Universal Music pèse plus de 70 % de la valorisation de sa maison mère Vivendi : la Bourse en vue

Que vaudrait Vivendi sans Universal Music ? Le numéro un mondial des producteurs de musique dirigé par Lucian Grainge, atteint une valorisation de 23,5 milliards de dollars et compte pour plus des deux-tiers de la capitalisation boursière de sa maison mère. La mise en Bourse d’une partie de son capital est à l’étude pour 2018.

Par Charles de Laubier

Universal Music est maintenant valorisé 23,5 milliards de dollars, contre environ 20 milliards auparavant. Et ce, depuis que Goldman Sachs a publié fin août un rapport « Music in the air » qui revalorise la première major mondiale de la musique enregistrée – devant Sony Music et Warner Music. La banque d’investissement américaine justifie cette augmentation après avoir révisé à la hausse ses prévisions sur le marché global de la musique en ligne : le chiffre d’affaires mondial du streaming devrait bondir, selon elle, de 3 milliards de dollars en 2016 à… 28 milliards de dollars d’ici 2030, lesquels revenus seront alors générés en grande partie par 847 millions d’abonnés aux plateformes de musique en ligne (Spotify, Apple Music, Deezer, Amazon Music, …).
La major Universal Music, dont le PDG depuis 2011 est Lucian Grainge (photo), devance ainsi de 15 % la valorisation de la seconde major, Sony Music estimée à
20,1 milliards de dollars, mais surtout la plus grosse filiale du groupe français Vivendi pèse à elle seule plus de 72 % de la valorisation boursière globale de sa maison mère !

Première filiale et moitié des revenus de Vivendi
En effet, si l’on compare en euros à la date du 15 septembre, Vivendi était valorisé à la Bourse de Paris d’à peine plus de 27 milliards d’euros et sa pépite musicale aux labels prestigieux (Polydor, Capitol, Motown, Deutsche Grammophon, Blue Note, Island Records, …) de l’équivalent de 19,7 milliards d’euros. Vivendi considère depuis longtemps que sa propre capitalisation boursière est sous-évaluée au regard de la valeur de ses actifs, à commencer par sa « pépite » Universal Music qui détient 34 % de part de marché au niveau mondial sur la musique enregistrée (supports physiques ou numériques) et qui a repris le chemin de la croissance grâce au streaming et à ses abonnements.
C’est pour remédier à cette sous-évaluation que le groupe français songe à introduire en Bourse sa première filiale – première en chiffre d’affaires : 5,267 milliards d’euros
en 2016, soit presque la moitié des revenus de Vivendi ! Dépassant ainsi les 5,253 milliards d’euros de chiffre d’affaires de Canal+, Universal Music est aussi la première filiale en résultat opérationnel à 687 millions d’euros, contre 303 seulement pour Canal+.

