Chronologie des médias : énième reprise des négos

En fait. Le 23 août, Netflix a confirmé au magazine américain Variety et à L’Express qu’il fermait son bureau parisien. Mais son service de SVOD, lancé
en France il y a deux ans, reste ouvert. La chronologie des médias, elle, est entrée dans un nouveau round de négociations depuis le 22 juin dernier.

Amazon s’apprête à lancer en France « Prime Video » et « Video Direct » à l’assaut de Netflix et YouTube

Dernière ligne droite avant le lancement – probablement cet été en France et
dans d’autres pays – d’Amazon Prime Video, le service de SVOD du géant du
e-commerce. Objectif : détrôner Netflix. Quand à la plateforme de partage Amazon Video Direct, également attendue en 2016, elle vise YouTube.

Amazon Prime Video, le service de SVOD du géant du e-commerce, ne cesse de s’enrichir de séries et de films français. Ses deux dernières acquisitions ont été faites auprès de StudioCanal, la filiale de production et de distribution de films
du groupe Canal+. Il s’agit du thriller « Le Bureau des Légendes » (« The Bureau ») et de la comédie dramatique « Baron noir »,
deux séries actuellement diffusées en France par Canal+ qui
les a financées. Ce n’est pas la première fois que StudioCanal
et Amazon s’associent.

En France cet été, comme en Autralie ?
En novembre 2014, ils avait déjà prolongé un « accord pluriannuel » pour l’exploitation de films au Royaume-Uni et en Allemagne sur à l’époque « Amazon Instant Video », lequel service obtenait les droits exclusifs en première fenêtre de télévision payante
sur tous les films de StudioCanal dans ces deux pays (« Non Stop », « Paddington », « Hunger Games », …).
En décembre dernier, Amazon avait aussi signé un accord de distribution sur plusieurs années avec cette fois EuropaCorp, le studio de cinéma de Luc Besson. La film d’action « Le Transporteur-Héritage » (« The Transporter Refueled ») sera le premier titre disponible sur Amazon Prime Video, suivi du thriller « Shut In » et de la comédie « Nine Lives ». D’autres films d’EuropaCorp seront aussi disponible à terme sur la plateforme SVOD d’Amazon : « Blockbusters », « Taken » ou encore « Lucy ».
Amazon cofinance en outre « The Collection », une coproduction avec France Télévisions et BBC Worldwide, dont le tournage en France et au Pays de Galles – notamment par le studio indépendant français Fédération Entertainment – devait s’achever fin mai sur le thème de Paris dans l’après-Seconde Guerre mondiale. Cette série (8 x 52 mn) sera diffusée en France sur France 3 et sans doute pas la suite sur Amazon Prime Video.
La firme de Jeff Bezos (photo) accélère ainsi l’enrichissement de son catalogue de films et séries en multipliant les accords de diffusion en France, où la plateforme Amazon Prime Video devrait être lancée. Netflix a pris de l’avance sur l’Hexagone, depuis son lancement en septembre 2014, et compterait environ 1million d’abonnés. Pour l’heure, Amazon Prime Video n’est disponible qu’aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Autriche et au Japon.

En France, où le service Prime s’appelle « Premium », le catalogue vidéo de séries
et de films n’est pas encore accessible. Mais le lancement d’Amazon Prime Video en Australie, prévu a priori en août prochain (1), pourrait donner le coup d’envoi d’une nouvelle expansion internationale – dont ferait partie la France (2).
Amazon a préparé le terrain lors du 69e Festival international du film de Cannes (lire encadré page suivante), où quatre productions dont le géant du e-commerce a les droits de distribution faisaient partie de la sélection officielle : « Café Society » de Woody Allen (qui s’est engagé auprès d’Amazon de créer sa première série télé sur Amazon Prime Video (3)), « The Neon Demon » de Nicolas Winding Refn, « The Handmaiden » de Park Chan-wook, « Paterson » de Jim Jarmusch.
Amazon va jusqu’à faire des pieds de nez à la chronologie des médias, même aux Etats-Unis, où le film « Chi-raq » de Spike Lee – premier film produit par Amazon Studios – a été diffusé lors de sa sortie fin 2015 simultanément dans quelques salles
et en streaming sur Amazon Prime Video – ce qui a fait frémir certains inconditionnels des fenêtres de diffusion. En France, lors de la présentation de la sélection officielle du Festival de Cannes, le délégué général du festival Thierry Frémaux – interrogé par un journaliste américain du Hollywood Reporter à propos d’Amazon au regard de la chronologie des médias – avait tenu à préciser que les films présentés à Cannes et distribués par Amazon sortiraient d’abord dans les salles de cinémas avant d’être proposés en streaming sur Internet… Amazon ne veut en tout cas pas laisser seul Netflix perturber la chronologie des médias (4).

