Nicolas Guérin, stratège discret mais très influent au sein de la filière télécoms et au coeur de l’Etat

Probablement l’homme le plus influent des télécoms en France. Nicolas Guérin fête ses 25 ans chez Orange, dont il est secrétaire général depuis 5 ans. Il conseille depuis 2020 le gouvernement en tant que président du Comité stratégique de filière « Infrastructures numériques ».

En plus de sa fonction stratégique de secrétaire général d’Orange depuis mars 2018, et à ce titre l’un des treize membres du comité exécutif (le « comex »), Nicolas Guérin (photo) est depuis l’automne 2020 président du Comité stratégique de filière « Infrastructures numériques » (CSF-IN). Il s’agit de l’une des dix-neuf filières représentées au sein du Conseil national de l’industrie (CNI), lequel est présidé par la Première ministre, Elisabeth Borne. Nicolas Guérin est en outre très impliqué au sein de la Fédération nationale des télécoms (FFTélécoms), qu’il présidera à nouveau le 3 juillet prochain. Nicolas Guérin (55 ans le 19 août prochain) est la personnalité la plus influente des télécoms en France, dont il a vécu la libéralisation depuis le début, il y a… un quart de siècle. C’est le 5 janvier 1998, après un passage chez TDR, opérateur de la radiomessagerie Tam Tam et filiale de SFR (où il avait fait un premier stage), qu’il entre chez France Télécom, soit au cinquième jour de l’ouverture du marché français des télécoms à la concurrence et au moment où l’ancien monopole public des télécoms devient une société anonyme. Il y rentre en tant que juriste chargé justement de la concurrence et de la réglementation.

Il a vu passer quatre présidents d’Orange
L’Etat, unique actionnaire à l’époque avant de se retrouver minoritaire, détient encore aujourd’hui 22,95 % du capital et 29,25 % des droits de vote (1). Nicolas Guérin s’est ensuite rendu indispensable pour la stratégie et le lobbying d’Orange – la dénomination sociale depuis dix ans (2). Il verra défiler à la présidence du groupe Michel Bon, Thierry Breton, Didier Lombard et Stéphane Richard, avant de se retrouver il y a plus d’un an aux côtés du duo formé par Christel Heydemann (directrice générale) et Jacques Aschenbroich (président). Après avoir été promu il y a vingt ans directeur juridique « concurrence et réglementation » d’Orange, dont il devient le directeur juridique et « secrétaire du conseil d’administration », Nicolas Guérin est secrétaire général du groupe Orange depuis plus de cinq ans. Le rapport d’activité 2022 publié le 30 mars le mentionne toujours bien ainsi dans le « comité exécutif à compter du 3 avril 2023 », lequel a évolué « pour accompagner les évolutions liées au nouveau plan stratégique [« Lead the future« ]» présenté le 16 février par Christel Heydemann. Mais Continuer la lecture

Les engagements de Microsoft pris pour obtenir le feu vert de l’Europe sur son rachat d’Activision

« Notre décision constitue un pas important […], en mettant les jeux populaires d’Activision à la disposition de bien plus d’appareils et de consommateurs qu’auparavant grâce au streaming de jeux en nuage [cloud game streaming, ou Cloud Gaming, ndlr]. Les engagements proposés par Microsoft permettront pour la première fois la diffusion en streaming de ces jeux par n’importe quel service de streaming de jeux en nuage, ce qui renforcera la concurrence et les possibilités de croissance », a assuré le 15 mai Margrethe Vestager (photo), vice-présidente exécutive chargée de la politique de concurrence.