Grainge, PDG « au moins jusqu’en 2020 »
Le président du conseil de surveillance de Vivendi, Vincent Bolloré, a confirmé le
1er juin dernier, lors de l’assemblée générale du groupe Bolloré (lequel contrôle de
fait Vivendi), qu’il étudiait une introduction en Bourse de la supermaison de disque :
« La tentation existe ; on l’étudie pour montrer la valeur d’Universal [Music] et des actifs de Vivendi. On verra bien le moment venu ; on choisira le moment le plus opportun ». Et le milliardaire breton avait ajouté ironique : « La question d’une introduction en Bourse c’est de savoir à quel moment c’est le mieux. C’est comme les soufflés au fromage, il faut les sortir au bon moment ! ». Depuis, le projet semble s’accélérer. L’agence Bloomberg a fait état début août de rencontres entre des conseillers financiers et Vivendi qui serait prêt à vendre 10 % à 20 % du capital de la major à l’occasion d’une introduction en Bourse envisagée pour 2018. Déjà, le 22 mai dernier, dans une interview au Wall Street Journal, le président du directoire de Vivendi, Arnaud de Puyfontaine, n’avait pas exclu qu’une part minoritaire du capital d’Universal Music puisse être mise sur le marché. « Ce n’est pas une vache sacrée », avait-il lancé. Lors de l’assemblée générale de Vivendi fin avril, il avait été aussi question d’une possible introduction en Bourse d’« Universal ». A l’époque, des analystes financiers tablaient même sur la vente d’une part du capital pouvant aller jusqu’à 49 %.
Outre le fait que cette opération permettrait à la maison mère d’Universal Music d’espérer mieux valoriser les deux groupes, cela limiterait aussi l’endettement – déjà
à 5,6 milliards d’euros fin 2016 – de Vivendi qui est en train d’acquérir l’agence de publicité Havas (1). Vivendi est sollicité de longue date par des banques pour céder ou mettre en Bourse sa pépite Universal Music, allant jusqu’à décliner une offre de rachat faite en 2015 pour un montant jugé alors insuffisant de 13,5 milliards d’euros. D’après l’agence Reuters, la marque d’intérêt venait de Liberty Media, le groupe du milliardaire américain John Malone. Selon le Financial Times, une première offre sur Universal Music avait été faite en 2013 par le groupe japonais SoftBank qui avait proposé – en vain – 6,5 milliards d’euros. Il y a deux ans, le fonds américain Psam (2) – très critique sur « le flou » de la stratégie de Vivendi (3) – avait demandé à ce que la filiale Universal Music soit séparée de sa maison mère pour mieux la valoriser. Vincent Bolloré avait assuré au printemps dernier qu’il ne comptait pas vendre son joyau. D’autant que les revenus du streaming ont transformé sa filiale musicale en vache à lait (4) du groupe, au moment où l’autre filiale Canal+ est à la peine. Outre le fait d’être actionnaire minoritaire – à l’instar des autres majors – de Spotify (5) et de Deezer pour mieux faire pression sur eux (6), Universal Music dispose d’accords avec plus de 400 plateformes de streaming (Apple Music, Pandora, iHeartMedia, …). Y compris avec Amazon Music qui vient d’être lancé en France ce mois-ci. La major de Vivendi, qui s’est en outre associé à Sony Music pour lancer un service de streaming low cost en Grande-Bretagne, se félicite de voir que les trois artistes les plus « streamés » en 2016 sont tous des talents du groupe : Drake, Rihanna et Justin Bieber. Près de 60 % de ses ventes sont réalisées par les répertoires locaux dans leur pays, comme par exemple les Beatles au Royaume-Uni ou Serge Gainsbourg en France.
Autant dire que Sir Lucian Charles Grainge (57 ans) va terminer en beauté son mandat de PDG d’Universal Music, qui a débuté en 2011. Ce Britannique – nommé en novembre 2016 « Commandeur de l’ordre de l’Empire britannique » par la reine Élisabeth II et désigné au dernier Cannes Lions en mars « Personnalité média de l’année 2017 » – chapeaute les trois activités : musique enregistrée d’Universal
Music Group (UMG), édition musicale de Universal Music Publishing (UMPG) et merchandising de Bravado. Pour « accélérer la monétisation de la musique dans
le numérique, élargir la diffusion de ses contenus audio et vidéo en multipliant les partenariats avec des plateformes, et renforcer ses relations stratégiques avec les marques et les sponsors », Vivendi avait annoncé en juillet 2015 le prolongement
« au moins jusqu’en 2020 » des fonctions de Lucian Grainge. Pas question de s’endormir sur ses lauriers : « UMG tire aussi parti, avec l’aide de Vivendi, des nouvelles opportunités sur les marchés émergents (Chine, Russie, Brésil, Afrique). Dans certains de ces pays, l’évolution de la législation sur la protection du droit
d’auteur permet au groupe d’améliorer la monétisation de sa bibliothèque de contenus musicaux », est-il expliqué dans le dernier rapport d’activité.

Dailymotion, Initial et SpinnUp
Vivendi pousse aussi sa filiale musicale à se développer dans le live grâce à ses salles de spectacle et à ses partenariats avec les festivals. Et Universal Music va plus que jamais contribuer à alimenter en clips vidéo Dailymotion (7). Par ailleurs, pour la promotion de nouveaux talents, la major a lancé en septembre dernier une plateforme de découverte de jeunes artistes baptisée Initial Artist Services, ainsi que le site web SpinnUp (8) pour l’autoproduction et l’autodistribution de musiciens sur Spotify, Deezer ou iTunes. Car pas question pour la première maison de disque de se faire « ubériser ». @

Charles de Laubier

L’action d’Amazon en Bourse a franchi la barre des 1.000 dollars : plus dure sera la chute ?