Des exclusivités « Not on Netflix »
Quoi qu’il en soit, la firme de Jeff Bezos tente de se positionner comme une alternative à Netflix, quitte à mettre en avant les films et séries estampillés « Prime Member Exclusives: Not on Netflix » et ses propres productions telles que « Transparent »,
« Mozart in the Jungle », « Man in the High Castle » ou encore le futur long-métrage
« Untitled Woody Allen Project » (5). Certaines de ses productions originales ont été primées aux Golden Globes et plébiscitées par le public. A signaler qu’Amazon finance par ailleurs la comédie « Jean-Claude Van Johnson », où l’acteur belge Jean-Claude Van Damme aura le premier rôle. Amazon produit aussi des série télé telles que
« Alpha » ou « Beta », et a lancé en avril sa première série documentaire en partenariat avec le magazine The New Yorker. Les premiers épisodes de « The New Yorker Presents » (une demi-heure chaque) ont été montrés au MipDoc, en avril dernier à Cannes (6).

16 films par an, candidats aux Oscars
Jeff Bezos veut clairement décrocher un Oscar après avoir obtenu en 2015 cinq Emmys avec « Transparent ». Dans un entretien au quotidien allemand Die Welt en décembre dernier, il a indiqué que son groupe avant l’ambition de produire 16 films
par an.
Malgré cette montée en puissance dans la production audiovisuelle et cinématographique, Amazon Prime Video a du mal à se faire une place, coincé entre YouTube et Netflix. Aux Etats-Unis, selon un sondage de Morgan Stanley portant sur la satisfaction des consommateurs vis à vis des services de SVOD, Amazon ne recueille que 5 % d’avis positifs pendant que Netflix et HBO s’arrogent respectivement 29 % et 18 % d’opinions favorables. Et selon une étude de Parks Associates cette fois, Netflix pèse 52 % des abonnements des offres vidéo en OTT (Over-The-Top) avec 52 % des abonnements, quand Amazon représente seulement un peu plus de 20 % des abonnés.
La vidéo est plus que jamais au cœur de l’écosystème Prime d’Amazon. Faisant figure de bouquet de services en ligne, où sont proposés des livraisons gratuites de produits achetés sur les sites web du géant du e-commerce (dont la livraison dans l’heure Prime Now), ainsi que de plus en plus de contenus numériques tels que la vidéo, de la musique ou encore des livres numériques, Prime est largement développé aux Etats-Unis, avec quelque 50 millions d’abonnés (7), mais monte en puissance en Europe. Pour faciliter le recrutement de nouveaux abonnés, Prime est non seulement payable
à l’année (99 dollars ou, en Europe, 49 euros) mais aussi désormais par mois sans engagement et résiliable à tout moment. Objectif : attirer des utilisateurs périodiques ou tentés par Amazon mais hésitant à franchir le pas, tandis que ceux décidés à s’abonner pour un an auront un tarif annuel 25 % moins élevé que le paiement mensuel sur douze mois.
Cela ne l’empêche pas de proposer depuis avril dernier une offre d’Amazon Prime Vidéo distincte de son écosystème composite Prime, afin de séduire ceux qui seraient tenter d’aller s’abonner chez Netflix ou tout simplement de les inciter à essayer son service de SVOD en version HD voire ultra-HD pour seulement 8,99 dollars par mois sans engagement et en consommation illimitée. L’objectif de ce service de séries et de films en streaming, lancé il y a cinq ans, est clairement de marcher sur les plates-bandes de Netflix, dont l’abonnement commence à 7,99 par mois mais haute définition. Amazon propose aussi à ses utilisateurs de tablette Kindle Fire HD ou d’application Amazon de regarder des contenus en mode hors ligne, afin de se différencier de Netflix qui ne propose pas cette facilité d’usage. Reste à ce que le lecteur Prime Video soit bien supporté par les appareils de diffusion vidéo tels que l’Apple TV ou le Chromecast de Google, comme avec ses propres produits (Fire TV et Fire TV Stick). Or, ce n’était pas le cas. Du coup, depuis l’automne dernier, Jeff Bezos refuse de les vendre sur les sites marchands d’Amazon… @

