L’ex-secrétaire d’Etat au Numérique Cédric O fait toujours polémique avec son « Mistral gagnant »

Le lobbying dans l’IA de l’ancien secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O, continue de faire polémique sur fond de soupçons de conflits d’intérêts. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) avait exprimé des réserves en juin 2022. Et depuis ?

(Le 11 juin 2024, soit le jour suivant la publication de cet article dans le n°323 de Edition Multimédi@, Mistral AI annonçait une levée de fonds de 600 millions d’euros)

Cédric O, cofondateur et actionnaire de la start-up Mistral AI via sa propre société de conseil Neopunteo, est-il juge et partie – voire en conflits d’intérêts – vis-à-vis du gouvernement dont il fut secrétaire d’Etat au Numérique (mars 2019 à mai 2022) ? La question est lancinante mais légitime puisque cela concerne l’ancien secrétaire d’Etat au Numérique. Contactée par Edition Multimédi@, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), présidée par Didier Migaud, nous a assuré qu’elle s’était bien prononcée dans sa délibération du 14 juin 2022 sur la demande que lui avait soumise Cédric O (photo) concernant notamment sa société Neopunteo. Cédric O a créé le 11 juillet 2022 Neopunteo, qui a notamment pour objet social la prise de participation, directe ou indirecte, dans toutes opérations financières, immobilières ou mobilières ou entreprises commerciales ou industrielles pouvant se rattacher à l’objet social, notamment par voie de création de sociétés nouvelles, le tout directement ou indirectement, pour son compte ou pour le compte de tiers », nous a précisé un porte-parole de la HATVP. Et celui-ci de nous confirmer en outre : « C’est la société Neopunteo qui a souscrit des parts au capital de la société Mistral AI ».

Neopunteo, société de conseil au bras long
C’est ainsi que l’ancien secrétaire d’Etat au Numérique a pu affirmer auprès de l’AFP en décembre dernier qu’ « [il] respect[ait] toutes les obligations demandées par la HATVP ». Cédric O a investi dans la start-up Mistral AI, créée le 28 avril 2023, dont il est coactionnaire et « conseiller-cofondateur » via sa société Nopeunteo qui était encore à l’état de projet au moment du rendu de l’avis contraignant du gendarme de la transparence de la vie publique. Comme Cédric O a occupé ses fonctions ministérielles du 31 mars 2019 au 20 mai 2022, il avait en effet l’obligation – dans les trois ans suivant la cessation de ses fonctions à Bercy, soit jusqu’en mai 2025 – de saisir la HATVP avant de s’engager professionnellement. La haute autorité se prononce sur la compatibilité ou pas de l’exercice d’une activité rémunérée au sein d’une entreprise avec les fonctions de membre du gouvernement exercées au cours des trois années précédant le début de l’activité. Objectif : éviter le risque de prise illégale d’intérêts, laquelle relève d’une infraction pénale passible de trois ans d’emprisonnement et d’une amende de 200.000 euros. Il s’agit aussi de lutter contre Continuer la lecture

Deux ans après la nomination de Christel Heydemann à la tête du groupe Orange, l’heure est au premier bilan

Il y a un an, Christel Heydemann présentait son plan stratégique à horizon 2025 baptisé « Lead the future », en tant que directrice générale du groupe Orange – poste auquel elle a été nommée il y a deux ans. Malgré une rentabilité en hausse, la participation et l’intéressement pour les plus de 127.000 salariés déçoivent.