Mais où va Amazon ? Ce géant du Net est devenu en 22 ans un conglomérat, dont l’action boursière dépasse aujourd’hui les 1.000 dollars pour une capitalisation record supérieure à 490 milliards de dollars. Mais la firme du milliardaire Jeff Bezos ressemble à une bulle prête à éclater.

l’heure où nous bouclons ce numéro de EM@, le 20 juillet 2017, le cours de Bourse de l’action Amazon s’est installée audessus de la barre des 1.000 dollars, à environ 1.030 dollars. Il a un an, l’action « AMZN » en était encore à 744 dollars (soit une hausse de près de 30 % sur les douze derniers mois) et à 228 dollars il y a cinq ans (soit un bond de 350 % sur ce quinquennat). Dans le même temps, la capitalisation boursière d’Amazon est passée en cinq ans d’à peine 100 milliards de dollars à 490,8 milliards aujourd’hui.
Ce qui correspond à une envolée de 390 % depuis juillet 2012 (voir graphiques ci-dessous).

Jeff Bezos, bientôt le plus riche du monde
Depuis qu’il a fondé en 1994 Amazon et l’année suivant lancé le site web de e-commerce Amazon.com, Jeff Bezos a fait fortune pour être aujourd’hui à la seconde place mondiale des multimilliardaires de la planète – derrière Bill Gates qu’il pourrait bientôt détrôner. Son patrimoine, évalué en temps réel par Forbes, était au 20 juillet 2017, de 87,4 milliards de dollars (contre 72,8 milliards de dollars lors de la publication du classement 2017 en mars dernier où il était alors en troisième position). D’ailleurs, à 54 ans, Jeff Bezos se demande ce qu’il pourrait faire de sa fortune colossale. Le 15 juin dernier, il a posé la question à ses 292.000 fellowers sur Twitter : « Si vous avez des idées, répondez simplement à ce tweet avec l’idée », avait-il lancé à la cantonade.
Le patron fondateur d’Amazon a surtout investi sa fortune dans l’exploration spatiale, via son entreprise Blue Origin, et a par ailleurs subventionné la « Bezos Family Foundation » gérée par ses parents et destinée à soutenir l’éducation d’enfants défavorisés. Il est aussi propriétaire du Washington Post depuis 2013. Elevé par sa mère et son beau-père Miguel Bezos, lequel est un Cubain immigrant qui l’a adopté, Jeffrey Preston Bezos, né le 12 janvier 1964 sous le nom de Jeffrey Preston Jorgensen (son père l’abandonna à la naissance), est marié et père de quatre enfants. Il est aujourd’hui à la tête d’une entreprise de e-commerce mondiale qui s’est diversifiée
au point d’être devenue un conglomérat, allant de la vente en ligne de livres à la production de films, en passant par l’informatique dématérialisée dans le cloud et bien autres activités très différentes les unes des autres (les entrepôts, le fret aérien, la vidéo à la demande, l’intelligence artificielle, …). Mais ce géant du Net soulève des interrogations quant à sa cohérence, sa croissance et à sa valorisation. Et ce, au moment où les investisseurs se méfient désormais des conglomérats. Alors, Amazon en fait-il trop et faudraitil envisager des spin-off de certaines de ses activités ? Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, Jean- Hervé Lorenzi, a cosigné un livre intitulé « L’Avenir de notre liberté » où il se demande s’il ne faudrait pas démanteler Amazon et les autres GAFA (1).
Certains investisseurs se posent des questions sur l’intérêt d’un tel conglomérat dont la valorisation boursière ressemble plus à une bulle financière. L’une des rares activités rentables de la firme de Seattle est la filiale AWS spécialisée dans le cloud. Il a fallu attendre vingt et un an pour voir Amazon gagner enfin de l’argent avec, en 2015, non seulement un chiffre d’affaires franchissant la barre des 100 milliards de dollars (à plus de 107 milliards), mais aussi un résultat net pour la première fois positif à 596 millions de dollars. Et l’année 2016 fut une année encore plus faste pour Amazon : bénéfice net de 2,3 milliards de dollars pour un chiffre d’affaires de 135,9 milliards. De quoi alimenter une certaine spéculation autour du titre en Bourse et à constituer ainsi une bulle financière. @

Charles de Laubier

Malgré ses pertes financières chroniques, Spotify vise une entrée en Bourse d’ici le début 2018

La société suédoise Spotify, devenue numéro un mondial de la musique en ligne, veut réussir d’ici un an à lever suffisamment d’argent en Bourse pour assurer son avenir. Car, pour l’heure, les pertes financières se creusent malgré un chiffre d’affaires qui franchira cette année les 3 milliards d’euros.