Charles de Laubier

Relations entre Cannes et Canal : vers la fin de l’exception culturelle du cinéma français

Comme pour compenser la baisse du préfinancement de films, Canal+ met
tout son numérique à disposition du 69e Festival de Cannes du 11 au 22 mai.
La chaîne cryptée du cinéma y sera pour la 24e année. Mais ses relations consanguines avec le Septième Art français s’appauvrissent.

Le principal bailleur de fonds du cinéma français, passé sous
la coupe de Vincent Bolloré en 2015, promet à l’Association française du festival international du film (AFFIF) – présidée par Pierre Lescure et organisatrice du Festival de Cannes (1) – que son groupe Vivendi va mettre les bouchées doubles pour faire rayonner la 69e édition de la grand-messe du Septième Art.
Pour la 24e fois sur la Croisette, Canal+ va faire la promotion du cinéma dans le cadre d’un partenariat qui vient d’être renouvelé pour cinq ans avec notamment la production et la diffusion en exclusivité des cérémonies d’ouverture et de clôture du Festival de Cannes. Mais le budget consacré par la chaîne cryptée du cinéma à l’événement est en baisse par rapport aux 6 millions d’euros estimés de l’an dernier.

Dailymotion « vitrine numérique » de Vivendi
Comme pour tenter de montrer que sont engagement est intacte malgré ces économies, le groupe Canal – dirigé par Maxime Saada (photo) depuis septembre 2015 – va faire appel « à toutes les forces vives du groupe » : non seulement les chaînes Canal+, D8 et iTélé seront mises à contribution, mais aussi les sites web, à commencer par Canalplus.fr et surtout Dailymotion. « On a mis le turbo sur le numérique », a assuré Maxime Saada le 14 avril. « TV Festival de Cannes », la chaîne dédiée et coproduite par Canal+, Orange et le Festival de Cannes pour couvrir les montées des marches, les conférences de presse, les photo-calls, les interviews et les événements officiels, sera disponible sur Dailymotion – mais aussi sur YouTube (2). La plateforme vidéo Dailymotion, acquise par Vivendi à Orange en juin 2015 et présidée depuis janvier 2016 par Maxime Saada (3), revendique quelque 300 millions de visiteurs par mois pour près de 3,5 milliards de vidéos visionnées mensuellement. « Dailymotion a vocation à devenir la vitrine numérique des contenus musicaux et audiovisuels du groupe », indique d’ailleurs le groupe Vivendi. Canal+ a en outre réussi à convaincre le président du Festival de Cannes Pierre Lescure et le délégué général Thierry Frémaux de porter sur eux un micro, afin de proposer chaque soir un montage des meilleurs moments du jour. Dailymotion, qui suit aussi Thierry Frémaux dans ses déplacements dans le monde pour préparer la fête du cinéma, se veut ainsi le point de rendez-vous de l’événement festif. « Je pense que cela a beaucoup compté dans le choix du président du Festival Pierre Lescure [cofondateur de Canal+, ndlr] et de Thierry Frémaux dans le renouvellement de notre partenariat », avait indiqué Maxime Saada
le 15 février au Parisien après l’annonce du nouvellement pour cinq ans du partenariat avec l’AFFIF, mais avec une réduction de la voilure : « Le Grand Journal » sur la Croisette sera animé depuis Paris ; « Les Guignols » cryptés par Vincent Bolloré seront privés de Festival ; le producteur Renaud Le Van Kim a été évincé au cours de l’été 2015 (4).
Mais au-delà d’une vitrine moins reluisante sur la Croisette, le cinéma français craint plus un désengagement progressif du financement de films de la part de Canal+ – jusque-là principal argentier du cinéma français. Bien que la chaîne cryptée soit tenue d’investir 12,5 % de son chiffre d’affaires dans l’acquisition de films européens, dont 9,5 % dans des films en français (soit pour 175 millions d’euros en 2015 pour 129 titres), elle pourrait payer beaucoup moins si son offre devait être scindée en deux. A savoir : d’un côté le cinéma avec Canal+, de l’autre le sport avec BeIn Sports. Si l’Autorité de
la concurrence, dont la décision sur le rapprochement entre Canal+ et BeIn Sports est attendue d’ici fin mai, donnait son feu vert, la chaîne cryptée pourrait en effet séparer ses deux offres thématiques. Auquel cas, le calcul de son obligatoire de financement de films français ne se ferait plus que sur les revenus du seul cinéma, mais non pas sur l’ensemble du chiffre d’affaires de Canal+ comme aujourd’hui.