Orange reste très rentable, avec un bénéfice net de près de 3 milliards d’euros en 2023 – 2.892 millions d’euros précisément, en croissance de 10,5 % sur un an. Depuis l’annonce le 15 février de ses résultats financiers annuels, « en ligne avec le plan “Lead the Future” » que sa directrice générale Christel Heydemann (photo) a présenté il y a un an (1), le cours de l’action en Bourse a quelque peu frémi à la hausse (passant de 10,63 euros la veille à 10,90 euros le 20 février). Mais, depuis, le prix du titre n’a cessé de piquer du nez, à 10,51 euros au 7 mars.
Et la capitalisation boursière de ce groupe du CAC40 ne dépasse pas les 30 milliards d’euros (27,9 milliards au 08-03-24), alors qu’elle a connu des jours meilleurs par le passé (2). Le groupe au carré orange – et aux 127.109 salariés dans le monde (au 31-12- 23), dont 73.000 en France – a vu son chiffre d’affaires progresser de 1,8 % sur un an, à 44,1 milliards d’euros. Christel Heydemann a envoyé à tous les employés d’Orange un e-mail pour les remercier « chaleureusement » de « [leur] professionnalisme et [leur] engagement de tous les instants ». Et ? « Très logiquement, les personnels du groupe en France s’attendent donc à bénéficier d’une participation et d’un intéressement correspondant aux succès annoncés. Il n’en est rien. Tout au contraire, la participation et l’intéressement qui seront versés à chaque collaborateur en 2024 accusent une baisse moyenne de 10 %, une première chez Orange », regrette le premier syndicat de l’entreprise, CFE-CGC.

Les syndicats d’Orange mécontents
Cette baisse de 10 % en moyenne de la participation et de l’intéressement est à rapprocher de l’inflation – donc de la perte du pouvoir d’achat – qui a été d’environ 10 % depuis le début de l’année 2022. « La claque ! », dénonce la Confédération générale des cadres (3), qui demande au conseil d’administration « la distribution d’un intéressement supplémentaire pour tous les personnels du groupe en France ». Cette déception du côté des personnels et des syndicats est d’autant plus forte qu’elle intervient au moment où le gouvernement – le ministère de l’Economie et des Finances (Bercy) en tête – incite à plus de partage de la valeur dans les entreprises au profit de leurs salariés (4). « Au conseil d’administration d’Orange, les représentants de Bercy [l’Etat détenant près de 23 % du capital du groupe et près de 29 % des droits de vote, ndlr (5)] préfèrent maximiser le profit de l’Etat en proposant l’augmentation du dividende et non celle des salaires. Indigent ! », fustige de son côté le syndicat F3C CFDT. Les dividendes aux actionnaires augmentent, eux. La prochaine assemblée générale d’Orange, qui se tiendra le 22 mai prochain, statuera sur le versement d’un dividende de 0,72 euro par action payable en 2024, contre 0,70 euro l’année précédente. Soit une hausse de 2,85 %.