Les engagements de Microsoft sur 10 ans
La firme de Redmond (Etat de Washington), qui veut s’emparer de l’éditeur de jeux vidéo Activision Blizzard (basé à Santa Monica en Californie) pour 68,7 milliards de dollars comme elle l’avait annoncé en janvier 2022 (1), a pris auprès de la Commission européenne des engagements pour une durée de 10 ans, soit jusqu’en mai 2033 :
une licence gratuite accordée aux consommateurs de l’Espace économique européen (EEE), à savoir les Vingtsept de l’Union européenne (UE) et trois autres Etats (Islande, Norvège et Liechtenstein), leur permettant de diffuser en streaming, en utilisant le service de streaming de jeux en nuage (Cloud Gaming) de leur choix, tous les jeux actuels et futurs d’Activision Blizzard pour PC et pour consoles pour lesquels ils disposent d’une licence ;
une licence gratuite accordée aux fournisseurs de services de streaming de jeux en nuage, afin de permettre aux joueurs basés dans l’EEE de diffuser en streaming tous les jeux d’Activision Blizzard pour PC et pour consoles.
« Aujourd’hui, explique la Commission européenne, Activision Blizzard ne concède pas de licence sur ses jeux aux services de streaming de jeux en nuage, et elle ne les diffuse pas non plus elle-même en streaming. Ces licences garantiront que les joueurs qui ont acheté un ou plusieurs jeux d’Activision dans une boutique pour PC ou pour consoles, ou qui ont souscrit à un service d’abonnement multi-jeux incluant des jeux d’Activision, auront le droit de diffuser ces jeux en utilisant le service de streaming de jeux en nuage de leur choix et de jouer sur tout appareil, peu importe le système d’exploitation utilisé. Les mesures correctives garantissent également que les jeux d’Activision disponibles pour le streaming auront la même qualité et le même contenu que les jeux disponibles en téléchargement traditionnel ». Résultat, les jeux d’Activision seront mis à la disposition de nouvelles plateformes de Cloud Gaming et en les rendant accessibles à plus de terminaux et consoles qu’auparavant. Ainsi, des millions de consommateurs de l’EEE pourront diffuser en streaming les jeux d’Activision en utilisant n’importe quel service de jeux en nuage dans l’EEE, et à condition que ces jeux soient achetés sur une boutique en ligne ou soient inclus dans un abonnement multi-jeux actif dans l’EEE. Ces engagements ne concernent pas ni le Royaume-Unis, qui s’est retiré de l’UE le 31 janvier 2020, ni les Etats-Unis où une procédure antitrust est toujours en cours, notamment de la part de la FTC (Federal Trade Commission). Dans ces deux pays, l’opération est toujours contestée, nous le verrons. Alors que la date limite contractuelle pour que cette mégafusion puisse se faire est le 18 juillet 2023.
La Commission européenne dit avoir recueilli les avis d’un grand nombre d’acteurs du marché et de parties prenantes. « En particulier, a-t-elle indiqué, les fournisseurs de services de streaming de jeux en nuage ont fait part de leurs réactions positives et ont manifesté leur intérêt pour les licences. Certains de ces fournisseurs [notamment Nintendo et Nvidia, ndlr] ont déjà conclu des accords bilatéraux avec Microsoft sur la base des licences proposées pour diffuser en streaming les jeux d’Activision une fois l’opération effectuée ». L’autorité antitrust précise en outre que sa décision est subordonnée au respect intégral des engagements contractés et qu’un mandataire indépendant – sous sa supervision –sera chargé de contrôler leur mise en œuvre.

Les craintes initiales d’une telle fusion
Si tout est respecté pendant les dix ans à venir, Bruxelles assure que l’acquisition envisagée et modifiée par les engagements de Microsoft ne poserait plus de problèmes de concurrence et apporterait même d’importants avantages – « considérables », est-il même affirmé – pour la concurrence et les consommateurs. Dans son enquête préliminaire lancée au cours de l’année 2022, la Commission européenne craignait notamment qu’en acquérant Activision Blizzard, Microsoft puisse verrouiller l’accès aux jeux vidéo d’Activision Blizzard pour consoles et ordinateurs, notamment à des jeux emblématiques à succès tels que « Call of Duty ». Puis, lancée en novembre 2022, l’enquête approfondie a montré que Microsoft ne serait pas en mesure de porter préjudice aux consoles concurrentes et aux services concurrents d’abonnement multi-jeux, mais que Microsoft pourrait nuire à la concurrence dans la distribution de jeux par les services de Cloud Gaming, tout en renforçant sa position sur le marché des systèmes d’exploitation pour ordinateur de type PC.

