Franck Riester veut relancer l’idée de taxe « Google Images », déjà prévue par la loi depuis… 2016

Le ministère de la Culture veut « la mise en oeuvre effective » d’une taxe sur les
« services automatisés de référencement d’images » sur Internet – autrement dit une taxe « Google Images ». La loi « Création » de 2016 en a rêvée, Franck Riester va la faire. Une mission du CSPLA vient d’être lancée.

Le président du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), Olivier Japiot, a signé le 25 juin une lettre de mission confiée au professeur de droit des universités Pierre Sirinelli (photo de gauche) et mise en ligne le 4 juillet dernier sur le site web du ministère de tutelle (1). « Le ministre de la Culture [Franck Riester] a exprimé sa volonté de modifier le dispositif relatif aux services automatisés de référencement d’images adopté dans le cadre de la loi
[« Création »] du 7 juillet 2016 afin d’en assurer la mise en oeuvre », est-il spécifié.

Vers une gestion collective obligatoire
Le fameux « dispositif » prévu par la loi « Création », promulguée il y a maintenant trois
ans (2), n’est autre qu’une taxe « Google Images ». Dans son article 30 intitulé « services automatisés de référencement d’images » (3), il est en effet institué une gestion collective des droits d’auteur par la perception des rémunérations correspondantes en fonction des œuvres exploitées en ligne et la répartition des sommes perçues aux auteurs ou à leurs ayants droit. Et ce, via une société de gestion collective des droits – seule agréée à signer des conventions limitées à cinq ans avec les « services automatisés de référencement d’images » (dont les photos) comme Google Images (Google, Bing, Qwant, Wikipedia, MSN, etc.). Encore aurait-il fallu que le décret d’application soit publié, ce qui n’a jamais
été fait – malgré le fait que le projet de décret ait été notifié le 5 septembre 2016 à la Commission européenne (4). Car, comme Edition Multimédi@ l’avait révélé l’an dernier,
le Conseil d’Etat avait mis son holà dans un avis de février 2017 jamais rendu public (5).
Les risques juridiques, au regard du droit constitutionnel garantissant la protection du droit de propriété et du droit européen protégeant le droit exclusif de l’auteur, ont eu raison de ce décret mort-né (6). Selon Next Inpact, « c’est avant tout la jurisprudence ReLire de la CJUE, sur les livres indisponibles (7), qui a suscité le feu rouge du Conseil d’Etat » (8).
Mais depuis cette déconvenue, le vent a tourné avec l’adoption le 26 mars 2019 de la directive européenne sur le droit d’auteur et le droit voisin « dans le marché unique numérique », publiée au JOUE le 17 mai (9). « Depuis lors, [cette directive « Copyright »] est venue conforter l’objectif poursuivi par le législateur français à travers divers dispositifs visant à renforcer la capacité des créateurs à être rémunérés par les plateformes numériques qui exploitent leurs œuvres », justifie le CSPLA pour relancer l’idée de cette taxe « Google Images ». Certes, un article 13 ter du projet de directive prévoyait explicitement l’« utilisation de contenus protégés par des services de la société de l’information fournissant des services automatisés de référencement d’images ». Mais cette disposition spécifique, non prévue par le projet initial présenté par la Commission européenne en 2016, a été supprimé lors du trilogue pour s’en tenir au principe général de rémunération des créateurs par les plateformes. Il est donc demandé au professeur Sirinelli missionné d’« évaluer les conditions dans lesquelles le dispositif de gestion collective obligatoire pourrait être mise en place » et de faire « état des éventuels dispositifs alternatifs qui pourraient également permettre d’assurer la juste rémunération aux photographes et plasticiens ». Pour mener à bien cette mission d’ici au 31 octobre prochain, une rapporteure a été désignée : Sarah Dormont (photo de droite), maître de conférences à l’université Paris-Est Créteil Val de Marne (Upec), docteure en droit privé. Le rapport Sirinelli-Dormont devra être présenté lors de la séance plénière du CSPLA « de cet automne ».
La taxe « Google Images » pourrait être collectée dès 2020 par une société de perception
et de répartition des droits (SPRD), que l’on appelle désormais à la Cour des comptes qui les contrôle des « organismes de gestion indépendants » (OGI). Dans la foulée de la loi
« Création », la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) et la Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe (SAIF) s’étaient déclarées candidates pour assurer cette gestion collective. Encore faudra-t-il se mettre d’accord sur un barème.