Plus aux actionnaires, moins aux salariés
« Le groupe atteint tous ses objectifs pour 2023 et confirme à horizon 2025 ses objectifs financiers », tels qu’ils avaient été présentés il y a un an par Christel Heydemann, Orange tablant maintenant pour l’exercice en cours sur un dividende encore en hausse à au moins 0,75 euro par action, payable en 2025. Contacté par Edition Multimédi@, Thierry Chatelier (photo ci-contre), administrateur représentant les salariés actionnaires d’Orange depuis juillet 2022, nous indique avoir voté « contre les 0,72 euro car le groupe, une fois le dividende payé, n’a quasiment plus de marges de manœuvres ». Il vient d’ailleurs d’être réélu le 9 février – avec Mireille Garcia comme suppléante – avec 55,07 % des voix (6). Mais le président du conseil d’administration d’Orange, Jacques Aschenbroich, tarde à prendre acte des résultats du vote pour proposer le tandem vainqueur au vote de l’assemblée générale des actionnaires d’Orange le 22 mai. Selon nos informations, le scrutin s’est déroulé « dans un climat délétère » et la question de sa légitimité sera posée lors du conseil d’administration du 27 mars.
Tandis que l’intéressement et la participation versés aux salariés du premier opérateur télécoms français baissent, eux, comme c’est le cas depuis 2015 : les montants concernant Orange France ont été communiqués en interne à l’occasion de la publication des résultats annuels. Le choix pour les salariés du placement des sommes est à faire depuis le 8 mars pour la participation et à partir du 4 avril pour l’intéressement. Pour l’exercice 2023, l’intéressement représente pour Orange France 4 % de la masse salariale, voire 5,2 % « si les objectifs sont dépassés ». En, en ce qui concerne la négociation annuelle obligatoire sur les salaires fixes (NAO), les syndicats pointent des « augmentations insuffisantes ». Ces négociations se poursuivent, alors que la direction d’Orange ne veut accorder qu’une augmentation collective de 2,8 %, loin des 4,8 % demandés par la CFDT. « L’amélioration des résultats financiers 2023 est équivalente à la compression de la rétribution des personnels », pointe la CFE-CGC. Et ce ne sont pas les primes éventuelles « primes Macron » (de partage de la valeur) qui changeront ce deux poids-deux mesures. Le plan stratégique « Lead the Future » de Christel Heydemann a un goût amer. Si les actionnaires d’Orange s’en tirent à bon compte au titre de l’année 2023, il n’en va donc pas de même pour les salariés qui n’ont pourtant pas démérités. « Grace à nos efforts sur les prix, la qualité de service et notre programme d’efficacité, les revenus et [le résultat brut d’exploitation] sont en progression de respectivement 1,8 % et 1,3 % [en 2023], avec une accélération continue tout au long de l’année », s’est félicitée la directrice générale le 15 février. Globalement, Orange a réalisé 300 millions d’euros d’économies à fin 2023, soit la moitié du plan (600 millions d’ici 2025), grâce notamment à une « réduction notable des effectifs » (temps partiel seniors, non-remplacement de départs, …).
L’opérateur télécoms historique continue de rationaliser son portefeuille, avec la cession d’OCS et d’Orange Studio à Canal+ (autorisée sous conditions fin janvier par l’Autorité de la concurrence) et celle d’Orange Bank à BNP Paribas (du moins en France et en Espagne). Tandis qu’Orange Business (ex-OBS) est en cours de transformation sur fond de plan social (presque 700 postes supprimés « sur la base du volontariat ») et de croissance externe (acquisition en décembre 2023 d’Expertime, société spécialisée dans les solutions Microsoft).
Mais c’est la France qui préoccupe le plus les syndicats d’Orange. Sur le marché domestique, l’opérateur numéro un a vu son chiffre d’affaires baisser de -1,4 % sur un an, à 17,7 milliards d’euros. « En dépit des annonces triomphantes aux marchés, les résultats de la France sont préoccupants. Le chiffre d’affaires est […] plombé par des pertes de part de marchés (en particulier sur le fixe), que les augmentations tarifaires intervenues courant 2023 ne compensent pas, tandis que le chiffre d’affaires wholesale (services aux opérateurs) poursuit son recul (-8,5 %) », relève la CFE-CGC. Et le syndicat majoritaire d’ajouter : « Les pertes de parts de marché en France sont inquiétantes, en particulier dans un contexte où la situation alarmante de SFR permet à Orange de récupérer une partie de ses abonnés. En Europe, des acteurs tels que Xavier Niel/Iliad ou Digi [nouvel entrant en Belgique, d’origine roumaine, ndlr] deviennent de sérieux rivaux pour Orange. Seuls les bons résultats en Afrique permettent de compenser les mauvais résultats des autres activités du groupe » (7).

