La plateforme mondiale Netflix s’est lancée en France il y a dix ans, bousculant l’ « exception culturelle » du PAF

Le coup d’envoi de Netflix en France a été donné le lundi 15 septembre 2014 : une date qui reste gravée dans les mémoires depuis dix ans, tant le débarquement de la première plateforme mondiale dans l’Hexagone était redouté des tenants de l' »exception culturelle » mais attendu par de nombreux Français.

Reed Hastings (photo de gauche) et Ted Sarandos (photo de droite), les deux grands patrons emblématiques du géant américain de la vidéo en streaming par abonnement (SVOD), étaient présents (1) le lundi 15 septembre 2014, sous le pont Alexandre III dans le septième arrondissement de Paris, pour cette grande soirée de lancement de Netflix en France. Il y a dix ans. Tapis rouge vif aux couleurs du « N » de la déjà célèbre plateforme de SVOD, paillettes, champagne, hôtesses, personnalités du paysage audiovisuel français (PAF) et du show-biz, journalistes, … Jusqu’à un millier de convives étaient attendus dans la très branchée discothèque Le Faust, avec terrasse en bord de Seine. Pour convaincre ce « tout Paris » de son savoir-faire en matière de streaming vidéo et de recommandations, Netflix n’a pas hésité à offrir – notamment aux médias présents, parmi lesquels Edition Multimédi@ – une carte « VIP » donnant accès gratuitement à la plateforme pendant un an. « Merci de votre présence ! Nous sommes ravis d’avoir fêté ensemble le lancement de Netflix en France ! […] Vous serez ainsi parmi les premiers utilisateurs français de Netflix. Vous trouverez également deux cartes cadeaux que vous pouvez offrir à vos proches pour un accès gratuit pendant 6 mois », peut-on lire sur le carton accompagnant ce pass spécial logé dans un mini coffret noir, comme pour un bijou, estampillé « Netflix » en rouge vif.

De la carte VIP à près de 12 millions d’abonnés
Le tour est joué. L’idée de s’abonner au service vidéo de la firme de Los Gatos (Californie) va se propager ainsi comme une traînée de poudre dans toute la France. Depuis une décennie, Netflix caracole en tête des plateformes de SVOD, de plus en plus nombreuses à être présentes dans l’Hexagone. D’après Digital TV Research, l’année 2023 s’est achevée avec environ 11,6 millions d’abonnés et la barre des 12 millions pourrait être franchie au cours de cette année, avec la perspective d’atteindre les 13 millions d’abonnés d’ici 2030 (2). L’arrivée de Netflix dans le PAF ce 15 septembre 2014 est l’aboutissement de plusieurs années de préparatifs et de discussions avec les pouvoirs publics français, soucieux de canaliser le géant de la diffusion en ligne, doté d’un catalogue de milliers de séries et de films venus du monde entier, mais à dominante nord-américaine.

Chronologie des médias : les rediscussions en cours

En fait. Le 11 juillet, lors de l’audition TNT de la chaîne « Canal+ Cinéma(s) », le président de Canal+, Maxime Saada, a abordé la question de la chronologie des médias, dont il souhaite voir la durée passer à 5 ans au lieu de 3 ans, comme pour la durée proposée pour son accord avec le cinéma français.

En clair. « Je veux donner de la visibilité au groupe et aux abonnés. J’aimerais éviter de me retrouver tous les 18 mois à négocier. Les plateformes [de vidéo à la demande, ndlr] partagent aussi ce constat. Elles manquent de recul sur leurs engagements et doivent déjà renégocier leurs accords. Nous appelons à ce que tout le système [de la chronologie des médias et des accords avec les organisations du cinéma français, ndlr] soit sur une durée de cinq ans et non de trois », a insisté le président du directoire du groupe Canal+, Maxime Saada, lors de son audition le 11 juillet devant l’Arcom, accompagné de Laetitia Ménasé, secrétaire générale de la filiale audiovisuelle du groupe Vivendi (propriété du milliardaire Vincent Bolloré).
Celle-ci a aussi affirmé qu’« il serait dans l’intérêt de tous que la chronologie des médias ait une durée plus longue ». L’accord sur les fenêtres de diffusion des films, signé pour trois ans le 22 janvier 2022, arrivera à échéance en janvier 2025. Canal+, l’un des principaux pourvoyeurs de fonds du cinéma français en échange d’une fenêtre à six mois (après la sortie des nouveaux films en salles), essaie de convaincre depuis février dernier les organisations professionnelles du 7e Art de l’Hexagone de signer un accord sur 5 ans pour un montant d’investissement dans des œuvres supérieur à 1 milliard d’euros (engagements d’OCS inclus).

