Rachat d’Activision par Microsoft : pourquoi la Federal Trade Commission s’y oppose toujours

Cinq mois après que la Commission européenne a autorisé – « sous conditions » d’engagements – l’acquisition d’Activision Blizzard par Microsoft, l’autorité antitrust américaine FTC a fait savoir le 13 octobre qu’elle allait continuer à s’opposer à ce big-deal de 69 milliards de dollars.

L’autorité antitrust britannique – la Competition and Markets Authority (CMA) – n’est pas superstitieuse : elle a choisi le « vendredi 13 », en l’occurrence de ce mois d’octobre 2023, pour finalement donner son feu vert à Microsoft pour acquérir Activision Blizzard, mais sans les droits de diffusion en streaming dans le cloud des jeux de ce dernier. Ainsi, les jeux vidéo d’Activision Blizzard – dont les plus populaires comme « Call of Duty », « Diablo », « World of Warcraft », ou encore « Candy Crush » – seront exclus du périmètre de la méga-acquisition pour ce qui concerne les droits de diffusion en Cloud Gaming, lesquels sont cédés au français Ubisoft.

Cloud Gaming : préserver la concurrence
« Nous sommes la seule autorité antitrust au monde à avoir obtenu ce résultat, s’est félicitée le 13 octobre Sarah Cardell (photo de gauche), directrice générale de la CMA. Avec la vente des droits de streaming cloud d’Activision à Ubisoft, nous nous sommes assurés que Microsoft ne puisse pas avoir une emprise sur ce marché important [du Cloud Gaming, ndlr] et en développement rapide. A mesure que le Cloud Gaming se développe, cette intervention permettra aux gens d’obtenir des prix plus compétitifs, de meilleurs services et plus de choix » (1). Le français Ubisoft Entertainment fera donc – à la place de Microsoft qui a présenté cette concession en août dernier – l’acquisition des droits de « Cloud streaming » d’Activision Blizzard en dehors de l’Espace économique européen (EEE), auquel n’appartient plus le Royaume-Uni depuis le Brexit (2). Et ce, pour tout le contenu PC et console d’Activision produit au cours des 15 prochaines années – à savoir jusqu’en 2038.
L’autorité de la concurrence du Cabot Square (Londres) est convaincue que « ce nouvel accord empêchera Microsoft de bloquer la concurrence sur le marché du Cloud Gaming en plein décollage, préservant des prix et des services compétitifs pour les consommateurs britanniques de jeux en nuage ». Ubisoft pourra offrir les jeux vidéo d’Activision Blizzard « sous n’importe quel modèle économique, y compris par le biais de services d’abonnement multi jeux », comme Ubisoft+ (concurrent de Xbox Game Pass ou de EA Play). Cela permettra également de garantir que les fournisseurs de jeux infonuagiques pourront utiliser des systèmes d’exploitation qui ne soient pas forcément Windows de Microsoft pour les titres d’Activision Blizzard, « ce qui réduira les coûts et augmentera l’efficacité ». Une des premières craintes de ce blockbuster deal était que Sony pouvait être la première victime collatérale de cette fusion, le japonais générant un gros chiffre d’affaires avec « Call of Duty » sur sa propre console PlayStation (3). Les revenus de Microsoft dans les jeux vidéo sont inférieurs à ceux de Sony, dont les consoles PlayStation surpassent la Xbox.
La CMA avait bloqué l’opération de concentration Microsoft-Activision le 26 avril dernier en raison des risques d’abus de la position dominante sur le marché du Cloud Gaming (4). L’autorité britannique antitrust a donc donné son feu vert le 13 octobre. « Call of Duty », « Overwatch » ou encore « World of Warcraft » ne passeront pas sous le contrôle nuagique de Microsoft. Alors que la Commission européenne avait été, elle, moins exigeante dans son autorisation sous conditions accordée le 15 mai (5).
Microsoft a pris des engagements auprès de Bruxelles pour une durée de 10 ans, soit jusqu’en mai 2033 : une licence gratuite accordée aux consommateurs de l’EEE, leur permettant de diffuser en streaming sur le service de Cloud Gaming de leur choix, tous les jeux actuels et futurs d’Activision Blizzard pour PC et pour consoles pour lesquels ils disposent d’une licence ; une licence gratuite accordée aux fournisseurs de services de streaming de jeux en nuage, afin de permettre aux joueurs basés dans l’EEE de diffuser en streaming tous les jeux d’Activision Blizzard pour PC et pour consoles. La CMA se dit « convaincue que [les auditions sur ces engagements] fournir[ont] le filet de sécurité nécessaire pour s’assurer que cet accord est mis en œuvre correctement ».