La concurrence et le cas de Sony (PS)
Concrètement, Bruxelles fait cinq principaux constats concernant la concurrence face à cette fusion :
Microsoft n’aurait aucun intérêt à refuser de distribuer les jeux d’Activision à Sony, qui est le principal distributeur mondial de jeux pour consoles, y compris dans l’EEE, où pour chaque console Microsoft Xbox achetée, ce sont quatre consoles PlayStation (PS) de Sony qui sont achetées par les joueurs. En effet, Microsoft aurait fortement intérêt à distribuer les jeux d’Activision sur une console aussi populaire que la PS de Sony (2).
Même si Microsoft décidait de retirer les jeux d’Activision de la PlayStation, cela ne porterait pas de préjudice grave à la concurrence sur le marché des consoles. Bien que « Call of Duty » attire de nombreux joueurs sur consoles, ce jeu est moins populaire dans l’EEE que dans d’autres régions du monde et, parmi les jeux du même genre, il est moins populaire dans l’EEE que sur d’autres marchés. En conséquence, même sans être en mesure de proposer ce jeu spécifique, Sony pourrait tirer parti de sa taille, de son catalogue de jeux étoffé et de sa position sur le marché pour contrer toute tentative d’affaiblissement de sa position concurrentielle.
Même sans l’opération de fusion Microsoft-Activision, Activision n’aurait pas mis ses jeux à la disposition des services d’abonnement multi-jeux, étant donné que cela cannibaliserait les ventes de jeux individuels. En conséquence, la situation des fournisseurs tiers de services d’abonnement multi-jeux n’évoluerait pas après l’acquisition d’Activision par Microsoft.
L’acquisition nuirait à la concurrence sur le marché de la distribution des jeux pour PC et pour consoles par les services de streaming de jeux en nuage, un segment de marché innovant qui pourrait transformer la manière dont de nombreux joueurs jouent aux jeux vidéo. Malgré son potentiel, le Cloud Gaming est aujourd’hui très limité. La popularité des jeux d’Activision pouvait favoriser sa croissance. Au contraire, si Microsoft limitait exclusivement les jeux d’Activision à son propre service de streaming de jeux en nuage, Game Pass Ultimate, et ne les rendait pas accessibles aux fournisseurs concurrents de streaming de jeux en nuage, cela réduirait la concurrence sur le marché de la distribution de jeux par le streaming en nuage.
Si Microsoft limitait les jeux d’Activision exclusivement à son propre service de streaming de jeux en nuage, cela pourrait aussi renforcer la position de Windows sur le marché des systèmes d’exploitation pour PC. Cela pourrait être le cas si Microsoft entravait ou dégradait le streaming des jeux d’Activision sur les PC utilisant d’autres OS que Windows.
Si le groupe Microsoft a gagné une bataille en remportant le feu vert de la Commission européenne, ainsi que d’autre pays dans le monde tels que l’Arabie saoudite, le Brésil, la Serbie, le Chili, le Japon, l’Afrique du Sud et l’Ukraine, il n’est pas au bout de ses peines ailleurs. Le 27 avril dernier, l’autorité de la concurrence britannique – la Competition and Markets Authority (CMA) – a décidé d’interdire l’achat d’Activision par Microsoft malgré les solutions proposé par l’acquéreur (3). « L’accord changerait l’avenir du marché du Cloud Gaming en croissance rapide, ce qui réduirait l’innovation et le choix pour les joueurs britanniques au cours des années à venir », a justifié la CMA. Et pour Martin Coleman, président du groupe d’experts indépendant chargé de l’enquête britannique, a conclu : « Microsoft jouit déjà d’une position puissante et d’une longueur d’avance sur d’autres concurrents dans le Cloud Gaming et cet accord renforcerait cet avantage en lui donnant la capacité de saper les concurrents nouveaux et innovants » (4).