Le cinéma français craint le clap de fin
La ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay, s’est voulue rassurante auprès des organisations du cinéma inquiètes de cette perspective (5).
« Dès ma prise de fonction, j’ai rencontré Vincent Bolloré, qui a pris l’engagement devant moi de maintenir le niveau de contribution du groupe Canal+ au financement
du cinéma. Et ce, même si le rapprochement de Canal+ et beIN Sports conduisait le groupe à proposer de nouvelles offres fondées uniquement sur le sport », avait-elle assuré le 6 avril dans Le Figaro. Mais il est des chiffres qui ne trompent pas : Canal+ en France accuse une perte opérationnelle de 264 millions d’euros en 2015 (400 millions attendus cette année), et fait face à une forte érosion de sa base d’abonnés depuis quatre ans – dont 405.000 résiliations en 2015. @

Charles de Laubier

Les Européens sont encore plutôt réservés vis à vis de la VOD, contrairement au reste du monde

L’attrait grandissant des services de télévision et de vidéo sur Internet
– vidéo en ligne, VOD, SVOD – augmente la pression sur les fournisseurs
de TV traditionnels par câble, satellite ou ligne téléphonique. Mais l’Europe
est la région du monde la plus frileuse vis à vis de ces nouveaux services.

Selon une étude de Nielsen menée au niveau mondial et publiée en mars dernier, plus d’un quart des 30.000 personnes interrogées en ligne dans une soixantaine de pays, soit 26 % d’entre elles, déclarent regarder la télévision ou de la vidéo à la demande (VOD) en étant abonnées à des services en ligne tels que Hulu, Netflix ou encore Amazon.

VOD et TV sont complémentaires
Si l’on compare les cinq grandes régions du monde sur cette question, le nombre de ceux qui paient pour voir de la vidéo en ligne est plus important en Amérique du Nord
et en Asie-Pacifique avec 35 % des personnes interrogées. Ils sont ensuite 21 % dans ce cas en Amérique Latine et autant au Moyen Orient/Afrique. Mais si l’on s’attarde sur l’Europe, le taux tombe à… 11 % seulement (voir graphique ci-dessous). Au cœur du Vieux Continent, la France ne compte que 4 % des personnes interrogées abonnées
à des services de VOD et se situe au niveau de l’Italie (4 %) et de l’Espagne (3 %). Ce qui est très éloigné des pays du Nord de l’Europe où il y a une plus grand appétence à s’abonner à de la VOD : le Danemark (34 %), la Norvège (33 %) ou encore la Finlande (30 %). Selon Médiamétrie, 35,1 millions d’internautes en France ont regardé au moins une vidéo sur Internet depuis un ordinateur, soit 73,2 % d’entre eux. Tandis que 3 millions de Français seulement regardent la télévision sur les écrans Internet – dont près de la moitié sur mobile ou tablette.
A la question cette fois de savoir si les personnes interrogées seraient prêtes à résilier leur service de télévision par câble, satellite ou ligne téléphonique pour basculer sur un service de vidéo en streaming sur Internet, près d’un tiers d’entre elles dans le monde – soit 32 % – se disent quand même prêtes à le faire. Ce taux est loin d’être anecdotique ni négligeable, d’autant que la jeune génération dit « Z » (née après 1995), encore plus Internet Natives que la génération précédente dite « Y » (née après 1980, appelée aussi « Génération millénaire »), est la plus disposée à couper le cordon de la télévision de « papa » (40 %). Là encore, l’Europe est la moins disante avec seulement 17 % des personnes interrogées et arrive loin derrière l’Asie-Pacifique (44 %), l’Amérique Latine (24 %) et même l’Amérique du Nord (22 %) où le phénomène du cord-cutting fait le plus débat actuellement (1). Si de nombreux Américains abonnés à de coûteux bundle câble-TV déclarent qu’ils seraient prêts à résilier leurs abonnements aux chaînes câblées traditionnelles pour se reporter sur des offres vidéo moins coûteuses sur Internet (VOD, SVOD, Catch up TV, …), finalement peu passent à l’acte pour le moment.

