L’apparent paradoxe de la vidéo sur Internet

En fait. Le 5 octobre, l’Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe (Idate) a présenté en avant-première les thèmes de sa 32e conférence internationale DigiWorld Summit avec la questionclé « Qui finance l’Internet
du futur ? ». Au cœur des enjeux : l’explosion de la vidéo sur Internet.

En clair. Pour Gilles fontaine, directeur général adjoint de l’Idate, il y a un « apparent paradoxe de la vidéo à la demande (VOD) ». Selon lui, il y a en effet une multiplication
des offres concurrentes sur le marché de la VOD mais en même temps des freins à
son développement comme l’explosion des offres de vidéos gratuites sur Internet (1), piratage en ligne des vidéos, et navigation « cauchemardesque » dans les services.
« Je suis sceptique sur le potentiel de développement de la VOD, qui va rester un
petit marché. En cela, je ne crois pas à la disparition du DVD », a-t-il expliqué.
L’autre facteur défavorable à la VOD reste que les chaînes de télévision n’ont pas dit leur dernier mot face à la délinéarisation. « Les chaînes se différencient de la VOD grâce aux directs, aux exclusivités et aux retransmissions d’événements et de sports,
le cinéma n’étant plus un différenciant face à la VOD », a poursuivi Gilles Fontaine, également coauteur de l’étude « Future Télévision. Stratégies 2020 ». Reste que le paradoxe réside dans la multiplication de l’offre de plateformes de VOD, dont le nombre se situe aujourd’hui autour d’une quarantaine, et l’explosion de la vidéo sur le Net via des sites de partage vidéo comme YouTube et Dailymotion, ou de télévision de rattrapage comme Hulu (2).
« C’est à se demander comment le consommateur va survivre quand il est habitué à naviguer dans une “mosaïque” de dix à quinze chaînes », s’interroge-t-il. Mais cette
« migration Internet » de la vidéo devrait trouver son aboutissement dans le salon.
« Après le câble, le satellite ou encore l’ADSL, la télévision connectée est la dernière brique de la diffusion vidéo, même si la télécommande est encore assez frustre », affirme Gilles Fontaine. Les bouquets de vidéos (chaînes, programmes, films, séries, …) vont se multiplier sur Internet, à l’image de la société californienne Sezmi qui, indique-t-il, propose d’agréger les offres de VOD et de catch up TV pour offrir un service dit “all-in-one personal TV” à des prix adaptés à chaque usage. « Sezmi pourrait amener les utilisateurs à renoncer à des offres de VOD classique du câble, du satellite ou de l’ADSL », estime-t-il. Apple TV ou Google TV devraient eux-aussi bousculer le paysage audiovisuel. « Une offre alternative moins chère sur Internet au bouquet de télévision payante n’est pas exclue ». @

Thierry Cammas, MTV Networks France : « La musique banalisée sur le Web renforce notre modèle exclusif »

Le PDG de MTV Networks France, filiale du géant des médias américain Viacom,
ne craint pas les sites vidéo comme YouTube. Il explique à Edition Multimédi@ comment la valeur ajoutée et l’exclusivité de ses chaînes musicales payantes
sont des gages de pérennité. Prochaine étape : la TV connectée.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : YouTube, Dailymotion, MySpace, … Les sites de partage vidéo rencontrent un large succès avec leurs vidéoclips gratuits. Trente ans après sa création (en 1981), MTV craint-il l’arrivée prochaine en Europe de Hulu ou surtout de Vevo, le « MTV du Web » ? Thierry Cammas (photo) : Plus les majors de
la musique banalisent la circulation non exclusive de vidéomusiquessur le Web de façon morcelée et non contextualisée, plus la fonction historique et incontestable d’agrégation et de tri éditorial de MTV en tant que chaîne musicale devient un confort et représente une valeur ajoutée pour le public. Vevo et Hulu qui propose en streaming du contenu « à la demande » sont sur des modèles différents de celui de MTV. Ils n’altèrent pas la valeur d’utilité du média MTV. Ainsi,
face à la promesse de Vevo, nous pouvons toujours garantir l’exclusivité de l’agrégation éditorialisée et l’exhaustivité des genres sur la musique. Et face à Hulu, nous garantissons l’exclusivité de la primo-diffusion linéaire de productions de divertissement (séries, télé-réalités).

