Contenus dans les nuages

Depuis la nuit des temps, il n’est pas de fête qui se respecte sans musique. Vérité immuable, alors même que les moyens techniques permettant à nos ados d’animer leurs soirées n’en finissent pas de muter : du vinyle et son pick-up des années 1960 à la K7 et son Walkman, en passant par le CD et son lecteur, jusqu’aux fichiers MP3 téléchargés sur PC qui permettaient, au tournant des années 2000, de faire défiler des playlists tout au long de la nuit. En 2010, il suffisait d’un quelconque terminal mobile pour « streamer » – par la magie du Cloud – un choix de musiques apparemment infini. Pourtant, l’informatique en nuage est sans doute presque aussi ancienne que l’Internet, puisque la virtualisation à la base du « cloud computing » remonte aux années 1960. Elle consiste à mutualiser sur un même serveur des applications tournant sur des machines différentes. Les hébergeurs et les fournisseurs de services d’applications (ou Application Service Providers) nous ont peu à peu accoutumés à ce nouvel âge de la révolution numérique, en commençant tout d’abord par quelques applicationsphares comme les services de messagerie. Si nous avions encore l’habitude d’archiver sur nos PC des contenus téléchargés auprès de pionniers comme Kazaa, Napster ou encore eMule, les usages précurseurs étaient pourtant déjà là : pourquoi continuer à stocker des fichiers sur son disque dur quand on pouvait y accéder rapidement, à tout moment et d’un seul clic ?

« Le Cloud permet de rechercher dans de larges catalogues, de stocker à distance et d’écouter en streaming : où que l’on soit, sur le terminal de son choix ».

Mais il manquait encore des offres. Elles furent inaugurées par Amazon, dès 2006,
qui chercha à rentabiliser ses investissements dans des infrastructures importantes : surdimensionnées pour les pics d’achats de Noël, mais sous-utilisées le reste de l’année. Concurrence oblige, les géants de l’Internet se sont finalement retrouvés en 2011 sur la même ligne de départ. Amazon lança son offre fremium, Amazon Cloud Drive, en proposant à ses clients des espaces d’archivage gratuits à hauteur de 5 Go, puis au-delà pour tous les albums achetés ou moyennant 1 dollar par gigaoctet additionnel. Google Music fut lancé quelques mois plus tard, après d’âpres négociations avec les majors détenteurs des droits. Le principe était toujours le même : proposer aux internautes des services incluant des fonctions de stockage, de recherche sur des catalogues étendus et d’écoute en streaming, où que l’on soit et sur le terminal de son choix. C’est ce que chercha à intégrer Apple en offrant désormais gratuitement son service MobileMe, d’abord pensé pour faciliter la synchronisation des applications de contacts, d’emails, d’agendas ou de photos entre tous les terminaux – du smartphone à la tablette en passant par l’ordinateur – puis progressivement ouvert à des services de streaming et d’archivage de musique puis de vidéos. Pour exister sur la Toile ou contrer l’hégémonie croissante des géants du Web, de nombreuses initiatives sont venues grossir le flot impétueux du fleuve Cloud. Les chaînes de télévision ont ainsi développé leurs propres mix de services (live, catch-up TV et VOD). De nombreuses start-up se sont lancées dans l’aventure de l’innovation : Deezer ou Spotify pour la musique, Netflix pour la vidéo ou encore Onlive dans les jeux vidéo. Ces dernières années ont ainsi vu se mettre en place l’écosystème complexe, mais indispensable à la multiplication de services de plus en plus gourmands, en termes de capacités de stockage et de bande passante. Le Cloud, pour fonctionner, nécessite des investissements colossaux. Des datacenters couvrant des dizaines d’hectares ont été mis en place par IBM, Dell, Google et bien d’autres, tandis que les opérateurs télécoms mettaient les bouchées doubles pour faire monter en puissance, et en même temps, les réseaux très haut débit fixe et mobile. Il reste encore un long chemin à parcourir avant que ne s’achève la mise en place de cette vaste économie des contenus dématérialisés. Même si les nouveaux majors sont désormais en place, les modèles économiques sont encore à consolider. La voix lointaine de l’étonnant Henry David Thoreau, philosophe naturaliste et visionnaire, raisonne encore étrangement à nos oreilles : « Si vous avez construit des châteaux dans les nuages, votre travail n’est pas vain : c’est là qu’ils doivent être. A présent donnez-leur des fondations ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Droits d’auteur
* Jean-Dominique Séval est directeur général adjoint
de l’IDATE. Sur le même thème l’IDATE publie
son rapport « Online Video », par Vincent Bonneau.