La FTC va auditionner en août
La Federal Trade Commission (FTC), qui est présidée depuis septembre 2021 par la redoutée Lina Khan (photo ci-dessus), réputée plutôt hostile aux positions dominantes des Big Tech (5), a programmé une audition pour le 2 août 2023, soit après la date limite contractuelle du 18 juillet. Cette autorité antitrust américaine a déjà donné le ton le 8 décembre 2022 saisissant la justice pour « bloquer l’acquisition d’Activision Blizzard ». Dans sa plainte, la FTC pointe le fait que Microsoft s’est déjà emparé de ZeniMax, société mère de Bethesda Softworks, et fait de plusieurs de ses titres – dont « Starfield » et « Redfall » – « des exclusives malgré les assurances qu’il avait donné aux autorités antitrust européennes » (6). Pas sûr que la mégafusion soit bouclée d’ici fin 2023. Peut-être 2024 ou bien peutêtre… jamais. @

Charles de Laubier

L’Arcep est attendue sur l’analyse du secteur des infrastructures gigabit aux entreprises

Le cadre législatif du « marché numérique unique » a fondé son programme de « numérisation des entreprises » sur la « connectivité gigabit » en boucle locale et sur les « services numériques avancés » en nuage. L’Arcep doit l’intégrer dans ses analyses et sa régulation du « marché entreprises ».

Par Christophe Clarenc, avocat, cabinet DTMV & Associés

Les documents de consultation publique publiés par l’Arcep en vue du cycle 2024- 2028 de régulation des marchés du haut et du très haut débit fixe pour les entreprises (son « bilan et perspectives » de juillet 2022 et son projet de décision « marché 2 de fourniture en gros d’accès de haute qualité » de février 2023 (1)) ne sont pas au rendez-vous du cadre et des cibles d’analyse, de bilan et de feuille de route tracés dans la communication « Connectivité gigabit » de 2016 de la Commission européenne (2) et fixés dans la décision législative « Cibles numériques à l’horizon 2030 » de décembre dernier (3).

Gigabit aux entreprises : marché « cible »
Cette décision « Cibles numériques à l’horizon 2030 » poursuit le programme de « transformation numérique de l’Union européenne » en fixant aux Etats membres des « cibles numériques » à l’horizon 2030 dans les domaines connexes : des « réseaux fixes de connectivité gigabit jusqu’au point de terminaison du réseau » ; des « infrastructures numériques d’informatique en nuage, d’informatique en périphérie, de gestion des données et d’intelligence artificielle » ; de la « numérisation » des entreprises et des services publics à travers ces réseaux et ces infrastructures, ce avec une « feuille de route nationale » (comportant les « trajectoires prévisionnelles » et les « investissements et ressources nécessaires ») à présenter « le 9 octobre 2023 au plus tard », et un suivi de leurs « performances » et « progrès » dans l’Indice de l’économie et de la société numériques (DESI) annuellement publié par la Commission européenne. S’agissant des « réseaux fixes en gigabit », la décision de décembre 2022 a fixé à l’horizon 2030 une cible de « couverture de tous les utilisateurs finaux » au premier rang desquels les entreprises. Cette cible est à rapprocher de l’objectif « pour 2025 » qui avait été fixé en 2016 par la Commission européenne dans sa communication « Connectivité gigabit ». Elle appelait le secteur des télécommunications à un déploiement accéléré et massif des nouveaux « réseaux à très haute capacité » (VHCN) en fibre optique jusqu’au point de terminaison – réseaux « FTTP » dans le DESI recouvrant les boucles locales optiques (BLO) dédiées (BLOD) et mutualisées sur FTTH (BLOM) – assurant une « connectivité Internet en gigabit » (symétrique descendante/montante d’au moins 1 Gbit/s) considérée comme nécessaire pour l’utilisation par les entreprises des « solutions de transformation numérique » fournies dans les plateformes d’informatique en nuage. La Commission européenne proposait à cet effet une réforme du cadre réglementaire des télécommunications pour faire de « l’accès à la connectivité à très haute capacité et de sa pénétration sur le marché un objectif de la régulation », avec des conditions « incitatives, stables et homogènes » pour les opérateurs investisseurs leur assurant un « retour sur investissement », des conditions de « concurrence fondée sur les infrastructures dans les zones denses où plusieurs réseaux peuvent coexister » et des conditions « favorisant le Co investissement et les modèles d’opérateurs réservés au marché de gros » dans les autres zones. Elle formulait avec cette réforme un « objectif stratégique pour 2025 de connectivité en gigabit pour l’ensemble des principaux pôles de l’activité socio-économique ».
Cette réforme est venue par la directive européenne du 11 décembre 2018 établissant le nouveau code des communications électroniques européen (4) et visant « à mettre en œuvre un marché intérieur des réseaux et des services de communications électroniques qui aboutisse au déploiement et à la pénétration des réseaux à très haute capacité ». La Commission européenne a présenté en février 2023 une proposition de « Gigabit Infrastructure Act » (5) visant à faciliter le déploiement des BLO dans les infrastructures de génie civil alternatives.

