La chronologie des médias n’en finit pas d’être remise sur le métier. Bien que la clause de revoyure ait fixé à janvier 2023 le prochain rendez-vous des signataires, le retour autour de la table des négociations est prévu dès septembre prochain. Netflix entend faire encore bouger les lignes.
Damien Bernet (photo), directeur du développement (1) de Netflix France depuis avril 2020, était l’invité le 28 juin dernier de l’Association des journalistes médias (AJM), accompagné d’Anne-Gabrielle Dauba- Pantanacce, directrice de la communication. Il a notamment été amené à s’exprimer sur la nouvelle chronologie des médias en vigueur depuis le 24 janvier 2022 (2), Netflix étant la seule plateforme de la SVOD à l’avoir signée (3). En est-il satisfait ? « Oui et non, a-t-il répondu. Oui car ce fut un pas important. Nous étions à 36 mois après la salle de cinéma dans l’univers du cinéma français, ce qui était totalement anachronique. Le fait de passer à 15 mois, c’est déjà une victoire ».
Revoyure dès septembre prochain
« C’est la raison pour laquelle nous l’avons signée, pour signifier et concrétiser cette avancée, montrer que Netflix est un acteur vertueux. Nous avons montré dans la discussion que nous étions ouvert à la négociation : Netflix est le seul acteur de la SVOD à l’avoir signée. Maintenant, a prévenu Damien Bernet, l’ex-ministre de la Culture Roselyne Bachelot l’a déclaré au moment de la signature : ce n’est qu’un premier pas ; il y a une clause de revoyure en janvier 2023. En fait, la revoyure sera dès le mois de septembre 2022… Tout le monde va revenir à la table des négociations ». Il n’a pas manqué de rappeler « le mouvement de Disney » qui a décidé de sortir en fin d’année en France son film d’animation « Strange World » directement sur sa plateforme Disney+, sans passer par les salles de cinéma. Il a rappelé aussi que Disney+ est adossé à un grand studio de cinéma, comme le sont les plateformes HBO Max (attendue en France en 2023) au sein du groupe Warner Bros. Discovery et Paramount+ (dont le lancement français est programmé pour décembre prochain) au sein de Paramount Global, ex-ViacomCBS.
La pression ne cesse donc de croître sur la chronologie des médias française jugée obsolète. Damien Bernet la fustige : « Cette chronologie des médias ne peut pas tenir. Elle ne correspond pas aux usages – le public a besoin d’avoir les contenus rapidement. Et les mettre sur une étagère ou au frigo pendant 15 mois n’a aucun sens. Cela ne sert surtout pas le programme, le film. Ce que cela génère, c’est du piratage ». Sert-elle les salles de cinéma, qui bénéficient de quatre mois d’exclusivité lors de la sortie des nouveaux films ? « Non, répond-t-il, le fait de séparer de 15 mois la sortie en salle et la sortie sur Netflix n’a aucun intérêt pour la salle ». Sert-elle Canal+, qui fut longtemps le premier pourvoyeur de fonds du cinéma français ? « Canal+ a une position qui correspond à une histoire et à la manière dont cette chronologie des médias se déroule. Maintenant, déplore-il, celle-ci n’est pas cohérente film par film. Dans les autres pays, il y a une date de sortie qui est négociée pour chaque film selon le diffuseur. En France, cette rigidité a été créée par cette histoire qui se règle sur l’acteur historique (Canal+) ». Cette situation est unique au monde, alors qu’au-delà de l’Hexagone la sortie d’un film en SVOD 45 jours après la salle ne choque personne – notamment aux Etats- Unis pour les blockbusters d’Hollywood. Lorsque ce n’est pas dans certains cas des sorties simultanées salles streaming (day-and-date), comme ce fut le cas en 2021 des films « Dune » et « Matrix » de Warner Bros. Pictures, ou de « Mulan » et « Soul » sur Disney+.
« Nous sommes favorables au cas-par-cas. On serait prêt à payer plus, film par film, et à financer beaucoup plus sur un film donné si on peut disposer d’une fenêtre qui soit plus cohérence dans l’intérêt de nos abonnés, explique Damien Bernet. Dans le monde, on le voit, il y a un usage à 45 jours. Mais on ne fait pas de la sortie en salle une condition pour nous. La sortie en salle peut parfois se justifier sur certaines œuvres, comme nous l’avons fait sur “The Power of the Dog”» (4). Netflix sort environ 30 films par an dans le monde entier, et la salle ne leur est pas interdite, notamment lors de festivals ou d’avant-premières. « On a toujours dit qu’il y avait une complémentarité totale salles-streaming. Mais ce n’est pas le cœur de notre business model, temporise quant à elle Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce. On n’est pas dogmatique. Nous le faisons sur certains films ».
Cannes : Lescure part, Netflix arrive
Netflix sera présent au festival international du film La Mostra de Venise, du 31 août au 10 septembre 2022. « Pour le Festival de Cannes, cela ne dépend pas de nous, rappelle la directrice de la communication. Nous sommes accueillis dans tous les festivals (de cinéma) du monde entier… Il y a un changement de président au Festival de Cannes : on verra dans les prochains mois ». Iris Knobloch, ancienne présidente de Warner Bros. en France, a remplacé le 1er juillet dernier Pierre Lescure à la présidente du Festival de Cannes. Netflix a de l’avenir sur la Croisette. @
Charles de Laubier