Anytime et binge-watching
Mais il y a des signes qui ne trompent pas : une autre enquête récente, réalisée cette fois par la société américaine de services de paiements Vindicia auprès de 1.000 Américains souscrivant déjà à au moins un service de SVOD, 45 % considèrent les sites de vidéo en streaming HBO Now, Netflix et Hulu comme plus importants pour eux. Et si l’on focalise sur les 20-39 ans, c’est plus de la moitié.
Car si 72 % des personnes interrogées par Nielsen dans le monde affirment qu’elles paient pour regarder la télévision traditionnelle par câble, par satellite ou par ligne téléphonique, elles sont quand même 65 % a regarder toutes formes de vidéo sur Internet de formats longs ou courts. « La popularité croissante des services vidéo uniquement en ligne va continuer à faire pression sur les fournisseurs de télévision par câble, satellite ou réseau téléphonique, mais un remplacement significatif de l’un par l’autre est peu probable. Tandis que quelques consommateurs réduisent leurs services de télévision traditionnels, beaucoup ne coupent pas le cordon complètement. Pour la plupart des téléspectateurs, services en ligne et traditionnels ne sont pas mutuellement exclusifs, mais complémentaires », analyse Megan Clarken (photo), vice-présidente exécutive chez Nielsen. Il n’en demeure pas moins, selon elle, qu’« à court terme, le cord-cutting s’avère la plus grande menace pour les acteurs traditionnels de l’audiovisuel au moment où les consommateurs évaluent les avantages des services premium ou des réseaux et considèrent des packages plus réduits qui leur offrent un meilleur rapport contenus-prix ».

