La chronologie des médias est l’art du très difficile compromis sur fond de négociations perpétuelles

Proposés par le CNC, les deux avenants à l’actuelle chronologie des médias devraient être bientôt signés par les professionnels du cinéma, de la télévision et des plateformes vidéo. Le recours à des expérimentations fait avancer les négociations qui continueront au-delà de l’accord.

Par Anne-Marie Pecoraro, avocate associée, et Rodolphe Boissau, consultant, UGGC Avocats

Février 2023 marque un renouveau dans le droit de l’audiovisuel. Alors que le nouveau règlement général des aides financières du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) est entré en vigueur le 1er février dernier (1), c’est au tour de la chronologie des médias d’être visée par deux avant-projets d’avenants du CNC (2), pour lesquels une signature par les parties prenantes était espérée en février. Olivier Schrameck, ancien président du CSA (3) et conseiller d’Etat, s’est en outre vu confier début février une « mission de consultation juridique » par la SACD sur les fondements de la chronologie des médias.

Expérimentations et diminution des délais
Chef d’orchestre évitant la cacophonie d’une œuvre qui serait disponible sur tout support, la chronologie des médias vient rythmer le cycle d’exploitation d’une œuvre, clef de voûte d’une architecture particulière. Du grec kinema, le cinéma signifie le « mouvement » et du mouvement il y en a eu ces derniers temps dans le paysage audiovisuel français, avec l’arrivée de nouveaux acteurs et, donc, de nouvelles problématiques auxquelles la chronologie des médias tente de s’adapter au mieux afin de résister à l’épreuve du temps.
En effet, les plateformes de SVOD, Disney+ en fer de lance, se trouvent actuellement confrontées à un délai d’attente de 15 voire 17 mois afin de pouvoir exploiter une œuvre, et ce pour une durée de 7 à 5 mois seulement, puisqu’elles se voient contraintes de retirer l’œuvre de leur offre à l’ouverture de la fenêtre en exclusivité de la télévision en clair, ne pouvant dès lors plus exploiter l’œuvre pendant 14 mois. Pour répondre à ces difficultés, le CNC a choisi d’emprunter la voie de l’expérimentation, voie à laquelle l’audiovisuel fait la part belle. L’expérimentation constitue un outil de négociation, qui permet l’adoption plus facile d’une disposition dont les parties savent qu’elle est temporaire et réversible. Ainsi, les deux nouveaux avant-projets d’avenants réaménageant la chronologie des médias, proposés par le CNC fin janvier dernier, sont composés exclusivement d’expérimentations (4). En effet, comme l’a révélé Contexte (5), le CNC a dû revoir sa copie à la suite des contestations de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) et de Canal+. Et ce, après une première rédaction des deux avant-projets sur la base de propositions du Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (Sévad), des chaînes gratuites et des services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) payants (SVOD, VOD par abonnement). C’est à l’œuvre que l’on reconnaît l’artisan (6) : si les plateformes de TVOD (vidéo à la demande payante à l’acte) et SVOD gagnent un peu de terrain, celui-ci reste occupé par les salles et chaînes payantes de cinéma (7). Le premier projet émis par le CNC prévoit la création d’une fenêtre dite « premium » de téléchargement définitif (exploitation en TVOD) à l’expiration d’un délai dérogatoire de 3 mois après la date de sortie en salles, moyennant un prix plus élevé pour le consommateur. Le second projet émis par le CNC prévoit des expérimentations dans le cadre d’un accord de co-exploitation entre les plateformes de SVOD et les chaînes gratuites de télévision. L’expérimentation-phare consiste à prolonger de 2 mois la fenêtre d’exploitation en SVOD d’une œuvre produite en interne par des éditeurs de SMAd par abonnement (plateforme SVOD), avec un budget de plus de 25 millions d’euros et non préfinancée par un service de télévision en clair. Ceci répond aux critiques de plateformes comme Disney, à l’encontre de leur fenêtre trop courte. En contrepartie, les chaînes gratuites bénéficieront d’une fenêtre étanche de deux mois après la première diffusion de l’œuvre sur leur canal (8).
Ces expérimentations s’ajoutent à la longue liste des exceptions aux délais de principe, essence même de la chronologie des médias et marqueur topique de son origine négociée. Enfin, ces expérimentations sont prévues pour une durée de deux années qui suivent la date de signature des avenants, à la suite de quoi les parties prenantes devront décider de leur reconduction ou de leur modification.

