La chronologie des médias : l’échec du médiateur D’Hinnin ouvre la voie au législateur, à moins que…

C’est un échec ! Les intérêts particuliers l’ont emporté sur l’intérêt général.
Le « scénario de compromis » présenté le 9 mars par le médiateur Dominique D’Hinnin préserve les intérêts commerciaux des salles de cinéma face à la VOD
et de Canal+ face à la SVOD. A moins que, d’ici fin avril, il ne revoit sa copie.

Le rapport du médiateur Dominique D’Hinnin (photo) – nommé en octobre 2017 par la ministre de la Culture Françoise Nyssen pour tenter de trouver en « six mois maximum » un nouvel accord sur une évolution de la sacro-sainte chronologie des médias figée depuis près de dix ans (1) – ne fait pas l’unanimité. Réalisé avec François Hurard, inspecteur général des Affaires culturelles (ministère de la Culture), ce rapport est pourtant présenté par ses deux auteurs comme un « scénario de compromis ».

« Inertie imposée par certains » (ARP)
A voir les réactions qui ont suivi sa présentation le 9 mars, ne s’agit-il pas plutôt d’un
« scénario de soumission » – tant les intérêts et avantages commerciaux des salles de cinéma de la FNCF et ceux de la chaîne cryptée Canal+ sont préservés au détriment de respectivement la VOD et la SVOD. « Certains acteurs ont réussi à imposer une inertie. Nous sommes notamment très déçus que le scénario de compromis maintienne le délai d’exclusivité de la salle à quatre mois et non trois. Un délai de trois mois permettait d’aller dans le sens d’une meilleure exploitation des œuvres, pour réduire le temps où le film n’est plus exploité, entre son décrochage des écrans, de plus en plus tôt, et sa mise à disposition en vidéo/VOD », a déploré Mathieu Debusschère, délégué général de la société civile des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs (ARP), interrogé par Le Film Français.
Le maintien à quatre mois de la VOD à l’acte en location ou à la vente définitive (2)
est révélateur du conservatisme dominant. Le Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN) estime, comme d’autres, que cela fait le jeu du piratage. Le rapport du médiateur promet néanmoins d’assouplir le système de dérogation qui prévaut jusque-là (mais jamais utilisé) pour l’étendre « automatiquement » à « une large majorité des films sortis (…) sur la base du nombre d’entrées [en salle de cinéma] constatées ou extrapolées ». Mais cette dérogation s’appliquerait qu’aux nouveaux films ne trouvant pas leur public en salle, ce qui exclut de voir un dès trois mois en VOD… L’Union des producteurs de cinéma (UPC) et la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) regrettent avec l’ARP, le SPI et la SRF que les trois mois ne s’appliquent pas
à « tous les films ». Seule avancée : le « dégel des droits » permettant l’exploitation continue des films dans ce mode de consommation (3). Autre grief : le traitement réservé à la SVOD (4), en violation de la neutralité technologie, selon laquelle les plateformes numériques devraient en principe être traitées – à obligations égales d’investissement dans les films – de façon équivalente et non discriminatoire. La SACD fustige « le renoncement à faire entrer le financement et la diffusion du cinéma dans l’ère numérique en s’asseyant au passage sur le principe de neutralité technologique ». Le médiateur D’Hinnin semble faire le jeu de Canal+ : les plateformes de SVOD de type Netflix auraient des obligations similaires à celles de chaînes payantes telles que Canal+, mais sans avoir la même fenêtre de diffusion : Canal+ à treize/quinze mois
et la SVOD à six/sept mois après la sortie du film en salle obscure. « Cette distorsion créerait à l’évidence un cadre négatif pour l’arrivée de nouveaux financeurs et de diffuseurs dans le cinéma. Elle poserait également un problème de cohérence et de concurrence », met en garde la SACD.
Son directeur général, Pascal Rogard, cible Canal+ dans son blog : « Le principe de neutralité technologique revendiqué pour aligner dans la même temporalité la diffusion des œuvres par les services de VOD à l’acte et la vente ou location de DVD se trouve ainsi aussitôt renié lorsqu’il s’agit de reconnaître que la SVOD peut se positionner dans le même nouveau créneau de diffusion que celui généreusement accordé à Canal+,
à savoir six ou sept mois après la sortie en salles ». Pour lui, le nouveau système est certes plus souple, mais il n’a rien d’innovant et affiche clairement une barrière à l’entrée qui justifie a minima une saisine préalable de l’Autorité de la concurrence.

