Opérateurs télécoms et chaînes de télé : trop de concurrence pour les « historiques » ?

Retour sur le DigiWorld Summit des 14-15 novembre : France Télécom et SFR ont regretté qu’il y ait, selon eux, trop d’opérateurs sur l’Hexagone, des prix trop bas et des OTT du Net envahissants. Les chaînes TV historiques, bien que quasi absentes à Montpellier, sont sur la même longueur d’ondes.

Paradoxe : alors que les consommateurs y trouvent leur compte depuis la libéralisation
de ces deux grands marchés (offres concurrentielles, prix attractifs, contenus abondants, …), les opérateurs télécoms et les chaînes de télévision historiques, eux, se plaignent au contraire de cette concurrence accusée d’être à l’origine du recul de leurs revenus traditionnels – rentes de situation, diront certains – et de l’érosion de leurs marges.

Trop d’opérateurs et de chaînes ?
« Le nombre d’opérateurs télécoms en France est trop élevé », a lancé Stéphane Roussel, PDG du groupe SFR, le 15 novembre au DigiWorld Summit de Montpellier (1). Cet « handicap », selon lui, se retrouve aussi à l’échelon européen : « Il y a plus de 80 opérateurs télécoms en Europe. Alors qu’aux Etats-Unis, ils sont 5 maximum ! ». Même son de cloche avec Stéphane Richard, PDG de France Télécom, intervenant le même jour : « Il y a fragmentation du marché européen : près de 100 opérateurs télécoms. L’Europe des télécoms est une exception dans le monde ». A combien la France devrait alors ramener le nombre de ses opérateurs télécoms ? Stéphane Roussel a répondu à Edition Multimédi@ : « A un seul, SFR ! [rires dans l’amphi]… A deux ou trois… Je ne
dis pas que le quatrième opérateur [Free] n’est pas le bienvenu… Le premier [France Télécom] et le dernier [Free] ne sont pas les plus menacés ». Faut-il que le second, SFR, et le troisième, Bouygues Telecom ou Numericable, fusionnent ? « Tout le monde discute avec tout le monde… ». Stéphane Richard pense lui aussi que la concentration du marché serait un remède à ce « trop de concurrence ». « La Commission européenne bloque les consolidations, alors qu’Orange en Autriche est prêt à être racheté par Hutchison. (…) C’est la poursuite têtue d’une régulation tournée en faveur du consommateur », a grogné le PDG de France Télécom (2). Son premier concurrent historique, SFR, ne dit pas autre chose : « En Europe, on est loin du compte », a déploré Stéphane Roussel.
Cette défiance des acteurs historiques se retrouve aussi chez les chaînes de télévision qui ont prospéré avant l’arrivée des nouvelles chaînes via la TNT, l’ADSL, le câble ou le satellite. En France, TF1, M6 et Canal+ et France Télévisions n’ont pas vu d’un très bon oeil cette libéralisation du paysage audiovisuel français (PAF) qui aboutit aujourd’hui à 235 chaînes au total (3). Quasi absentes au DigiWorld Summit, les chaînes de télévision historiques profitent d’autres tribunes – comme les colloques de NPA Conseil – pour se plaindre de ce soidisant trop-plein de concurrence audiovisuelle et de la fragmentation de leur audience (4). C’est ainsi que le 6 novembre le président du groupe TF1, Nonce Paolini, a lancé : « Pendant que le bateau prend l’eau, l’orchestre joue », laissant entendre que les 6 nouvelles chaînes de la TNT allaient tirer le PAF vers le fond… Il a en outre fait référence au secteur de la téléphonie mobile déjà touché par la crise, « espérant que l’audiovisuel ne serait pas le prochain secteur impacté ». Nicolas de Tavernost, président du groupe M6, lequel est à l’audiovisuel ce qu’est SFR aux télécoms, ne cesse de tirer la sonnette d’alarme sur « l’augmentation du nombre de chaînes sur un marché publicitaire en baisse ».
Chaînes et opérateurs historiques ont ainsi des inquiétudes similaires. Leurs revenus traditionnels reculent. Et au-delà de leur concurrents immédiats se profile une deuxième concurrence, commune celle-là : les fameux OTT (Over The Top), alias les « GooTube » (Google + YouTube) , Netflix, Amazon et autres Apple. Là aussi, les acteurs du Net et de la VOD font le bonheur des consommateurs mais pas celui des chaînes ni des opérateurs historiques qui redoutent leur « dés-intermédiation ». S’ils ont tant de points communs, pourquoi ne convergent- ils pas ? « L’intégration verticale [réseau+audiovisuel] est un modèle dont la pertinence reste à démontrer. Aux Etats-Unis, Comcast est bien un groupe intégré mais cela s’explique d’abord par le quasi-monopole qu’il détient sur les zones où il est présent », répond Gilles Fontaine, DG adjoint de l’Idate, à EM@.