Négocier un barème de rémunération
La loi « Création » donnait aux sociétés de gestion collective et aux acteurs du Net concernés « six mois suivant la publication du décret en Conseil d’Etat » pour aboutir à un accord. A défaut de quoi, « le barème de la rémunération et ses modalités de versement [seraient] arrêtés par une commission présidée par un représentant de l’Etat et composée, en nombre égal, d’une part, de représentants des [OGI] et, d’autre part, des représentants des [Gafa, Google en tête, ndlr] ». A moins que les parties prenantes soient sages comme des images… @

Charles de Laubier

Le décret de taxe « Google Images » a été rejeté par le Conseil d’Etat puis retiré par le gouvernement

La loi « Création », promulguée il y a plus de deux ans, prévoyait un décret « Google Images » pour taxer les moteurs de recherche sur les photos mises en ligne. Notifié il y a un an à la Commission européenne, il a été retiré par le gouvernement à la suite de l’avis négatif du Conseil d’Etat.

Selon nos informations, le gouvernement a décidé de ne pas publier ce décret « Google Images » à la suite d’un avis négatif que le Conseil d’Etat a émis en février 2017 sans le rendre public. Contactées par Edition Multimédi@, la haute juridiction administrative et la Cada (1) ont refusé de nous communiquer cet avis.
En revanche, le motif du rejet de la taxe « Google Images » nous a été précisé : ce projet de décret n’était conforme « ni aux exigences constitutionnelles garantissant la protection du droit de propriété, ni à celles du droit de l’Union européenne garantissant le droit exclusif de l’auteur d’autoriser la reproduction et la représentation de son oeuvre » (2).

Un décret pourtant prévu par la loi « Création »
Face au risque juridique, le gouvernement l’a discrètement enterré, tout en estimant, nous dit-on, que « les parties prenantes devraient pouvoir souscrire volontairement des engagements en ce sens ». Cela fait un peu plus de deux ans que le ministère de la Culture – via son chef du service des Affaires juridiques et internationales, Alban de Nervaux (photo) – avait notifié à la Commission européenne, le 5 septembre 2016 précisément, le projet de décret « pris pour l’application des articles L. 136-3 et L. 136-4 du code de la propriété intellectuelle » (3). En clair, il s’agissait de mettre en place une taxe collectée auprès des moteurs de recherche – Google, Bing, Qwant, Wikipedia, Duckduckgo, … – par une société de perception et de répartition des droits (SPRD) pour le compte des photographes.
Ce décret d’application devait créer cette taxe « Google Images » prévue par la loi
« Création » datée du 7 juillet 2016 et promulguée le lendemain (5). Son article 30 est en effet consacré aux « services automatisés de référencement d’images » (« œuvres d’art plastiques, graphiques ou photographiques »). Il organise – via une société de type SPRD, seule agréée à signer des conventions limitées à cinq ans avec les
« Google Images » – une gestion collective des droits d’auteur par la perception des rémunérations correspondantes en fonction des oeuvres exploitées en ligne et la répartition des sommes perçues aux auteurs ou à leurs ayants droit. La Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) et la Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe (SAIF) sont d’ores et déjà candidates pour assurer cette gestion collective. Cette taxe devait être « assise sur les recettes de l’exploitation ou,
à défaut, évaluée forfaitairement ». La loi « Création » donnait – à la SPRD et aux services automatisés de référencement d’images – « six mois suivant la publication du décret en Conseil d’Etat » pour aboutir à un accord. A défaut de quoi, « le barème de
la rémunération et ses modalités de versement [seraient] arrêtés par une commission présidée par un représentant de l’Etat et composée, en nombre égal, d’une part, de représentants des [SPRD] et, d’autre part, des représentants des [Gafa, Google en tête, ndlr] ». Le problème est que ce décret est donc mort-né ! Le Parlement français avait même prévu que cet article 30 devait s’appliquer à compter de la publication du décret en question « et, au plus tard, six mois après la promulgation de la présente loi
[« Création »] ». Il devait en être ainsi au 8 janvier… 2017.
L’abandon de ce décret par la France tombe bien pour le Parlement européen et le projet de directive sur « le droit d’auteur dans le marché unique numérique ». Ce texte
« Copyright » (6) européen – susceptible d’être adopté définitivement d’ici mai 2019 si le trilogue (7) trouve un compromis d’ici là (8) – contient justement un article 13 ter intitulé : « Utilisation de contenus protégés par des services de la société de l’information fournissant des services automatisés de référencement d’images ». Non prévu par le projet initial présenté par la Commission européenne en 2016, il stipule que les Etats membres veillent à ce que les plateformes numériques ou les moteurs
de recherche – reproduisant ou référençant automatiquement « un nombre important d’œuvres visuelles protégées par le droit d’auteur » – concluent des « contrats de licence justes et équilibrés avec les titulaires de droits qui le demandent afin de leur garantir une juste rémunération ».
Et la future directive d’ajouter : « Cette rémunération peut être gérée par l’organisme de gestion collective des titulaires de droits concernés ».

