Jean-Marie Cavada, président de l’OGC de la presse : « Je n’ai pas l’intention de jouer au chapeau à plumes »

L’ancien journaliste-présentateur de télévision, qui fut député européen, s’apprête à présider l’organisme de gestion collective (OGC) des droits voisins de la presse, avec l’appui de la Sacem et du CFC, afin que les médias obtiennent « réparation » de la « prédation » des plateformes numériques.

Le 15 septembre, devait se tenir l’assemblée générale constitutive de l’organisme de gestion collective des droits voisins de la presse – surnommée pour l’instant OGC – en présence des trois membres fondateurs : le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM), la Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS) et le Syndicat de la presse d’information indépendante en ligne (Spiil), avec « l’appui » de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) pour « la gestion opérationnelle ».

Presse et tous les médias concernés
Ces trois membres syndicaux ont confié la présidence de cette OGC à Jean-Marie Cavada (photo) : l’ancien producteur présentateur de l’émission télévisée « La marche du siècle » (1987-1999) ancien président de l’éphémère La Cinquième (1994-1997) et ancien député européen centriste (2004-2019) – ayant fait campagne en faveur du « oui » au referendum de 2005 pour une constitution européenne, finalement rejetée par les Français. L’ex-journaliste Jean-Marie Cavada a par ailleurs été auditionné à l’Assemblée nationale le lendemain de cette première AG. « Je n’ai pas l’intention de jouer au chapeau à plumes… J’ai passé l’âge ! », a-t-il d’emblée prévenu à propos de la présidence de l’OGC de la presse qu’il va « conduire » (dixit) dans quelques semaines.
Devant les députés de la mission d’information qui l’interrogeaient sur l’« application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse » (mission créée par la commission des affaires culturelles et éducation), le président de l’OGC toujours en cours de constitution a tendu la main aux autres syndicats de la presse française : « Sans trop préjuger ni forcer la main de qui que ce soit, je crois pouvoir dire que d’autres organisations sont en contact avec nous et parfois proches d’y adhérer », a laissé entendre celui qui est jusqu’à maintenant président de l’Institute for Digital Fundamental Rights (IDFR), basé à Paris et bientôt à Bruxelles. « Nous allons faire une OGC ouverte, qui sera dotée d’un conseil d’administration et d’un bureau exécutif, le tout surveillé par un conseil de surveillance comme la loi le prévoit pour les organismes de gestion collective. Cette cohésion des organismes de presse est absolument indispensable. L’union fait la force car il s’agit d’abord d’un rapport de force dans une négociation ». Jean-Marie Cavada a indiqué aux députés qu’il allait s’attacher à nouer des relations « tout à fait cordiales » avec d’autres composantes de la presse, en veillant à ce que « les querelles intestines de la presse française » ne prennent pas le pas sur l’intérêt général. « Je vois d’ailleurs aujourd’hui [16 septembre, ndlr] le président de l’Alliance de la presse d’information générale (Apig), Pierre Louette (1), avec qui j’ai d’ailleurs de très bons rapports personnels (depuis la création de La Cinquième en 1994) », a-t-il mentionné, sans évoquer l’accord-cadre de l’Apig avec Google à 62,7 millions d’euros (2). Créée en 2018, l’Apig a été fondée par quatre syndicats historiques de « la presse quotidienne et assimilée » (3) qui représentent au total quelque 300 titres de presse dite d’information politique et générale : presse quotidienne nationale (SPQN), régionale (SPQR), départementale (SPQD) et hebdomadaire régionale (SPHR). Le président de l’OGC compte les convaincre de rejoindre son organisation. Bien d’autres syndicats de la presse et de l’audiovisuel pourraient se rallier à l’OGC.
La mission parlementaire, elle, a eu l’occasion d’auditionner en septembre l’Union de la presse en région (Upreg), la Fédération française des agences de presse (FFAP), dont est membre l’AFP qui a signé de son côté avec Google (4), le Syndicat des agences de presse audiovisuelles (Satev), le Syndicat des agences de presse photographiques (Saphir), le Syndicat des agences de presse d’informations générales (Sapig) ou encore le Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste). « Il ne s’agit pas que de la presse au sens de la loi de 1881 ; il s’agit des médias, fournisseurs de contenus d’information. C’est un très vaste champ de prospection qui doit avoir lieu, y compris avec la presse audiovisuelle publique et privée », a tenu à préciser Jean-Marie Cavada. A noter que Le Monde a signé en août dernier avec Facebook, lequel discute aussi avec l’Apig.

