte de tiers et de pas moins de 180 MVNO en Europe. Ses activités sont aujourd’hui orientées connectivité MtoM, avec des solutions de cartes SIM virtuelles – eSIM – proposées depuis 2014 sur les marchés de l’Internet des objets ou de la voiture connectée.
A noter que parmi les quatre opérateurs de réseau mobile, seul Free n’a pas accueilli de MVNO malgré deux offres à leur attention lancée il y a dix ans (MVNO Light et Full MVNO), avec l’intention de limiter à quatre ses opérateurs mobiles virtuels sur son réseau. Mais les prix pratiqués la filiale d’Iliad ne laissent pas d’espace économique suffisant aux candidats, certains criant à l’époque au scandale. Il faut dire que Free Mobile, lancé en 2012, faisait pâle figure en termes de couvertures géographique (Lire p.3). Free réussira l’exploit de n’être l’hôte d’aucun MVNO, sans que le régulateur n’y trouve à redire, malgré ses engagements sur la 5G.
Autre anomalie : bien que la Commission européenne et le Parlement européen ont supprimé depuis juin 2017 les frais d’itinérance (roaming) pour les consommateurs circulant dans les Vingt-huit (passés à Vingtsept) Etats membres, une dizaine de MVNO disposent encore d’exemptions – accordées par leur « Arcep » nationale – leur permettant de facturer un surcoût en cas de roaming. D’après NextInpact (6), Reglo Mobile (Altice/E. Leclerc) continue de le faire sans avoir demandé le renouvellement de son exemption. @

Charles de Laubier