La FTC en appel : audience le 6 décembre
Dans le reste du monde, Edition Multimédi@ constate que la Chine, Taïwan, le Japon, l’Afrique du Sud et le Brésil ont aussi donné leur feu vert à Microsoft. Mais l’obstacle le plus élevé à franchir pour cette opération de concentration sera celui de la Federal Trade Commission (FTC) présidée depuis septembre 2021 par Lina Khan (photo de droite), réputée hostile aux positions dominantes des Big Tech (6). L’autorité antitrust américaine est opposée à ce big-deal – le plus gros jamais envisagé dans l’industrie mondiale du jeu vidéo – annoncé par Microsoft en janvier 2022, mais elle a jusqu’à maintenant échoué à faire bloquer par un juge fédéral l’opération qui va pouvoir a priori être menée à son terme. Sauf coup de théâtre. Car la FTC a fait appel dans le cadre de la procédure judiciaire qui suit son cours aux Etats-Unis : la prochaine audience devant une cour d’appel est prévue le 6 décembre prochain (7).

Microsoft a-t-il crié « Victoire » trop tôt ?
Le 13 octobre, à la suite de l’annonce de la décision de la CMA, la FTC a déclaré auprès de l’agence Reuters qu’elle allait continuer à examiner cette affaire à la lumière de l’accord passé avec le français Ubisoft. « Le nouvel accord de Microsoft et Activision avec Ubisoft présente une toute nouvelle facette de la fusion qui affectera les consommateurs américains, ce que la FTC évaluera dans le cadre de sa procédure administrative en cours. La FTC continue de croire que cet accord est une menace pour la concurrence », a prévenu une porte-parole « Mergers & Competition » de l’autorité antitrust américaine, Victoria Graham.
Pour Microsoft, le feu vert de l’Union européenne puis de la CMA britannique est une grande victoire sur la régulation antitrust. La firme de Redmond (Etat de Washington) compte bien faire le plein de joueurs en ligne en mettant de l’« Activision Blizzard King » (dénomination officielle depuis février 2016) dans le moteur de sa console de jeux vidéo Xbox. Son service par abonnement Game Pass, lequel a franchi pour la première fois la barre des 30 millions de souscripteurs à septembre 2023 – d’après une indiscrétion durant le procès aux Etats-Unis (8), pourrait doubler dès l’an prochain lorsque tous les jeux d’Activision Blizzard King (« ABK »). « Aujourd’hui [13 octobre 2023, ndlr] est une bonne journée pour jouer. Nous accueillons officiellement Activision Blizzard King dans l’équipe Xbox. Ensemble, nous créerons des histoires et des expériences qui rassembleront les joueurs, dans une culture permettant à chacun de faire de son mieux et de célébrer la diversité des perspectives », s’est réjoui sur X (ex-Twitter) Phil Spencer (photo ci-dessus), le Big Boos des jeux vidéo chez Microsoft (9). Phil Spencer est entré chez Microsoft Game Studios il y a 20 ans, pour devenir ensuite le responsable de la Xbox, avant d’être nommé en septembre 2017 vice-président de Microsoft Gaming. Il supervisera les activités d’« ABK », dont l’actuel PDG, Bobby Kotick, restera en poste jusqu’à fin 2023 (10). L’ex-firme de Bill Gates est de moins en moins « Windows-centric » (si l’on peut dire) et entend ainsi marquer de son empire « les jeux, le divertissement et la culture pop » (dixit Phil Spencer). Et celui-ci de rassurer la communauté des gamers, et au passage les autorités antitrust du monde entier : « Que vous jouiez sur Xbox, PlayStation, Nintendo, PC ou mobile, vous êtes les bienvenus ici – et vous le resterez, même si vous ne jouez pas votre franchise préférée sur Xbox. Parce que lorsque tout le monde joue, nous gagnons tous » (11).
Le procès antitrust en cours aux Etats-Unis a permis non seulement de dévoiler les 30 millions d’abonnés actuels au Xbox Game Pass, mais aussi de faire fuiter la « Roadmap to 2030 » de Microsoft Gaming, mise en ligne notamment le 19 septembre dernier par le site américain The Verge. Selon ce document confidentiel (12), datant cependant d’avril 2022, l’on y apprend que Microsoft vise les 100 millions d’abonnés à la fin de la décennie en cours.
La firme de Redmond prévoit aussi une nouvelle console Xbox Series X en novembre 2025 sous le nom de code « Brooklin » et dotée d’une nouvelle manette baptisée « Sebille ». Elle serait précédée en septembre 2025 de la Xbox Series X (nom de code « Ellewood ») avec elle aussi sa nouvelle manette « Sebille ». Et l’on apprend même que la 10e génération de consoles Xbox (« Gen 10 ») est programmée pour l’année 2028. Après la fuite de cette roadmap confidentielle, Phil Spencer a dû relativiser la portée de ces révélations : « Tant de choses ont changé » (13) depuis ce document établi en avril 2022. Quoi qu’il en soit, même si MicrosoftActivision est maintenant sur les rails, la FTC est décidé à empêcher cette « entente » de prospérer.