Le numéro un mondial du streaming musical a revendiqué mi-juin 140 millions d’utilisateurs actifs chaque mois, dont près de 50 millions d’abonnés payants, mais continue de perdre de l’argent : 349 millions d’euros en 2016, en hausse de 47 % sur un an, d’après les données financières publiées par sa holding Spotify Technology SA basée au Luxembourg. Quant au chiffre d’affaires, il a progressé de plus de 50 % à 2,93 milliards d’euros.

Introduction en Bourse pour ses 10 ans
La société suédoise espère signer avec les majors de la musique enregistrée Sony Music et Warner Music des accords de licence à l’échelle mondiale sur le long terme, comme elle l’a fait avec Universal Music (Vivendi) en avril dernier. Comme les majors sont actionnaires minoritaires de Spotify pour quelques pourcentages chacun (1),
en échange de la mise à disposition de leur catalogue, cela ne devrait pas poser de problème. En attendant, la plateforme de streaming a dans la foulée signé un nouvel accord avec un groupement de labels indépendants, la société néerlandaise Merlin Network (20.000 producteurs de musique), qui est considérée comme une « quatrième major potentielle » (dixit Spotify). Ces accords pluriannuels lui permettraient de trouver enfin le chemin de la rentabilité.
Ces accords de long terme seraient aussi le meilleur atout de Spotify pour rassurer les investisseurs dans la perspective de son introduction en Bourse, prévue à New York – sur le Nyse – d’ici le début de l’année 2018. Cette perspective boursière, que le cofondateur de Spotify Martin Lorentzon (photo de gauche) a tenté de démentir, a été confirmée à Reuters début juin. En fait, Martin Lorentzon s’était déjà opposé à une entrée en Bourse. Or, ce n’est plus lui qui dirige la plateforme de streaming musical depuis qu’il en a cédé les rênes de PDG à un autre cofondateur, Daniel Ek (photo de droite). N’est-ce pas pour mieux préparer son introduction en Bourse que l’entreprise
a renoncé en décembre dernier à acquérir – pour l’instant – la plateforme musicale allemande SoundCloud ? La dernière valorisation boursière de Spotify est estimée à
13 milliards de dollars – contre 8,5 milliards de dollars en 2015. Ce qui en fait une belle « licorne » mondiale, du surnom de ces sociétés non cotées mais valorisées au moins un milliard de dollars. Cependant, Spotify perd de l’argent depuis son lancement public en 2008 (le logiciel éponyme fut développé à partir de 2006). Si cette année 2017 marque le franchissement de la barre des 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires,
le numéro un mondial du streaming musical doit encore convaincre sur sa viabilité économique. La croissance des revenus de 2016 (+ 53 %) est certes moins élevée qu’en 2015 (+ 80 %), mais un peu plus forte qu’en 2014 (+ 45 %). Une cotation en Bourse permettait à Spotify de poursuivre son expansion internationale, en ajoutant
à sa soixantaine de marchés où il est déjà présent le Japon – considéré comme le second marché mondial pour l’écoute de la musique. Si Spotify se décide et réussit
à entrer en Bourse dans les prochains mois, ce sera la première plateforme musicale
à le faire après que Deezer ait renoncé à franchir le pas en octobre 2015 (2). Les plateformes de streaming musical gagnent en notoriété partout dans le monde, notamment en France auprès des utilisateurs, que cela soit Deezer (+ 2 points), Spotify (+ 5 points) et Apple Music (+ 7 points), d’après GfK dans son baromètre de début 2017 mis en place pour le Snep (3). Toujours sur l’Hexagone, Spotify s’arroge 24,5 % de parts de marché en 2016 dans le streaming musical audio et vidéo. Ce qui place la plateforme suédoise derrière le français Deezer et ses 38,8 % de parts de marché.