Bilan et trajectoire sur « l’objectif 2025 »
Le DESI 2022 (6) classe la performance de la France au 5e rang des Etats membres dans l’indice « Connectivité », avec en particulier un taux de couverture de 63 % pour les réseaux FTTP contre 50 % pour la moyenne des Etats membres.
L’analyse bilantielle et prospective du « marché entreprises »* présentée par l’Arcep pour le cycle 2024- 2028 n’est pas au rendez-vous de ce cadre et de ces conditions. Elle ne désigne pas et ne définit pas ce marché « cible » des réseaux et services gigabit sur BLO en marché pertinent de référence et structurellement distinct des autres marchés de détail et de gros du haut et du très haut débit fixe. Elle ne présente pas d’état des lieux ni a fortiori de feuille de route des « investissements et ressources nécessaires » concernant « l’objectif 2025 de connectivité en gigabit pour l’ensemble des principaux pôles de l’activité socio-économique » au regard à la fois de la cartographie des BLOD et des BLOM-FTTH déployées en concurrence par les opérateurs investisseurs et de l’état des mises en service FTTH Pro, FTTH+ et FTTE par chacun des opérateurs FTTH concernés dans leurs zones.

Concurrence sur le « marché entreprises »
Le bilan de l’Arcep voit une « concurrence insuffisante » qui ne correspond pas à son objectif annoncé en 2016 – et atteint – de « stimuler une concurrence à au moins trois opérateurs investisseurs sur le segment entreprises », ni à ses données de structure et de niveau des parts de marchés concurrentiels sur les marchés de détail concernés. Il ne répond pas non plus au critère de « concurrence effective » fixé dans la réglementation sectorielle, ni aux conditions symétriques du déploiement des BLO. Et il ne prend pas en compte par ailleurs la présence, le poids et la pression des grands fournisseurs de services intégrés d’informatique en nuage et de communications interpersonnelles non fondés sur la numérotation sur ce « marché entreprises ».
Dans son « bilan et perspectives » de juillet 2022 (7), l’Arcep relève que « les entreprises françaises, et en particulier les plus petites, accusent un retard dans leur transformation numérique ». « Si elles disposent généralement d’au moins un accès à Internet, elles ont un moindre usage du numérique que leurs homologues européennes. Ainsi, les entreprises localisées en France se positionnent à la 19e place en matière d’intégration des technologies numériques selon le “Digital scoreboard” [faisant alors référence au DESI 2021, ndlr] établi par la Commission européenne ». Et d’ajouter : « Dans la mesure où la connectivité est la porte d’accès des entreprises aux solutions numériques, l’Arcep a identifié depuis ces dernières années la connectivité des entreprises comme l’un de ses chantiers prioritaires ». La France est pourtant au 5e place en matière de connectivité…
L’indice « Intégration des technologies numériques » (ITN) du DESI de la Commission européenne mesure les « progrès » de la numérisation des entreprises dans chaque Etat membre à travers l’évolution de leurs taux et niveau d’adoption des « 12 technologies numériques sélectionnées » comme « indicateurs de performance » pour cet indice, dont en particulier les « technologies avancées » du « cloud », du « big data » et de l’« AI ». La décision de décembre 2022 a fixé à l’horizon 2030 une cible d’adoption de ces trois services avancés par au moins 75 % des entreprises et une cible d’adoption d’un « niveau élémentaire d’intensité numérique » (adoption d’au moins quatre des « technologies » cataloguées dans l’indice ITN) par plus de 90 % des TPE.
Le DESI 2022 affiche pour les entreprises françaises des niveaux de taux d’ITN contrastés entre eux et par rapport à la moyenne de l’Union européenne (UE) : un taux de 25 % pour les services cloud, par rapport à un taux moyen UE de 34 % ; un taux de 22 % pour les services big data, par rapport à un taux moyen UE de 14 % ; un taux de 7 % pour les services AI, par rapport à un taux moyen UE de 8 % ; et un taux de 47 % pour les TPE au « niveau élémentaire d’intensité numérique », par rapport à un taux moyen UE de 55 %. La diversité de ces taux d’ITN des entreprises françaises rapportée à l’indice de connectivité en France tend à montrer que les conditions du marché des services de connectivité aux entreprises en France sont sans rapport avec leur taux et leurs politiques d’ITN. L’ITN des entreprises s’est très largement traduite par une « migration » dans les infrastructures numériques des trois grands fournisseurs américains de services intégrés d’informatique en nuage (Amazon Web Services, Microsoft Azure et Google Cloud), qui « concentrent l’essentiel du marché en volume et en croissance » selon les propres termes de l’Autorité de la concurrence (8).