Les OTT : une chance historique
Et si les télécoms et l’audiovisuel faisaient fausse route en stigmatisant les acteurs du Net ? « Je récuse plutôt la vision que les acteurs de l’OTT sont un danger pour les historiques des télécoms et de la télévision, poursuit-il. Les telcos et les chaînes devraient intégrer l’Internet plutôt que s’y opposer un peu vainement ». Amazon/Lovefilm ou Google/YouTube sont peut-être, selon lui, moins à terme des concurrents que de nouvelles plateformes de distribution pour les groupes audiovisuels et de nouveaux contenus valorisant l’accès pour les opérateurs de réseaux. @

Charles de Laubier

Musique en ligne : vers une autorité de régulation et une chronologie des médias ?

Président de la commission musique du Geste depuis 2000 et coorganisateur
des Rencontres Radio 2.0 qui se sont tenues à l’INA le 18 octobre, Xavier Filliol a demandé – devant la mission Lescure le 16 octobre – des mesures en faveur des plates-formes de musique en ligne face aux producteurs.

Les plates-formes de musiques en ligne se sont fait entendre auprès de la mission Lescure, grâce à Xavier Filliol (photo), président de la commission musique du Groupement des éditeurs de contenus et services en ligne (Geste) et par ailleurs trésorier du Syndicat des éditeurs de musique de services en ligne (ESML).