« COD » sur PSP de Sony durant 10 ans
« L’acquisition constitue une menace pour la concurrence », a insisté sa porte-parole Victoria Graham, quand bien même que Microsoft ait proposé de mettre l’une des principales franchises de jeux d’Activision, « Call of Duty », à disposition des autres consoles pendant 10 ans – notamment de la PlayStation de Sony (14). Ni le département de la justice américaine (DoJ) ni la Maison-Blanche n’ont commenté cette affaire antitrust en cours d’instruction. En 2021, la FTC avait réussi à bloquer sur le marché stratégique des semiconduc-teurs le projet d’acquisition d’ARM par le géant des puces graphiques et d’IA Nvidia, lequel avait aussitôt jeté l’éponge. C’est une issue encore possible pour la fusion « Microsoft-Activision ». @

Charles de Laubier

Le fonds d’investissement américain KKR étend son emprise sur les TMT, jusqu’en Europe

KKR, un des plus grands capital-investisseurs au monde, n’a jamais été aussi insatiable jusque dans les télécoms, les médias et les technologies. Le méga-fonds américain, où Xavier Niel est un des administrateurs, veut s’emparer du réseau de Telecom Italia. Son portefeuille est tentaculaire.

Fondé en 1976 par Jerome Kohlberg, Henry Kravis et George Roberts, KKR & Co n’en finit pas de gonfler. Le mégafonds d’investissement américain gère un portefeuille de 690 placements en capital-investissement dans des sociétés dans le monde entier, pour plus de 700 milliards de dollars au 31 décembre 2022. Au 30 juin 2023, ses actifs sous gestion (AUM (1)) et ses actifs sous gestion à honoraires (FPAUM (2)) s’élevaient respectivement à 518,5 milliards de dollars et à 419,9 milliards de dollars.