A qui profite la cash machine Orange ?
Quant à l’endettement du groupe Orange, qui est principalement porté par la maison mère (Orange SA), il a augmenté de 6,7 % pour atteindre 27 milliards d’euros. Cela représente deux fois son résultat brut d’exploitation, ce ratio étant conforme au secteur des télécoms. Les salariés d’Orange peuvent en tout cas se féliciter d’avoir généré en 2023 un flux de trésorerie (cash-flow) de 3,6 milliards d’euros, en hausse de près de 20 % sur un an. Orange est une cash machine qui mériterait l’augmentation des salaires, de la participation et de l’intéressement. @

Charles de Laubier

Marina Ferrari, nouvelle secrétaire d’Etat chargée du Numérique : entre souveraineté numérique et Gafam

Secrétaire d’Etat chargée du Numérique depuis le 12 février, Marina Ferrari doit défendre la « souveraineté numérique » que porte son ministre de tutelle Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Mais, « en même temps », la France ne peut se passer des Gafam.

(Le 26 février 2024, date de la publication de cet article dans le n°316 de EM@, la licorne française Mistral AI annonçait son « partenariat » avec… Microsoft

Jean-Noël Barrot, qui aura été ministre délégué chargé du Numérique à peine plus d’un an et demi (y compris jusqu’au 20 juillet 2023 en tant que ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications), est depuis le 8 février dernier ministre délégué chargé de l’Europe. Sa successeure Marina Ferrari (photo), secrétaire d’Etat chargée du Numérique depuis le 12 février, a saisi l’occasion – lors de leur passation de pouvoirs – pour notamment insister sur la « souveraineté numérique » : « Ce passage de relai nous permettra d’agir main dans la main, en confiance et de jouer collectif dans l’intérêt de la souveraineté numérique française et européenne. […] J’entends conduire mon action autour de deux piliers : résilience et souveraineté. […] Je m’engagerai pour accompagner la naissance d’une vraie souveraineté numérique européenne en veillant à l’application rigoureuse du DMA et du DSA. », a-t-elle déclaré ce jour-là (1). Lors de son discours de prise de fonction à Bercy, celle qui reste aussi députée (Modem) depuis juin 2022 (après avoir été conseillère départementale de la Savoie d’où elle est originaire), a enfoncé le clou sur la « souveraineté numérique » : « Notre pays doit réussir le virage des deeptech et des greentech : c’est tout à la fois une question de souveraineté […]. Je m’impliquerai personnellement pour […] renforcer notre souveraineté et notre indépendance ».

Tapis rouge français pour l’IA américaine
Bref, la « souveraine numérique » est plus que jamais le mot d’ordre au ministère de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, dénommé ainsi depuis mai 2022, Bruno Le Maire étant locataire de Bercy depuis mai 2017 (2). Artisant de la « Start-up Nation », le président de la République Emmanuel Macron impulse cette « volonté de construire la souveraineté de la France et de l’Europe dans le domaine numérique », que cela soit lors de ses prises de parole au salon Viva Tech à Paris ou à la Commission européenne à Bruxelles. Pour autant, trois jours après la passation de pouvoirs de Jean-Noël Barrot à Marina Ferrari, il n’a plus été question de « souveraineté numérique ». La secrétaire d’Etat chargée du Numérique accompagnait son ministre de tutelle rue d’Amsterdam à Paris pour inaugurer le 15 février le hub de Google dédié à l’intelligence artificielle (IA), « qui va être, s’est réjoui Bruno Le Maire, une chance pour notre pays, et nous permettre d’attirer des talents, des savoirs, de mélanger ces talents et ces savoirs et faire le meilleur en matière d’IA ».