Google-photographes : premier accord
Les photographes, eux, pressent Google et les agrégateurs d’images. « Photographes, ne baissons pas les bras » (9), lançait par exemple dans Libération daté du 6 juillet 2017 Thierry Secretan, président de l’association Photographes, auteurs, journalistes (PAJ). Quant à Google, il a annoncé le 28 septembre un premier accord – avec le CEPIC et l’IPTC – sur une meilleure visibilité des « crédits photos » en accédant aux métadonnées (10). En vue de préparer le terrain à une négociation sur une rémunération des auteurs ? @

Charles de Laubier

La Commission européenne dément la rumeur d’un report de la directive sur le droit d’auteur

Alors que le mandat de la « Commission Juncker » prendra fin en 2019, une rumeur circule au sein des industries culturelles, selon laquelle la réforme du droit d’auteur sur le marché unique numérique serait renvoyée à la prochaine équipe. « Sans fondement », nous assure-t-on à Bruxelles.

Les industries culturelles soupçonnent Kodi, logiciel libre de lecteurs multimédias, d’inciter au piratage

En 2018, le nombre d’utilisateurs dans le monde du logiciel libre Kodi pour lecteurs multimédias ou media centers devrait franchir les 40 millions. De quoi accroître l’inquiétude des industries culturelles (cinéma, musique, télé, …) qui voient dans cet outil performant une porte ouverture sur le piratage.

DivX, BitTorrent, Youtube-mp3, … Il y a comme ça des noms de logiciels qui font frémir les industries culturelles, tant ils évoquent pour elles le piratage d’oeuvres en ligne. Kodi est l’un de ceux-là. Logiciel libre lancé il y aura quinze ans cette année sous le signe XBMC, pour Xbox Media Center, Kodi permet de faire d’un lecteur ou d’une « box » un véritable media center capable d’exploiter musiques, films, programmes télévisés vidéos ou photos. Entièrement gratuit (1) et ne bénéficiant que de dons (2), il est aujourd’hui utilisé par près de 40 millions d’utilisateurs dans le monde.

