Les ayants droits ont surestimé le nombre de pirates

En fait. Le 3 septembre, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) a publié un état chiffré de la réponse graduée, mois par mois, depuis son lancement il y a près de trois ans.
Mais combien de dossiers de récidivistes ont-ils été transmis à la justice ?

En clair. Lancée en octobre 2010, la réponse graduée mise en oeuvre par la Commission de protection des droits (CPD) – bras armé de l’Hadopi – est bien loin des 125.000 constats de piratages par jour qu’avaient prévu d’atteindre potentiellement les organisations de la musique et du cinéma sur les réseaux peer-to-peer.
La Cnil a en effet fixé en juin 2010 un plafond de 25.000 constats par jour pour chacune des cinq autorisations accordées à la SCPP, la SPPF, la Sacem et la SDRM pour la musique, ainsi qu’à l’Alpa pour le cinéma (1) (*) (**).

Jusqu’à quand l’idée d’une licence globale fera-t-elle son éternel retour sans lendemain ?

Une proposition de loi déposée le 29 mai à l’Assemblée nationale, remet au goût du jour la licence globale, tout comme un rapport parlementaire remis le 17 avril sur les métiers artistiques. Dommage que le rapport Lescure ait botté en touche sur ce modèle de « contribution créative ».

Par Charles de Laubier

MZLe code de la propriété intellectuelle (CPI) contiendra-t-il un jour un article comportant un nouvel alinéa prévoyant une licence globale ?
C’est ce qu’espère le député Michel Zumkeller (photo) en redéposant, le 29 mai 2013, la même proposition de loi que celle du 29 avril 2010.
L’alinéa à insérer dans le CPI est le même : « Une licence globale à paliers est versée par les titulaires d’un accès Internet. Cette cotisation leur permet de télécharger des contenus audiovisuels. Le montant de cette cotisation perçu par les fournisseurs d’accès Internet, varie par palier de 0 euro mensuel pour une personne ne téléchargeant pas, à un montant de 10 euros pour une personne téléchargeant beaucoup. Cette cotisation est réévaluée tous les ans par décret ».

De 0 à 10 euros par mois à payer au FAI
Pour cet élu de centre-droit (1), membre du parti de l’Union des démocrates et indépendants (UDI) créé l’an dernier par Jean-Louis Borloo, il y a de la persévérance et de la constance !
Pour justifier cette licence globale, qui concernerait non seulement la musique en ligne mais aussi les films à la demande, il explique que « chaque jour, des quantités très importantes d’oeuvres artistiques s’échangent sur le net, sans apporter la moindre rétribution aux auteurs et aux interprètes ».
Aussi, pour garantir aux créateurs la juste rémunération de leur travail, sa proposition de loi consiste à créer une « licence globale à paliers qui leur permettrait [principalement aux jeunes] de télécharger en toute légalité des contenus audiovisuels sur le net, en contrepartie du versement d’une somme mensuelle à leur fournisseur d’accès Internet ». Plus un internaute téléchargera, plus il se rapprochera de la licence globale à 10 euros,
le haut de la « grille tarifaire de rétribution ». S’il ne télécharge pas du tout, il n’aurait rien à payer. « Le montant moyen de la licence devra s’établir aux environs de 5 euros par mois et par abonné, afin d’établir une véritable correspondance économique avec l’impact de légalisation du téléchargement », précise le député et comptable de profession. Pour l’heure, sa proposition de loi a été renvoyée à la commission des Affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, comme ce fut le cas en 2010. Pour y être enterrée, comme il y a trois ans (2) ? Le député, qui s’était opposé en 2009 à la loi Hadopi en la considérant comme « une erreur », est remonté au créneau quelques jours après la remise du rapport Lescure, lequel, se félicite-t-il, « confirme l’inutilité d’Hadopi ». Mais d’ajouter : « Cependant, ce rapport n’apporte aucune solution concrète ». La mission « Acte II de l’exception culturelle » aborde bien la licence globale, en y faisant référence pour les échanges non marchands (« Aucun modèle ne doit être a priori écarté »), mais botte en touche en recommandant d’« approfondir la réflexion sur la légalisation des échanges non marchands, tant au plan national qu’à l’échelle communautaire, afin d’en préciser les contours et de définir les modalités de leur reconnaissance juridique ». Mais, contrairement à ce qu’envisage le député Michel Zumkeller, le rapport Lescure exclut la licence globale sur l’ensemble des échanges de contenus audiovisuels sur le Net : « Si elle devait concerner l’ensemble des contenus culturels protégés par le droit d’auteur, la contribution créative [ou licence globale, ndlr] devrait être d’un montant très élevé. (…) Or, le montant de 5 euros par mois et par foyer, avancé dans certaines propositions (3), ne suffirait même pas à compenser l’intégralité du chiffre d’affaires de la musique enregistrée et la vidéo, qui s’élevait en 2012 à un peu plus de 2 milliards d’euros (ventes physiques et numériques confondues). En incluant le livre, le jeu vidéo, la presse et la photographie, on aboutirait à des sommes largement supérieures, de l’ordre de 20 à 40 euros par mois » (4). Si le rapport Lescure n’exclut pas la licence globale, il laisse planer le doute sur ce modèle de rémunération. Pourtant, un rapport parlementaire commun à deux commissions de l’Assemblée nationale (5) avait préparé le terrain.