La « souveraineté numérique » sacrifiée ?
Le nouveau labo parisien de Google – deuxième après le centre de recherche et développement inauguré en 2011 – accueillera quelque 300 chercheurs et ingénieurs de Google, provenant de DeepMind, Google Research, Chrome et YouTube. Lors son discours, le patron de Bercy n’a pas prononcé les mots « souveraineté numérique » en présence de Sundar Pichai, PDG d’Alphabet et de son vaisseau-amiral Google. Comme si, cette fois, ce n’était pas le moment face à un des géants du Net américains qui est déjà en position dominante en France et dans toute l’Europe avec son moteur de recherche – pour ne pas dire en quasi-situation de monopole, l’initiative franco-allemande Qwant pouvant en témoigner (3) – et avec son écosystème Android/Google Play, en quasi-duopole avec iOS/App Store d’Apple. Et de l’aveu même de Bruno Le Maire, « les Etats-Unis ont un temps d’avance ». Alors dérouler le tapis rouge français voire européen au rouleau compresseur de l’IA américaine ne reviendrait-il pas à sacrifier la « souveraineté numérique » du pays voire de l’Union européenne ?
La réponse est sans doute dans le « en même temps » macronien : « Nous pensons qu’avoir un hub ici à Paris, pouvoir travailler avec Google est une chance pour réussir nous-mêmes. Pour donner à la France [surtout à Google en fait, ndlr] la possibilité d’exercer son leadership sur l’intelligence artificielle en Europe. Nous voulons être les premiers en matière d’intelligence artificielle en Europe et nous nous battrons pour ça », a expliqué Bruno Le Maire à Sundar Pichai. Tout en prévenant quand même l’IndoAméricain, à défaut de lui parler explicitement de « souveraineté numérique » : « Et j’aime la compétition, cher Sundar, et nous aimons la compétition » (4).
En fait, cet « hub IA » aux allures de campus – implanté sur 6.000 mètres carrés dans le 9e arrondissement de Paris – avait déjà été annoncé en 2018 par Sundar Pichai lors de sa précédente visite à Paris le 22 janvier 2018 pour rencontrer Emmanuel Macron à Versailles, où le chef de l’Etat recevait 140 dirigeants de grands groupes étrangers pour un sommet baptisé « Choose France » (5). Six ans après, rebelote (si l’on peut dire), le même Emmanuel Macron a reçu le 15 février dernier Sundar Pichai, cette fois à l’Elysée. Mais de « souveraineté numérique » de la France, il n’en a pas été question non plus. Google n’est pas le premier Gafam à installer son laboratoire de recherche et développement en IA à Paris, grâce notamment au crédit d’impôt recherche (CIR) offert par la France. En 2015, sous la présidence de François Hollande, le groupe Facebook – rebaptisé Meta Platforms – a choisi la capitale française pour y mettre son deuxième laboratoire d’IA baptisé « Fair » (Facebook Artificial Intelligence Research), créé et dirigé par un Français basé chez Meta à New-York, Yann Le Cun, pionnier des réseaux de neurones artificiels, embauché par Mark Zuckerberg il y a un peu plus de dix ans (6).
Ironie de l’histoire, le jour même de la consécration du labo IA parisien de Google par Bercy et l’Elysée, le ministère de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique annonçait que la France venait de signer avec les Etats Unis, l’Autriche, l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni la prorogation jusqu’au 31 juin 2024 de la taxe « Gafam » (7). Paris avait été le premier à instaurer, en 2019, une telle taxe sur les grandes plateformes numériques. Cette « taxe sur les services numériques » (TSN) de 3 % sur leur chiffre d’affaires vise non seulement Google, mais aussi les autres géants du Net dont les revenus mondiaux dépassent les 750 millions d’euros, dont plus de 25 millions d’euros « au titre des services fournis en France » (8). Mais il est convenu au niveau international – dans le cadre de l’accord historique de l’OCDE le 8 octobre 2021, notamment de son « pilier 1 » (9), que ces taxes nationales « Gafam » devront être supprimées au profit d’une taxe de 25 % de leur bénéfice taxable (au-delà d’un seuil des 10 % de profits). Mais cette réaffectation de l’impôt collecté auprès des géants mondiaux du numérique nécessite pour chacun des 138 pays favorables de signer une « convention multilatérale » (10). D’ici l’été prochain ?