Respecter la neutralité technologique
Même réflexion de l’ARP : « Il semblait logique que dès la première fenêtre payante,
il n’y ait plus de distinction entre un service linéaire et non linéaire, à même niveau de vertu [dans le financement des films par les plateformes de diffusion, ndlr]». Sans parler de la disparition de d’obligation pour la chaîne cryptée de Vivendi de respecter le droit d’auteur qu’elle rechigne à payer…, alors que cette disposition a été maintenue pour les plateformes de SVOD. Reste que bon nombre d’organisations professionnelles (5) ne signeront pas si les pouvoirs publics ne s’engagent pas à lutter contre le piratage. @

Charles de Laubier

VOD à 4 mois et SVOD à 36 mois : bilan 2016 mitigé

En fait. Le 15 février, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a tenu la première réunion de l’année sur l’évolution de la chronologie des médias. La VOD achetée à l’acte pourrait être ramenée à 3 mois, tandis que la SVOD passerait à 30 mois, voire 27 mois s’il y a cofinancement du film.

Orange Studio critique la chronologie des médias

En fait. Le 14 novembre, David Kessler, DG d’Orange Studio et ancien conseiller
« culture et média » de François Hollande à l’Elysée, a critiqué « le facteur bloquant » qu’est la chronologie des médias au détriment de la VOD et de la SVOD. A Edition Multimédi@, il indique son intérêt pour le e-cinéma.

Le groupe Canal+ s’affirme plus que jamais comme le régulateur du cinéma français

Après avoir présenté le 18 octobre aux professionnels du cinéma français ses propositions de réforme de la chronologie des médias, Maxime Saada – DG de Canal+ – les a détaillées dans une interview au Film Français. Contacté par EM@, le CNC se défend d’être hors jeu et poursuit ses « contacts bilatéraux ».

Ce n’est pas le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) qui orchestre les négociations sur la chronologie des médias mais, plus que jamais, Canal+ en tant que premier pourvoyeur de fonds du cinéma français (près de 200 millions d’euros par an). Directeur du groupe Canal+ depuis un peu plus d’un an, Maxime Saada (photo) a présenté en deux temps ses propositions sur l’évolution de la chronologie des médias – laquelle régente la sortie des nouveaux films selon différentes
« fenêtres de diffusion ». Actuellement, les salles de cinéma bénéficient d’une exclusivité de quatre mois. Ce monopole est suivi par la VOD et les DVD, puis par les chaînes payantes, avant les chaînes gratuites et ensuite la SVOD
qui arrivent bien après.
Le patron de Canal+ a d’abord exposé oralement sa position lors d’une réunion avec professionnels du cinéma français qui s’est tenue le 18 octobre en présence du Bureau de liaison des industries cinématographiques (Blic) (1), du Bureau de liaison des organisations du cinéma (Bloc) (2) et de la société civile des Auteurs- Réalisateurs-Producteurs (ARP). Le CNC, lui, n’était pas présent à cette réunion, pourtant déterminante pour l’avenir du cinéma français. Dans la foulée, Maxime Saada a détaillé plus avant et par écrit ses mesures dans une interview exclusive accordée à l’hebdomadaire Le Film Français.

La chaîne cryptée de Vivendi joue l’« agit-prop »
Le timing de l’annonce était savamment synchronisé pour que le pavé soit lancé
dans la marre du Septième Art français tout juste avant les 26e Rencontres cinématographiques de Dijon (RCD) que l’ARP a organisé du 20 au 22 octobre.
Autant dire que cette annonce fracassante de la chaîne cryptée du groupe Vivendi
était de toutes les conversations au cours des trois jours de ce rendez-vous annuel,
où le tout-cinéma français a l’habitude de se rendre. Le CNC, lui, censé coordonner
les discussions sur le financement du cinéma français et sur la chronologie des médias, était étrangement absent des débats. Les propositions de Canal+ sont censées relancer les négociations qui – à cause de « la chaîne du cinéma » justement – s’étaient enlisées dans un statu quo persistent depuis près de deux ans (3).

