Publicité : fin de la prime au leader

Finalement, la bonne nouvelle pour la télé, c’est qu’elle a su s’adapter à Internet sans connaître tout à fait le sort, parfois fatal, de la plupart des autres contenus numériques. Ce super média qu’est la télévision bénéficiait d’une armure protectrice connue sous le nom de « prime au leader »,
cette différence constatée entre la part d’audience des chaînes leaders et leur part du marché de la publicité TV
en valeur, laquelle lui est souvent très supérieure. C’est ainsi que la puissance médiatique des chaînes historiques leur a longtemps permis de pratiquer des tarifs supérieurs à ceux des outsiders et de générer des revenus plus importants comparativement à leur audience ou au volume de publicité qu’ils diffusaient. Ainsi, en France, la chaîne TF1, qui enregistrait une part d’audience moyenne de 23 % sur l’année 2012 (en forte baisse par rapport aux années précédentes), captait 42 % du marché de la publicité TV en valeur. De la même façon, ITV, la première chaîne privée au Royaume-Uni en termes d’audience, captait 43 % du marché publicitaire en valeur pour une part d’audience de seulement 16 %.

« Si la pub TV a fait la preuve de son efficacité,
c’est sa notion même qui a perdu de son sens.
Les spots sont désormais distribués en même
temps en live ou en catch up. »

Cet avantage permit à la télévision de disposer de temps pour s’adapter aux nouvelles règles du jeu imposées par Internet, un temps précieux qui manqua tant à la musique ou
à la presse. Malgré la concurrence indéniable des services de médias audiovisuels à la demande (SMAd), la télévision prolongea son statut à part de média dominant (taux d’adoption par toutes tranches d’âge et consommation importante en temps passé).
À la fois source d’information et de loisirs, la télévision, par sa capacité à générer une audience de masse, dispose d’une puissance incomparable. Il n’est donc pas surprenant que la télévision « gratuite » ait largement attiré les annonceurs en quête de visibilité et de construction d’image, devenant le premier support d’investissement publicitaire avec, en moyenne, 40 % des dépenses médias des annonceurs (en excluant les investissements hors-médias). Et ce, pendant que son chiffre d’affaires continuait de progresser alors que celui de la presse n’en finissait plus de s’effondrer. Pourtant, malgré cette apparente bonne résistance, de premiers signes d’essoufflement apparurent avant 2015, notamment sur les marchés occidentaux où la télévision commença à perdre des parts de marché face à Internet. La multiplication des chaînes fut à l’origine de la fragmentation de l’audience, préjudiciable à l’Audimat des grandes chaînes et donc à leurs recettes publicitaires. De plus, la consommation des programmes TV devenant plus personnelle, elle se reporta vers les « nouveaux » écrans, en temps réel ou différé. Or, face à la désintermédiation, la TV « broadcast » conserva et conserve encore certains avantages irréductibles. En termes de couverture, les grands networks américains avaient toujours, en 2013, un reach de l’ordre de 70 %, quand celui de YouTube n’était que de 32 % et celui de Hulu de 9 %. Ensuite, un téléspectateur américain restait contraint à une moyenne de 72 minutes de publicité TV par jour, contre 23 minutes par mois pour un utilisateur de vidéo online. Pourtant, le “coût par mille moyen” (CPM) sur un site de vidéo premium ou sur un site de chaîne de télévision tenait la comparaison : aux Etats-Unis, il évoluait entre 15 et 20 dollars sur un site comme Hulu, contre 14 dollars pour toucher 1.000 foyers via une chaîne nationale.
Si la publicité TV a largement fait la preuve de son efficacité, c’est sa notion même qui a perdu de son sens. La part des publicités uniquement diffusées sur l’écran de TV pendant le flux de programmes fait place aux spots publicitaires distribués en même temps qu’un programme TV, qu’il soit « broadcasté » ou « streamé », en live ou en catch up. Sur ce ring, où s’est livrée durant cette dernière décennie une lutte sans concession, le combat est en train de se terminer faute de combattants : par la disparition des distinctions classiques. Car tandis que les chaînes survivantes sont devenues à leur tour des
poids lourds d’Internet, les géants du Net ont continué à phagocyter leur part du
gâteau publicitaire… @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Planète numérique
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, le rapport « La publicité TV face
aux nouveaux médias », par Florence Leborgne.

Neelie Kroes, Commission européenne : « Avec la convergence, l’audiovisuel n’a plus besoin d’autant de régulation »

La vice-présidente de la Commission européenne, en charge de l’Agenda numérique, nous explique la raison d’un nouveau livre vert sur l’audiovisuel
et la télévision connectée, et dit ce qu’elle attend de la consultation publique.
Des décisions seront prises dès 2014 pour prendre en compte la convergence.

Audiovisuel : le numérique rend obsolète la loi de 1986

En fait. Le 10 avril, le nouveau président du CSA, Olivier Schrameck, a indiqué – lors du colloque « Quel avenir pour les indépendants de l’audiovisuel en France ? » organisé par le Sirti – que le rapport d’activité du CSA « achevé d’ici la fin du mois » proposera des évolutions législatives dans l’audiovisuel.