Périmètre des « infrastructures numériques »
L’Arcep serait ainsi bienvenue d’intégrer la présence et le poids des grands fournisseurs de services intégrés d’informatique en nuage et de communications interpersonnelles non fondés sur la numérotation dans son analyse du secteur des infrastructures et des services gigabit aux entreprises, en convergence à la fois avec : le règlement « Marchés Numériques » (DMA) de 2022 (9) qui a classé ces services dans la liste des « services de plateforme essentiels » ; avec la directive « Sécurité des Réseaux et des Systèmes d’Information » (NIS 2) (10) qui a classé et regroupé ces fournisseurs et les opérateurs de communications électroniques dans le même secteur convergent des « infrastructures numériques » ; et avec la décision législative de 2022 qui appelle à une « feuille de route nationale » également pour le déploiement des « nœuds périphériques » de l’informatique en périphérie. @

* Le « marché entreprises » recouvre l’ensemble des entreprises (TGE, MGE, PME, TPE et Petits Professionnels) et des entités publiques (administrations, établissements publics, collectivité territoriales) qui se fournissent pour les besoins de leur activité socio-économique.

Assistants vocaux : voici un marché sur lequel l’Autorité de la concurrence devrait s’autosaisir

« Ok Google », « Alexa », « Dis Siri », « Hi Bixby » … Dites-nous si vous êtes sur un marché suffisamment concurrentiel et si vos écosystèmes sont ouverts et interopérables, voire transparents pour vos utilisateurs dont vous traitez les données personnelles ?

C’est à se demander si l’Autorité de la concurrence ne devrait pas s’autosaisir pour mener une enquête sectorielle sur le marché des assistants vocaux et autres agents conversationnels, tant la concentration aux mains d’une poignée d’acteurs – principalement Google avec Google Assistant, Amazon avec Alexa ou encore Apple avec Siri – et l’enfermement des utilisateurs dans ces écosystèmes posent problème. Contacté par Edition Multimédi@, le gendarme de la concurrence nous a répondu : « Nous ne communiquons jamais sur l’existence d’éventuels dossiers à l’instruction ».

