Télévision de rattrapage : les producteurs de cinéma s’apprêtent à renégocier avec Orange

Les organisations du cinéma français doivent rencontrer avant fin septembre France Télécom pour renégocier leur accord sur la catch-up TV, lequel arrivera
à son terme en novembre prochain – deux ans après sa signature le 10 novembre 2009. Le sort des mobinautes sera au cœur des discussions.

Selon nos informations, c’est fin septembre que les organisations du cinéma français
– le Bloc (1), l’ARP (2) et le Blic (3) – engagent de nouvelles négociations sur la
télévision de rattrapage avec France Télécom. Le premier accord, en vigueur depuis
le 10 novembre 2009, avait été signé pour deux ans, dans le cadre des engagements d’investissement d’Orange Cinéma Séries dans le cinéma français. Bien que les obligations de France Télécom visà- vis du Septième Art aient été signées sur cinq ans (jusqu’en décembre 2013), l’accord sur la télévision de rattrapage avait été limité à deux ans (jusqu’en novembre 2011).

Le calcul des abonnés mobiles
Ces deuxième round de négociations se déroulera cette fois dans l’ombre de Canal+ (premier contributeur du cinéma français) qui doit finaliser au quatrième trimestre son entrée à 33,33 % du capital d’Orange Cinéma Séries que France Télécom ne détiendra plus qu’à 66,66 %. La télévision de rattrapage (ou catch up TV) permet aux téléspectateurs de voir ou revoir un programme ou un film gratuitement et durant sept à trente jours après sa diffusion à l’antenne. Les trois principales organisations du cinéma français entendent faire évoluer les conditions d’exploitation des films sur ces nouveaux services de médias audiovisuels. Contactée, l’ARP nous confirme avoir déjà repris contact avec Orange. L’un des principaux points de discussion sera le sort réservé
aux mobinautes qui utilisent de plus en plus la catch up TV. Pour l’heure, ils ne sont comptabilisés que comme des « demi abonnés » par rapport aux abonnés « pleins »
des offres « triple play » (4). Ainsi, en termes de minimum garanti, Orange ne reverse
aux ayants droits que la moitié de ce qu’il doit normalement pour chaque abonné au
haut débit fixe. Ce que souhaitait France Télécom en 2009, à la différence des organisations du cinéma qui avaient obtenu de limiter ce traitement de faveur à deux ans. « Nous considérons que l’usage est désormais assez significatif pour qu’on le réglemente de manière globale et uniforme en prenant en compte la réalité des pratiques », explique Florence Gastaud, déléguée générale de l’ARP, à Edition Multimédi@. Dès 2009, l’ART avait prévenu : « Il faut prendre garde à ce qu’un abonné, aussi mobile soit-il, ne soit pas considéré comme un demi abonné regardant nos films d’un seul oeil ». A taux plein, les mobinautes coûteront le double à Orange. Autrement dit, France Télécom devra payer pour chaque abonné mobile à son bouquet cinématographique la même somme que pour un abonné ADSL : soit 1,70 euros par mois, porté à 1,90 euros au-delà de 1,5 million d’abonnés et 2,64 euros au-delà de 3 millions d’abonnés. Et ce, en plus de ses engagements de financement des films européens et français à hauteur de respectivement 26 % et 22 % des revenus de son bouquet (5). Car les droits de la catch-up TV ne sont pas décomptés des obligations télévisuelles mais viennent actuellement en plus, contrairement à ce qu’avait demandé Orange en 2009.
Avec 9,3 millions d’abonnés haut débit en France à sa Livebox pouvant avoir accès au service « TV à la demande » de la TV d’Orange, France Télécom peut déjà rapporter gros aux producteurs de cinéma. Mais en y ajoutant des mobinautes cinéphiles, les recettes de la catch up TV devraient faire un bond. D’autant que sur 26,9 millions de clients mobiles que compte France Télécom, 9,4 millions bénéficient du haut débit de
la 3G (6). Lancées d’abord sur l’Internet ouvert et accessibles sur les sites web des chaînes, les offres de catch up TV – MyTF1, Pluzz de France Télévisions, M6 Replay ou encore Canal+ à la demande (7) – se sont généralisés ensuite sur les réseaux « managés » (ADSL/IPTV, câble) des fournisseurs d’accès à Internet (FAI), puis sur les mobiles. La « TV Replay » est désormais accessible par tous les terminaux. La TV connectée devrait accélérer son usage. Gratuite, la catch up TV pourrait s’élargir au payant (8) dans le but de faire progresser l’ARPU (9). C’est une opportunité d’exposition supplémentaire pour le cinéma français. Cependant, les producteurs de films ne veulent pas que la catch up TV gêne le développement de la vidéo à la demande (VOD).