Xavier Niel, administrateur de KKR
Les deux co-présidents exécutifs du conseil d’administration de KKR sont deux des trois cofondateurs, Henry Kravis (79 ans, photo) et George Roberts (80 ans), le troisième cofondateur – Jerome Kohlberg – étant décédé (en 2015 à 90 ans). Ils sont épaulés par deux co-directeurs généraux que sont Joseph Bae et Scott Nuttall, eux aussi membres du conseil d’administration qui compte au total quatorze administrateurs (Board of Directors). Parmi eux : un seul Européen, en l’occurrence un Français : Xavier Niel depuis mars 2018, fondateur et président du conseil d’administration d’Iliad, maison mère de Free (3). La dernière opération en date engagée par KKR, en Europe justement, concerne TIM (ex-Telecom Italia).
Le 16 octobre, l’opérateur historique italien a annoncé qu’il a reçu ce jour-là « une offre ferme » pour son réseau fixe de la part de la firme new-yorkaise qui souhaite s’en emparer depuis longtemps. Le montant de cette offre n’a pas été divulgué, mais il serait bien inférieur aux 30 milliards d’euros qu’en espérait le premier actionnaire de TIM, le français Vivendi (23,75 %). Le groupe de Vincent Bolloré se dit prêt à saisir la justice (4). L’ex-Telecom Italia précise que l’offre de KKR porte sur son réseau fixe, « y compris FiberCop », filiale qui gère une partie de l’infrastructure réseau (derniers kilomètres du cuivre et une portion du réseau de fibre) et qui est déjà détenue à hauteur de 37.5 % de son capital par KKR depuis avril 2021 (5). L’offre du capital-investisseur expire le 8 novembre (6), « sous réserve de la possibilité de discuter des termes de nouvelles extensions jusqu’au 20 décembre prochain » (7). L’Etat italien, qui se dit ouvert à l’offre KKR en cours d’examen, détient 9,81 % de TIM (via la CDP) et s’attend à avoir 20 % de la société (Netco) opérant le réseau fixe convoité par KKR – selon un accord signé le 10 août entre le fonds américain et le ministère italien de l’Economie et des Finances (8). En outre, KKR a prévenu TIM qu’il allait faire « une offre ferme dans quatre à huit semaines » sur les actions détenues par l’ex-Telecom Italia dans Sparkle, sa filiale d’infrastructures optiques et de câbles-sous-marins. Selon Reuters, la valorisation combinée de Netco et de Sparkle atteindrait 23 milliards d’euros, dette comprise. Membre du conseil d’administration de KKR et président du conseil d’administration d’Iliad, la maison mère de Free étant présente en Italie depuis 2018, Xavier Niel suit ces grandes manœuvres de très près. Après avoir échoué en 2022 à s’emparer de la filiale italienne de Vodafone, il s’était positionné fin 2022 pour tenter d’acquérir des actifs de TIM (9).Toujours dans les télécoms en Europe, KKR avait investi en 2006 dans l’opérateur danois TDC via le consortium NTC et en est complètement sorti en septembre 2013, en empochant une belle plus-value. En marge des télécoms européennes, cette fois dans le cloud, KKR – associé avec TowerBrook (fonds de George Soros) – a investi en 2016 dans le français OVH pour un total de 250 millions d’euros. Dans le logiciel aussi, KKR a investi en 2021 dans l’éditeur Körber, spécialisé dans la supply chain (10).
Dans l’édition en Europe, le capital investisseur new-yorkais s’est intéressé en 2018 à Editis en faisant une offre de rachat sur le groupe espagnol Planeta qui détenait encore à l’époque le deuxième groupe français d’édition. Passé fin 2018 dans les mains de Vivendi (Bolloré), Editis avait été mis en vente en 2022. Xavier Niel faisait partie des prétendants au rachat, mais son offre faite avec un fonds non divulgué – probablement KKR – avait été jugée insuffisante par Vivendi qui a finalement cédé Editis au tchèque Daniel Kretinsky.