Chronologie ou day and date ?
Quelles que soient les régions du monde, les films de cinéma arrivent en tête des contenus VOD regardés pour 80 % des personnes sondées par Nielsen, suivis par
les programmes de télévision à la demande de type replay pour 50 %. Viennent ensuite les programmes de genres et de comédies pour 38 %, les séries originales pour 32 %, ainsi que les sports et les documentaires (31 % chacun). Tandis que 22 % disent regarder des vidéos courtes de 15 minutes ou moins. Côté confort, les trois-quarts des personnes questionnées dans le monde mettent en premier la possibilité de voir de la VOD à n’importe quel moment. Les deux-tiers apprécient en outre des contenus de vidéo en ligne de pouvoir être visionnés par les différents membres du foyer sur plusieurs terminaux en même temps. Plus des deux-tiers – voire plus pour les générations Y et Z – sont également motivés par la VOD car ils peuvent regarder plusieurs épisodes d’une série dans une même soirée, selon la pratique du binge-watching.
Autre point positif de la vidéo sur Internet, et non des moindres : le coût est perçu comme moins élevé que les services programmés du câble et du satellite. C’est particulière vrai en Amérique du Nord où les forfaits dépassent souvent les 50 dollars par mois, soit près de 45 euros par mois, ce qui est bien supérieur à nos 30 euros habituels en France par exemple. D’où une certaine attirance pour la vidéo sur Internet gratuite et financée par la publicité. Ainsi, toujours selon l’enquête mondiale de Nielsen, 59 % des personnes interrogées dans le monde disent que la publicité ne les gêne pas « si le service de VOD est gratuit ». En Europe, elles sont 53 %. Et si l’on zoome sur la France, elles sont même 56 % à être favorables à de la publicité si la gratuité de la vidéo est au rendez-vous. Cependant, la VOD a des défauts : beaucoup (72 %) regrettent qu’il n’y ait pas plus de choix de programmation disponibles, et qu’il y ait des contenus sélectionnés limités, tandis que les deux-tiers (67 %) des répondants reconnaissent que regarder de la vidéo en ligne sur des écrans mobiles (smartphones ou tablettes) est moins confortable que sur grand écran. Quoi qu’il en soit, l’Europe – dont la France (2) – est en retard dans l’utilisation de services de vidéo en streaming payants sur Internet. Une des explications est sans doute à aller chercher du côté de la rigidité de la chronologie des médias qui régit la sortie des nouveaux films, en salles de cinéma (exclusivité de quatre mois en France par exemple), en VOD (seulement
au cinquième mois après la salle), puis à la télévision (chaînes payantes suivies des chaînes gratuites), voire la SVOD (à seulement trente-deux mois). Comme beaucoup de pays européens, la France interdit la simultanéité salles-VOD, mais la pratique du
e-cinéma qui consiste à sortir un nouveau film uniquement sur Internet – en faisant l’impasse sur la salle – commence à apparaître, notamment sous l’impulsion du distributeur-producteur Wild Bunch (3).
Aux Etats-Unis, la pression du streaming vidéo est plus forte. A Hollywood, les groupes de médias et de cinéma comme Time Warner, Viacom/Paramount ou encore AMC Networks s’inquiètent de la montée en puissance des Netflix, Hulu et autres Amazon Prime Video. Surtout que ces plateformes numériques produisent aussi leurs propres séries telles que « House of Cards » et « Orange is the New Black » pour Netflix,
« Transparent » et « Mozart in the Jungle » pour Amazon, en attendant « The Path » chez Hulu, certaines de ces oeuvres cinématographiques remportant en plus des trophées aux Emmy Awards ou aux Golden Globes.
Concernant la chronologie des médias, qui n’existe pas d’un point de vue réglementaire outre-Atlantique, elle relève plutôt de la négociation et n’exclut pas la simultanéité salles-VOD. Netflix et Amazon sont de plus en plus moteurs dans ce day and date (D&D). Avec la nouvelle offre « Screening Room » lancée par Sean Parker, qui fut cofondateur de Napster et est un des célèbres actionnaires de Facebook, les Etats-Unis s’apprêtent à pousser plus loin la logique du cinéma à la maison avec des films en première exclusivité et un partage des recettes avec les… exploitants de salles de cinéma ! Sean Parker a même les encouragements d’icônes d’Hollywood comme Martin Scorsese et Steven Spielberg… Il suffit alors de se procurer de la « box » de Screening Room pour 150 dollars et d’acheter des films à 50 dollars l’unité, puis d’amortir le tout en famille et dans le Home Cinema de son salon, ce qui reviendra moins cher que de multiplier les tickets de salle de cinéma. Malgré les résistances de la part de la National Association of Theatre Owners – l’équivalent de la FNCF en France – et de la Art House Convergence (salles d’arts et d’essai), la demande est forte. Mais cela reste encore embryonnaire comme marché face au box-office nord-américain qui génère plus de 10 milliards de dollars par an.

Le géo-blocage présente un risque
Autre frein possible : la blocage géographique de la VOD. Cette pratique du geo-blocking est plus importante en Europe, car héritée de la distribution nationale historique des films en K7 puis DVD dans un souci purement commercial de « territorialité des droits » (4), qu’aux Etats- Unis. La Commission européenne s’est d’ailleurs interrogée le 18 mars dernier (5) sur le risque anti-concurrentiel du géo-blocage dans le e-commerce. @

Charles de Laubier

Les industries culturelles font d’emblée de la nouvelle ministre Audrey Azoulay leur porte-drapeau

Depuis sa nomination surprise le 11 février à la place de Fleur Pellerin,
la nouvelle ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay,
n’a cessé de recevoir les félicitations des ayants droits du cinéma et de la musique. Cette proche de François Hollande est une technocrate de la culture.

C’est d’abord le monde du Septième Art français qui se félicite le plus de l’arrivée d’Audrey Azoulay rue de Valois, en remplacement de Fleur Pellerin. Et pour cause, la nouvelle ministre de la Culture et de la Communication a passé huit ans au CNC (1) qu’elle avait rejointe en 2006 pour en devenir la directrice financière, puis la directrice générale déléguée – notamment en charge de l’audiovisuel et du numérique. C’est à ce titre qu’elle a animé à partir de mars 2014 un groupe de travail sur le dossier sensible de l’évolution de la chronologie des médias (2).