La chronologie des médias est l’art du très difficile compromis sur fond de négociations perpétuelles

Proposés par le CNC, les deux avenants à l’actuelle chronologie des médias devraient être bientôt signés par les professionnels du cinéma, de la télévision et des plateformes vidéo. Le recours à des expérimentations fait avancer les négociations qui continueront au-delà de l’accord. Par Anne-Marie Pecoraro, avocate associée, et Rodolphe Boissau, consultant, UGGC Avocats Février 2023 marque un renouveau dans le droit de l’audiovisuel. Alors que le nouveau règlement général des aides financières du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) est entré en vigueur le 1er février dernier (1), c’est au tour de la chronologie des médias d’être visée par deux avant-projets d’avenants du CNC (2), pour lesquels une signature par les parties prenantes était espérée en février. Olivier Schrameck, ancien président du CSA (3) et conseiller d’Etat, s’est en outre vu confier début février une « mission de consultation juridique » par la SACD sur les fondements de la chronologie des médias. Expérimentations et diminution des délais Chef d’orchestre évitant la cacophonie d’une œuvre qui serait disponible sur tout support, la chronologie des médias vient rythmer le cycle d’exploitation d’une œuvre, clef de voûte d’une architecture particulière. Du grec kinema, le cinéma signifie le « mouvement » et du mouvement il y en a eu ces derniers temps dans le paysage audiovisuel français, avec l’arrivée de nouveaux acteurs et, donc, de nouvelles problématiques auxquelles la chronologie des médias tente de s’adapter au mieux afin de résister à l’épreuve du temps. En effet, les plateformes de SVOD, Disney+ en fer de lance, se trouvent actuellement confrontées à un délai d’attente de 15 voire 17 mois afin de pouvoir exploiter une œuvre, et ce pour une durée de 7 à 5 mois seulement, puisqu’elles se voient contraintes de retirer l’œuvre de leur offre à l’ouverture de la fenêtre en exclusivité de la télévision en clair, ne pouvant dès lors plus exploiter l’œuvre pendant 14 mois. Pour répondre à ces difficultés, le CNC a choisi d’emprunter la voie de l’expérimentation, voie à laquelle l’audiovisuel fait la part belle. L’expérimentation constitue un outil de négociation, qui permet l’adoption plus facile d’une disposition dont les parties savent qu’elle est temporaire et réversible. Ainsi, les deux nouveaux avant-projets d’avenants réaménageant la chronologie des médias, proposés par le CNC fin janvier dernier, sont composés exclusivement d’expérimentations (4). En effet, comme l’a révélé Contexte (5), le CNC a dû revoir sa copie à la suite des contestations de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) et de Canal+. Et ce, après une première rédaction des deux avant-projets sur la base de propositions du Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (Sévad), des chaînes gratuites et des services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) payants (SVOD, VOD par abonnement). C’est à l’œuvre que l’on reconnaît l’artisan (6) : si les plateformes de TVOD (vidéo à la demande payante à l’acte) et SVOD gagnent un peu de terrain, celui-ci reste occupé par les salles et chaînes payantes de cinéma (7). Le premier projet émis par le CNC prévoit la création d’une fenêtre dite « premium » de téléchargement définitif (exploitation en TVOD) à l’expiration d’un délai dérogatoire de 3 mois après la date de sortie en salles, moyennant un prix plus élevé pour le consommateur. Le second projet émis par le CNC prévoit des expérimentations dans le cadre d’un accord de co-exploitation entre les plateformes de SVOD et les chaînes gratuites de télévision. L’expérimentation-phare consiste à prolonger de 2 mois la fenêtre d’exploitation en SVOD d’une œuvre produite en interne par des éditeurs de SMAd par abonnement (plateforme SVOD), avec un budget de plus de 25 millions d’euros et non préfinancée par un service de télévision en clair. Ceci répond aux critiques de plateformes comme Disney, à l’encontre de leur fenêtre trop courte. En contrepartie, les chaînes gratuites bénéficieront d’une fenêtre étanche de deux mois après la première diffusion de l’œuvre sur leur canal (8). Ces expérimentations s’ajoutent à la longue liste des exceptions aux délais de principe, essence même de la chronologie des médias et marqueur topique de son origine négociée. Enfin, ces expérimentations sont prévues pour une durée de deux années qui suivent la date de signature des avenants, à la suite de quoi les parties prenantes devront décider de leur reconduction ou de leur modification. Chronologie des médias, une histoire sans fin Terreau d’expérimentations nouvelles, la chronologie des médias est le fruit de négociations perpétuelles. La règlementation est tenue de rattraper et de s’adapter à l’évolution des modes de consommation des œuvres, chaque nouveau mode bouleversant l’économie existante. Certes, le cinéma n’a pas dit son dernier mot, avec plus de 10 millions d’entrées pour le second volet d’« Avatar, la voie de l’eau ». Mais l’exigence pressante des consommateurs d’accéder rapidement à l’œuvre, catalysée par l’arrivée des plateformes et le piratage, appellent périodiquement des refontes de la chronologie des médias. Les plateformes – Netflix et Disney+ en tête – ont su rappeler qu’elles étaient en capacité de passer outre la chronologie par la voie du e-cinéma, qui consiste à sortir un film uniquement sur les plateformes, et non en salles (9), Disney se prévalant de représenter un quart des recettes des salles françaises par an. « Chronologie chronophage » pour le CNC Aussi, la diminution de moitié des délais d’attente pour l’exploitation d’une œuvre sur une plateforme SVOD est une des modifications notoires apportées par l’arrêté du 4 février 2022 portant extension de l’accord interprofessionnel pour le réaménagement de la chronologie des médias conclu le 24 janvier de la même année (10). Schématiquement, la version entrée en vigueur l’année dernière prévoit que les exploitants de salles de cinéma disposent d’un délai de 4 mois à compter de la date de sortie nationale pour exploiter l’œuvre cinématographique. Ensuite et sauf exception, cette exploitation s’organise actuellement, à compter de la date de sortie en salles de cinéma, à l’expiration des délais suivants (11) : 4 mois pour une exploitation sous forme de vidéogramme destiné à la vente ou à la location (DVD et Blu-ray) et TVOD ; 8 mois pour une exploitation sur les chaînes payantes de cinéma (type Canal+) ; 17 mois (Disney+) pour une exploitation sur les SMAd » ou 15 mois si un accord a été conclu (Netflix) ; 22 mois pour une exploitation sur les chaînes de télévision en clair, gratuites (type TF1, M6) et les chaînes payantes autres que de cinéma ; 30 mois pour une exploitation en SVOD avec accord d’obligation investissement ; 36 mois pour une exploitation en SVOD sans accord d’obligation investissement ainsi que pour un SMAd gratuit (type YouTube). Du latin chronologia d’après le grec ancien kronos et logia, la chronologie est composée du temps et de la parole. Or depuis 2009, l’élaboration de la chronologie des médias sous l’égide du CNC est véritablement un temps de parole avec une place de choix faite à la négociation interprofessionnelle. Celle-ci va aboutir à un accord professionnel, rendu obligatoire par la procédure de l’arrêté d’extension, devenue courante en matière audiovisuelle. Ce renvoi substantiel aux accords professionnels est conforme aux dispositions de la directive européenne « Exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle » du 11 décembre 2007 et aux accords dits « de l’Elysée » (12) du 23 novembre 2007. Ainsi, dans le processus d’élaboration de la chronologie des médias, les parties prenantes ne participent pas à course contre la montre, à la poursuite de la période d’exploitation la plus proche de la date de sortie en salles de l’œuvre, mais bien à une course de relais, dans laquelle les différents professionnels vont transiger sous les yeux de l’arbitre CNC. Comme le relève l’avis présenté le 17 novembre 2022 par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2023, la chronologie des médias – bien que « chronophage » pour le CNC – souligne « l’interdépendance des différentes parties » (13). Cette interdépendance va permettre de remplir les objectifs de la chronologie des médias qui sont de deux ordres. D’une part, il faut préserver la primauté de la salle de cinéma, considérée comme un lieu d’exposition essentiel d’un point de vue esthétique, social et économique. D’autre part, il faut stimuler le financement et le rayonnement de l’œuvre en additionnant les revenus. Le critère pris en compte pour cette deuxième finalité est le mode de réception des œuvres par le public, complété par la notion de large public. L’on voit ici poindre les acteurs majoritaires, le cinéma d’abord, les chaînes de télévision et les plateformes ensuite. Leur interdépendance va donc mener à une forme d’auto-régulation par la négociation interprofessionnelle, dont l’accord en résultant sera étendu par arrêté (14). Ce nouveau mode de régulation fait florès dans le domaine audiovisuel, comme en témoignent les mécanismes d’extension d’accords collectifs sur la transparence des relations auteurs-producteurs ou encore sur la reddition des comptes, mais également dans le code de la propriété intellectuelle puisqu’on le retrouve par exemple dans le domaine de l’édition. Afin d’encourager les négociations, le code du cinéma et de l’image animée ainsi que l’accord sur la chronologie des médias prévoient une clause de revoyure. Cela signifie que l’accord est conclu et peut être étendu pour une durée maximale de 36 mois (15). Par ailleurs, au bout de 12 mois suivant l’entrée en vigueur de l’accord, les parties conviennent de se rapprocher, sous la houlette du CNC, afin de dresser un premier bilan de son application. Enfin, au plus tard 12 mois avant l’échéance du présent accord, les parties conviennent de se rapprocher dans les mêmes conditions, pour convenir de sa reconduction ou de son adaptation aux évolutions du secteur (16). Délais plus favorables aux « vertueux » Les acteurs à la table des négociations – entreprise du secteur du cinéma, éditeur de services de médias audiovisuels à la demande, éditeur de services de télévision – vont donc être à la recherche d’un compromis entre leurs différents intérêts en présence. Deux garde-fous dans ces négociations en garantissent la pérennité. D’abord, les principes de neutralité technologique (17) et de récompense des engagements vertueux de certains diffuseurs, lesquels se voient attribuer des délais plus favorables, accordés en fonction des obligations d’investissement dans la production audiovisuelle française. Ensuite, la présence du CNC qui veille à l’équilibre des négociations et tient la barre face au courroux de certains acteurs (18), alors que résonnent au loin les sirènes du day-and-date – sortie simultanée en salles et en VOD. @  