Simon & Schuster, Singtel, FGS Global, …
Parmi les nombreuses autres sociétés présentes dans le portefeuille multimilliardaire de KKR, citons sa dernière grosse acquisition aux Etats-Unis de la maison d’édition Simon & Schuster, cédée par Paramount en août pour plus de 1,6 milliard de dollars (11). Retour aux télécoms, mais cette fois à Singapour : KKR a injecté en septembre 800 millions de dollars dans Singtel Digital InfraCo, la filiale infrastructures réseaux de l’opérateur Singtel (12). Ou encore dans les relations publiques, KKR a investi 1,4 milliard de dollars en avril 2023 pour prendre 30 % de FGS Global (13), filiale du géant de la publicité WPP. @

Charles de Laubier

Commission européenne : Margrethe Vestager part

En fait. Le 20 juillet, cela a fait un mois que Margrethe Vestager, la commissaire européenne chargée de la concurrence depuis 2014 ainsi que du numérique depuis 2019, a annoncé sa candidature à la présidence de la Banque européenne d’investissement (BEI), laquelle dévoilera les candidats en août.

En clair. Pour la Commission « von der Leyen », c’est le début de la fin. Son mandat a débuté en décembre 2019, succédant à la Commission « Juncker » (1), et se terminera en novembre 2024. Margrethe Vestager, troisième vice-présidente de la Commission européenne « pour une Europe préparée à l’ère numérique » et en charge de la concurrence depuis novembre 2014, a lancé le compte à rebours.
Cela fait un mois qu’un mercato se prépare à Bruxelles, depuis que la Danoise (55 ans) a annoncé le 20 juin qu’elle se portait candidate à la présidence de la BEI. « Je suis heureuse que le gouvernement danois ait proposé mon nom comme candidate possible au poste de président de la Banque européenne d’investissement », a-t-elle déclaré. Le conseil d’administration de la BEI fera connaître en août la liste des candidats à sa présidence, et Margrethe Vestager devra officiellement quitter ses fonctions et se mettre en congé sans solde, d’après Euractiv. La dame « antitrust » de Bruxelles aura marqué pendant près de dix ans l’exécutif européen en tenant tête aux GAFAM, en infligeant notamment des amendes records. Google a ainsi écopé de trois sanctions financières de la part de la Commission européenne, entre 2017 et 2019 pour un total de plus de 8 milliards d’euros (2). Dernier grief en date envers de la filiale d’Alphabet : le 14 juin dernier, la Commission européenne l’accuse d’abuser, depuis au moins 2014, de ses positions dominantes dans la publicité en ligne (3). Margrethe Vestager a même brandi la menace du démantèlement (4). Apple est aussi dans le collimateur. Amazon et Facebook, eux, ont été épinglés pour violation du RGPD. Margrethe Vestager va passer le flambeau de la puissante direction générale de la concurrence (DG COMP) que dirige Olivier Guersent. D’après des spéculations, le Français Thierry Breton ne serait pas candidat à la succession de Margrethe Vestager mais se verrait bien à la concurrence lors du prochain mandat 2024-2029 de la Commission européenne. Ce jeu de chaises musicales s’annonce au moment où Bruxelles est au coeur d’une polémique autour de la nomination de l’Américaine Fiona Scott Morton comme économiste en chef de la DG COMP justement. Ce devait être à partir du 1er septembre (5).
Margrethe Vestager a été auditionnée au Parlement européen le 18 juillet, annonçant « avec regret » le désistement de la professeure d’économie qui officie à la Yale SOM. @

Nicolas Guérin, stratège discret mais très influent au sein de la filière télécoms et au coeur de l’Etat

Probablement l’homme le plus influent des télécoms en France. Nicolas Guérin fête ses 25 ans chez Orange, dont il est secrétaire général depuis 5 ans. Il conseille depuis 2020 le gouvernement en tant que président du Comité stratégique de filière « Infrastructures numériques ».