Vers de la musique sponsorisée à la « Payola »
En plus de ses revenus de publicité pour financer l’accès aux musiques gratuites, et surtout les abonnements qui montent en puissance à raison de plus de 30 % de ratio gratuit-payant, l’entreprise suédoise basée au Luxembourg a commencé à tester le
« pay per play ». Il s’agit de proposer aux producteurs de musique et différents labels de financer la diffusion de titres musicaux dans les playlists de Spotify. Ce « sponsored content » n’est pas proposé comme une publicité en tant que telle, mais comme un morceau avec les autres lors de la diffusion auprès des seuls utilisateurs du streaming gratuit. « Sponsored song » est une option fonctionnant sur le mode opt-out, selon
le site web TechCrunch. Pour la plateforme, et indirectement les ayants droits, les chansons sponsorisées permettraient d’engranger plus de recettes de la part des utilisateurs du gratuit qui rapportent habituellement moins que les abonnés payants. Cette pratique rappelle celle dite « Payola », qui est un système de paiement effectué par les maisons de disques à des stations de radio si elles veulent que leurs titres soient mieux exposés à l’antenne et donc dans les « Charts ». Décrié aux Etats- Unis dans les années 1950, la payola – néologisme créé à l’époque à partir de pay (payer) et le nom de l’un des premiers lecteurs de 33 tours, Victrola – est interdite, sauf à ce que la radio avertisse clairement le caractère sponsorisé du morceau de musique passant
à l’antenne. Avec les « Sponsored songs » de Spotify, les producteurs de musique enregistrée renouent avec cette pratique américaine qui ne fut pas exportée en Europe.

Il y a plus de dix ans, des majors ont été soupçonnées de contourner la législation en employant des promoteurs présentés comme indépendants : Sony BMG en juillet 2005, Warner Music en novembre 2005 et Universal Music en mai 2006 ont conclu un arrangement avec l’Etat de New York en payant respectivement 10, 5 et 12 millions de dollars d’amendes. Quatre des principales sociétés de radiodiffusion – Clear Channel Communications, CBS Radio, Entercom Communications et Citadel Broadcasting
– ont ensuite accepté de payer une amende de 12 millions de dollars. Avec le développement du streaming, des cas de payola ont été révélés par Billboard en 2015. Pour empêcher ce type de pratique, Spotify a modifié l’année suivante ses conditions générales d’utilisation afin d’interdire aux utilisateurs d’accepter toute rétribution pour influencer une playlist et/ou son contenu. Encore faut-il que les ayants droits de la filière musicale, préférant l’abonnement récurrent à la gratuité financée par la publicité, y trouvent leur compte. Spotify doit leur reverser des royalties qui grèvent sa rentabilité. Selon le Financial Times du 17 mars dernier, les majors ont accepté de baisser leurs royalties en échange pour Spotify de réserver des nouveaux albums à ses abonnés payants. L’accord pluriannuel avec Universal Music (labels EMI, Capitol, Virgin, Polydor, Geffen, etc.) prévoit notamment que les artistes du numéro un mondial de la musique enregistrée puissent réserver aux abonnés payants de Spotify leurs nouveaux albums pour une durée exclusive de deux semaines.
Afin d’arriver en Bourse dans les meilleures conditions et attirer les investisseurs, Spotify doit non seulement montrer patte blanche aux majors mais aussi convaincre des artistes tentés par le boycotte de la plateforme (4). C’est ainsi que la chanteuse américaine Taylor Swift a mis fin début juin à son boycotte qu’elle avait infligé à Spotify – notamment pour la sortie de son album « 1989 » – pour protester contre sa trop faible rémunération. Spotify, qui reverse quand même 70 % de son chiffre d’affaires aux ayants droits, a payé à ce jour plus de 5 milliards de dollars cumulés depuis sa création il y a neuf ans. Ce sont les majors Universal Music, Sony Music et Warner Music qui
en profitent le plus, suivies des artistes eux-mêmes. Selon la Recording Industry Association of America (RIAA), le streaming a pour la première fois en 2016 généré
la majorité des revenus de l’industrie musicale américaine.
Pour faire bonne figure avant son introduction en Bourse, le groupe suédois a en outre accepté en mai dernier de créer un fonds de près de 43,5 millions de dollars pour mettre fin à une procédure judiciaires à son encontre. Une action collective (class action) avait en effet été lancée par deux artistes indépendants, Melissa Ferrick et David Lowery, des groupes Cracker et Camper Van Beethoven, qui accusaient la plateforme de streaming de diffuser des oeuvres sans autorisations. Un accord avait par ailleurs été conclu en 2016 avec la National Music Publishers Association (NMPA).