Pas d’« IA souveraine » ni de « cloud souverain »
Google voit dans la France un formidable potentiel avec « ses 500.000 chercheurs et des institutions de premier plan tels que le CNRS, Inria, Paris Saclay, l’Institut Curie, ou encore l’Université PSL » qui pourront utiliser ses interfaces de programmation (API). La firme de Mountain View prévoit de former 100.000 professionnels français aux outils de l’IA d’ici la fin de l’année 2025.
L’IA n’est pas le seul domaine où la « souveraineté numérique » sonne creux. Dans le cloud, par exemple, la désignation de « cloud souverain » a laissé place à « cloud de confiance » (11), en partenariat avec les hyperscalers américains Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure et Google Cloud. @

Charles de Laubier

La fibre pour tous ne devrait pas être réalité en 2025 : reporter la fin du cuivre serait logique

L’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca) a estimé que « les statistiques de l’Arcep pour le deuxième trimestre confirment l’échec annoncé du 100 % FTTH en 2025 », tout en critiquant Orange de vouloir fermer le réseau de cuivre (ADSL) sans accélérer le déploiement de la fibre. (Article publié dans EM@ n°307 du 2 octobre. A l’Université du très haut débit, les 12 et 13 octobre à Bourges, le ministre délégué aux télécoms Jean-Noël Barrot a pourtant réitéré l’objectif de « la fibre pour tous en 2025 »…) « La volonté d’Orange de fermer le cuivre est proportionnellement inverse au rythme de complétude des déploiements FTTH (1). Aussi, vouloir pousser, comme le fait Orange, à la fermeture du réseau ADSL dans un nombre croissant de communes de la zone très dense, tout en y arrêtant les déploiements FTTH est, disons-le courtoisement, incompréhensible », avait dénoncé le 8 septembre l’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca), dont le délégué général est Ariel Turpin (photo). Alors que l’Arcep a organisé le 28 septembre sa conférence annuelle « Territoires connectés ». Ou « mal connectés », c’est selon… « FTTH pour tous » en 2028, pas en 2025 « Les statistiques de Arcep pour le deuxième trimestre confirment l’échec annoncé du 100 % FTTH en 2025 », a regretté l’Avicca, qui représente 13 villes, 71 intercommunalités et syndicats de communes, 113 structures départementales et 21 régionales, soit 68 millions d’habitants. Cette échéance à 2025 du Plan France Très haut débit avait été fixée en 2017 par le gouvernement, au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. C’était un engagement de celui-ci lorsqu’il était candidat, promettant du très haut débit sur l’ensemble du territoire national d’ici fin 2022, en attendant « la fibre pour tous » pour 2025 – repoussant de trois ans l’objectif fixé par son prédécesseur François Hollande. « Le rythme global des déploiements FTTH continue de ralentir au cours du deuxième trimestre 2023. Au 30 juin 2023, parmi les 43,8 millions de locaux recensés à date par les opérateurs sur le territoire national, 36,2 millions sont raccordables », relève l’Arcep dans son Observatoire des services fixes haut et très haut débit – publié le 7 septembre sur des chiffres arrêtés au 30 juin. « En toute logique, a ajouté l’Avicca, l’Etat devrait désormais annoncer une fin des déploiements FTTH au mieux en 2028 pour la zone [d’initiative] privée. A défaut d’être une annonce agréable à entendre, cela aurait au moins le mérite de la franchise… ». Ce n’est pas la première fois que le doute s’installe sur l’atteinte de l’objectif 2025 d’offrir à tous du FTTH. Déjà en 2020, alors que les mois de confinements dus au covid-19 avaient sérieusement ralenti la cadence des déploiements de la fibre optique sur les territoires, la question s’était déjà posée (2). Ces zones d’initiative privée – où interviennent les opérateurs télécoms privés (Orange, SFR, Bouygues Telecom, Free, Altitude, …) – ont pris du retard dans le déploiement du réseau de fibre