Huawei fête ses 20 ans en France, où le chinois bénéficie d’une indulgence qu’il n’a pas ailleurs

La filiale française du numéro un mondial des réseaux télécoms, Huawei Technologies France, a été créée le 1er décembre 2003. En deux décennies, le chinois a pris goût à l’Hexagone qui le lui rend bien. L’Etat français lui déroule le tapis rouge, contrairement aux Etats-Unis qui l’ostracisent.

Officiellement directeur général (président) de Huawei Technologies France depuis le 17 novembre dernier, le Chinois Enshuo Liu – alias Léo Liu (photo) – a succédé à son compatriote Weiliang Shi qui occupait ce poste depuis six ans. Le nouveau PDG de la filiale française du numéro un mondial des télécoms a été intronisé à l’occasion de la troisième édition de son plus grand événement européen, Huawei Connect Europe, qui s’est tenu les 15 et 16 novembre à Paris Porte de Versailles. De plus, le dirigeant fraîchement nommé a l’honneur de fêter ce 1er décembre les 20 ans de Huawei France.

A Strasbourg, n’en déplaise à Bruxelles
Cet anniversaire de deux décennies de présence de la firme de Shenzhen dans l’Hexagone a une valeur d’autant symbolique qu’il correspond aussi au coup d’envoi de la construction de la grande usine de production de Huawei dans la région Grand-Est, à Brumath dans le Bas-Rhin, à proximité de Strasbourg. Léo Liu a confirmé, lors de l’annonce de sa nomination le 30 octobre dernier, que ce projet industriel en Alsace ouvrait « un nouveau chapitre passionnant pour Huawei en France » (1).
Déjà le 22 juin, à l’occasion des journées « 360 Grand Est » à Strasbourg, le directeur général adjoint de Huawei France, Minggang Zhang, avait assuré sur place que le géant chinois maintenait son projet d’usine à Brumath (2). Et ce, malgré l’appel du commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, qui avait – sept jours plus tôt de Bruxelles – demandé aux Vingt-sept de « bannir les fournisseurs à haut risque » au regard de la sécurité de la 5G : « Les décisions prises par certains Etats membres de restreindre ou d’exclure complètement Huawei et ZTE de leurs réseaux 5G sont justifiées », avait-il lancé en ciblant nommément les deux chinois (3).

Le marché mondial des contenus audiovisuels mise plus que jamais sur la Chine pour croître

Le Mipcom a tenu sa 39e édition à Cannes du 16 au 19 octobre, avec cette année comme « pays d’honneur » : la Chine. Le marché international des contenus audiovisuels et de la coproduction lui a ainsi déroulé le tapis rouge sur la Croisette pour y trouver des relais de croissance.

Organisé par le groupe britannique RelX (dont les origines remontent à l’éditeur scientifique néerlandais Elsevier, transformé en groupe anglo-néerlandoaméricain Reed Elsevier il y a 30 ans, puis rebaptisé RelX en 2015), le Mipcom va sur ses quarante ans. Le Mipcom de l’automne est aux « pilotes » (nouveautés) ce que le MipTV au printemps est aux « formats » (déclinables dans différents pays). Le Marché international des contenus audiovisuels tend ainsi à refléter les prises de risque des différents diffuseurs de contenus audiovisuels venus du monde entier.

La Chine, deuxième marché au monde de la télévision
LEt les risques sont de plus en plus grands. La conquête du marché audiovisuel chinois en fait partie, alors que le Mipcom a fait de l’Empire du Milieu son « pays d’honneur » pour sa 39e édition (16-19 octobre 2023). Le pays des BATX (les « GAFAM » chinois que sont Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) constitue l’un des marchés des contenus audiovisuels et de leur diffusion (TV, SVOD, salles de cinéma) les plus vastes au monde. Les opportunités de la Chine en termes de coproduction, d’acquisition et de distribution sont énormes, avec un potentiel de consommateurs audiovisuels – enfant et adultes – de 1,41 milliard d’habitants. Même si la population chinoise a baissé en 2022 pour la première fois depuis les années 1960.
Ce n’est d’ailleurs par la première fois que le pays-continent de Xi Jinping (photo) a les honneurs du groupe anglo-néerlando-américain RelX (coté en Bourse à Londres, Amsterdam et New York) : en octobre 2018, pour sa 34e édition, le Mipcom avait déjà accueilli sur la Croisette la République populaire de Chine. C’était il y a cinq, au moment où le marché chinois de la télévision est devenu – selon le cabinet d’étude IHS Markit (intégré par la suite dans Omdia) – le deuxième plus grand au monde, derrière les EtatsUnis mais juste devant le Royaume-Uni.