IA : acquisition de la start-up française Niland
En mai , Spotify a annoncé l’acquisition de Niland, une start-up française spécialisée dans l’optimisation de la recherche de musique en ligne et des recommandations boostées à l’intelligence artificielle « pour faire émerger le bon contenu pour le bon utilisateur au bon moment ». Niland va quitter Paris pour New York. Spotify avait déjà acquis en mars la start-up newyorkaise MightyTV, spécialisée dans la recommandation de programmes de télévisions. Spotify se voit déjà en « Netflix » de la musique, mais surtout table sur le ciblage publicitaire et la personnalisation du marketing. @

Charles de Laubier

Xaviel Niel, qui va avoir 50 ans au mois d’août, garde le total contrôle d’Iliad et accélère à l’international

Le fondateur de Free va devenir quinquagénaire au mois d’août. Cette année marque aussi une accélération de ses investissements en Europe et aux Etats-Unis, que cela soit via Iliad, via sa holding personnelle NJJ Holding, via son fonds Kima Ventures ou encore via sa co-entreprise Mediawan. C’est beaucoup pour un seul homme.

Par Charles de Laubier

« Le succès du groupe dépend notamment de la pérennité de ses relations avec Xavier Niel, administrateur, directeur général délégué d’Iliad et actionnaire majoritaire du Groupe, et avec les autres dirigeants et collaborateurs clés », rappelle le document de référence 2016 du groupe Iliad, publié le 10 avril dernier. Et le chapitre des « risques » de poursuivre : « Xavier Niel détient une participation très importante dans le capital de la société et, est directeur général délégué. Il est ainsi en mesure d’avoir une influence déterminante sur la plupart des décisions sociales et stratégiques du groupe, et notamment, celles requérant l’approbation des actionnaires ».
Celui qui a fondé Free il y a près de vingt ans, et Free Mobile il y a cinq ans, ne détient plus que 52,43 % du capital du groupe coté Iliad, la maison mère. Et ce, après en avoir cédé début avril – via sa holding d’investissement personnelle NJJ Holding – 1,72 % de sa participation qui reste encore majoritaire. Xavier Niel (photo) détient surtout, du moins à fin février, 68,46 % des droits de votes d’Iliad.

Un stratège reconnu mais aussi un « risque » pour Iliad
« Cette concentration du capital et des droits de vote détenus par un seul actionnaire et la possibilité pour cet actionnaire de céder librement tout ou partie de sa participation dans le capital de la société, sont susceptibles d’avoir un effet significativement défavorable sur le cours des actions de la société », prévient en outre le rapport d’activité précité.
Le jour-même de l’annonce, le 5 avril dernier, de cette opération de cession d’actions du patron pour plus de 210 millions d’euros, le titre Iliad chutait de 2,50 % à 206,90 euros – avant de regagner des points ces derniers jours (voir graphique page suivante).
Xavier Niel est certes un atout pour le groupe Iliad, mais il présente aussi un « risque » pour l’opérateur télécoms français aux 19 millions d’abonnés – dont 6,4 millions d’abonnés haut débit/très haut débit et 12,7 millions d’abonnés mobiles (à fin 2016).
En vue de l’assemblée générale des actionnaires qui se réunira le 17 mai prochain,
le conseil d’administration – vice-présidé par Xavier Niel – s’est réuni en mars pour notamment proposer le renouvellement du mandat d’administrateur de ce dernier pour une durée de quatre ans.

