Etats-Unis : la FTC divisée sur le cas Amazon-MGM

En fait. Le 17 mars, Amazon a annoncé avoir finalisé l’acquisition des studios de cinéma hollywoodiens MGM (Metro Goldwyn Mayer) pour 8,5 milliards de dollars. Si la Commission européenne a donné sont feu vert le 15 mars, la FTC américaine n’a toujours rien dit d’officiel mais sa présidente a l’œil.

En clair. Le géant Amazon fait comme s’il avait obtenu aux Etats-Unis le feu vert formel de la Federal Trade Commission (FTC) pour son acquisition des studios de cinéma MGM presque centenaires. Deux jours après avoir obtenu la bénédiction de la Commission européenne, qui, le 15 mars, n’a rien trouvé à redire (1) sur cette opération de concentration à 8,5 milliards de dollars (autorisée sans condition), la firme de Jeff Bezos a annoncé la finalisation de l’opération. « MGM a rejoint Prime Video et Amazon Studios. Ce studio historique, vieux de près de 100 ans, qui compte plus de 4.000 films, 17.000 épisodes télévisés, 180 Oscars et 100 Emmy Awards, complétera le travail de Prime Video et d’Amazon Studios en offrant une offre diversifiée de choix de divertissement aux clients », s’est-t-elle félicitée, dans un communiqué daté du 17 mars dernier (2).
La FTC n’ayant pas intenté d’action – dans le délai imparti (dont l’échéance était fixée à mi-mars) – à l’encontre de cette méga-acquisition, Amazon a estimé de fait avoir les coudées franches. Or, contrairement aux apparences, le PDG Andy Jassy – successeur de Jeff Bezos à ce poste depuis juillet 2021 – n’a pas obtenu l’aval de la présidente de la FTC, Lina Khan, et encore moins de blanc-seing de sa part. Cette dernière l’a fait savoir, via une porte-parole, dans une déclaration faite au magazine américain Variety le 17 mars : « La FTC n’approuve pas les transactions et peut contester une opération à tout moment si elle détermine que celle-ci contrevient à la loi » (3). Mais pourquoi Lina Khan, pourtant réputée « anti- GAFAM » et auteure en 2017 du « Paradoxe anti-monopole d’Amazon », ne s’est toujours pas prononcée publiquement sur ce dossier ? Pas parce qu’Amazon avait demandé le 30 juin 2021 que Lina Khan n’instruise pas elle-même cette affaire en raison de ses prises de position passées (4).
La réponse se trouve au sein de la FTC : selon Politico (5), ses quatre commissaires actuels sont divisés sur le dossier Amazon-MGM – les Républicains Noah Phillips et Christine Wilson étant contre toute plainte. La présidente aurait donc évité d’organiser un vote officiel mais, a indiqué la porte-parole, elle peut envoyer des « lettres d’avertissement » à Amazon, à défaut de finaliser une enquête antitrust dans les délais prévus par le HSR Act. Le blocage de la transaction reste une épée de Damoclès. @

Comment Yahoo a décroché le « Laurier Numérique » du Club de l’audiovisuel

Six mois après l’acquisition des activités médias de Verizon par le fonds d’investissement new-yorkais Apollo pour 5 milliards de dollars, Yahoo – partie du lot cédé – tutoie le milliard de visiteurs dans le monde. Sa filiale française, elle, a remporté le « Laurier Numérique » du Club de l’audiovisuel.

Aux 27es Lauriers de l’Audiovisuel, qui se sont tenus le 21 février au théâtre Marigny à Paris pour récompenser les meilleurs programmes radio, télévision et web, la filiale française de Yahoo a été distinguée par l’organisateur, le Club de l’audiovisuel. Sa série d’interviews consacrée à la diversité – « La Face Katché » – et diffusée sur sa plateforme média, a remporté le « Laurier Numérique » face aux deux autres nommés issus des plateformes France.tv (« Carrément Craignos ») et Arte.tv (« Libres »). La Face Katché » est un programme produit et diffusé par Yahoo depuis novembre 2020. « Il s’agit d’une série d’interview intimistes [menées par le batteur et auteur-compositeur français Manu Katché (photo), ndlr], qui ont souvent lieu chez la personnalité qui nous reçoit dans son salon. C’est une particularité assez rare. Chaque épisode, après montage, dure une dizaine de minutes. Nous réalisons un épisode par mois environ, chacun totalisant en moyenne 1 million de vues », explique à Edition Multimédi@ Alexandre Delpérier, directeur des contenus et de l’information de Yahoo France.