Les majors Universal Music, Sony Music et Warner Music négocient avec les éditeurs d’IA musicales

Google et sa filiale YouTube négocient avec Universal Music l’autorisation d’utiliser pour son IA musical, MusicML, les données de la première « maison de disques ». Les autres majors, Warner Music et Sony Music, devront aussi trouver des accords. C’est plus une opportunité qu’une menace.

Le 21 août, YouTube a annoncé un accord avec Universal Music autour de l’IA musicale. Le Financial Times avait par ailleurs révélé le 9 août que sa maison mère Google et la première major mondiale de la musique enregistrée étaient en pourparlers pour autoriser que les mélodies et les voix des artistes soient exploitées par l’intelligence artificielle MusicLM (développée par Google) afin que celle-ci puisse créer de nouvelles chansons. Si ces négociations devaient aboutir, un accord de ce type serait une première pour l’industrie musicale qui, jusqu’à maintenant, voient plus ces IA génératives de musiques comme une menace pour elle.

Accords avec Google et YouTube
Quel est l’impact de l’IA générative sur l’industrie musicale ? « Imaginez que quelqu’un vole tout ce qui a de la valeur à une entreprise et l’utilise pour lancer une entreprise pour lui faire concurrence. C’est exactement ce qui se passe avec beaucoup de grands modèles d’IA d’apprentissage automatique qui existent aujourd’hui. Il s’agit d’une concurrence déloyale classique. (…) Il y a un besoin urgent de “code de la route” approprié pour l’IA générative et nous vous encourageons à agir de manière décisive et sans délai », a déclaré le 12 juillet dernier Jeffrey Harleston (photo), directeur juridique et vice-président exécutif pour les affaires commerciales et juridiques d’Universal Music. Il était auditionné au Sénat américain par le sous-comité de la commission judiciaire du Sénat, sur le thème de « l’intelligence artificielle et la propriété intellectuelle » (1).

La Chine est le premier pays à s’attaquer aux « deepfake », ces contenus hyper-truqués à l’IA