Nouveau mandat et nouveaux investissements
L’« entrepreneur autodidacte » – comme il se définit luimême – reste plus que jamais aux commandes de son groupe qui a affiché pour 2016 un chiffre d’affaires en progression de 7 % à 4,7 milliards d’euros et surtout un bénéfice net ayant fait un
bond de plus de 20 % à 402,7 millions d’euros. L’inventeur – avec son bras droit
« technologique » Rani Assaf, second actionnaire d’Iliad (1) – de la première « box » triple play (Internet-téléphonetélévision), lancée en 2002 au prix devenu standard à l’époque de 29,99 euros par mois, est maintenant depuis dix ans directeur général délégué emblématique du groupe. Son mandat actuel prendra fin à la prochaine assemblée générale et sera sans surprise renouvelé jusqu’à l’issue de l’assemblée générale de l’année 2021. Sa rémunération annuelle a été de 189.000 euros en 2016, en hausse de 3,2 % par rapport à l’année précédente.
Mais sa fortune vient essentiellement de ses participations financières, dans Iliad d’abord mais aussi dans des investissements via sa holding personnelle NJJ Capital :
il a lancé en 2011 l’opérateur mobile Golan Telecom en Israël (2) ; il a fait l’acquisition en 2014, de l’opérateur Monaco Telecom ; il s’empare en 2014 également de l’opérateur Orange Suisse, renommé depuis Salt. La fortune personnelle de Xavier Niel (et sa famille) est de 7,2 milliards d’euros, selon le classement 2016 de Challenges,
ce qui le place en 11e position des personnes les plus riches de France. Cependant, son patrimoine est en recul par rapport à son apogée de 2014 à 8,5 milliards d’euros. La baisse du cours de Bourse d’Iliad en 2016 est une explication. Mais ce passionné de technologies numériques ne cesse d’investir. Prochaine étape : l’Italie. Le groupe Iliad y a obtenu une licence en septembre dernier en tant que quatrième opérateur mobile et a noué un accord d’itinérance pour se déployer plus rapidement sur le marché italien. Maxime Lombardini, le directeur général d’Iliad, a indiqué lors de la présentation début mars des résultats annuels du groupe qu’une offre commerciale sera lancée en Italie « fin 2017 ou début 2018 ». Au total, le groupe investit 1 milliard d’euros en Italie, dont 90 % pour la reprise des fréquences des opérateurs Wind et 3 Italia qui fusionnent. L’année 2017 marque ainsi le vrai coup d’envoi international du groupe de Xavier Niel.

Par ailleurs, après avoir lancé avec succès en 2013 l’école 42 pour former à Paris des développeurs selon la méthode « peer-to-peer learning », il a ouvert une « 42 » aux Etats-Unis il y a un an, dans la Sillicon Valley (Fremont). A titre personnel, Xavier Niel est présenté comme « l’un des investisseurs les plus actifs dans l’univers des start-up
à travers le monde », via son fonds d’investissements Kima Ventures, lequel investit chaque année dans cinquante à cent start-up par an ! Il a aussi créé pour des entrepreneurs un grand campus de startup baptisé Station F, qui ouvrira ses portes courant 2017 à Paris à la Halle Freyssinet. Les actifs de notre multimilliardaire ne seraient pas complets si l’on n’évoquait pas ses autres investissements dans les médias : il est devenu en 2010 co-actionnaire du groupe Le Monde avec Pierre Bergé et Matthieu Pigasse ; le trio « BNP » est ensuite devenu co-propriétaire de L’Obs ; Xavier Niel a créé en avril 2016 avec Matthieu Pigasse et Pierre-Antoine Capton la société d’investissement Mediawan (3) qui vient d’acquérir le groupe audiovisuel AB (4) auprès du Français Claude Berda et de TF1 pour 270 millions d’euros. « Nous sommes capables de produire en France et en Europe des contenus qui seront vendus dans le monde entier. Les opérateurs télécoms veulent du contenu ainsi que les plateformes Internet », s’était félicité en début d’année le patron de Free. Prochaine cible : la société de production italienne Cattleya ?

Une nouvelle tentative aux Etats-Unis ?
Le quadragénaire multimilliardaire, en passe de devenir quinquagénaire, tente de devenir un tycoon européen des médias, après s’être imposé comme magnat français des télécoms (5). Pour Iliad, la conquête internationale ne fait que commencer. Après l’Italie, le groupe de Xavier Niel pourrait se déployer dans d’autres pays. On se souvient de sa tentative avortée de s’emparer de la filiale américaine de T-Mobile pour 15 milliards de dollars (6) et de ses vues sur Telecom Italia dont il détenait près de 25 millions d’euros d’actions à titre personnel. @

Charles de Laubier

La « bulle Snap » du fantôme sera-t-elle éphémère ?

En fait. Le 3 février, la société californienne Snap – éditrice du réseau social
sur mobile de messages et vidéos éphémères Snapchat – a déposé son projet d’introduction prévue en mars à la Bourse de New York (Nyse mais pas Nasdaq). Mais les nouveaux actionnaires n’auront aucun droit de vote ! Doutes et dépendances.