Une énième chronologie des médias doit s’appliquer en février, mais avec des points expérimentaux

C’est reparti pour un tour. La chronologie des médias, qui régit la sortie des nouveaux films après les quatre mois exclusifs des salles de cinéma, doit faire l’objet d’un nouvel accord interprofessionnel qui doit entrer en vigueur en février. Le consommateur connecté reste le grand perdant. Un an après la signature – le 24 janvier 2022 – de la chronologie des médias actuellement en vigueur en France (1), les professionnels du cinéma, de la télévision et des plateformes de vidéo à la demande doivent signer un nouvel accord intégrant des ajustements négociés depuis plus de six mois. Cette nouvelle mouture, élaborée sous l’égide du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), laisse un tout petit peu de place aux plateformes de VOD, d’une part, et de SVOD, d’autre part. Alors que la généralisation des usages numériques aurait justifié d’avoir des nouveaux films plus tôt après leur sortie dans les salles obscures. VOD et SVOD : très peu d’avancées Les deux grands gagnants de cette nouvelle chronologie des médias qui entrera en vigueur en février, sans grands changements par rapport à celle signée l’an dernier, sont les salles de cinéma et la chaîne cryptée Canal+. Les premières, quasiment toutes membres de l’influente Fédération nationale des cinémas français (FNCF) dont le président Richard Patry (photo de gauche) a été encore réélu le 26 janvier, gardent leur monopole sur les quatre premiers mois à compter de la date de sa sortie des films le mercredi. La VOD à l’acte et les DVD/Blu-Ray doivent attendre le cinquième mois après la sortie du film en salle pour pouvoir le proposer. A l’heure du numérique, ce délai est bien trop long et favoriserait le piratage de films sur Internet. Il y a bien une dérogation possible à trois mois, mais elle est rarement demandée car la condition fixée par décret est très restrictive : actuellement, le film doit avoir réalisé 100.000 entrées au plus – en général moins – à l’issue de sa quatrième semaine d’exploitation en « salles de spectacles cinématographiques » (2). Le Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (Sévad) a proposé lors des dernières négociations d’étendre la dérogation des trois mois à tous les films qui le souhaitent – sous réserve de l’accord de l’éditeur-distributeur – pour être proposés plus tôt en VOD à l’acte. Mais cela se fera à titre « expérimental ». Les plateformes Orange VOD, Canal VOD, Filmo TV, UniversCiné ou encore Viva by Videofutur pourraient en profiter. Le nouvel accord devrait intégrer cette « fenêtre premium » à trois mois après la salle, moyennant un prix qui serait plus élevé pour le consommateur. C’est dommage pour ce dernier, à l’heure où son pouvoir d’achat est déjà grevé par l’inflation… Ce serait donc un petit pas en avant, mais à des « mois-lumière » de la sortie simultanée salles-VOD (day-and-date) qui reste un tabou en France. Quant à la SVOD, avec ses plateformes emblématiques que sont Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou encore Paramount+ (pour ne citer que celles-ci), elle a déjà avancé il y a un an dans chronologie des médias : passant alors de 36 mois à 17 mois voire à 15 mois en cas d’accord avec les organisations