Chronologie des médias, une histoire sans fin
Terreau d’expérimentations nouvelles, la chronologie des médias est le fruit de négociations perpétuelles. La règlementation est tenue de rattraper et de s’adapter à l’évolution des modes de consommation des œuvres, chaque nouveau mode bouleversant l’économie existante. Certes, le cinéma n’a pas dit son dernier mot, avec plus de 10 millions d’entrées pour le second volet d’« Avatar, la voie de l’eau ». Mais l’exigence pressante des consommateurs d’accéder rapidement à l’œuvre, catalysée par l’arrivée des plateformes et le piratage, appellent périodiquement des refontes de la chronologie des médias. Les plateformes – Netflix et Disney+ en tête – ont su rappeler qu’elles étaient en capacité de passer outre la chronologie par la voie du e-cinéma, qui consiste à sortir un film uniquement sur les plateformes, et non en salles (9), Disney se prévalant de représenter un quart des recettes des salles françaises par an.

« Chronologie chronophage » pour le CNC
Aussi, la diminution de moitié des délais d’attente pour l’exploitation d’une œuvre sur une plateforme SVOD est une des modifications notoires apportées par l’arrêté du 4 février 2022 portant extension de l’accord interprofessionnel pour le réaménagement de la chronologie des médias conclu le 24 janvier de la même année (10). Schématiquement, la version entrée en vigueur l’année dernière prévoit que les exploitants de salles de cinéma disposent d’un délai de 4 mois à compter de la date de sortie nationale pour exploiter l’œuvre cinématographique. Ensuite et sauf exception, cette exploitation s’organise actuellement, à compter de la date de sortie en salles de cinéma, à l’expiration des délais suivants (11) : 4 mois pour une exploitation sous forme de vidéogramme destiné à la vente ou à la location (DVD et Blu-ray) et TVOD ; 8 mois pour une exploitation sur les chaînes payantes de cinéma (type Canal+) ; 17 mois (Disney+) pour une exploitation sur les SMAd » ou 15 mois si un accord a été conclu (Netflix) ; 22 mois pour une exploitation sur les chaînes de télévision en clair, gratuites (type TF1, M6) et les chaînes payantes autres que de cinéma ; 30 mois pour une exploitation en SVOD avec accord d’obligation investissement ; 36 mois pour une exploitation en SVOD sans accord d’obligation investissement ainsi que pour un SMAd gratuit (type YouTube).
Du latin chronologia d’après le grec ancien kronos et logia, la chronologie est composée du temps et de la parole. Or depuis 2009, l’élaboration de la chronologie des médias sous l’égide du CNC est véritablement un temps de parole avec une place de choix faite à la négociation interprofessionnelle. Celle-ci va aboutir à un accord professionnel, rendu obligatoire par la procédure de l’arrêté d’extension, devenue courante en matière audiovisuelle. Ce renvoi substantiel aux accords professionnels est conforme aux dispositions de la directive européenne « Exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle » du 11 décembre 2007 et aux accords dits « de l’Elysée » (12) du 23 novembre 2007.
Ainsi, dans le processus d’élaboration de la chronologie des médias, les parties prenantes ne participent pas à course contre la montre, à la poursuite de la période d’exploitation la plus proche de la date de sortie en salles de l’œuvre, mais bien à une course de relais, dans laquelle les différents professionnels vont transiger sous les yeux de l’arbitre CNC. Comme le relève l’avis présenté le 17 novembre 2022 par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2023, la chronologie des médias – bien que « chronophage » pour le CNC – souligne « l’interdépendance des différentes parties » (13). Cette interdépendance va permettre de remplir les objectifs de la chronologie des médias qui sont de deux ordres. D’une part, il faut préserver la primauté de la salle de cinéma, considérée comme un lieu d’exposition essentiel d’un point de vue esthétique, social et économique. D’autre part, il faut stimuler le financement et le rayonnement de l’œuvre en additionnant les revenus.
Le critère pris en compte pour cette deuxième finalité est le mode de réception des œuvres par le public, complété par la notion de large public. L’on voit ici poindre les acteurs majoritaires, le cinéma d’abord, les chaînes de télévision et les plateformes ensuite. Leur interdépendance va donc mener à une forme d’auto-régulation par la négociation interprofessionnelle, dont l’accord en résultant sera étendu par arrêté (14). Ce nouveau mode de régulation fait florès dans le domaine audiovisuel, comme en témoignent les mécanismes d’extension d’accords collectifs sur la transparence des relations auteurs-producteurs ou encore sur la reddition des comptes, mais également dans le code de la propriété intellectuelle puisqu’on le retrouve par exemple dans le domaine de l’édition.
Afin d’encourager les négociations, le code du cinéma et de l’image animée ainsi que l’accord sur la chronologie des médias prévoient une clause de revoyure. Cela signifie que l’accord est conclu et peut être étendu pour une durée maximale de 36 mois (15). Par ailleurs, au bout de 12 mois suivant l’entrée en vigueur de l’accord, les parties conviennent de se rapprocher, sous la houlette du CNC, afin de dresser un premier bilan de son application. Enfin, au plus tard 12 mois avant l’échéance du présent accord, les parties conviennent de se rapprocher dans les mêmes conditions, pour convenir de sa reconduction ou de son adaptation aux évolutions du secteur (16).