optique raccordable en France (3). Cela concerne, d’une part, les zones très denses situés dans les grandes villes et agglomérations et, d’autre part, les zones moins denses, ces dernières étant confiées à des opérateurs télécoms privés – en l’occurrence Orange et SFR depuis janvier 2011 – à la suite d’un appel à manifestation d’intention d’investissement (AMII) organisé par le gouvernement. A noter que pour ces zones AMII, les engagements pris à l’époque par les opérateurs télécoms privés leur étaient non opposables juridiquement : si ces engagements n’étaient pas respectés, aucune sanction ne pouvait leur être infligée. Mais au printemps 2018, le gouvernement avait saisi l’Arcep afin de mettre en place un cadre juridique pour contrôler les engagements faits par les opérateurs. Ainsi, le code des postes et communications électroniques (4) prévoit depuis que si les opérateurs télécoms ne respectent pas leurs engagements en termes de déploiement FTTH, le gouvernement peut mener des actions en justice contre eux – ce qui a rarement été fait. Par exemple, une procédure lancée par l’Etat et le Syndicat mixte Nièvre Numérique à l’encontre de SFR/XP Fibre a permis d’améliorer les déploiements. Pour les zones très denses, l’Arcep a relevé que « le rythme insuffisant constaté dans les zones très denses ces dernières années chute encore avec moins de 50.000 locaux rendus raccordables » au cours du second trimestre 2023, « soit une baisse de près de moitié par rapport au second trimestre 2022 ». C’est maintenant « très insuffisant ». L’Arcep constate même que « la couverture en fibre optique des zones très denses de certains départements est bien inférieure à la couverture moyenne nationale de ces zones qui s’établit à 93 % ». Le département le plus pénalisé est la Meurthe-et-Moselle avec seulement 77 % de couverture en FTTH, suivie des Bouches-du-Rhône avec 81 %. Mise en demeure d’Orange validée en avril  Pour les zones moins denses, dites AMII, Orange et SFR sont encore loin du compte. Toujours au 30 juin 2023, l’Arcep constate que pour l’opérateur télécoms historique « environ 89 % de ces locaux sont raccordables », et que pour la filiale télécoms d’Altice « environ 95% de ces locaux sont raccordables ». Le régulateur a tiré la sonnette d’alarme : « La chute du rythme de déploiement dans les zones moins denses d’initiative privée constatée au cours des trimestres précédents se confirme avec seulement 130 000 locaux rendus raccordables, soit une baisse de près de moitié par rapport à la même période de l’année précédente. Il faut remonter à 2014 pour observer une progression trimestrielle aussi faible dans ces zones ». L’Avicca, elle, fustige l’inertie : « La situation en zone AMII est désormais aussi caricaturale qu’en ZTD [zones très denses, ndlr] : les déploiements y avancent aussi lentement que la prise des décisions de l’Arcep, d’Orange et de l’Etat s’agissant de la décision du Conseil d’Etat du 21 avril dernier. 5 mois et toujours rien ! » Zones publiques, plutôt bonnes élèves Pour mémoire, l’Arcep avait le 17 mars 2022 mis Orange en demeure de respecter au plus tard le 30 septembre 2022 ses engagements auprès de l’Etat, c’est-à-dire de couvrir 100 % des locaux des zones AMII. Orange avait contesté cette mise en demeure devant le Conseil d’État, lequel a rejeté le 21 avril 2023 la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par Orange contre l’Arcep au sujet du déploiement de la fibre optique dans les villes moyennes (5), tout en valisant la mise en demeure de l’Arcep envers Orange (6). L’Avicca avait été admise à intervenir devant le Conseil d’Etat dans cette affaire pour défendre l’Arcep, dont Orange contestait le pouvoir de contrôle de ses engagements justement. La mise en demeure décidée à l’encontre d’Orange par la formation de l’Arcep pour les « règlement des différends, de poursuite et d’instruction » (RDPI) a été validée, d’autant