professionnelles du cinéma. « C’est la raison pour laquelle nous l’avons signée. [Mais] ce n’est qu’un premier pas », avait prévenu Damien Bernet, directeur commercial et juridique de Netflix France, devant l’Association des journalistes médias (AJM) fin juin (3). Restait notamment la question de la continuité d’exploitation d’un film en SVOD lorsque la fenêtre de la télévision en clair s’ouvre. Car jusqu’alors, la chronologie des médias imposait à la plateforme de SVOD de retirer le film lorsque celui-ci commence à être proposé au 22e mois après sa sortie en salle par une chaîne en clair qui l’a préfinancé ou acquis. Autrement dit, un film sur Netflix ou Disney+ devait être retiré du catalogue après cinq ou sept mois de mise en ligne au profit de la fenêtre de la télévision en claire (TF1, M6, France Télévisions) s’ouvrant en exclusivité durant quatorze mois ! Disney avait tapé du poing sur la table en juin 2022 en décidant de ne pas sortir dans les salles de cinéma françaises « Avalonia, l’étrange voyage » mais en exclusivité sur Disney+, provoquant le courroux de la FNCF. Ayant menacé de faire de même avec « Black Panther : Wakanda Forever », The Walt Disney Company avait donné un coup de pression aux négociations en France (4). Canal+, donnant-donnant avec le cinéma La nouvelle chronologie des médias devrait finalement prolonger d’au moins deux mois la fenêtre d’exploitation de la SVOD pour de tels films, s’ils sont produits en interne (« inhouse ») avec un budget de plus de 25 millions d’euros. Pour ces films-là, les chaînes gratuites bénéficieraient en échange d’une exclusivité de deux mois. Là aussi, cela se fera à titre « expérimental ». Canal+, la chaîne cryptée qui rachète OCS à Orange, est la grande gagnante avec son positionnement à six mois après la sortie en salle (au lieu de huit avant le 28 janvier 2022). Sur RTL le 11 janvier (5), son président Maxime Saada (photo de droite) – en lice pour « la personnalité de l’année 2022 » du Film Français (6) – s’est engagé à investir sur cinq ans plus de 1 milliard d’euros dans le cinéma français. @

Charles de Laubier

Chronologie des médias toujours contestée : Disney continue de faire pression sur la France

Après la réunion du 4 octobre organisée par le CNC sur la chronologie des médias, Disney a finalement décidé de sortir son nouveau film « Black Panther » dans les salles de cinéma en France. Comme Netflix, la major américaine veut une réforme des fenêtres de diffusion dès 2023.

(Depuis sa sortie dans les salles de cinéma en France le 9 novembre, le deuxième « Black Panther » de Disney domine toujours le box-office, comme aux Etats-Unis)

« Les pouvoirs publics [français] ont clairement reconnu la nécessité de moderniser la chronologie des médias et un calendrier précis a été arrêté pour en discuter, The Walt Disney Company a donc décidé de confirmer la sortie au cinéma de “Black Panther : Wakanda Forever”, le nouveau film de Marvel Studios, le 9 novembre prochain », a lancé le 17 octobre sur Twitter Hélène Etzi (photo), la présidente de Disney France. Et ce, au moment où les signataires de la chronologie des médias – dont la dernière mouture est datée du 24 janvier 2022 – ont commencé à se retrouver autour de la table des négociations et de ses bras de fer.