Le CNC est-il devenu hors jeu ?
Alors, le CNC est-il hors jeu ? Contacté par Edition Multimédi@, son directeur général Christophe Tardieu nous a répondu : « Je ne crois pas que le CNC soit hors jeu du débat sur la chronologie car tout le monde souhaite que nous agissions dans ce domaine ! Il ne faut pas confondre le débat public, avec tout ce que cela peut comporter d’intoxication et de postures, et le travail en souterrain pour définir les positions acceptables. Accessoirement nous étions déjà informés de la position de Canal avant les sorties dans la presse ». A l’heure où nous écrivons ces lignes, aucune date de réunion inter-professionnelle n’a cependant encore été fixée par le CNC. Interrogé
en marge des RCD à Dijon Maxime Saada a pourtant indiqué à EM@ que « les négociations vont commencer dans quelques jours » mais sans avancer de date. Précision de Christophe Tardieu sur le calendrier : « Aucune date n’est encore fixée pour une réunion plénière sur la chronologie des médias. Pour le moment, nous privilégions des contacts bilatéraux avec les différents protagonistes pour voir quelles sont les évolutions pouvant être consensuelles ». Et d’ajouter : « La question n’est pas d’avantager Canal ou d’autres. La question est plutôt de dire qu’il n’est pas illogique d’avantager dans la chronologie des médias les structures qui contribuent le plus à l’économie du cinéma ».
Depuis un certain « projet d’avenant n°1 » à l’accord du 6 juillet 2009 sur la chronologie des médias, avenant présenté par le CNC en janvier 2015 dans sa première mouture (4), le réaménagement de la chronologie des médias n’a toujours pas été fait en raison des exigences de Canal+ et du blocage des exploitants de salles de cinéma. L’an dernier, Canal+ avait conditionné la poursuite des renégociations sur la chronologie des médias à la signature préalable avec le 7e Art français de son accord quinquennal sur ses engagements dans le préfinancement de films (en échange de leur exclusivité).
Ce que Rodolphe Belmer, alors directeur général de Canal+, avait obtenu en mai 2015 – juste avant le Festival de Cannes. Cet accord 2015-2019 a prolongé le précédent accord 2010-2014 signé, lui, en décembre 2009 : Canal+ s’était engagé à consacrer 12,5 % de son chiffre d’affaires à l’achat de films européens et français (5), ou, si cela est plus intéressant pour le cinéma français, à payer un minimum garanti de 3 euros par mois et par abonné. Cette année, les choses ont changé pour « la chaîne du cinéma » payante, reprise en main par Vincent Bolloré qui est à l’origine de l’éviction de Rodolphe Belmer en juillet 2015 : la baisse du nombre d’abonnés (500.000 en moins
en trois ans, passant en dessous des 4 millions) a contraint Canal+ à scinder son offre (Cinéma, Sport, Série, Family) en instaurant de nouveaux tarifs allant de 19,90 euros à 99 euros par mois (au lieu de seulement 39,90 euros par mois), lesquels entreront en vigueur le 15 novembre. Du coup, Canal+ souhaite non seulement revoir l’accord de 2015 avec les organisations du cinéma français – notamment sur le minimum garanti par abonné qui risque selon elle de lui coûter trop cher (6) – mais aussi chambouler
la chronologie des médias à son avantage – notamment en ramenant sa fenêtre de diffusion de dix à six mois après la sortie d’un film en salle obscure.

Ce coup-double de la part de Canal+ était accueilli de deux façons aux RCD de Dijon. Les propositions faites sur la chronologie des médias semblent satisfaire la plupart des organisations du cinéma, notamment celles – comme la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) ou la Fédération nationale des distributeurs de film (FNDF)
– décidées à « sanctuariser » les quatre mois de la salle. Là où le rapport Lescure de mai 2013 et le CSA dans la foulée préconisaient le passage de la VOD de quatre à
trois mois, la chaîne cryptée, les exploitants de salles et les distributeurs de films font toujours barrage à cette évolution. A l’instar de Maxime Saada et de Jean-Pierre Decrette, président du Blic et président délégué de la FNCF, Victor Hadida, président de la FNDF, a expliqué à Edition Multimédi@ que « le piratage de films sur Internet explose dès que les films sont disponibles en DVD et en VOD ».
Le seul geste que fait Maxime Saada envers la VOD, c’est de « dégeler totalement »
la fenêtre de Canal+ – après y avoir été opposé – pour que les plateformes de VOD n’aient plus à déprogrammer des films lorsque la chaîne payante les diffuse. Il propose en outre de donner un « avantage chronologique » au téléchargement définitif d’un film (dit EST (7)) par rapport à la VOD à l’acte (dite locative). « Je préconise de lui sanctuariser une fenêtre de 15 jours, entre quatre mois et quatre moi et demi, avant de rendre disponible le film en VOD », a-t-il dit dans Le Film Français. La raison est simple : un film se vend plus cher en EST (environ 20 euros) qu’en VOD (3 à 10 euros).

Canal+ veut revoir l’accord de 2015
En revanche, l’idée de Maxime Saada de réviser l’accord quinquennal de 2015 et ses minimums garantis ne convient pas au Bloc, notamment à l’Union des producteurs de cinéma (UPC) qui, le 20 octobre, s’est dite d’accord sur la nouvelle chronologie des médias proposées mais « dés lors que, de manière concomitante », Canal+
« prolong[e] sans changement (…) pour une durée de deux ans » les accords signés avec le cinéma en mai 2015. Or, il serait étonnant que Canal+ accepte de les passer
de cinq à sept ans sans pourvoir en revoir les modalités de calcul. @

Charles de Laubier

Chronologie des médias : énième reprise des négos

En fait. Le 23 août, Netflix a confirmé au magazine américain Variety et à L’Express qu’il fermait son bureau parisien. Mais son service de SVOD, lancé
en France il y a deux ans, reste ouvert. La chronologie des médias, elle, est entrée dans un nouveau round de négociations depuis le 22 juin dernier.