Délais plus favorables aux « vertueux »
Les acteurs à la table des négociations – entreprise du secteur du cinéma, éditeur de services de médias audiovisuels à la demande, éditeur de services de télévision – vont donc être à la recherche d’un compromis entre leurs différents intérêts en présence. Deux garde-fous dans ces négociations en garantissent la pérennité.
D’abord, les principes de neutralité technologique (17) et de récompense des engagements vertueux de certains diffuseurs, lesquels se voient attribuer des délais plus favorables, accordés en fonction des obligations d’investissement dans la production audiovisuelle française. Ensuite, la présence du CNC qui veille à l’équilibre des négociations et tient la barre face au courroux de certains acteurs (18), alors que résonnent au loin les sirènes du day-and-date – sortie simultanée en salles et en VOD. @

 

Une énième chronologie des médias doit s’appliquer en février, mais avec des points expérimentaux

C’est reparti pour un tour. La chronologie des médias, qui régit la sortie des nouveaux films après les quatre mois exclusifs des salles de cinéma, doit faire l’objet d’un nouvel accord interprofessionnel qui doit entrer en vigueur en février. Le consommateur connecté reste le grand perdant.

Un an après la signature – le 24 janvier 2022 – de la chronologie des médias actuellement en vigueur en France (1), les professionnels du cinéma, de la télévision et des plateformes de vidéo à la demande doivent signer un nouvel accord intégrant des ajustements négociés depuis plus de six mois. Cette nouvelle mouture, élaborée sous l’égide du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), laisse un tout petit peu de place aux plateformes de VOD, d’une part, et de SVOD, d’autre part. Alors que la généralisation des usages numériques aurait justifié d’avoir des nouveaux films plus tôt après leur sortie dans les salles obscures.