Rôles-clés de la Sacem et du CFC
Deux organisations devraient jouer chacune un rôle majeur dans le fonctionnement de l’OGC de la presse : la Sacem et le Centre français de la copie (CFC). « Nous nous ferons aider par des prestataires, qui devront rester chacun à sa place, dont le plus éminent d’entre eux car il a une grande expérience : la Sacem. Et il y en aura d’autres, comme le CFC qui a une bonne expertise », a souligné celui qui a fait du droit d’auteur son cheval de bataille. Il s’est attardé sur la Sacem, qui fête cette année ses 170 ans et qui représente à ce jour 175.750 créateurs et 6.770 éditeurs dans l’industrie musicale : « J’ai confiance en l’équipe de la Sacem, qui pour moi est personnalisée par (des qualités dont nous avons besoin) le secrétaire général David El Sayegh, un juriste reconnu en Europe pour sa rigueur, sa compétence et sa loyauté, et la négociatrice Cécile Rap- Veber [directrice du développement, de l’international et des opérations, ndlr]. Tous les deux exercent à titre intérimaire la direction générale de la Sacem, car son directeur général [Jean-Noël Tronc] est visiblement empêché pour des raisons de santé ».

Google, Kantar, Factiva, Reed Elsevier, …
La première mission de l’OGC est, selon Jean-Marie Cavada, d’évaluer le montant de ce qu’il appelle sans hésiter « la prédation ». Et d’affirmer : « Ce montant est énorme. On nous a embaumé il y a quelques années avec une sorte de simili-accord qui permettait à la presse française de bénéficier de quelques dizaines de millions d’euros. C’était toujours bon à prendre et je ne critique pas, mais cette époque est finie : nous sommes passés dans l’injonction, et de la loi et de l’Autorité de la concurrence ». Il faisait ainsi référence à l’accord signé le 1er février 2013 par François Hollande, alors président de la République, et par le PDG de Google, à ce moment-là Eric Schmidt, portant sur 60 millions d’euros sur trois. Mais cette aumône ne concernait que la presse dite d’information politique et générale, mais pas les autres organes de presse ni les éditeurs de services en ligne, au risque d’accroître le risque d’une presse française à deux vitesses (5).
« La prédation est énorme… énorme. Les chiffres qui circulent – sans être précis – correspondent pour les plus pessimistes à un multiplicateur par sept ou huit, et les plus raisonnables ajoutent un zéro aux 20 millions d’euros annuels qui avaient été annoncés. Si l’on regarde les arbres – Google, Facebook, … – qui cachent la forêt, l’étendue de la prédation, notamment avec les “crowler” [robots d’indexation qui explorent automatiquement le Web, ndlr], c’est probablement entre 800 millions et 1 milliard d’euros qui échappent à l’économie de la démocratie à travers la presse. C’est très grave. C’est pour cela qu’il faut avoir une union la plus large et la plus solide possible pour négocier au nom de la presse et obtenir cette réparation », a détaillé Jean-Marie Cavada lors de son audition en visioconférence par les députés de la mission (6). Il en a profité pour pointer du doigt les « crawler », ces aspirateurs de contenus web, ou robots d’indexation. Ceux de Google ou de Facebook ne sont que la face émergée de l’iceberg informationnel. « Ces “crawler”, que l’on appelle familièrement les “cafards”, sont aussi par exemple Kantar, Factiva, et Reed Elsevier [devenu RELX Group, ndlr]. Ces trois grands groupes occupent sur un marché occulte, très discret, une place tout à fait prépondérante, dont l’économie est quasi strictement à leur profit pour une partie d’entre elles, pas toutes. Certaines sont loyales. Une partie très importante en chiffre d’affaires ne l’est pas », a tenu à dénoncer le président de l’OGC. Il y a là, d’après lui, « un manque à gagner extrêmement prédateur pour les entreprises de presse qui délivrent des informations » dans la mesure où ces « crawler » diffusent des informations que d’autres ont produites. Et Jean-Marie Cavada d’enfoncer le clou : « Ces crawler construisent un monument énorme qui s’appelle “l’or bleu” et qui constitue – en les capturant, en les agrégeant et en les diffusion de manière ciblée – une mine d’information qui est la vraie valeur du fonds de commerce du capitalisme numérique ». Face à ces fameux « cafards », l’OGC s’est donné pour mission de rechercher à « rééquilibrer dans une négociation qui se veut loyale et neutre la répartition des profits qui aujourd’hui vont massivement vers les “cafards”, alors que la presse paie pour fabriquer de l’information et ce qui est aspiré par ces “crawler” n’est pas rémunéré à son juste coût ». Mais les actions de l’OGC de la presse n’auront pas pour seul but de « consolider la trésorerie ou les investissements des entreprises de presse »… Il s’agit pour son président de surveiller l’application de la loi, et même d’en durcir les sanctions pécuniaires, et de renforcer le volet répressif : « On parle d’”amendes” ; il faut aller plus loin dans l’exécution des sentences lorsque la loi est bafouée, contournée ou s’il y a refus facial ou collatéral de négociation, a-t-il suggéré aux parlementaires. Si l’Autorité de la concurrence prononce une sanction de 500 millions d’euros, j’attends que cette amende soit prélevée immédiatement, que son exécution soit immédiate, que cette somme doit être par une loi séquestrée et payée, quitte à ce qu’elle soit ajustée à la hausse ou à la baisse en appel ».