Une autorité pour régler les différends
« Il serait important d’avoir des instruments de confiance pour nous permettre d’avancer et pour faire l’arbitrage [en cas de différend] sur les tarifs [entre les plates-formes de musique en ligne et les détenteurs de catalogue de titres musicaux]. Cet instrument nous manque vis-à-vis non seulement des ayants droits mais aussi des acteurs étrangers », a plaidé Xavier Filliol devant Pierre Lescure (1), lors de l’audition du Geste.
« Comme on nous dit que c’est un marché émergent, rien n’est fait. Je pense que
c’est faux. (…) C’est un vrai chantier car il faut définir un marché concurrentiel avec
les autorités de la concurrence », a-t-il insisté. Et d’ajouter : « Est-ce que le CSPLA
(2) pourrait s’en charger ? ». Un des membres de la mission Lescure, se demandant
si c’était vraiment le rôle du CSPLA, lui a demandé à qui devrait incomber ce rôle de régulateur de musique en ligne : « Une autorité de la concurrence ? Une Hadopi revisitée ? ». Réponse de Xavier Filliol : « Je serais plus tenté par la DGCCRF (3)…, laquelle, d’ailleurs, a été par le passé extrêmement sensible au fait qu’en 2003 les producteurs [de musiques enregistrées] ne voulaient pas licencier leurs catalogues. Une enquête interne fut alors lancée, de façon discrète. Personne n’est au courant
de cette affaire ; je me permets de la révéler aujourd’hui. La DGCCRF, qui siégeait
au CSPLA fut atterrée par ce refus de vente, elle a été remarquable. Ce qui a permis
de déverrouiller les choses ». En effet, un rapport de février 2004 – commandé par Jean-Ludovic Silicani, le président du CSPLA de l’époque, à deux universitaires, Sirinelli et Vogel – a bien constaté les « tensions » entre producteurs et distributeurs-diffuseurs (4).
Xavier Filliol a en outre fustigé que 80 % à 90 % des recettes des ventes en ligne tombent dans l’escarcelle des producteurs de musique, alors que ceux-ci n’assument pas sur Internet la distribution, la revente et la diffusion. « Nous sommes dans une relation directe producteurs de musiques-plates-formes en ligne, sans étapes intermédiaires, l’éditeur du service en ligne assurant la revente-distribution moyennant seulement 10 % à 20 % des recettes. Cela n’est pas juste et ne lui permet pas d’investir ni de vivre », a-t-il expliqué.
Et de rappeler qu’une dizaine de éditeurs de services en ligne musicaux ont disparu
en cinq ans (Jiwa, AlloMusic, …), lorsqu’ils ne sont pas sous procédure de sauvegarde comme MusicMe. Même Deezer, qui cache la forêt aujourd’hui, a failli disparaître à ses débuts et plus récemment a frôlé l’échec dans sa renégociation avec Orange sur l’offre d’abonnement au streaming… « Pendant ce temps-là, la part de marché d’Apple avec iTunes est passée en cinq ans de 40 % à 80 % ! », a-t-il souligné.
Autre inquiétude l’arrivée à échéance au 31 décembre de la charte des 13 engagements « Hoog » pris par les producteurs (majors en tête) vis-à-vis des éditeurs de musique en ligne pour assouplir les négociations d’avances et de minima garantis jusqu’alors jugés « exorbitants » (lire EM@25, p. 7). « Cette charte nous protège mais après ? Les ayants droits nous menacent déjà en disant que le temps est compté », dénonce Xavier Filliol. Il y a urgence. « Il faut élargir la charte des 13 engagements au publishing [les gestionnaires de catalogues et des redevances, ndlr] et aux auteurs. Comme la Sacem a perdu la gestion des quatre catalogues internationaux [des majors Universal Music, EMI, Sony Music et Warner Music, ndlr], on ne peut plus faire d’offres légales sans avoir à négocier avec des guichets à l’étranger (5) avec des redevances doubles », explique-t-il, en indiquant que l’ESML (6) a déjà rédigé des projets d’articles du Code de la propriété intellectuelle afin d’« aller au-delà de la charte ».

Des fonds de catalogues à moindre coût
Last but not least : l’idée avancée par Pierre Lescure sur Le Mouv’ le 31 août dernier de
« back catalogue à moindre coût » que Xavier Filliol estime comme « une vraie bonne
idée » mais « est-ce que l’on doit pour autant imposer une chronologie des médias dans la musique ? », s’interroge-t-il avant de répondre : « Pas sûr que nous en ayons très envie… Mais pourquoi pas une charte élargie qui dirait qu’au-delà de tant de temps [sur le modèle des fenêtres de diffusion du cinéma, ndlr], on pourrait diffuser un catalogue ». @

Charles de Laubier

Universal Music-EMI : « super major » du numérique

En fait. Le 21 septembre, la Commission européenne a autorisé l’acquisition
des activités d’éditions musicales d’EMI par Universal Music « sous certaines conditions ». Au-delà de la cession d’actifs, la filiale de Vivendi s’est engagée
à faciliter d’octroi de licences aux plates-formes de musique en ligne.

Les opérateurs télécoms veulent une meilleure rémunération pour le trafic Internet

Les opérateurs historiques, font du lobbying au niveau mondial – via leur association ETNO – pour que les échanges de trafic Internet soient mieux rémunérés. Mais une « terminaison data » semble impossible, tant qu’il n’existe
pas de levier réglementaire au niveau européen.