La XBMC/Kobi contre le piratage
Véritable couteau suisse multimédia, il lit, visualise, télécharge et enregistre à la manière d’un Personal Video Recorder (PVR) la plupart des formats de fichiers audios, vidéos ou graphiques organisés dans une bibliothèque numérique personnalisable. Développé en open source au sein de la XBMC Foundation, consortium à but non lucratif fondé par des développeurs aguerris et basé dans l’Etat américain du Delaware, ce logiciel multimédia a commencé à faire ses preuves sur les consoles de jeu de Microsoft – qui n’en est pas l’éditeur mais le propose sur les Xbox et Windows Stores – avant de s’adapter comme un caméléon aux autres environnements à partir de 2008 : Android, iOS, Linux, Windows, OSX et Raspbian. Kodi (c’est son nom depuis 2014) supporte aussi des centaines de télécommandes TV ou permet aux smartphones et aux tablettes de prendre le contrôle de son media center.
Fin décembre 2017, le Néerlandais Martijn Kaijser (photo), directeur de projet à la XBMC Foundation, par ailleurs ingénieur au Pays-Bas au sein du groupe français d’ingénierie Spie, a annoncé la version 18 de Kodi pour cette année. Sa compatibilité
a été étendue aux Xbox One (3) en plus de tous les autres systèmes d’exploitation. Mais la XBMC Foundation, présidée par l’Américain Nathan Betzen et juridiquement représentée par le Software Freedom Law Center (SFLC) à New York, prévient :
« Le fait de regarder ou d’écouter des contenus illicites ou piratés, qui auraient dû être payés, n’est pas assumé ni approuvé par l’équipe Kodi. (…) Kodi ne fournit lui-même aucun média. Les utilisateurs fournissent leurs propres contenus ou connectent manuellement Kodi à des services en ligne tierces. Le projet Kodi n’apporte aucun support pour les vidéos de contrebande ». Martijn Kaijser avait même révélé en mai dernier que son équipe étudiait la mise en place de DRM (Digital Right Management) dans Kodi pour donner des gages aux producteurs de contenus protégés. Il n’empêche que ce logiciel libre multimédia, qui rivalise avec d’autre solutions telles que Plex ou MediaPortal, est suspecté par les industries culturelles de favoriser le piratage sur Internet de musiques et de films. La Motion Picture Association of America (MPAA), organisation américaine du cinéma, a affirmé début novembre 2017 devant la Copyright Alliance que « 68,5 % des 38 millions d’utilisateurs de Kodi sont des pirates », souvent en utilisant des extensions – ou add-on – pour la vidéo (4) ou pour l’audio (5). C’est Neil Fried, vice-président de la MPAA en charge des affaires publiques et réglementaires, qui avance ce chiffre de 38 millions d’utilisateurs au niveau mondial, dont 26 millions seraient des pirates présumés.
En Europe, Kodi a été visé directement par une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui – dans l’arrêt « Filmspeler » daté du 26 avril 2017 (6) (*) – a décidé que « la vente d’un lecteur multimédia permettant de regarder gratuitement et facilement, sur un écran de télévision, des films disponibles illégalement sur Internet peut constituer une violation du droit d’auteur ». La box Filmspeler utilisait Kodi. Plus récemment, dans la diffusion audiovisuelle cette fois, l’UEFA (7) a obtenu fin décembre de la justice britannique de pourvoir demander aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) BT, Sky et Virgin Media de bloquer en 2018, pour les prochains matches de la Ligue des champions ou de la Ligue Europa, les accès en streaming jugés illégaux via des lecteurs ou box fonctionnant sous Kodi.

« Nouveau mode de piratage » (Hadopi)
En France, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) voit dans les lecteurs multimédias et box « Kodi » un « nouveau mode de piratage ». Selon Next Inpact, elle a rédigé une note technique de 30 pages adressées l’an dernier aux ayants droits pour les mettre en garde – schéma à l’appui (8) – contre les extensions (add-on) de Kodi (9) qui fonctionnent sur des boîtiers mais aussi « sur des boxes telles que la Freebox mini 4K ou la Bbox Miami ». L’Hadopi a aussi convoqué des sites de e-commerce tels qu’Amazon, PriceMinister ou eBay, pour les sensibiliser au problème. @

Charles de Laubier

Œuvres et créations salariées : le droit d’auteur français manque cruellement de réalisme

Nombreux sont les salariés qui génèrent des droits d’auteur sans le savoir. Nombreux sont aussi les employeurs à commettre des actes de contrefaçon à leur insu, en exploitant ces créations sans avoir eu l’autorisation préalable de leurs salariés. Or le droit français gagnerait à plus de réalisme.