Officialisation de l’OGC en octobre
Jean-Marie Cavada a profité de son audition parlementaire pour rappeler qu’il existe en France un fonds de modernisation de la presse : « Il serait bienvenu que ce fonds se tourne vers l’OGC pour l’aider à démarrer financièrement, sous une forme ou sous une autre à discuter », a-t-il suggéré en faisant un appel du pied aux députés de la mission. Quant aux statuts, à la première assemblée générale, à la composition du conseil d’administration, et donc aux premiers travaux, ils devraient être bouclés d’ici quelques semaines : « trois semaines à un mois maximum », indique son président. D’ici le 20 octobre environ, les Google, Facebook, Kantar et autres Factiva (du groupe Dow Jones) devraient avoir un interlocuteur unique pour les droits voisins de la presse française. @

Charles de Laubier

Les réactions au rapport Bergé « pour une nouvelle régulation de l’audiovisuel à l’ère numérique »

La présentation à l’Assemblée nationale le 4 octobre du rapport « pour une nouvelle régulation de l’audiovisuel à l’ère numérique » a suscité de nombreuses réactions de producteurs et d’auteurs. Les voici regroupées autour des principales propositions faites par la députée « macroniste » Aurore Bergé.

Aurore Bergé (photo), c’est un peu comme « la voix son
maître ». La réforme de l’audiovisuelle qu’elle préconise
en tant que rapporteur est l’exposé de ce que souhaite le présidentielle de la République – que l’ex-élue LR devenue députée LREM des Yvelines avait rejoint dès février 2017 lorsque Emmanuel Macron n’était encore que candidat (1). Ses quarante propositions préparent le terrain au projet de
loi sur la réforme de l’audiovisuel, texte qui sera présenté au printemps 2019.