Opérateurs : l’ère des géants

Assis à mon bureau, j’ouvre comme chaque matin le courrier de la nuit d’un ordre vocal bref. Le premier message de la liste, déjà triée par genre, est ma facture mensuelle de communication. L’entête du courriel, au nom de Google Network, me surprend… Aurais-je changé mon abonnement pour choisir un opérateur d’un genre nouveau ? La sonnerie de réveil de mon téléphone, en déchirant les derniers lambeaux de mon rêve, m’apporte une réponse définitive à cette question. Cet épisode singulier me ramène pensif, dix ans en arrière, à une époque où des débats houleux animaient les conférences internationales des acteurs-clés de la filière des télécoms, d’où émergeaient des termes souvent ésotériques pour le commun des utilisateurs : réseaux hybrides, spectre, capex, neutralité, services managés, over-the-top, … De manière plus prosaïque, cela revient à dire que les opérateurs télécoms devaient faire face à des enjeux colossaux : mettre en place parallèlement les réseaux fixes de fibre optique et les réseaux mobiles de 4e génération, assurer la diffusion d’un ensemble de services et de terminaux de plus en plus nombreux et complexes, tout en déployant
des stratégies internationales ambitieuses. Comment s’étonner dès lors que les plus puissants d’entre eux ont rassemblé leurs forces, poursuivant une course à une taille critique sans cesse croissante. Comme s’ils s’abandonnaient à une force centrifuge les poussant sans cesse à la concentration.

« Je viens de souscrire auprès de ma banque habituelle, chef de file d’une de ces nouvelles alliances, la dernière offre septuple-play »

Cela fut par exemple le cas en 2011 aux Etats-Unis avec le rachat de T-Mobile par l’emblématique AT&T. Le relais a ensuite été pris par les opérateurs télécoms européens, qui ont fait difficilement émerger cinq champions continentaux là où dix
ans auparavant ils étaient encore près de quarante largement enfermés dans leurs territoires historiques. Ces leaders ont poussé très loin l’intégration verticale de leurs offres d’accès, de contenus médias délivrés et de services managés au sein d’un écosystème de transaction hautement fiabilisé. Il y avait d’ailleurs une certaine urgence puisque, dans le même temps, se lançaient hors de leurs frontières de nouveaux compétiteurs venus des marchés asiatiques, lesquels donnèrent naissance à des géants taillés pour gérer des centaines de millions d’abonnés.
Dans ce contexte, les opérateurs encore dans la course ont cependant su mettre en oeuvre des stratégies très différentes et faire mentir tous ceux tentés de réduire le débat à quelques slogans trop réducteurs, du genre : « Pas de salut pour les dumb
pipe ! ». C’est ainsi que l’on a vu des opérateurs investir massivement dans les réseaux pour devenir des références incontournables et être en mesure de fournir également
à l’ensemble des acteurs du Web et du Cloud des fonctions de connectivité et d’interfaces de programmation ouvertes. D’autres, à l’autre bout du spectre, ont su devenir de véritables experts en marketing avancé d’offres de communication, en composant des gammes de services et de contenus pouvant aller jusqu’à l’hyperspécialisation.
Il est une bataille, une question hautement stratégique, qui n’a toujours pas trouvé d’issue : qui sera le gestionnaire du foyer numérique ? Les fournisseurs d’accès, les plus proches de leurs clients et détenteurs des fameuses « box » à tout faire, ont su tirer leur avantage, lié à leur proximité, sans encore l’emporter face à des challengeurs. De grandes alliances se mettent en place, afin de proposer des services désormais essentiels pour gérer de manière unifiée la facturation, l’identité numérique, l’interopérabilité des services et des équipements et la sécurisation des données-clés des clients. L’opérateur télécoms de nos rêves – qui se ferait oublier derrières des offres simples à comprendre et à installer, presque transparentes, sans interruption de services et à des prix toujours très abordables – est sans doute encore à venir. Mais indubitablement les choses changent, puisque je viens de souscrire auprès de ma banque habituelle, chef de file d’une de ces nouvelles alliances, la dernière offre septupleplay qui m’assure, en plus des abonnements classiques à mes services de communication et de contenus, un service très attendu permettant de sécuriser la gestion de mon identité et de mon coffre-fort numérique. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Cloud content
* Jean-Dominique Séval est directeur général adjoint
de l’Idate. Sur le même thème l’Idate publie
son rapport « Future Telecom : Stratégies 2020 »,
par Steven Andlauer.