Depuis le 10 janvier 2023, en Chine, le règlement « Deep Synthesis Provisions » est entré en vigueur pour réguler voire interdire les « deepfake » créés à l’aide de l’intelligence artificielle en détournant textes, images audios et/ou vidéos. Ces créations hyperréalistes prennent de l’ampleur. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a expliqué l’an dernier dans une vidéo qu’il avait capitulé face aux russes et qu’il appelait les soldats de son pays à déposer les armes (1). L’acteur américain Morgan Freeman s’est exprimé en 2021 sur la chaîne YouTube néerlandaise Diep Nep pour dire : « Je ne suis pas Morgan Freeman. Ce que vous voyez n’est pas réel » (2). Car ces vidéos et de nombreuses autres postées sur les réseaux sociaux – lorsque ce ne sont pas des textes, des images ou des podcasts – sont des « deepfake », des contenus entièrement manipulés et détournés à l’aide de l’intelligence artificielle (IA) et l’apprentissage machine (AM). La Chine devance les USA et l’UE Le résultat est vraisemblable et bluffant. L’année 2023 pourrait être celle de l’explosion de ces vidéos truquées hyperréalistes. Les Etats-Unis ont commencé à légiférer par endroits (Californie, New York, Virginie, Texas) contre les abus des deepfakes – nom composé de deep learning et de fake news. Le Parlement européen devrait bientôt examiner en séance publique la proposition de règlement « Artificial Intelligence Act » (3) mise sur les rails il y a vingt mois (4). Mais c’est la Chine qui vient de devancer l’Occident en faisant entrer en vigueur le 10 janvier 2023 un règlement applicable à l’ensemble de l’Empire du Milieu. Le texte composé de 25 articles est surnommé le « Deep Synthesis Provisions » (5) et s’applique désormais à toute la filière des fournisseurs de « synthèse profonde » (deepfake). Son entrée en vigueur est l’aboutissement d’un processus qui avait commencé après un discours du président Xi Jinping (photo) devant le Politburo en octobre 2021 où il mettait en garde contre « les symptômes malsains et incontrôlés » de l’économie numérique. C’est le Cyberespace Administration of China (CAC), en cheville avec les ministères de l’Industrie et des Technologies de l’information (MIIT) et de la Sécurité publique (MPS), qui a été à la manoeuvre. Le CAC a été chargé d’élaborer ce règlement « Deep Synthesis Provisions », dont la première version a été publiée il y a un an (fin janvier 2022) à l’occasion d’une consultation publique d’un mois. La version finale a été publiée fin novembre dernier. « Les services qui offrent un dialogue intelligent, des voix synthétisées, la génération de visages, des scénarios de simulation immersive, etc., pour générer ou modifier considérablement la fonction du contenu d’information, devraient être marqués de façon significative pour éviter la confusion ou l’identification erronée du public. », explique le CAC dans un communiqué du 11 décembre (6). La Chine définit la technologie de synthèse profonde comme celle qui utilise l’apprentissage profond (deep learning), la réalité virtuelle et d’autres algorithmes synthétiques pour produire du texte, des images, de l’audio, de la vidéo, des scènes virtuelles ou en 3D, et d’autres informations réseau. Les fournisseurs de services de synthèse approfondie sont tenus de désigner les entreprises qui offrent des services, logiciels et supports techniques. La responsabilité incombe aux prestataires de services de synthèse profonde en matière de sécurité des données et de protection des informations personnelles, de transparence (notamment en établissant des lignes directrices, des critères et des processus pour reconnaître les informations fausses ou préjudiciables), et de gestion de contenu et étiquetage (étiquettes ou logos). Les dispositions du règlement « Deep Synthesis Provisions » s’appuient sur un règlement « Online Audio and Video Information Services » (7) de 2019 qui interdit sur Internet l’utilisation de photos, d’audios et de vidéos générés par ordinateur pour produire ou diffuser des fausses nouvelles. Mais comme dans le reste du monde, il sera difficile de faire la part des choses, entre fake news et parodie. La censure chinoise ajoute une corde à son arc. Quoi qu’il en soit, Pékin prend très au sérieux la menace des deepfakes, y compris des algorithmes (8), à l’heure où la bataille commerciale exacerbée avec Washington fait rage sur fond de guerre en Ukraine déclenchée par sa voisine et amie la Russie. La notion de « contenus illicites » du DSA En attendant l’adoption du règlement « Artificial Intelligence Act », l’Europe s’est dotée du Digital Services Act (DSA) qui entre en vigueur en 2023. Il prévoit notamment que les plateformes numériques « lutte[nt] contre la diffusion de contenus illicites en ligne et contre les risques, pour la société, de diffusion d’informations trompeuses » (considérant 9), la notion (vague ?) de « contenus illicites » étant mentionnée dans au moins huit articles du DSA (9) – mais sans qu’il y soit question explicitement de deepfake. Avec son « Deep Synthesis Provisions », la Chine a pris de l’avance et pourrait être suivie par d’autres pays autoritaires. @

Charles de Laubier

Gaia-X, le « cloud de confiance » franco-allemand, est-il pro-souveraineté numérique européenne ?