Partis pris éditoriaux et sujets de société
Ont ainsi joué le jeu de ce format intimiste des personnalités issues de la diversité telles qu’Amel Bent, Yannick Noah (1), Joey Starr, Marie-Jo Perec, Patrick Bruel, Harry Roselmack ou encore Akhenaton. Nouvelle interview : celle de Gad Elmaleh, mise en ligne le 23 février. « Nous proposons aussi une expérience différente : un article contenant quatre ou cinq extraits de la vidéo longue, un podcast de la quasi-intégralité de l’entretien. Tout est produit en interne avec le budget global éditorial », précise-t-il. Ce programme avait déjà reçu en 2021 le Prix Argent dans la catégorie « Meilleures initiatives éditoriales » (meilleur programme, émission online) par le « Grand Prix Stratégies de l’innovation médias ». Alexandre Delpérier revendique pour ces productions originales le « parti pris éditorial » et des « contenus engagés et différenciants », en mettant l’accent sur des « sujets de société » (« Président(e) 2022 », « Carnet de Santé », « Convictions », « Joyeux Anniversaire », …). Ce « virage stratégique » négocié par Yahoo France en 2018 lui permet Continuer la lecture

Le monde de l’audiovisuel et du cinéma s’apprête à être bousculé par la naissance de Warner Bros. Discovery

Qui ne dit mot consent : à l’échéance du 9 février, aucune autorité antitrust américaine n’a contesté le projet de fusion entre WarnerMedia, filiale de l’opérateur télécoms américain AT&T, et son compatriote Discovery. L’Union européenne, elle, a déjà donné son feu vert en décembre. Le géant Warner Bros. Discovery naîtra au printemps.

Feux verts pour le lancement au printemps du nouveau géant du divertissement, du cinéma et de l’audiovisuel – streaming vidéo et chaînes payantes compris : Warner Bros. Discovery (WBD). Bien que la fusion entre les deux groupes américains WarnerMedia et Discovery ait été annoncée en mai 2021 (1), cette prise de contrôle de la filiale de contenus audiovisuels et cinématographiques de l’opérateur télécoms AT&T par son compatriote Discovery, lequel en prend le contrôle, entame sa dernière ligne droite.
Et ce, en vue de la finalisation – au deuxième trimestre – de cette mégafusion à 43 milliards de dollars pour AT&T. Cette somme servira à l’opérateur télécoms pour se désendetter et renforcer ses investissements dans la 5G et la fibre optique. Le nouveau groupe WBD sera placé sous la houlette de David Zaslav (photo). L’ensemble compte faire jouer des synergies technologiques, marketing et numériques pour dégager dans les deux ans « plus de 3 milliards de dollars » d’économie, selon le projet de lettre aux actionnaires (2) présentée le 1er février dernier en même temps que le prospectus de l’opération de spin-off (3). WarnerMedia et Discovery discutent en outre depuis novembre dernier de la fusion de leurs deux plateformes de SVOD : HBO Max et Discovery+. Les Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+ n’auront qu’à bien se tenir.

WBD sera coté au Nasdaq et tiré par le streaming
« Le regroupement en une seule plateforme entraînera des économies considérables. Je pense qu’il y aura aussi des avantages significatifs pour les consommateurs à fusionner en une seule plateforme », avait déclaré le directeur du streaming et de l’international chez Discovery, le Français Jean-Briac Perrette (4). La future plateforme commune de SVOD, « HBO Max Discovery+ », s’approchera des 100 millions d’abonnés et promet de bousculer les marchés audiovisuels et cinématographique au niveau mondial, y compris les chaînes payantes. Ce nouveau rival de taille pourrait mettre fin au leadership de Netflix (dont le service en ligne fut créé en 2007 avec aujourd’hui près de 222 millions d’abonnés), déjà mis à mal par l’irruption de la plateforme Disney+ (lancée en 2019 et atteignant 118 millions d’abonnés). L’ensemble Warner Bros. Discovery devrait peser d’emblée plus de 50 milliards de dollars de chiffre d’affaires pour une valorisation attendue d’environ 130 milliards de dollars. Le conseil d’administration de la nouvelle société sera composé de treize membres, dont sept avec le président du conseil nommés par AT&T, tandis que Discovery nommera six membres, dont David Zaslav, son actuel patron. Le géant des télécoms, qui se délestera de sa filiale WarnerMedia au cours du deuxième trimestre, organisera une conférence virtuelle le 11 mars avec les investisseurs sur les aspects financiers de ce spin-off.