VOD et SVOD : très peu d’avancées
Les deux grands gagnants de cette nouvelle chronologie des médias qui entrera en vigueur en février, sans grands changements par rapport à celle signée l’an dernier, sont les salles de cinéma et la chaîne cryptée Canal+. Les premières, quasiment toutes membres de l’influente Fédération nationale des cinémas français (FNCF) dont le président Richard Patry (photo de gauche) a été encore réélu le 26 janvier, gardent leur monopole sur les quatre premiers mois à compter de la date de sa sortie des films le mercredi. La VOD à l’acte et les DVD/Blu-Ray doivent attendre le cinquième mois après la sortie du film en salle pour pouvoir le proposer. A l’heure du numérique, ce délai est bien trop long et favoriserait le piratage de films sur Internet.
Il y a bien une dérogation possible à trois mois, mais elle est rarement demandée car la condition fixée par décret est très restrictive : actuellement, le film doit avoir réalisé 100.000 entrées au plus – en général moins – à l’issue de sa quatrième semaine d’exploitation en « salles de spectacles cinématographiques » (2). Le Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (Sévad) a proposé lors des dernières négociations d’étendre la dérogation des trois mois à tous les films qui le souhaitent – sous réserve de l’accord de l’éditeur-distributeur – pour être proposés plus tôt en VOD à l’acte. Mais cela se fera à titre « expérimental ». Les plateformes Orange VOD, Canal VOD, Filmo TV, UniversCiné ou encore Viva by Videofutur pourraient en profiter. Le nouvel accord devrait intégrer cette « fenêtre premium » à trois mois après la salle, moyennant un prix qui serait plus élevé pour le consommateur. C’est dommage pour ce dernier, à l’heure où son pouvoir d’achat est déjà grevé par l’inflation… Ce serait donc un petit pas en avant, mais à des « mois-lumière » de la sortie simultanée salles-VOD (day-and-date) qui reste un tabou en France. Quant à la SVOD, avec ses plateformes emblématiques que sont Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou encore Paramount+ (pour ne citer que celles-ci), elle a déjà avancé il y a un an dans chronologie des médias : passant alors de 36 mois à 17 mois voire à 15 mois en cas d’accord avec les organisations professionnelles du cinéma. « C’est la raison pour laquelle nous l’avons signée. [Mais] ce n’est qu’un premier pas », avait prévenu Damien Bernet, directeur commercial et juridique de Netflix France, devant l’Association des journalistes médias (AJM) fin juin (3).
Restait notamment la question de la continuité d’exploitation d’un film en SVOD lorsque la fenêtre de la télévision en clair s’ouvre. Car jusqu’alors, la chronologie des médias imposait à la plateforme de SVOD de retirer le film lorsque celui-ci commence à être proposé au 22e mois après sa sortie en salle par une chaîne en clair qui l’a préfinancé ou acquis. Autrement dit, un film sur Netflix ou Disney+ devait être retiré du catalogue après cinq ou sept mois de mise en ligne au profit de la fenêtre de la télévision en claire (TF1, M6, France Télévisions) s’ouvrant en exclusivité durant quatorze mois ! Disney avait tapé du poing sur la table en juin 2022 en décidant de ne pas sortir dans les salles de cinéma françaises « Avalonia, l’étrange voyage » mais en exclusivité sur Disney+, provoquant le courroux de la FNCF. Ayant menacé de faire de même avec « Black Panther : Wakanda Forever », The Walt Disney Company avait donné un coup de pression aux négociations en France (4).

Canal+, donnant-donnant avec le cinéma
La nouvelle chronologie des médias devrait finalement prolonger d’au moins deux mois la fenêtre d’exploitation de la SVOD pour de tels films, s’ils sont produits en interne (« inhouse ») avec un budget de plus de 25 millions d’euros. Pour ces films-là, les chaînes gratuites bénéficieraient en échange d’une exclusivité de deux mois. Là aussi, cela se fera à titre « expérimental ». Canal+, la chaîne cryptée qui rachète OCS à Orange, est la grande gagnante avec son positionnement à six mois après la sortie en salle (au lieu de huit avant le 28 janvier 2022). Sur RTL le 11 janvier (5), son président Maxime Saada (photo de droite) – en lice pour « la personnalité de l’année 2022 » du Film Français (6) – s’est engagé à investir sur cinq ans plus de 1 milliard d’euros dans le cinéma français. @

Charles de Laubier

Différence entre les blocages de TeamAlexandriz (2021) et de Z-Library (2022) : le rôle de l’Arcom

Prise le 25 août 2022 par le tribunal judiciaire de Paris, la décision de blocage des adresses Internet de Z-Library – vaste bibliothèque en ligne – est applaudie par les maisons d’édition en France. Mais le piratage d’ebooks, avec ses sites miroirs désormais listés par l’Arcom, est sans frontières.

Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free sont obligés rendre inaccessible sur l’Hexagone la bibliothèque en ligne Z-Library, condamnée pour contrefaçon de livres numériques. Edition Multimédi@ a constaté que le blocage sur les « box » de ces fournisseurs d’accès à Internet (FAI) était effectif : « Désolé, impossible d’accéder à cette page », nous a confirmé le navigateur en voulant par exemple aller sur « fr.z-lib.org » ou sur « http://z-lib.org ». Le jugement du 25 août 2022, que nous nous sommes procurés (1), liste 209 noms de domaine de Z-Library à rendre inaccessibles « pendant une durée de 18 mois ». Sont ainsi neutralisés autant de sites dits « miroirs » permettant jusqu’alors d’entrer dans cette bibliothèque parallèle géante, qui est une des multiples déclinaisons de Library Genesis d’origine russe.