Mieux rémunérer auteurs et interprètes
Remis le 17 avril dernier par ses 24 membres, aussi divers politiquement que Franck Riester, Henri Guaino, Patrick Bloche ou encore Marie-George Buffet, ce rapport sur les conditions d’emploi dans les métiers artistiques manifeste un « intérêt » pour la licence globale (6) et insiste sur « la nécessité de garantir une rémunération équitable des créateurs diffusés sur Internet, ce qui pose la question essentielle de la redistribution de la valeur », tout en soulignant « l’atout que constitue la gestion collective des droits pour la défense des artistes auteurs et interprètes≠». Au gouvernement de trancher. @

Charles de Laubier

Orange va renégocier cet été avec le cinéma français

En fait. Le 26 mai dernier, le tapis rouge des marches du Palais des Festivals a été ré-enroulé après la clôture du 66e Festival de Cannes. France Télécom était pour la quinzième année « partenaire officiel exclusif télécoms et nouveaux médias » de l’événement. Mais Orange investit moins dans le cinéma français.

En clair. Selon nos informations, Orange Cinéma Séries (OCS) va engager « fin juin-début juillet » avec les organisations du cinéma français – Bloc (1), Blic (2) et ARP (3)
– de nouvelles négociations sur ses engagements dans le financement de films français. Ces discussions vont coïncider avec le bilan annuel que France Télécom
va leur présenter cet été sur la mise en oeuvre de l’accord signée avec elles le 10 novembre 2009. Le retour à la table des négociations s’impose car cet accord quinquennal arrive à échéance le 31 décembre prochain.

Le rapport Lescure dresse un bilan accablant de l’offre légale en France

C’est le diagnostique le plus sévère de la mission Lescure : l’offre légale d’accès aux œuvres et contenus culturels en ligne laisse encore à désirer, malgré toutes les promesses faites par les pouvoirs publics et les industries culturelles depuis les deux lois Hadopi de 2009.

Par Charles de Laubier

PLL’offre légale en ligne, encore insuffisante ou trop peu rémunératrice, doit affronter la concurrence d’une offre illicite gratuite et quasi illimitée », constate le rapport de Pierre Lescure (photo). « L’offre culturelle en ligne peine toujours à satisfaire les attentes, très élevées, des internautes. L’insatisfaction, quoique générale, est plus évidente encore s’agissant des films et des séries télévisées.
Les reproches les plus récurrents concernent les prix trop élevés et le manque de choix », poursuit-il.

