La taxe « copie privée » sur le cloud se précise

En fait. Le 11 mai, la commission de la Culture du Sénat a adopté un amendement du rapporteur de la loi « Création », Jean-Pierre Leleux, pour préciser l’extention de la redevance « copie privée » aux services de stockage à distance dans le cloud proposés par les éditeurs ou distributeurs audiovisuels.

Réforme audiovisuelle à l’heure du Net : la France ne peut passer à côté d’un changement de paradigme

La loi « Liberté de la communication » de 1986 – 30 ans ! – est devenue obsolète depuis la mondialisation de l’audiovisuel induite par Internet. Sa réforme reste timorée. La ligne Maginot du PAF (paysage audiovisuel français) peine à laisser place à un cadre ambitieux pour conquérir le PAM (mondial).

Alphabet, où Google pèse 99,4 % des revenus 2015, a perdu 3,5 milliards de dollars dans ses « autres paris »

Sur l’année 2015, la holding Alphabet – qui regroupe Google/YouTube (presque 100 % du chiffre d’affaires) et les « autres paris » (sic) – a beau afficher un bénéfice net de 15,8 milliards de dollars en 2015, elle n’en perd pas moins
des milliards dans ses nouvelles aventures technologiques risquées.

ABC.XYZ… C’est ainsi que
la holding, dont Google et YouTube génèrent encore l’essentiel des presque 75 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2015, s’est constituée un nom de domaine original qui a fait le buzz l’an dernier (1) – faute d’avoir pu utiliser alphabet.com qui, lui, appartient au groupe BMW… Au-delà de cette anecdote,
la nouvelle maison mère de Google en a fait son site web institutionnel avec un lien unique : « Investors » ! Le ton a donc été donné : Alphabet s’adresse aux investisseurs.

R&D : 12,2 Mds de $ en 2015
Cette holding, dont la capitalisation a dépassé celle d’Apple (2), a été créée par Larry Page et Sergey Brin (photos) – les cofondateurs du moteur de recherche – pour répondre aux inquiétudes des actionnaires de ne pas savoir ce que représentaient vraiment les dépenses et les pertes du groupe dans les nouveaux projets diversifiés (3). Désormais, depuis le 1er février dernier, ce que la firme de Mountain View appelle singulièrement « Other bets » (autres paris) apparaît pour la première fois sous cette dénomination dans les résultats annuels 2015 d’Alphabet. Google s’était en effet éparpillé dans de multiples projets prometteurs ou incertains, c’est selon, dont les objets connectés dans la maison (Nest), les recherches sur la longévité de la vie (Calico), les sciences de la vie (Verily, ex- Google Life Sciences), les relais-Internet par montgolfières (Loon), le réseau ultra-rapide en fibre optique (Fiber), le réseau 5G construit avec des drones (Skybender), la livraison par des drones (Wing), les lunettes connectées (Glass), les aides à l’innovation (X-Lab) ou encore le fonds d’investissement (GV, ex-Google Ventures). Toutes ces nouvelles aventures et prises de risques, dont certains seront sans lendemains pendant que d’autres rencontreront le succès, ont finalement englouti un peu plus de 3,5 milliards de dollars rien qu’en 2015. Ces pertes opérationnelles sont même en forte augmentation de 83,6 % par rapport à l’année précédent, et même de plus de 500 % par rapport à la perte opérationnelle des « autres paris » en 2013 ! Et ce n’est pas fini, car les dépenses en recherche et développement (R&D) continuent elles aussi de croître fortement d’année en année : 12,2 milliards de dollars en 2015, soit un bond de 25 % par rapport à l’année précédente.

Il n’y a pas de doute : la holding Alphabet – que Eric Schmidt dirige désormais comme président exécutif du conseil d’administration – a les moyens de ses paris et de sa R&D. Dirigée par l’Indien Sundar Pichar, sa principale filiale Google – qui regroupe le moteur de recherche éponyme, l’activité de publicités en ligne, le site de partage vidéo YouTube, la cartographie Maps, les applications mobile, le cloud, la réalité virtuelle, ainsi que Android, Chrome, Google Play, Chromecast, Chromebooks et Nexus – est une vache à lait : 23,4 milliards de dollars de résultat opérationnel en 2015, en augmentation de 23,2 % sur un an, ce qui permet à Alphabet d’afficher un insolent bénéfice net de 15,8 milliards de dollars, lui même en croissance 12 %. Qui dit mieux ? Le niveau élevé de ces pertes opérationnelles est inversement proportionnel au petit chiffre d’affaires générés par les nouvelles aventures technologiques d’Alphabet :
il n’a été que de 448 millions de dollars en 2015, une goutte d’eau dans l’océan des 74,9 milliards de dollars de revenus consolidés par la maison mère – en croissance de 17,8 % sur un an. « Notre très forte croissance des revenus (…) reflète la vibration de notre activité, tirée par la recherche sur mobile ainsi que par YouTube et la publicité programmatique, tous étant des domaines où nous avons investi depuis des années. Nous sommes exités par les opportunités que nous avons à travers Google et les “autres paris” dans l’utilisation de la technologie pour améliorer les vies de milliards
de personnes », s’est félicité Ruth Porat, directrice financière (4).