Un milliard de programmes vus
« La télévision de rattrapage est une très belle opportunité pour une meilleure exposition des films mais il faut que nous soyons vigilants pour qu’il y ait pas une trop grande “épanchéité” qui pourrait nuire d’ailleurs au développement des plateformes VOD françaises et européennes », nous indique Florence Gastaux. Selon l’étude annuelle du CNC sur le marché de la vidéo, 52,8 % des internautes pratiquent la télévision de rattrapage. Parmi eux, 78,7 % la regardent à partir de leur ordinateur,
42,6 % sur leur téléviseur et déjà 6,4 % sur leur mobile. Et selon Médiamétrie, la catch up TV compte 14,5 millions d’adeptes en France pour, selon NPA/GfK, 1 milliard de programmes vus depuis début 2011. @

Charles de Laubier

Contenus dans les nuages

Depuis la nuit des temps, il n’est pas de fête qui se respecte sans musique. Vérité immuable, alors même que les moyens techniques permettant à nos ados d’animer leurs soirées n’en finissent pas de muter : du vinyle et son pick-up des années 1960 à la K7 et son Walkman, en passant par le CD et son lecteur, jusqu’aux fichiers MP3 téléchargés sur PC qui permettaient, au tournant des années 2000, de faire défiler des playlists tout au long de la nuit. En 2010, il suffisait d’un quelconque terminal mobile pour « streamer » – par la magie du Cloud – un choix de musiques apparemment infini. Pourtant, l’informatique en nuage est sans doute presque aussi ancienne que l’Internet, puisque la virtualisation à la base du « cloud computing » remonte aux années 1960. Elle consiste à mutualiser sur un même serveur des applications tournant sur des machines différentes. Les hébergeurs et les fournisseurs de services d’applications (ou Application Service Providers) nous ont peu à peu accoutumés à ce nouvel âge de la révolution numérique, en commençant tout d’abord par quelques applicationsphares comme les services de messagerie. Si nous avions encore l’habitude d’archiver sur nos PC des contenus téléchargés auprès de pionniers comme Kazaa, Napster ou encore eMule, les usages précurseurs étaient pourtant déjà là : pourquoi continuer à stocker des fichiers sur son disque dur quand on pouvait y accéder rapidement, à tout moment et d’un seul clic ?

« Le Cloud permet de rechercher dans de larges catalogues, de stocker à distance et d’écouter en streaming : où que l’on soit, sur le terminal de son choix ».

Mais il manquait encore des offres. Elles furent inaugurées par Amazon, dès 2006,
qui chercha à rentabiliser ses investissements dans des infrastructures importantes : surdimensionnées pour les pics d’achats de Noël, mais sous-utilisées le reste de l’année. Concurrence oblige, les géants de l’Internet se sont finalement retrouvés en 2011 sur la même ligne de départ. Amazon lança son offre fremium, Amazon Cloud Drive, en proposant à ses clients des espaces d’archivage gratuits à hauteur de 5 Go, puis au-delà pour tous les albums achetés ou moyennant 1 dollar par gigaoctet additionnel. Google Music fut lancé quelques mois plus tard, après d’âpres négociations avec les majors détenteurs des droits. Le principe était toujours le même : proposer aux internautes des services incluant des fonctions de stockage, de recherche sur des catalogues étendus et d’écoute en streaming, où que l’on soit et sur le terminal de son choix. C’est ce que chercha à intégrer Apple en offrant désormais gratuitement son service MobileMe, d’abord pensé pour faciliter la synchronisation des applications de contacts, d’emails, d’agendas ou de photos entre tous les terminaux – du smartphone à la tablette en passant par l’ordinateur – puis progressivement ouvert à des services de streaming et d’archivage de musique puis de vidéos. Pour exister sur la Toile ou contrer l’hégémonie croissante des géants du Web, de nombreuses initiatives sont venues grossir le flot impétueux du fleuve Cloud. Les chaînes de télévision ont ainsi développé leurs propres mix de services (live, catch-up TV et VOD). De nombreuses start-up se sont lancées dans l’aventure de l’innovation : Deezer ou Spotify pour la musique, Netflix pour la vidéo ou encore Onlive dans les jeux vidéo. Ces dernières années ont ainsi vu se mettre en place l’écosystème complexe, mais indispensable à la multiplication de services de plus en plus gourmands, en termes de capacités de stockage et de bande passante. Le Cloud, pour fonctionner, nécessite des investissements colossaux. Des datacenters couvrant des dizaines d’hectares ont été mis en place par IBM, Dell, Google et bien d’autres, tandis que les opérateurs télécoms mettaient les bouchées doubles pour faire monter en puissance, et en même temps, les réseaux très haut débit fixe et mobile. Il reste encore un long chemin à parcourir avant que ne s’achève la mise en place de cette vaste économie des contenus dématérialisés. Même si les nouveaux majors sont désormais en place, les modèles économiques sont encore à consolider. La voix lointaine de l’étonnant Henry David Thoreau, philosophe naturaliste et visionnaire, raisonne encore étrangement à nos oreilles : « Si vous avez construit des châteaux dans les nuages, votre travail n’est pas vain : c’est là qu’ils doivent être. A présent donnez-leur des fondations ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Droits d’auteur
* Jean-Dominique Séval est directeur général adjoint
de l’IDATE. Sur le même thème l’IDATE publie
son rapport « Online Video », par Vincent Bonneau.

Marc Tessier, Vidéo Futur : « Le délai de quatre mois après la salle est trop long pour certains films »

Le président du groupe Vidéo Futur Entertainment, Marc Tessier, président du Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (Sévàd), ancien PDG de France Télévisions et ancien DG de Canal+, explique à Edition Multimédi@ pourquoi
il croit au décollage de la VOD cette année.