Listes noires des sites et des miroirs
Le Syndicat national de l’édition (SNE) et une douzaine de maisons d’édition (Actes Sud, Albin Michel, Cairn, Editis, Hachette Livre, Humensis, Lefebvre-Sarrut, LexisNexis, Madrigall, Maison des Langues, Odile Jacob, et les Presses de Science Po) avaient attaqué le 29 juin 2022 le site web Zlibrary devant le tribunal judiciaire de Paris, dans le cadre d’une procédure accélérée au fond. Vingt-cinq jours après le rendu de la décision de blocage (le temps que la signification du jugement aux FAI soit faite aux interressés), le SNE s’est notamment félicité des « nouvelles prérogatives confiées à l’Arcom en matière d’extension du blocage à tout lien redirigeant vers une réplique de site bloqué ».
Et pour cause, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (née de la fusion entre le CSA et l’Hadopi) se retrouve aux avant-postes de la lutte contre le piratage en ligne. Et ce, depuis la promulgation il y a presqu’un an de la loi du 25 octobre 2021 « relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique » (2). C’est cette loi « Anti-piratage » qui a porté sur les fonts baptismaux législatifs l’Arcom – présidée par Roch-Olivier Maistre (photo) jusqu’en janvier 2025 – en lui attribuant de nouveaux pouvoirs de régulation, notamment en la chargeant de constituer « une liste » – surnommée, hors texte de loi, « liste noire » – des « services porta[n]t atteinte, de manière grave et répétée, aux droits d’auteur ou aux droits voisins ». En outre, l’Arcom a le pouvoir supplémentaire de « lutte contre les sites miroirs ». Ainsi, la loi « anti-piratage » a rajouté une disposition « sites miroirs » dans le code de la propriété intellectuelle (CPI) qui permet à « un titulaire de droits partie à la décision judiciaire » – par exemple l’un des douze maisons d’édition dans l’affaire « ZLibrary » – de saisir l’Arcom pour lui demander de mettre à jour la décision de blocage avec les nouvelles adresses Internet des sites miroirs. En l’occurrence, le blocage à effectuer par les FAI devra suivre l’évolution de la liste noire qui dépassera sûrement les 209 noms de domaine initialement identifiées. Pour l’heure, dans l’affaire « Z-Library », la décision de justice a été rendue le 25 août 2022 : il ne reste plus qu’à un ayant droit concerné de saisir l’Arcom en s’appuyant sur l’article L. 331-27 du CPI. Que dit-il ? « Lorsqu’une décision judiciaire passée en force de chose jugée a ordonné toute mesure propre à empêcher l’accès à un service de communication au public en ligne en application de l’article L. 336-2 [du CPI, nous y reviendrons, ndlr], l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique [Arcom], saisie par un titulaire de droits partie à la décision judiciaire, peut demander à toute personne visée par cette décision (…) d’empêcher l’accès à tout service de communication au public en ligne reprenant en totalité ou de manière substantielle le contenu du service mentionné par ladite décision ». Bref, toute nouvelle apparition d’un site miroir lié de près ou de loin à la plateforme pirate condamnée devra faire aussi l’objet d’un blocage de la part non seulement des quatre principaux opérateurs télécoms français mais aussi des moteurs de recherche ou des annuaires de référencement (si le juge le décide).
Pour ce faire, c’est l’Arcom qui communiquera « précisément » à tous ces acteurs « les données d’identification du service en cause » à bloquer et à déréférencer. La loi « anti-piratage » prévoit même que l’Arcom passe des accords avec« les ayants droit et toute personne susceptible de contribuer à remédier aux atteintes aux droits d’auteur et droits voisins en ligne » pour déterminer notamment les conditions d’« information réciproque » sur l’existence de tout site miroir.