L’association Gaia-X pour un « cloud de confiance » en Europe, a organisé son 3e sommet, qui s’est tenu cette année les 17 et 18 novembre à Paris. Censée contribuer à la « souveraineté numérique » européenne, elle compte parmi ses membres de nombreux américains et chinois. Annoncé en juin 2020, le projet franco-allemand de « cloud de confiance » Gaia-X a été officiellement lancé sous forme d’association internationale à but non lucratif en janvier 2021. De 22 entreprises et organisations fondatrices au départ, toutes d’origine européenne, Gaia-X compte aujourd’hui plus de 359 membres venus quasiment des quatre coins du monde, comme le montre le répertoire en ligne des entités adhérentes (1). Beaucoup d’entre eux se sont retrouvés les 17 et 18 novembre à Paris en présentiel ou en distanciel à la troisième édition du Gaia-X Summit. 14 membres américains et 4 chinois Si les différents intervenants à ces deux journées étaient tous européens (2), il n’en demeure pas moins que la Gaia-X European Association for Data and Cloud (sa dénomination officielle), de droit belge, basée à Bruxelles et dirigée par Francesco Bonfiglio (photo), joue plus sur le registre du « cloud de confiance » que sur celui de « cloud souverain ». La composition de ses membres le démontre, au-delà des 22 fondateurs européens (dont Atos, Deutsche Telekom, OBS/Orange, EDF, Docaposte/La Poste, Outscale/Dassault Systèmes, OVH, SAP, Siemens, …). Ainsi, sont aussi membres de Gaia-X des entreprises et des organisations extra européennes qui doivent composer avec les objectifs de cloud de confiance et de souveraineté numérique recherchés en Europe. Ces membres « étrangers » au Vieux Continent, qui sont au nombre de vingt-quatre selon le décompte effectué par Edition Multimédi@ sont étatsuniens (quatorze d’entre eux), chinois (cinq), japonais (quatre) ou sud-coréen (un). Ainsi, le consortium Gaia-X qui se veut le garant en Europe du cloud de confiance, voire du cloud souverain, est plus ouvert aux acteurs du reste du monde qu’il n’y paraît. Y sont présents les américains Amazon (basé au Luxembourg), Google (basé en Irlande), Microsoft (basé en Belgique), Palantir Technologies (proche de la CIA et basé dans le Colorado), Oracle (basé en Californie), Salesforce (également en Californie), AMD (aussi en Californie), mais aussi Cisco (basé en Belgique), Seagate (basé en Irlande), Dell (également en Belgique), Hewlett Packard (basé en Allemagne), IBM (également en Allemagne), Intel (aussi en Allemagne) ou encore Snowflake (basé en Californie). L’Empire du Milieu n’est pas exclu du cloud européen, loin s’en faut puisque sont membres de Gaia-X les chinois Alibaba (basé à Singapour), Huawei Technologies (basé en Allemagne), Haier (basé à Qingdao en Chine), Shenzhen Shuxin Technology (basé à Shenzhen en Chine) ou encore la China Academy of Information and Communications Technology (CAICT basée à Pékin). Le pays du Soleil-Levant n’est pas en reste avec les japonais Fujitsu (basé en Allemagne), Nec (basé au Japon), NTT (également au Japon) et Mitsubishi Electric (basé Allemagne). Quant au Pays du Matin frais, il est lui aussi présent au sein de Gaia-X à travers le sud-coréen Kosmo (basé à Sejong en Corée du Sud). Or, le projet Gaia-X n’était-il pas de construire l’infrastructure de données de nouvelle génération pour favoriser la souveraineté numérique de l’Europe, offrant une alternative européenne aux hyperscalers américains que sont en tête Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure et Google Cloud, et même chinois comme Alibaba ? Il y a un an presque jour pour jour, la sénatrice Catherine Morin- Desailly avait exprimé son incompréhension de voir le chinois Huawei si actif au sein de Gaia-X, qui plus est sponsor du second Gaia-X Summit arborant alors ce message commun: « Gaia-X & Huawei considèrent de la même manière la souveraineté des données et la digitalisation comme des facettes tout aussi importantes de la société et de l’économie d’aujourd’hui » (3). D’où le tweet de sénatrice : « Je croyais que le but de Gaia-X était à l’origine de construire une offre franco-allemande indépendante des géants américains et chinois ! C’est tout le contraire qui s’est produit depuis un an » (4). Pour ce troisième Gaia-X Summit, les français Dawex et Ionos, et les allemands Ionos et De-Cix sont cette fois les sponsors – de quoi redonner des couleurs franco-allemandes à Gaia-X ! La souveraineté numérique et les « infrastructures de données souveraines » ont été au coeur des discussions de ce sommet. Sans que l’on sache vraiment si le cloud souverain doit rester franco-français ou euro-européen. La position dominante des hyperscalers Rien qu’en France, le trio de tête Amazon-Microsoft-Google s’arroge plus des deux tiers du marché nuagique en 2021. Ils ont été convoqués par l’Autorité de la concurrence dans le cadre d’une consultation publique sur le cloud qui s’est achevée en septembre (5). La bataille du cloud sévit aussi sur toute l’Europe, des plaintes du français OVH et de l’allemand Nextcloud ayant notamment été déposées en 2021 auprès de la Commission européenne (6). Quant aux grandes entreprises françaises, souvent internationales, elles parlent plus de cloud de confiance – référentiel de trusted cloud à la clé (7) – plutôt que de cloud souverain. @

Charles de Laubier