Un « oligopole puissant » (rapport CSPLA)
L’Autorité de la concurrence s’est déjà autosaisie sur la publicité en ligne « search » (2010) et « display » (2019), sur les fintechs (2021) ou encore sur le cloud (2022). Pour l’heure, c’est le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) qui s’est penché sur ce marché des assistants vocaux à travers un rapport (1) adopté lors de sa séance plénière du 16 décembre dernier. « Ce rapport n’a pas fait, à ma connaissance, l’objet d’une transmission officielle à l’Autorité de la concurrence », nous indique le conseiller d’Etat Olivier Japiot, président du CSPLA. Mais gageons que les sages de la rue de l’Echelle en ont pris connaissance.
Les trois coauteures – deux professeures et une chercheuse – Célia Zolynski (photo de gauche), professeure à l’université Paris-Panthéon Sorbonne, en collaboration avec Karine Favro (photo du milieu), professeure à l’université de Haute-Alsace, et Serena Villata (photo de droite), chercheuse au CNRS – dressent un état des lieux inquiétant au regard du droit de la concurrence et des droits des utilisateurs. Elles pointent du doigt la constitution d’un marché oligopolistique : « Concernant l’accès au marché, l’effet réseau est particulièrement développé sur le marché des assistants vocaux en ce qu’il influence les négociations entre les différents acteurs d’un marché déployé en écosystème. Les acteurs structurants occupent des positions stratégiques en la forme d’oligopole puissant mais surtout, en capacité de faire adhérer les entreprises utilisatrices à leur environnement. Ces acteurs [peuvent] filtrer les contenus, ce qui tient à la nature de moteur de résultat de l’assistant vocal ». Ce n’est pas la première fois qu’une étude considère les assistants vocaux dans une situation d’oligopole, puisque le rapport du CSPLA fait référence à l’analyse de la chercheuse russe Victoriia Noskova, à l’université technologique d’Ilmenau en Allemagne. Publié dans le European Competition Journal le 10 octobre dernier, son article – intitulé « Les assistants vocaux, les gardiens [gatekeepers, dans le texte, ndlr] de la consommation ? Comment les intermédiaires de l’information façonnent la concurrence » – démontre au moins deux choses au regard du règlement européen Digital Markets Act (DMA) : que « les assistants virtuels en tant que gatekeepers de la consommation [contrôleurs d’accès aux contenus, ndlr] devraient être énumérés dans la liste des services de base [services de plateforme essentiels, ndlr] », ce qui a été finalement pris en compte dans la liste des services de plateforme essentiels (core platform services)du DMA (2) ; que « certaines des obligations doivent être adoptées pour s’adapter aux particu-larités des assistants virtuels » (3). Amazon avec Alexa, Google avec Google Assistant ou encore Apple avec Siri ont d’ailleurs rencontré un réel succès mondial grâce à leurs enceintes connectées respectives : Echo pour Amazon, Google Home pour la filiale d’Alphabet ou encore HomePod pour Apple (4). Le CSA et l’Hadopi (devenus depuis l’Arcom) avaient aussi estimé en 2019 – dans leur rapport sur les assistants vocaux et enceintes connectées (5), réalisé en concertation avec l’Autorité de la concurrence, l’Arcep et la Cnil (et cité par le CSPLA) – que « la position d’intermédiaire des exploitants d’assistants vocaux, entre éditeurs et utilisateurs, et leur puissance leur confèrent la possibilité de capter une part importante de la valeur et d’en imposer les conditions de partage (commissions sur les ventes ou sur les recettes publicitaires, niveau de partage des données d’usages, etc.) ».

Lever les restrictions et l’autopréférence
Les trois auteures missionnées par le CSPLA ont en particulier examiné « les points névralgiques qui permettront un accès non discriminatoire et équitable au marché de manière à garantir la liberté de choix de l’utilisateur ». Elles préconisent « une démarche en trois temps » : lever les restrictions liées à « l’autopréférence » des opérateurs d’assistants vocaux qui privilégient leurs propres services ; imposer l’interopérabilité des systèmes et des applications pour assurer le pluralisme et la liberté de choix (désabonnement ou droit de sortie) ; garantir à l’utilisateur un droit d’accès aux données techniques (paramétrage) et aux siennes jusqu’à la portabilité de ses données. @

Charles de Laubier

Le chinois Huawei, qui était en force à Barcelone pour le Mobile World Congress, mise sur la France

Malgré les sanctions et interdictions aux Etats-Unis et en Europe à son encontre, le chinois Huawei Technologies a bien montré durant la grand-messe de la mobilité à Barcelone qu’il était toujours numéro un mondial des réseaux télécoms. Et il s’apprête à construire une usine en France.

« Je vous invite à vous joindre à nous au MWC 2023 à Barcelone, organisé par GSMA [association réunissant plus de 750 opérateurs mobiles dans le monde, ndlr] », écrit Eric Xu, alias Xu Zhijun, président par rotation – jusqu’au 31 mars 2023 – du géant chinois Huawei Technologies, dans un message mis en ligne (1) quelques jours avant la grand-messe internationale de la mobilité qui se tient dans la capitale de la Catalogne en Espagne. La firme de Shenzhen (2) y sera présente en force cette année sous le thème du « monde intelligent ».