SVOD : HBO Max et Discovery+ face à Netflix
Warner Bros. Discovery sera alors un nouveau géant qui sera coté au Nasdaq à New York, sous le symbole « WBD ». Les actionnaires d’AT&T en détiendront 71 %, tandis que ceux de Discovery les 29 % restants. « Cette transaction offre l’occasion de créer un concurrent mondial plus fort dans le streaming et le divertissement numérique », s’est félicitée la firme de Dallas (où se situe le siège d’AT&T). Il s’agit aussi pour les deux groupes qui vont fusionner de rattraper leur retard sur le peloton de tête du marché mondial du streaming et de la SVOD constitué de Netflix, Disney+, Amazon Prime Video et Apple TV+. « La WBD combinera les actifs de divertissement, de sport et d’actualité de WarnerMedia avec les principales entreprises internationales de divertissement et de sport de Discovery, afin de créer une entreprise mondiale de divertissement de premier plan et autonome », est-il prévu, les deux parties amenées à fusionner étant en outre rompues à l’exploitation de licences à travers le monde. Rivaliser avec les plateformes de streaming Netflix ou Disney+ nécessite plus que jamais de « réunir des créateurs de contenu de calibre mondial et des catalogues de séries et de films de grande qualité dans le secteur des médias ».
• WarnerMedia apporte à WBD ses grands studios d’Hollywood et ses productions de divertissement, d’animations, d’information et de sports (plutôt de stock ou scripted). Au-delà de l’emblématique major du cinéma américain Warner Bros., l’ex-Time Warner (renommé WarnerMedia en 2018) édite la chaîne de télévision payante HBO, la chaîne d’information en continu CNN, les réseaux de télévision par câble ou satellite TNT, TBS et TruTV (Turner) ou encore des programmes pour enfants Cartoon Network et DC Comics. Et c’est en mai 2020 que la plateforme de streaming vidéo HBO Max a été lancée aux Etats-Unis, avant d’être rendue accessible dans d’autres pays dont certains en Europe depuis l’automne 2021. Prochaine extension géographique, annoncée en début de mois par Johannes Larcher (5), directeur de HBO Max à l’international : le 8 mars prochain. Mais toujours pas en France car OCS, filiale d’Orange (66,67 % du capital) et de Canal+ (33,33 %), détient jusqu’à fin 2022 l’exclusivité des contenus HBO (6). Lors d’une conférence téléphonique le 26 janvier dernier, le PDG d’AT&T John Stankey a indiqué qu’ensemble la chaîne premium HBO et la plateforme HBO Max avaient atteint 73,8 millions d’abonnés. Mais c’est à peine un tiers du parc d’abonnés de Netflix et moins de deux-tiers de celui de Disney+.
• Discovery, qui ne possède pas de studio de cinéma, apporte de son côté à WBD des programmes audiovisuels de divertissement de la vie réelle, de téléréalité (real life) et de sport (plutôt du flux ou unscripted) auprès de passionnés ou de superfans. Le groupe, dont le principal actionnaire est le « cow-boy du câble » et magnat des médias John Malone (7), diffuse des programme-phares sur tous les écrans tels qu’Eurosport, Discovery Channel, HGTV, Travel Channel, MotorTrend, Animal Planet ou encore Science Channel. Et dans les plateformes numériques et applications mobiles, Discovery apporte un savoir-faire en termes d’innovation. Dès 2015, le service de SVOD Motor Trend OnDemand est lancé pour les passionnés de voitures. En 2019, Food Network Kitchen est diffusé en live et on-demand pour les fans de cuisine. Puis, c’est à partir de 2020 qu’est déployée la plateforme de SVOD Discovery+, d’abord en Inde, puis l’année suivante aux Etats-Unis. Discovery+ s’appelait auparavant Dplay (en 2019) après avoir été lancé sous le nom de QuestOD (en 2018). Au Hollywood Reporter début août dernier, le directeur général de Discovery, David Zaslay, avait indiqué que Discovery+ avait atteint les 18 millions d’abonnés (8) : plus de douze fois moins que Netflix et plus de six fois moins que Disney+. Puis à Fierce Video début novembre dernier le Français Jean-Briac Perrette (photo ci-contre) chez Discovery, avait actualisé le nombre d’abonnés à 20 millions au 30 septembre dernier. « Nous voulons accélérer dans le domaine des services de streaming de média et de divertissement, en mode Directto- Consumer (DTC), pour les consommateurs du monde entier », a expliqué la firme de Dallas le 2 février dernier lors de la présentation de la scission d’avec sa filiale de contenus.