Le CSA autorise TDF à expérimenter la diffusion multimédia mobile (B2M) sur la TNT

Selon nos informations, le CSA a autorisé TDF et ses partenaires du consortium B2M à expérimenter durant deux mois la diffusion audiovisuelle en DVB-T/T2 d’un bouquet de services multimédias (télévision, VOD, Catch up, presse, …) via un réseau de type broadcast, comme celui de la TNT.

ArchosC’est une révolution technologique à laquelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a donné son feu vert lors de sa séance plénière du 9 avril dernier.
Un an après avoir enterré la télévision mobile personnelle (TMP), en retirant les autorisations à seize éditeurs de chaînes de télévision délivrées en 2010 faute de modèle économique pour financer le réseau hertzien (1), le régulateur vient en effet d’autoriser TDF à expérimenter durant deux mois un projet encore plus ambitieux : B2M (Broadcast Mobile Multimedia).

Réception sur des tablettes Archos
Il s’agit de diffuser en mode « push VOD » ou en « filecasting » sur Paris, par voie hertzienne à partir de la Tour Eiffel et sur des fréquences UHF de la TNT, un bouquet de services multimédias en direction des terminaux mobiles (smartphones, tablettes, …).
Les émissions à la norme DVB-T/T2 (2) de ces flux « live » ou « on demand » débuteront avant l’été.
Une cinquantaine de mobinautes pourraient participer à cette phase exploratoire pour recevoir sur leur mobile – en l’occurrence une tablette du fabricant français Archos, partenaire du projet – plusieurs services : chaînes de télévision, vidéo à la demande (VOD), télévision et radio de rattrapage (catch up et podcast) ou encore une sorte de kiosque avec player pour lire la presse. Bref, tous les contenus multimédias qui peuvent être diffusés en mode broadcast vers des mobiles seront potentiellement concernés par ce système d’agrégation de contenus. Même des livres numériques pourraient être proposés à terme dans le bouquet B2M. TDF entend réussir là où la TMP avait échoué, comme l’explique Vincent Grivet, directeur à la direction de la stratégie et de l’innovation de TDF, à Edition Multimédi@ : « Contrairement à la TMP, où un seul service (la diffusion de chaînes de télévision linéaires) n’a pas permis de justifier l’utilisation d’un réseau broadcast, B2M permet de mutualiser les coûts de l’infrastructure sur un flux de contenus très large ». Toute la différence est là : diffuser sur mobile non seulement de la télévision linéaire mais aussi des services multimédias non linéaires. Cette expérimentation va permettre à TDF, et à sa filiale Cognacq-Jay Image, de faire connaître la plate-forme auprès de l’ensemble des acteurs qui pourraient être intéressés à utiliser cette solution
de distribution peu coûteuse. L’investissement pour couvrir par exemple 30 % de la population française (soit les plus grandes villes de France) serait, selon Vincent Grivet,
« bien inférieur à 50 millions d’euros ». L’autorisation du CSA s’inscrit dans un projet en gestation depuis 2011 et financé par le gouvernement – via les Investissements d’avenir (ex-Grand emprunt) et son Fonds national pour la société numérique (FSN) – à hauteur
de 30 % du budget total de 3 millions d’euros qui sont nécessaires à la mise au point de
ce prototype. Outre Archos qui a remplacé dans ses tablettes utilisées pour le test la réception 3G par la réception DVB-T/T2, sont partenaires du consortium B2M : l’Institut Télécom, Airweb (qui développe notamment le player), Parrot avec sa division Dibcom (qui fournit le circuit électronique du récepteur DVB), Expway (le middleware qui gère le mode « push »), et Immanens (pour l’édition électronique de contenus presse et la conception de kiosques numérique).
Quant aux opérateurs mobile, ils pourraient percevoir B2M et son réseau broadcast point-à-multipoint sur mobile comme un solution complémentaire à leurs réseaux 3G/4G mis à rude épreuve par la diffusion massive en mode point-à-point des contenus audiovisuels. TDF compte bien leur proposer de soulager leurs réseaux 3G/4G menacés de saturation face à l’explosion annoncée des flux de données. « Nous prônons la mise au point d’une technologie hybride entre le monde du broadcast traditionnel DVB (3) et le eMBMS (4)
qui arrive sur la 4G LTE. Une telle norme réunirait le meilleur des deux mondes : une intégration facile dans les terminaux grâce au LTE et une diffusion sur des zones plus grandes grâce aux atouts du broadcast traditionnel », nous précise Vincent Grivet. Son partenaire Expway a d’ailleurs présenté au Mobile World Congress de février dernier sa solution eMBMS qui permet aux opérateurs 4G d’alléger de 20 % le trafic de données sur leur réseau LTE.

Vers un réseau mixte DVB-T/eMBMS
Mais le eMBMS seul suffira-t-il face à l’explosion des vidéos sur mobile ? Le mixte des normes DVB-T/eMBMS apparaît donc comme la solution pour du broadcast mobile en haute définition et sans temps de latence. Comme TDF (5), France Télécom (Orange Labs) croit à cette technologique hybride et participe pour cela au projet M3 (Mobile MultiMedia) lancé en 2010 avec l’Agence nationale de la recherche. Le CSA, lui, pousse dans ce sens (6). @

Charles de Laubier