En plus de sa fonction stratégique de secrétaire général d’Orange depuis mars 2018, et à ce titre l’un des treize membres du comité exécutif (le « comex »), Nicolas Guérin (photo) est depuis l’automne 2020 président du Comité stratégique de filière « Infrastructures numériques » (CSF-IN). Il s’agit de l’une des dix-neuf filières représentées au sein du Conseil national de l’industrie (CNI), lequel est présidé par la Première ministre, Elisabeth Borne. Nicolas Guérin est en outre très impliqué au sein de la Fédération nationale des télécoms (FFTélécoms), qu’il présidera à nouveau le 3 juillet prochain. Nicolas Guérin (55 ans le 19 août prochain) est la personnalité la plus influente des télécoms en France, dont il a vécu la libéralisation depuis le début, il y a… un quart de siècle. C’est le 5 janvier 1998, après un passage chez TDR, opérateur de la radiomessagerie Tam Tam et filiale de SFR (où il avait fait un premier stage), qu’il entre chez France Télécom, soit au cinquième jour de l’ouverture du marché français des télécoms à la concurrence et au moment où l’ancien monopole public des télécoms devient une société anonyme. Il y rentre en tant que juriste chargé justement de la concurrence et de la réglementation.

Il a vu passer quatre présidents d’Orange
L’Etat, unique actionnaire à l’époque avant de se retrouver minoritaire, détient encore aujourd’hui 22,95 % du capital et 29,25 % des droits de vote (1). Nicolas Guérin s’est ensuite rendu indispensable pour la stratégie et le lobbying d’Orange – la dénomination sociale depuis dix ans (2). Il verra défiler à la présidence du groupe Michel Bon, Thierry Breton, Didier Lombard et Stéphane Richard, avant de se retrouver il y a plus d’un an aux côtés du duo formé par Christel Heydemann (directrice générale) et Jacques Aschenbroich (président). Après avoir été promu il y a vingt ans directeur juridique « concurrence et réglementation » d’Orange, dont il devient le directeur juridique et « secrétaire du conseil d’administration », Nicolas Guérin est secrétaire général du groupe Orange depuis plus de cinq ans. Le rapport d’activité 2022 publié le 30 mars le mentionne toujours bien ainsi dans le « comité exécutif à compter du 3 avril 2023 », lequel a évolué « pour accompagner les évolutions liées au nouveau plan stratégique [« Lead the future« ]» présenté le 16 février par Christel Heydemann. Mais Continuer la lecture

Les engagements de Microsoft pris pour obtenir le feu vert de l’Europe sur son rachat d’Activision

« Notre décision constitue un pas important […], en mettant les jeux populaires d’Activision à la disposition de bien plus d’appareils et de consommateurs qu’auparavant grâce au streaming de jeux en nuage [cloud game streaming, ou Cloud Gaming, ndlr]. Les engagements proposés par Microsoft permettront pour la première fois la diffusion en streaming de ces jeux par n’importe quel service de streaming de jeux en nuage, ce qui renforcera la concurrence et les possibilités de croissance », a assuré le 15 mai Margrethe Vestager (photo), vice-présidente exécutive chargée de la politique de concurrence.