Feux verts de l’Europe et des Etats-Unis
Auprès du gendarme de la Bourse américaine (la SEC), Discovery a pris acte qu’il n’y a eu à l’échéance légale du 9 février dernier (9) aucune contestation au projet de fusion « WBD », ni de la part de la Federal Trade Commission (FTC), présidée depuis septembre 2021 par Lina Khan et pourtant plutôt hostile aux positions dominantes (10), ni du DoJ (département de la Justice) ni même de la FCC (régulateur des communications). Alors même que le DoJ avait reçu le 4 décembre 2021 une lettre de près de trente Démocrates américains (11) l’exhortant à examiner de très près le dossier « Discovery-WarnerMedia » avant de rendre sa décision. Car selon ces parlementaires américains, le futur WBD risque de réduire la diversité et l’inclusivité des contenus proposés aux consommateurs, lesquels pourraient être amenés à les payer plus cher. Quant à la Commission européenne, elle a déjà fait savoir le 3 janvier dernier qu’elle avait autorisé le contrôle de WarnerMedia par Discovery (12). @

Charles de Laubier

Cinéma : les salles et Canal+ protégées pour 3 ans

En fait. Le 24 janvier, toute la filière professionnelle du cinéma français et des plateformes de VOD/SVOD a signé – à l’exception de la SACD (1) – l’accord sur le réaménagement de la chronologie des médias. Malgré la révolution des usages, Canal+ (Vivendi) et les salles de cinéma (FNCF) préservent leur pré-carré jusqu’en février 2025.

En clair. Deux monopoles vont pouvoir continuer à prospérer en France à l’ombre de la nouvelle chronologie des médias que viennent de signer la quasi-totalité des organisations du cinéma français – le Blic (2), le Bloc (3) et l’ARP (4) – avec Canal+ (historiquement favorisé car grand financeur de films) et la Sévad (Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande). Ces deux monopoles du 7e Art français, reconduits pour trois nouvelles années (jusqu’en février 2025), sont : d’une part, les salles de cinéma, qui conservent encore leur exclusivité durant quatre mois pour la première diffusion des nouveaux films, et, d’autre part, Canal+ du groupe Vivendi, qui est la seule chaîne cryptée avec OCS (dont Canal+ détient 33,33 % du capital aux côtés des 66,67 % d’Orange) à bénéficier des films dès six mois après leur sortie en salle.
Ces deux opérateurs historiques – les salles obscures et la chaîne cryptée – ne sont pas concurrencés sur leur propre marché respectif, entendez sur leur « fenêtre de diffusion » (dans le jargon de la chronologie des médias) pas aucun rival. Et pour cause : Canal+ et la FNCF (5) ont chacun défendu becs et ongles leur exclusivité monopolistique, les salles de cinéma durant quatre mois (trois mois en cas de rares dérogations) et la chaîne cryptée durant au moins neuf mois (sur les seize mois alloués). Ce statu quo des salles (aux quatre premiers mois inchangés) et de la chaîne cryptée (passant même à six mois après la salle au lieu de huit) paraît incompréhensible au regard de la révolution des usages numériques qui est à l’oeuvre depuis ces dernières années.
La nouvelle génération n’a pas d’attirance pour ni les salles ni la télé. En revanche, ces générations Y, Z et Alpha regardent volontiers leurs films et séries sur les plateformes de VOD et encore plus sur la SVOD : Netflix, Amazon Prime Video et Disney+ en tête. Or le « réaménagement » de la chronologie des médias, laquelle reste inexplicable pour le grand public, maintient la VOD à l’acte à quatre mois après la sortie des films et la SVOD par abonnement à… quinze mois voire dix-sept après la sortie des mêmes films. Certes, la SVOD avancent de quelques cases, comme dans un jeu de l’Oie, puisqu’elle était auparavant à trente-six mois. Le grand danger d’une telle anachronie est d’encourager le piratage sur Internet de ces œuvres cinématographiques et audiovisuelles. @

Chronologie des médias : en attendant la réforme, l’accord « pro-Canal+ » rebat les cartes

Même si Canal+ a conclu un accord triennal, daté du 2 décembre 2021, avec les organisations professionnelles du cinéma français (200 millions d’euros par an, fenêtre s’ouvrant dès 6 mois), cela ne règle en rien la réforme toujours en cours de la chronologie des médias – bien au contraire.

Par Anne-Marie Pecoraro*, avocate associée, UGGC Avocats