Disney appelle à une « co-exploitation »
« Comme nous l’avons déjà déclaré, la chronologie des médias actuelle n’est pas adaptée aux comportements et attentes des spectateurs ; elle est contre-productive et expose tous les producteurs et artistes à un risque accru de piratage », a-t-elle poursuivi, en déclarant vouloir « continuer de manière constructive aux réflexions et débats lors des prochaines réunions avec tous les acteurs de la filière, organisées sous l’égide du CNC (1), afin de définir dès février 2023 un nouveau cadre que nous souhaitons équitable, flexible et incitatif à la sortie des films en salles de cinéma » (2). Ce que la major presque centenaire du cinéma reproche à cette chronologie des médias à la française, c’est le fait que cette dernière lui impose de retirer un film de Disney+ en France au bout de cinq mois d’exploitation, laquelle intervient en tant que plateforme de SVOD du 17e au 22e mois après la sortie du film en salle de cinéma. Ce retrait intervient pour laisser la place aux chaînes de télévision en clair, dont la fenêtre s’ouvre du 22e au 36e mois après la sortie du film en salle de cinéma.
Pour la Walt Disney Company, cette interruption est inacceptable et demande au contraire qu’elle puisse continuer à exploiter le film en ligne simultanément avec les chaînes gratuites selon un mode de « co-exploitation ». Ce sujet a été au cœur des discussions de la réunion du 4 octobre organisée par le CNC dans le cadre de la renégociation de la chronologie des médias qui doit aboutir d’ici janvier 2023. Disney reproche donc à l’actuelle chronologie des médias de lui imposer le retrait d’un film de sa plateforme au profit des seules chaînes gratuites. C’est la raison pour laquelle la firme de Burbank – où se trouve son siège social, à dix minutes en voiture d’Hollywood – a fait savoir début juin qu’elle ne sortira finalement pas dans les salles de cinéma françaises son long métrage d’animation de Noël 2022, « Avalonia, l’étrange voyage », mais en exclusivité sur Disney+. Une situation unique au monde pour cette grosse production. Ce fut la douche froide pour les salles obscures françaises pour lesquelles un tel blockbuster hollywoodien, en plus déjà programmé par Disney (pour une sortie en France sur les écrans le 30 novembre 2022, maintenant annulée), représente un manque à gagner considérable de fin d’année. « Cette décision est la conséquence de la nouvelle chronologie des médias que The Walt Disney Company juge inéquitable, très contraignante et inadaptée aux attentes du public et à l’évolution des modes de consommation des films », avait justifié la firme américaine. Elle trouve « frustrante » la situation alors qu’elle estime soutenir le cinéma français avec ses sorties en salles, et investir de plus en plus dans la création originale française. La maison mère de Disney avait prévenu avant l’été qu’elle décidera « film par film (…) dans chaque pays ».
Cette déprogrammation d’« Avalonia » avait mis en colère la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) qui a accusé Disney de « porter atteinte gravement à l’économie des salles de cinéma [« instrumentalisées »] et du secteur tout entier » (3). Le film « Black Panther : Wakanda Forever » allait-il subir le même sort ? Depuis le 17 octobre, les exploitants de salles adeptes des Disney et des Marvel sont rassurés pour celui-ci. La FNCF n’a rien dit. La major américaine dispose en tout cas d’un fort moyen de pression dans les négociations en cours. Fin juin, devant l’Association des journalistes médias (AJM), Netflix avait aussi tiré à boulets rouges sur la chronologie française que la filiale française avait pourtant signée en janvier (4).

La ministre contre « un bloc de marbre figé »
La SACD (5), qui n’avait pas signé l’accord de janvier 2022 sur la chronologie des médias (6) en raison de sa durée de trois ans (jusqu’en février 2025) jugée trop longue au regard de l’évolution des usages numériques (7), a fustigé le 11 octobre les « effets paradoxaux et contre-productifs » de ces fenêtres de diffusion « premium » et « non-premium ». Pour la Scam (8), qui fait au contraire partie des signataires, il faut « déroger » plus souvent à la chronologie des médias. Quant à la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, elle a fait savoir le 18 octobre que cette chronologie « ne peut pas être un bloc de marbre figé »… @

Charles de Laubier