Des « paris » trop dispendieux
Mieux : les liquidités accumulées par le géant du Net dépassent les 73 milliards de dollars ! Si une partie conséquente de ce cash sera reversée aux actionnaires, dont 5milliards de dollars via des rachats d’actions, « la première utilisation restera cependant des investissements et des acquisitions », avait prévenu Ruth Porat le 22 octobre dernier. Celle qui tient les cordons de la bourse d’Alphabet avait appelé l’été d’avant à « une discipline dans les dépenses opérationnelles », en particulier dans les développements des nouvelles activités « en faisant très attention à l’allocation des ressources [à] prioritiser ». Les paris dispendieux démontrent qu’elle a encore du pain sur la planche pour éviter que les investissements dans le futur n’hypothèquent l’avenir de la galaxie Google. @

Charles de Laubier

Copie privée : industriels contre l’extension au cloud

En fait. Le 16 février prochain, le projet de loi « Création » sera voté au Sénat. Dès le 5 février, les industriels du numérique – réunis au sein de l’Afnum, du Sfib, de Tech in France (ex-Afdel) et de Digital Europe – se sont inquiétés des risques de l’extension de la redevance copie privée aux services de cloud.

Jean-Noël Tronc (Sacem) milite pour un système « copie privée » planétaire, étendu au cloud

Le directeur général de la Sacem, Jean-Noël Tronc, a plaidé le 3 décembre dernier – au siège de l’Unesco à Paris – en faveur d’un système « planétaire » de rémunération pour copie privée. Il pousse en outre la France à légiférer pour étendre la copie privée aux services en ligne de cloud computing.

« La rémunération pour copie privée, est un système qui pourrait être planétaire et qui a l’avantage de ne pas peser
sur les finances publiques, tout en concernant tous les genres d’arts. Elle peut être mise en oeuvre dans tous les pays du monde », a affirmé Jean-Noël Tronc (photo), DG de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), également vice-président de l’équivalent européen Gesac (1), organisation-sœur de la confédération internationale Cisac (2).

Pas de taxes « à côté de la plaque »
Jean-Noël Tronc répondait à une question de Edition Multimédi@ posée lors de la présentation – au siège de l’Unesco – du premier panorama mondial des industries culturelles et créatives réalisé par le cabinet d’études EY pour le compte de la Cisac.
« La copie privée est un système de rémunération – de compensation et d’exception au droit d’auteur – tout à fait intéressant car il concerne tous les arts et existe aujourd’hui dans de nombreux pays et dans presque toute l’Europe (3), après avoir été inventé en Allemagne dans les années 1960. En Afrique, par exemple, une dizaine de pays sur cinquante-quatre du continent l’ont mise en place », a-t-il souligné. Au niveau européen, où un projet d’harmonisation est en cours (4), elle rapporte plus de 600 millions d’euros chaque année. A l’échelle mondiale, difficile à savoir. C’est en France que la rémunération pour copie privée – contestée depuis des années par les industriels de l’électronique grand public – rapporte le plus aux ayants droits en Europe : près de 200 millions d’euros par an. « La question n’est pas de songer à un modèle unique. On a eu tendance, il y a quelques années, à songer à des idées comme celles de [contribution compensatoire], de taxes, de type one size fits all, ou de licence globale, qui sont un peu “à côté de la plaque”. La vraie question est de trouver des systèmes concrets qui corrigent une partie de cette capture de valeur illégitime, dans laquelle le modèle de partage de la valeur nécessaire est déséquilibré », a expliqué Jean-Noël Tronc pour justifier cette rémunération « copie privée » que les consommateurs perçoivent quand même comme une taxe, puisqu’ils la paient de quelques euros lors de l’achat d’appareils numériques disposant d’un support de stockage pour enregistrer (smartphones, tablettes, clé USB, disque dur externe, DVD, CD, etc.). Or ce prélèvement pourrait bientôt concerner aussi les services de cloud, ce nuage informatique qui permet d’avoir un compte personnel pour stocker à distance et de n’importe où ses contenus numériques – relevant de la copie privée ou pas. « Après quatre ans de discussion (5), le temps est venu de légiférer. Si le Sénat ne le fait pas,
la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne s’imposera. Il est temps d’accompagner l’évolution technologique en veillant à préserver la rémunération des acteurs, producteurs, auteurs-compositeurs et artistes-interprètes. Au législateur français de prendre ses responsabilités, sachant que le Parlement européen et la Commission européenne travaillent déjà sur le sujet », a prévenu David El Sayegh, secrétaire général de la Sacem, lors de son audition le 2 décembre par la commission Culture du Sénat dans le cadre du projet de loi « Liberté de création, architecture et patrimoine ». Et le juriste de la Sacem d’ajouter : « Oui, il faudrait aller chercher l’argent auprès de ceux qui en font : réseaux sociaux, plateformes internationales, moteurs de recherche… Encore faudrait-il que nos interlocuteurs ne soient pas juridiquement irresponsables. Facebook ou SoundCloud se déclarent hébergeurs et déclinent toute responsabilité sur les contenus qui transitent sur leurs plateformes. Cette question doit être traitée au niveau européen, par une modernisation de la directive européenne DADVSI (6), en séparant le bon grain de l’ivraie et en faisant rentrer les faux hébergeurs dans le schéma des licences ».

Directives DADVSI et E-commerce
Réformer la directive DADVSI de 2001 et modifier la directive « Commerce électroni-que » de 2000 : Jean-Noël Tronc en a fait son cheval de bataille à Bruxelles, via la Gesac et la Cisac, comme il nous l’a expliqué au siège de l’Unesco : « La directive européenne sur le commerce électronique de 2000 a créé une exception a un principe de droit à rémunération, pourtant reconnu dans la directive européenne DADVSI. Cela fait maintenant 15 ans que l’on attend une correction à ce cadre dans lequel la disposition du Safe Harbor [accords de 2000 entre les Etats-Unis et la Commission européenne, ndlr] crée une impossibilité pour les ayants droits, donc pour les auteurs,
à obtenir une rémunération ». Reste à savoir si lobbying des industries culturelles à Bruxelles arrivera à ses fins. @

Charles de Laubier