Industries culturelles mises en cause
Manque d’exhaustivité, incohérence (indisponibilité de certains épisodes), absence de flexibilité (disponibilité des versions française de films étrangers), manque de fraîcheur (chronologie des médias) ou encore contraintes des protections de type DRM (1) sont autant de « sources de frustration ».
Sans parler du manque d’interopérabilité entre terminaux, fichiers et droits numériques.
La mission Lescure en vient même à décerner au passage un satisfecit aux sites pirates ! « L’offre illégale (…] paraît, à de nombreux égards, difficilement égalable : elle est majoritairement gratuite et tend à l’exhaustivité, elle est facile d’accès, dénuée de DRM et disponible dans des formats interopérables, et elle est parfois de meilleure qualité que l’offre légale et en termes de formats ou de métadonnées associées ».
Il ne manquerait plus que ces plates-formes pirates versent une rémunération aux créateurs et respectent la chronologie des médias pour que tout aille pour le mieux…
Les industries culturelles et leurs « intermédiaires » de l’Internet en prennent pour leur grade, qui ne parviennent pas à aider les internautes à « distinguer clairement entre les pratiques légales et les pratiques illégales », ni à « garantir la juste rémunération des auteurs et des artistes au titre de l’exploitation en ligne », ni encore à permettre
« l’accès facile et sécurisé aux contenus ». L’offre légale « pèche encore par sa relative uniformité, que ce soit en termes de modèles tarifaires, de fonctionnalités offertes ou de ‘’ligne éditoriale’’ ». Pas étonnant dans ses conditions que « la crise de confiance entre les industries de la culture et une partie des publics » perdure et que bon nombre d’internautes préfèrent continuer à pirater. Sur les millions d’e-mails d’avertissements envoyés par l’Hadopi, n’y a-t-il pas finalement qu’« une trentaine de dossiers » transmis
à la Justice et seulement à ce jour trois jugements connus (2), dont… une relaxe ?
« Le recul du téléchargement de pairà- pair, probablement lié pour partie à l’efficacité
de la réponse graduée, a davantage profité aux autres formes de consommation illicite [téléchargement direct, streaming] qu’à l’offre légale. (…) Les carences de l’offre légale expliquent, pour partie, le recours à des pratiques illicites », préviennent les rapporteurs. Le cinéma, le livre et le jeu vidéo n’ont donc pas appris des erreurs de
la musique qui avait eu recours massivement à ces DRM, au point de détourner les internautes au profit du téléchargement illicite. « C’est avant tout la qualité de l’offre légale qui incitera les publics à délaisser les pratiques illicites », martelle le rapport Lescure.
Pour y parvenir, il en appelle aux industries culturelles : « Les restrictions apportées aux usages (chronologie des médias, DRM), parfois légitimes devraient être justifiées avec davantage de transparence et de pédagogie ». Une des autres difficultés provient des
« réticences des industries culturelles à expérimenter de nouveaux modèles
économiques », comme le financement de la publicité. « Seule l’offre légale gratuite financée par la publicité peut espérer rivaliser [avec les sites pirates] », estiment-ils. Aussi, il devient urgent d’« améliorer la disponibilité en ligne des œuvres culturelles, favoriser le développement d’un tissu de services innovants et attentifs à la diversité culturelle et stimuler la demande en encourageant l’émergence d’une offre abordable
et ergonomique, respectueuse des droits des usagers » (3). Plus techniquement, la dispersion et le cloisonnement des bases de métadonnées (4) posent problème.
« Faute de coordination et de standardisation suffisantes, des bases se multiplient, partiellement redondantes, qui ne peuvent dialoguer entre elles », ce qui ne favorise pas le développement de l’offre légale.

Licence globale pour offre non marchande
Quant à l’offre légale non marchande (bibliothèques et médiathèques notamment), par opposition à l’offre légale commerciale, elle reste aujourd’hui « beaucoup trop pauvre ».
« Le développement et la diversification de ces offres [non marchandes] devraient rendre moins pressante la demande d’une licence globale, conçue en partie comme un remède
à l’insuffisance de l’offre légale ». La balle est maintenant dans le camp du gouvernement. @

Charles de Laubier

Libre-échange : les craintes sur l’exception culturelle n’interdisent pas de s’interroger sur les quotas

Les acteurs du monde culturel sont sur le pied de guerre dans l’attente du 14 juin prochain, date à laquelle le Conseil de l’Union européenne examinera le projet de mandat transmis par la Commission européenne en vue de négocier avec les Etats-Unis un accord de libre-échange.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée et Laurent Teyssandier, avocat, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Christiane Féral-Schuhl est Bâtonnier du barreau de Paris.

Christiane Féral-Schuhl est Bâtonnier du barreau de Paris.

L’approbation par la Commission européenne, le 12 mars dernier, d’un projet de mandat pour la négociation d’un accord de libre-échange avec les Etats-Unis soulève d’importantes contestations dans les milieux culturels européens – français en tête.
En cause, une intégration des services audiovisuels
et culturels dans le périmètre des négociations qui porteraient atteinte à « l’exception culturelle » en Europe.