le premier opérateur télécoms français n’a pas respecté ses engagements qui étaient d’avoir rendu raccordables 100 % des logements et locaux « au plus tard le 31 décembre 2020 »… Pour les zones d’initiative publique, complémentaire des zones d’initiative privée et correspondant en général aux territoires plus ruraux, les déploiements sont réalisés par les collectivités territoriales dans le cadre de RIP (réseaux d’initiative publique) ou par des opérateurs privés dans le cadre d’AMEL (appels à manifestation d’engagements locaux). SFR, Altitude Infrastructure et Orange interviennent sur leurs fonds propres dans ces AMEL et leurs engagements sont, à l’instar des zones AMII, juridiquement contraignants et contrôlables par l’Arcep (7). Globalement, même si le ralentissement n’est en rien comparable à celui des zones d’initiative privée qui ont pris du retard, les déploiements de la fibre dans les zones RIP se passent plutôt à bon rythme. Pour l’Avicca, le déploiement de la fibre laisse là aussi à désirer : « Le retard en zone AMEL évolue de manière différenciée selon les territoires, grâce à une très modeste accélération au deuxième trimestre. Bien insuffisante pour tenir les engagements (…) de la plupart des [opérateurs d’infrastructure] qui portent ces AMEL, une première échéance pourrait cependant être tenue : celle de l’AMEL Saône-et-Loire (SFR/XP Fibre). Quant à la Nièvre, après un retard initial de plus d’un an, SFR/XP Fibre a réussi à réduire l’écart à six mois. La procédure L33-13 lancée par l’Etat et le Syndicat mixte Nièvre Numérique semble avoir porté ses fruits… ». Concernant le deuxième opérateur télécoms français, sa filiale SFR FTTH avait été intégrée en 2021 dans la société XpFibre détenue à 50,01 % par Altice. Tandis que l’opérateur d’infrastructure Covage avait été racheté en novembre 2020 par SFR FTTH, qui avait cédé la même année à Altitude une partie des réseaux de Covage. « Les Français se fichent éperdument de savoir s’ils sont en zone très dense (ZTD), en zone AMII, en zone publique (RIP), en zone AMEL, en zone CPSD (Convention de suivi des déploiements) et autres zonages exotiques inventés par l’Etat au fil du temps… Ils n’ont qu’une seule demande, plus que légitime : pouvoir être raccordés à la fibre », rappelle l’Avicca (8). Le Plan France Très haut débit est donc un échec au regard de l’échéance 2025 pour le « 100 % fibre » en France. L’avenir dira si cet objectif restera une alésienne en 2028… Aujourd’hui (au 30 juin 2023), les 36,2 millions de locaux raccordables au FTTH représentent 82,6 % du total des 43,8 millions de locaux recensés. Il reste donc 17,3 % de locaux (domiciles ou bureaux) exclus du Plan France Très haut débit. Et encore, sur les 36,2 millions de locaux raccordables, 19,8 millions font l’objet d’un abonnement – soit un taux d’activation de 54,6 %. Si l’on regarde le verre à moitié plein, tant bien même que la barre des 20 millions d’abonnés FTTH a été franchie au cours du troisième trimestre (9) : c’est quand même 45,3 % des prises raccordables qui ne le sont pas. Retarder la fin du cuivre, au-delà de 2030 ? Pendant ce temps-là, et malgré les retards chroniques, le « décommissionnement » du réseau cuivre est engagé. Orange a déjà prévenu : la fermeture commerciale nationale de ces paires de cuivre téléphoniques sur lesquelles passent le haut débit ADSL et le très haut débit VDSL2, interviendra le 31 janvier 2026, avec l’extinction complète de ce réseau historique en 2030. Toutes les lignes de cuivre non remplacées par de la fibre optique ne seront plus actives ni les services triple play (téléphone-Internet-télévisions) associés. Sept communes sont déjà privées de réseau de cuivre. Des expérimentations d’extinction en zone très dense viennent d’être lancées à Vanves (dans les Hauts-de-Seine en région parisienne) et dans le centre-ville de Rennes (Ille-et-Vilaine en Bretagne). @

Charles de Laubier