Saisines « L. 336-2 » et « L. 331-27 »
L’Arcom peut en outre – « en cas de difficulté » – demander aux services de communication au public en ligne de se justifier. En lisant la fin de l’article L. 331-27 du CPI, l’on comprend implicitement que l’Arcom peut saisir, « en référé ou sur requête », l’autorité judiciaire pour « ordonner toute mesure destinée à faire cesser l’accès à ces services ». Cette saisine-là peut se faire « sans préjudice de la saisine prévue à l’article L. 336-2. ». Il y a donc deux types de saisine des tribunaux pour faire bloquer et déréférencer des sites web pirates d’œuvres ou d’objets protégés par le droit d’auteur : la saisine « L. 336-2 » par des titulaires de droits, leurs ayants droit, des organismes de gestion collective, des organismes de défense professionnelle, ou même par le CNC – le Centre national du cinéma et de l’image animée (3) ; la saisine « L. 331-27 » par l’Arcom (bien que cela ne soit pas clairement spécifié dans le texte de loi) lorsqu’elle-même est saisie par un titulaire de droits concerné par la décision judiciaire rendue à l’issue de la première saisine. Cette justice à deux détentes (liste noire initiale des sites web à neutraliser, liste noire mise à jour avec les sites miroirs) tend vers le black-out – total ? – de la plateforme incriminée. Prochains : Pirate Library Mirror, Bookys, … « Ce succès collectif vient conclure l’expérimentation inédite de cette procédure pour le livre, et ouvre la voie à de nouvelles actions – des éditeurs et du SNE – de blocage et de déréférencement, rapides et systématiques, contre des sites web proposant des contenus illicites violant le droit d’auteur », a prévenu le syndicat présidé par Vincent Montagne (PDG du groupe franco-belge Média-Participations).
Autant lors de la précédente affaire « Team Alexandriz », dont les responsables ont été condamnés au pénal en mai 2021 au bout de dix ans de procédure judiciaire (4), les sites miroirs passaient sous les radars, autant depuis la loi « Anti-piratage » d’octobre 2021 permet aux ayants droit et à l’Arcom d’agir devant la justice contre la résurgence de sites miroir dans une même affaire de type « Z-Library ». « Se présentant “comme une bibliothèque gratuite depuis 2009”, mais proposant un modèle payant d’accès aux œuvres contrefaites, le site Z-Library accessible via de multiples adresses, proposait un accès à plus de 8 millions de livres – tous secteurs éditoriaux confondus – et 80 millions d’articles piratés », précise le SNE qui compte 700 éditeurs français adhérents. Le site Z-Library (ex-BookFinder ou BookFi, alias B.ok.cc), affichait, lui, avant d’être blacklisté, un catalogue de 11,1 millions de livres et plus de 84,8 millions d’articles. Quelques jours avant d’être bloqué par Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free, cette « plus grandes bibliothèques en ligne dans le monde » lançait une « campagne de collecte » jusqu’au 1er octobre 2022 en guise d’« appel de fonds à tous ceux qui veulent contribuer encore plus au soutien et au développement de notre projet » (5). Certains internautes avisés peuvent contourner le blocage-filtrage par nom de domaine mis en place par les FAI (les DNS étant retirés de leurs répertoires d’adresses IP) et les principaux moteurs de recherche (déréférencement).
La précédente affaire « Team Alexandriz » avait été enclenchée il y a dix ans, avec là aussi la plainte du SNE, déposée en novembre 2012 avec six grands éditeurs français – Hachette, Editis, Gallimard, Albin Michel, La Martinière et Actes Sud. Le site qui se revendiquait comme le « n°1 sur les ebooks FR » avait cessé de fonctionner dès fin août 2013 mais la procédure judiciaire a continué pour s’éterniser près de dix ans (6), jusqu’à la condamnation pour contrefaçon de neuf des douze prévenus avec « circonstance aggravante de bande organisée ». Entre mai 2010 et juin 2013, était-il précisé, ce fut plus de 23.942 livres qui avaient été piratés, qu’il s’agisse de livres numériques sur lesquels les mesures de protection avaient été retirées ou de livres imprimés illégalement numérisés et corrigés (7). Certains responsables de Team Alexandriz ont écopé de peines d’emprisonnement avec sursis et le tribunal a condamné les neuf à « 10.000 euros de dommages et intérêts pour chaque éditeur et pour le SNE, en réparation du préjudice subi ». C’est relativement peu au regard de la peine maximale qu’ils encouraient : trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende, selon l’article L335-4 du CPI (8).
Avec la loi « Anti-piratage » et le renfort de l’Arcom dans les actions judiciaires en « procédure accélérée », le SNE et les maisons d’éditions disposent désormais d’un double-levier procédural à leur disposition. A qui le tour : à Pirate Library Mirror ? Ce site web déclare : « Nous violons délibérément la loi sur le droit d’auteur dans la plupart des pays. (…) Miroir – Nous sommes strictement un miroir des bibliothèques existantes. (…) La première bibliothèque que nous avons reflétée est Z-Library. C’est une bibliothèque populaire (et illégale). Ils ont pris la collection Library Genesis et l’ont rendue facilement consultable » (9). Ou bien à Bookys ? Ce site web le reconnaît : « En rendant le téléchargement gratuit, Bookys enfreint les règles de protection des droits d’auteurs » (10).
Reste que la portée de ces condamnations au pénal pour contrefaçon a ses limites puisque celles-ci ne s’appliquent qu’en France. Alors que les sites et de leurs sites miroirs présumés pirates sont sans frontières. Le règlement européen sur les services numériques – le DSA (Digital Services Act) – est sur le point d’entrer en vigueur. Il prévoit lui aussi le blocage mais sur décision d’un juge. Ce ne seront ni les FAI, ni les plateformes numériques, ni les régulateurs qui peuvent bloquer d’eux-mêmes les contenus piratés.