Les engagements de Microsoft sur 10 ans
La firme de Redmond (Etat de Washington), qui veut s’emparer de l’éditeur de jeux vidéo Activision Blizzard (basé à Santa Monica en Californie) pour 68,7 milliards de dollars comme elle l’avait annoncé en janvier 2022 (1), a pris auprès de la Commission européenne des engagements pour une durée de 10 ans, soit jusqu’en mai 2033 :
une licence gratuite accordée aux consommateurs de l’Espace économique européen (EEE), à savoir les Vingtsept de l’Union européenne (UE) et trois autres Etats (Islande, Norvège et Liechtenstein), leur permettant de diffuser en streaming, en utilisant le service de streaming de jeux en nuage (Cloud Gaming) de leur choix, tous les jeux actuels et futurs d’Activision Blizzard pour PC et pour consoles pour lesquels ils disposent d’une licence ;
une licence gratuite accordée aux fournisseurs de services de streaming de jeux en nuage, afin de permettre aux joueurs basés dans l’EEE de diffuser en streaming tous les jeux d’Activision Blizzard pour PC et pour consoles.
« Aujourd’hui, explique la Commission européenne, Activision Blizzard ne concède pas de licence sur ses jeux aux services de streaming de jeux en nuage, et elle ne les diffuse pas non plus elle-même en streaming. Ces licences garantiront que les joueurs qui ont acheté un ou plusieurs jeux d’Activision dans une boutique pour PC ou pour consoles, ou qui ont souscrit à un service d’abonnement multi-jeux incluant des jeux d’Activision, auront le droit de diffuser ces jeux en utilisant le service de streaming de jeux en nuage de leur choix et de jouer sur tout appareil, peu importe le système d’exploitation utilisé. Les mesures correctives garantissent également que les jeux d’Activision disponibles pour le streaming auront la même qualité et le même contenu que les jeux disponibles en téléchargement traditionnel ». Résultat, les jeux d’Activision seront mis à la disposition de nouvelles plateformes de Cloud Gaming et en les rendant accessibles à plus de terminaux et consoles qu’auparavant. Ainsi, des millions de consommateurs de l’EEE pourront diffuser en streaming les jeux d’Activision en utilisant n’importe quel service de jeux en nuage dans l’EEE, et à condition que ces jeux soient achetés sur une boutique en ligne ou soient inclus dans un abonnement multi-jeux actif dans l’EEE. Ces engagements ne concernent pas ni le Royaume-Unis, qui s’est retiré de l’UE le 31 janvier 2020, ni les Etats-Unis où une procédure antitrust est toujours en cours, notamment de la part de la FTC (Federal Trade Commission). Dans ces deux pays, l’opération est toujours contestée, nous le verrons. Alors que la date limite contractuelle pour que cette mégafusion puisse se faire est le 18 juillet 2023.
La Commission européenne dit avoir recueilli les avis d’un grand nombre d’acteurs du marché et de parties prenantes. « En particulier, a-t-elle indiqué, les fournisseurs de services de streaming de jeux en nuage ont fait part de leurs réactions positives et ont manifesté leur intérêt pour les licences. Certains de ces fournisseurs [notamment Nintendo et Nvidia, ndlr] ont déjà conclu des accords bilatéraux avec Microsoft sur la base des licences proposées pour diffuser en streaming les jeux d’Activision une fois l’opération effectuée ». L’autorité antitrust précise en outre que sa décision est subordonnée au respect intégral des engagements contractés et qu’un mandataire indépendant – sous sa supervision –sera chargé de contrôler leur mise en œuvre.

Les craintes initiales d’une telle fusion
Si tout est respecté pendant les dix ans à venir, Bruxelles assure que l’acquisition envisagée et modifiée par les engagements de Microsoft ne poserait plus de problèmes de concurrence et apporterait même d’importants avantages – « considérables », est-il même affirmé – pour la concurrence et les consommateurs. Dans son enquête préliminaire lancée au cours de l’année 2022, la Commission européenne craignait notamment qu’en acquérant Activision Blizzard, Microsoft puisse verrouiller l’accès aux jeux vidéo d’Activision Blizzard pour consoles et ordinateurs, notamment à des jeux emblématiques à succès tels que « Call of Duty ». Puis, lancée en novembre 2022, l’enquête approfondie a montré que Microsoft ne serait pas en mesure de porter préjudice aux consoles concurrentes et aux services concurrents d’abonnement multi-jeux, mais que Microsoft pourrait nuire à la concurrence dans la distribution de jeux par les services de Cloud Gaming, tout en renforçant sa position sur le marché des systèmes d’exploitation pour ordinateur de type PC.