Chronologie des médias inachevées
Mais ces négociations interprofessionnelles se sont dès le départ figées, avant qu’elle ne soit « exfiltrée » en juin de la même année pour devenir conseillère du président de la République pour la Culture et de la Communication (3). Avant le CNC et l’Elysée, Audrey Azoulay avait été cheffe du bureau du secteur audiovisuel public à la Direction du développement des médias (DDM), devenue par la suite la DGMIC (4). Si l’ancienne directrice générale déléguée du CNC n’a pu achever en 2014 la réforme de la chronologie des médias, la nouvelle ministre de la Culture et de la Communication pourrait retrouver ce dossier sur son bureau rue de Valois. Car, depuis deux ans,
force est de constater que le statu quo prévaut sur les fenêtres de diffusion des films :
« Pas question de toucher au quatre mois d’exclusivité dont bénéficient les salles de cinéma », bloquent les uns (FNCF, …) (5) ; « Tant que l’on n’aura pas réglé le problème du piratage, on ne pourra pas rediscuter de la chronologie des médias » (Canal+, …) (6), empêchent les autres.
Pour l’heure, la filière du cinéma applaudit Audrey Azoulay. Le Bureau de liaison des organisations du cinéma (Bloc) – soit une quinzaine d’organisations du cinéma et majoritairement des producteurs (APC, SPI, SRF, …) – « salue [sa] nomination » et voue « sa grande connaissance des enjeux du secteur audiovisuel et cinématographique [qui] lui permettra de défendre (…) les enjeux de la filière ». Parmi ses priorités exprimées le 15 février, le Bloc (7) cite tout de même « la régulation de la diffusion des films en salles ». L’un de ses membres, l’Association des producteurs de cinéma (APC), a signé le 12 février un communiqué commun avec l’Union des producteurs de films (UPF) dans lequel elles « se félicitent » et « se réjouissent » de
la nomination d’Audrey Azoulay, dont elles « saluent sa grande compétence et sa connaissance approfondie des dossiers du cinéma et de l’audiovisuel ». De son côté,
la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) « salue » aussi l’arrivée de la nouvelle ministre. Parmi les dossiers cités par cette société de gestion collective des droits d’auteurs, Audrey Azoulay est appelée à « faire du numérique une chance pour la création et la diffusion des oeuvres », en ajoutant : « A l’heure de la réforme territoriale, du bouleversement du paysage audiovisuel et de l’essor du numérique, la création, la culture et la communication ont besoin d’une ambition renouvelée (…) aujourd’hui indispensable ».
Le directeur général de la SACD (8) n’a pas résisté, lui, à tancer les producteurs de
films : « Fleur Pellerin, qui a su défendre avec force et détermination la création et les droits d’auteur [notamment auprès de la Commission européenne, ndlr] en amorçant le mouvement vers la démocratisation numérique, pourra méditer sur la déplaisante et goujate ingratitude des producteurs de cinéma incapables de saluer son action en leur faveur encore marquée récemment, dans un contexte budgétaire difficile, par l’adoption de nouvelles mesures de crédit d’impôt ».

Seulement un an pour agir
Du côté de la musique, le Syndicat national de l’édition (Snep) la « salue » également, en réaffirmant son « attachement à la poursuite de la dynamique issue des accords Schwartz [de décembre 2015 sur la répartition des revenus du streaming, ndlr] et à
leur mise en oeuvre ». La Société française de collecte des droits d’auteurs (Sacem), elle, « félicite » Audrey Azoulay et remercie Fleur Pellerin. L’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI), associée à sa société de gestion des droits SPPF, place le renforcement du crédit d’impôt parmi les priorités. Quant à la Société de perception et de distribution des droits des artistes interprètes (Spedidam), elle « souhaite que la nouvelle ministre soit particulièrement attentive aux débats [du projet de loi « Création » dont le vote au Sénat est décalé au 1er mars, ndlr] sur la rémunération des artistes interprètes pour les nouveaux usages sur Internet ». Mais, comme le souligne la Société civile des auteurs multimédias (Scam), Audrey Azoulay n’a qu’« un an pour agir… ». @

Charles de Laubier