Frontières : vers un blocage européen
L’affaire « Z-Library » apparaît comme un marqueur dans l’histoire de la lutte contre le piratage de contenus protégés. Du moins en France, en attendant des actions au niveau européen lorsque le DSA sera pleinement applicable. Si les livres numériques sont concernés par cette décision de blocage du 25 août 2022, à laquelle l’Arcom contribue devant la justice avec la mise à jour de sa liste des sites miroirs et d’éventuels nouveaux recours, le nouvel arsenal judicaire est à la disposition de toutes les industries culturelles : livre mais aussi musique, cinéma, retransmissions sportifs, ou encore jeux vidéo. @

Charles de Laubier

Chronologie des médias : en attendant la réforme, l’accord « pro-Canal+ » rebat les cartes

Même si Canal+ a conclu un accord triennal, daté du 2 décembre 2021, avec les organisations professionnelles du cinéma français (200 millions d’euros par an, fenêtre s’ouvrant dès 6 mois), cela ne règle en rien la réforme toujours en cours de la chronologie des médias – bien au contraire.

Par Anne-Marie Pecoraro*, avocate associée, UGGC Avocats

La chronologie des médias et le fonds de soutien

En fait. Le 5 novembre, le CNC a adopté la mise en place d’un fonds « temporaire » pour « soutenir la production d’œuvres audiovisuelles destinées » aux plateformes de VOD/SVOD. Avant, le 3 novembre, Roselyne Bachelot a rappelé la date butoir du 10 février 2022 pour la chronologie des médias.

En clair. Le 7e Art français au sens large – le cinéma et l’audiovisuel – doivent maintenant donner plus de place aux plateformes de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) que sont Netflix, Amazon Prime Video ou encore Disney+. Alors que les discussions et les points de blocage se poursuivent laborieusement autour de la prochaine chronologie des médias, afin de mieux prendre en compte les plateformes de SVOD dans les fenêtres de diffusion des films et dans l’écosystème du financement des films et séries, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot a rappelé qu’il restait moins de trois mois pour trouver un accord : « La discussion doit désormais s’acheminer vers son terme (…). L’arrêté qui “étend” la chronologie des médias actuelle aux non-signataires de celle-ci, au premier chef les plateformes, expire le 10 février 2022. Nous ne pouvons venir buter sur cette échéance. Il nous faut impérativement disposer, avant cette date, d’une chronologie modernisée », a-t-il prévenu en clôture des rencontres cinématographiques de l’ARP, le 3 novembre dernier. Cet arrêté signé par Franck Riester (le prédécesseur rue de Valois) a été publié au J.O. le 10 février 2019 et prévoit que l’actuelle chronologie des médias – signée par les professionnels du secteur en septembre et décembre 2018 – est valable « pour une durée de trois ans » (1). Et cette échéance arrive à grand pas, alors les négociations patinent autour de la dernière proposition en date du CNC, celle du 19 juillet dernier (2). Celle-ci prévoit que les Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+ pourraient diffuser de nouveaux films 15 mois après leur sortie en salle de cinéma en France (au lieu de 36 mois actuellement), et même à 12 mois – sous réserve de payer la taxe « TSV » au CNC (3) – voire jusqu’à 6 mois s’ils contribuent au prix fort du décret SMAd (entré en vigueur le 1er juillet) et en cas d’accord avec le cinéma français. La chaîne cryptée Canal+ y est opposé. Sans attendre l’issue du bras de fer autour de la chronologie du cinéma, le CNC a pris les devants pour intégrer les plateformes de SVOD étrangères – soumises aux obligations « SMAd » de financement de films et séries – dans le soutien à la production audiovisuelle. Et ce, en décidant le 5 novembre d’ouvrir jusqu’au 30 avril 2022 un « fonds sélectif plateforme » dit FSP (4). Les œuvres éligibles seront retenues le 5 décembre par le CNC. @