La concurrence et le cas de Sony (PS)
Concrètement, Bruxelles fait cinq principaux constats concernant la concurrence face à cette fusion :
Microsoft n’aurait aucun intérêt à refuser de distribuer les jeux d’Activision à Sony, qui est le principal distributeur mondial de jeux pour consoles, y compris dans l’EEE, où pour chaque console Microsoft Xbox achetée, ce sont quatre consoles PlayStation (PS) de Sony qui sont achetées par les joueurs. En effet, Microsoft aurait fortement intérêt à distribuer les jeux d’Activision sur une console aussi populaire que la PS de Sony (2).
Même si Microsoft décidait de retirer les jeux d’Activision de la PlayStation, cela ne porterait pas de préjudice grave à la concurrence sur le marché des consoles. Bien que « Call of Duty » attire de nombreux joueurs sur consoles, ce jeu est moins populaire dans l’EEE que dans d’autres régions du monde et, parmi les jeux du même genre, il est moins populaire dans l’EEE que sur d’autres marchés. En conséquence, même sans être en mesure de proposer ce jeu spécifique, Sony pourrait tirer parti de sa taille, de son catalogue de jeux étoffé et de sa position sur le marché pour contrer toute tentative d’affaiblissement de sa position concurrentielle.
Même sans l’opération de fusion Microsoft-Activision, Activision n’aurait pas mis ses jeux à la disposition des services d’abonnement multi-jeux, étant donné que cela cannibaliserait les ventes de jeux individuels. En conséquence, la situation des fournisseurs tiers de services d’abonnement multi-jeux n’évoluerait pas après l’acquisition d’Activision par Microsoft.
L’acquisition nuirait à la concurrence sur le marché de la distribution des jeux pour PC et pour consoles par les services de streaming de jeux en nuage, un segment de marché innovant qui pourrait transformer la manière dont de nombreux joueurs jouent aux jeux vidéo. Malgré son potentiel, le Cloud Gaming est aujourd’hui très limité. La popularité des jeux d’Activision pouvait favoriser sa croissance. Au contraire, si Microsoft limitait exclusivement les jeux d’Activision à son propre service de streaming de jeux en nuage, Game Pass Ultimate, et ne les rendait pas accessibles aux fournisseurs concurrents de streaming de jeux en nuage, cela réduirait la concurrence sur le marché de la distribution de jeux par le streaming en nuage.
Si Microsoft limitait les jeux d’Activision exclusivement à son propre service de streaming de jeux en nuage, cela pourrait aussi renforcer la position de Windows sur le marché des systèmes d’exploitation pour PC. Cela pourrait être le cas si Microsoft entravait ou dégradait le streaming des jeux d’Activision sur les PC utilisant d’autres OS que Windows.
Si le groupe Microsoft a gagné une bataille en remportant le feu vert de la Commission européenne, ainsi que d’autre pays dans le monde tels que l’Arabie saoudite, le Brésil, la Serbie, le Chili, le Japon, l’Afrique du Sud et l’Ukraine, il n’est pas au bout de ses peines ailleurs. Le 27 avril dernier, l’autorité de la concurrence britannique – la Competition and Markets Authority (CMA) – a décidé d’interdire l’achat d’Activision par Microsoft malgré les solutions proposé par l’acquéreur (3). « L’accord changerait l’avenir du marché du Cloud Gaming en croissance rapide, ce qui réduirait l’innovation et le choix pour les joueurs britanniques au cours des années à venir », a justifié la CMA. Et pour Martin Coleman, président du groupe d’experts indépendant chargé de l’enquête britannique, a conclu : « Microsoft jouit déjà d’une position puissante et d’une longueur d’avance sur d’autres concurrents dans le Cloud Gaming et cet accord renforcerait cet avantage en lui donnant la capacité de saper les concurrents nouveaux et innovants » (4).

La FTC va auditionner en août
La Federal Trade Commission (FTC), qui est présidée depuis septembre 2021 par la redoutée Lina Khan (photo ci-dessus), réputée plutôt hostile aux positions dominantes des Big Tech (5), a programmé une audition pour le 2 août 2023, soit après la date limite contractuelle du 18 juillet. Cette autorité antitrust américaine a déjà donné le ton le 8 décembre 2022 saisissant la justice pour « bloquer l’acquisition d’Activision Blizzard ». Dans sa plainte, la FTC pointe le fait que Microsoft s’est déjà emparé de ZeniMax, société mère de Bethesda Softworks, et fait de plusieurs de ses titres – dont « Starfield » et « Redfall » – « des exclusives malgré les assurances qu’il avait donné aux autorités antitrust européennes » (6). Pas sûr que la mégafusion soit bouclée d’ici fin 2023. Peut-être 2024 ou bien peutêtre… jamais. @

Charles de Laubier