L’achronie des médias

Enfant, il fut un temps où nous avions à composer avec
une certaine forme de rareté, qui, si elle était à l’origine d’une sourde frustration, aiguisait en même temps notre désir et nourrissait nos rêves. Le dernier Disney n’était alors visible qu’à Noël au cinéma et, le reste de l’année, par de courts extraits sur nos écrans de télévision. Il nous fallut attendre l’âge adulte pour voir et revoir enfin ces films, qui perdirent en même temps une part de leur mystère. Il fallait également qu’une nouvelle économie des droits de diffusion télé puis vidéo crée une chaîne d’exploitation cohérente et très rentable. C’est en effet avec la télévision que l’idée d’une chronologie des médias s’est peu à peu mise en place. Avec l’équipement massif des ménages en postes de télé durant les années 60 et la baisse concomitante et régulière de la fréquentation des salles, les chaînes ont accepté l’usage d’un long délai après la sortie des films en salle.

« Ce n’est plus la chronologie qui structure le paysage audiovisuel mais les modes de réception. Quand un film sort, il doit être disponible partout, très vite, afin de bénéficier d’une visibilité maximale sur tous les écrans »

Inquiétudes sur la 2e version du décret « SMAd »

En fait. Le 13 septembre, l’Association des services Internet communautaires (Asic) s’est inquiétée de la deuxième mouture du projet de décret sur les services de médias audiovisuels à la demande (SMAd). Le Bureau de liaison des organisations du cinéma (Bloc) a lui aussi fait part de ses griefs.

En clair. Après les multiples critiques sur la première mouture du projet de décret SMAd (lire EM@13 p. 3), qui prévoit les obligations de financement des films français et européens par les éditeurs de services de vidéo à la demande (VOD) ou de télévision de rattrapage (catch up TV), une nouvelle série de griefs portent cette fois
sur la seconde version du texte. Les professionnels de l’Internet et du cinéma avaient jusqu’à la semaine dernière pour rendre leurs commentaires détaillés au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Ce dernier va rendre son avis ces prochains jours, avant l’envoi du texte au Conseil d’Etat. Selon nos informations, le Bloc s’est opposé à l’instauration d’un seuil de chiffre d’affaires (1) pour le déclenchement des obligations des SMAd en matière de dépenses dans les films et d’exposition sur leur site en ligne. Explication : « Créer un seuil revient à provoquer une distorsion entre les SMAd et donc une déstabilisation du marché, les petites plateformes ayant tout intérêt à se différencier par le non-respect des obligations des plates-formes de VOD plus importantes. Ce qui inciterait en outre les SMAd situés à l’étranger à ne pas appliquer
la réglementation française dans la mesure où nombre de SMAd situés en France ne la respecterait pas ». De plus, le Bloc demande que le décret établisse une contribution spécifique à la création cinématographique, distincte de la contribution à la production audiovisuelle, sur la base de l’ensemble du chiffre d’affaires des SMAd. Le Bloc a en outre fait valoir que la chronologie des médias ne peut être modifiée par ce décret dans la mesure où la loi prévoit qu’elle doit relever d’un accord interprofessionnel. En l’occurrence, celui signé le 6 juillet 2009 qui fixe le délai applicable à la VOD sur abonnement à 36 mois (2). Quant à la proportion d’œuvres européennes et d’œuvres d’expression originales françaises sur le site (respectivement 60 % et 40 %) et aux obligations d’exposition sur la page d’accueil des œuvres européennes et françaises, elles satisfont le Bloc. Cette dernière disposition n’est pas du goût de l’Association des services Internet communautaires (Asic) : « Impossible à réaliser », affirme-t-elle. Et
de se déclarer  « inquiète quant à l’adoption d’un texte qui tend au final à affirmer que l’Internet est de la télévision ». Autrement dit : il faut séparer la catch up TV/VOD des sites de contenus générés par les utilisateurs. @

VOD et catch up TV : vers une réglementation calquée sur celle de la télévision linéaire

Le projet de décret « SMAd » (vidéo à la demande, télévision de rattrapage, …)
et les autres projets de réglementation de ces services audiovisuels à la demande s’avèrent largement inspirés des services de télévision classiques.

Par Christophe Clarenc (photo) et Renaud Christol, avocats, cabinet Latham & Watkins

La directive européenne «Services de médias audiovisuels » du 11 décembre 2007 est le premier texte ayant qualifié juridiquement et défini les « services de médias audiovisuels
à la demande [SMAd] » (1), principalement la vidéo à la demande (VOD) et la télévision de rattrapage (catch up TV). Elle préconisait que ces services soient soumis à « une réglementation plus légère » que celle applicable aux autres services de médias, en raison du « choix, [du] contrôle que l’utilisateur peut exercer et [de] l’impact qu’ils ont sur la société » (2).