Sans attendre la 6G, la « 5,5G » en vue
« Alors que nous progressons vers un monde intelligent, (…) nous aimerions travailler avec vous pour jeter les bases de la prochaine étape – la 5,5G », a esquissé Eric Xu à l’intention notamment des opérateurs mobiles. A partir d’avril, ce dernier cèdera la présidence tournante à Sabrina Meng alias Meng Wanzhou (photo) qui n’est autre que la fille (3) du PDG fondateur de Huawei, Ren Zhengfei (4). Huawei signe ainsi son grand retour en occupant de grands stands répartis dans trois halls (5) de la Fira Gran Via où se tient le Mobile World Congress du 27 février au 2 mars. Sans attendre la 6G, le chinois pourrait prendre de court ses rivaux (Samsung, Ericsson, Nokia, …) en lançant des équipements réseaux « 5,5G ». De quoi relancer la course mondiale dans le très haut débit mobile, sur fond d’intelligence artificielle, de Big Data, de cloud et d’Internet des objets (voitures connectées comprises) – sans oublier la désormais incontournable technologie verte – « Green ICT » (6).
Du côté des terminaux, celui qui fut un temps le numéro un des fabricants mondiaux de smartphones – première place qu’il avait arrachée un temps à Samsung début 2020 après avoir délogé Apple de la seconde début 2018 (7) –, compte bien regagner des parts de marché perdues à cause des mesures « anti-Huawei » prises par Donald Trump et maintenues par Joe Biden (8). La firme de Shenzhen devrait annoncer une nouvelle série de smartphones : les Huawei P60. Tandis que les Mate 60 seraient attendus plus tard dans l’année. Des fuites sur le réseau social chinois Weibo montrent que les « P60 », axés sur la très haute qualité photo avec l’ambition d’être les smartphones-photo les plus puissants au monde, vont être disponibles. Des rumeurs rapportées par le site HC Newsroom (Huawei Central) évoquent aussi la sortie du Mate X3, le smartphone pliant de Huawei (9), alors qu’un autre fabricant chinois – Honor, ex-gamme de mobiles d’entrée de gamme de Huawei avant que Ren Zhengfei ne soit contraint de céder cette activité en novembre 2020 – est attendu au MWC avec un pliable Magic V. Les P60 et Mate X3 sont dotés, depuis que Google ne fournit plus Android à Huawei, du système d’exploitation-maison HarmonyOS dans sa nouvelle version 3.1 déjà installée avec succès sur les Mate 50. Ils fonctionnent en outre sur le micro- processeur « Snapdragon 8 Gen2 » de Qualcomm (10). Bien que le gouvernement américain ait décidé en 2020 – pour des raisons de « sécurité nationale » – d’interdire à Google de fournir des licences Android à Huawei, HarmonyOS est d’ores et déjà le troisième système d’exploitation au monde pour smartphones, bien qu’encore loin d’Android et d’iOS. Huawei finalise la version 4.0, qui pourrait être prête pour la HDC de l’automne prochain (11). De son côté, l’américain Qualcomm a indiqué début février que les nouvelles restrictions de Washington à l’encontre du chinois n’impacteront pas ses livraisons à ce dernier.
En Europe, où Huawei est accueilli à bras ouverts à Barcelone, est aussi le bienvenu en France où la firme de Shenzhen va construire cette année – « courant 2023 », comme prévu (12) – sa première usine hors de Chine de fabrication d’équipe- ments télécoms, notamment pour les réseaux 5G – avec la 5,5G en vue. Elle sera située dans la région Grand-Est. « La France est très importante pour nous sur le marché européen. (…). Il n’y a pas d’autres pays capables d’être dans la même position stratégique pour Huawei que la France, en termes de savoir-faire, valeur ajoutée et écosystème », a expliqué le 15 février à l’AFP le président de la filiale française, Weiliang Shi, formé à Reims et à Shanghai.

Usine Huawei dans le Grand-Est en 2023
Huawei Technologies France fêtera d’ici la fin de l’année ses 20 ans dans l’Hexagone. Là aussi, malgré la loi française « anti-Huawei » du 1er août 2019 prise sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron au nom des « intérêts de la défense et de la sécurité nationale » (13), Huawei revendique en France 20 % de part de marché dans les réseaux télécoms. « La France a pris une décision équilibrée », s’est félicité Weiliang Shi. La firme de Shenzhen prévoit de produire dans son usine française l’équivalent de 1 milliard d’euros par an d’équipements télécoms à destination des marchés européens, avec la création « à terme » de 500 emplois direct. @

Charles de Laubier

23 mars