SACD, UPC, SPI, Scam, Adami, Sirti, …
• Lutte contre le piratage : « La lutte contre le piratage est à juste titre placée comme priorité première, qui conditionne l’ensemble des autres », se félicite l’UPC. La SACD, elle, déclare que « les auteurs (…) sont en particulier en phase avec la logique (…) visant à renforcer la lutte contre le piratage tout en développant l’offre légale et en assurant un renforcement de la diffusion et de la visibilité des œuvres audiovisuelles et cinématographiques ». Et d’ajouter « à cet égard » que « la réforme de la chronologie des médias, comme l’assouplissement des conditions de diffusion des films de cinéma, sont des mesures urgentes ». De son côté, « le SPI approuve le fait que [la lutte contre le piratage] soit posé comme un préalable à toute réforme de fond ». La Scam est aussi « favorable (…) à un renforcement de la lutte contre le piratage ainsi que des pouvoirs de sanction et du champ de compétence de [l’Hadopi]». • Fusion envisagée de l’Hadopi et du CSA : La Scam « invite (…) à la prudence quant à la fusion envisagée de la Hadopi et du CSA et à la conduite – a minima- d’une étude d’impact ».
• Redevance audiovisuelle : La SACD estime que la proposition de « transformation de la redevance audiovisuelle en contribution universelle déconnectée de la possession d’un téléviseur [et payée par tous les foyers français, ndlr],comme l’ont fait de nombreux grands pays européens » va « dans le bon sens ». La Scam « salue » aussi « la proposition relative à l’universalisation de la contribution à l’audiovisuel public (CAP) » et s’attend à sa « revalorisation ». Le SPI « salue », lui aussi, « la volonté affirmée par le rapport de réformer la CAP pour lui donner un caractère universel adapté à l’évolution des usages » mais il considère que « l’hypothèse de financements supplémentaires dégagés ne doit pas être fléchée vers une suppression de la publicité pour France 5 et Radio France mais vers un engagement renforcé à l’égard de la création ». • Rémunération des auteurs : « La volonté de garantir l’existence d’une rémunération proportionnelle des auteurs à l’ère numérique et d’assurer le développement de pratiques contractuelles équilibrées entre auteurs et producteurs sont des exigences indispensables », prévient la SACD qui a déjà passé des accords avec Netflix et YouTube mais pas avec Amazon ni Facebook. « L’invitation faite aux plateformes de conclure rapidement des accords avec les ayants droit afin de leur assurer une rémunération proportionnelle » est aussi accueillie favorablement par
la Scam. Et l’Adami : « Il convient désormais d’inscrire un principe de rémunération proportionnelle des comédiennes et comédiens au titre de l’exploitation de leur travail notamment dans l’univers numérique ». • Transparence des relations auteurs-producteurs : La Scam estime qu’« une plus grande transparence dans les relations auteurs·rices-producteurs·rices et une meilleure connaissance des données d’exploitation des œuvres est essentiel à l’ère de la multiplication des moyens de diffusion et compte tenu de la place prise par certains acteurs étrangers ». L’Adami, elle, déclare que « ce rapport [reconnaît les artistes] comme “les perdants de la nouvelle donne numérique”. C’est un geste fort. Il devra inspirer les décisions législatives à venir ». • Fiscalité et financement de la création : La Scam considère que « les propositions relatives à une meilleure convergence des dispositifs fiscaux servant au financement de la création afin de faire contribuer équitablement acteurs historiques et ‘’nouveaux services’’ semblent de très bon aloi ». La taxe prélevée sur
le chiffre d’affaires publicitaire des plateformes vidéo pourrait être augmentée et son assiette élargie. L’UPC « salue le rééquilibrage du partage de la valeur ». Pour sa part, le SPI estime que « ces objectifs (…) doivent répondre aux enjeux de l’avenir du secteur, dans un contexte de fragilisation des acteurs par l’entrée des plateformes et GAFAN, mais aussi de remise en cause des systèmes de financement de la création (…), sur la base de l’ensemble des recettes liées à l’exploitation des œuvres et à laquelle les nouveaux acteurs doivent participer ». • Indépendance de la production : « Le SPI salue la définition proposée pour une réelle et nécessaire indépendance de
la production, exigeant l’absence de liens capitalistiques entre diffuseur et producteur. Elle doit s’articuler avec un encadrement des étendues de droits cédés. Il en va de la diversité et de la liberté de la création ». L’UPC, elle, souligne que « la production cinématographique indépendante est un pivot de la diversité des œuvres et du dynamisme de la création à l’ère numérique et qu’il est crucial de la développer ». • La radio numérique terrestre (RNT) : Le Sirti considère que « la volonté d’accélérer le déploiement de la radio numérique terrestre (DAB+) pour assurer l’émergence d’une offre radiophonique renouvelée » est « encourageante », tout en rappelant que l’équipement des récepteurs radio d’une puce DAB+ sera obligatoire« avec le lancement en décembre prochain du DAB+ à Lyon et Strasbourg ». • Les quotas francophones : Pour le Sirti, sera bienvenu « l’adaptation du dispositif des quotas francophones aux nouvelles réalités numériques » et « une simplification législative ».

L’ARP appelle à la poursuite des débats
Les débats vont se poursuivre. Les cinéastes de l’ARP, qui constatent « avec satisfaction que de nombreuses propositions positives et modernes, adaptées aux nouveaux usages », invitent à poursuivre les « débats constructifs », notamment aux Rencontres cinématographiques de Dijon qui se tiendront du 7 au 9 novembre prochains. @

Charles de Laubier

La BD se cherche toujours dans le livre numérique

En fait. Le 25 janvier, l’Hadopi a animé au 45e Festival international de la BD d’Angoulême une table ronde sur la bande dessinée numérique. Une première.
Le 15 décembre dernier, la même Hadopi publiait un rapport sur la diffusion de
la BD. Constat : la BD reste le parent pauvre du livre numérique en France.

Numérisation des livres indisponibles : la tentation d’ignorer la décision de la CJUE invalidant ReLire

La plateforme ReLire de numérisation des 500.000 livres indisponibles du XXe siècle a été partiellement invalidée le 16 novembre par la justice européenne. Comme pour la TVA sur les ebooks, la tentation – exprimée un temps par le DG
du Syndicat national du livre (SNE) – serait d’ignorer cette décision.

« Lorsque nous avons eu une condamnation au niveau français pour l’application d’un taux de TVA réduit sur le livre numérique, nous avons tenu bon sans appliquer la décision de la CJUE, et nous avons finalement obtenu gain de cause. Nous pourrions soutenir une position similaire dans le cas de ReLire, dans l’attente de mesures rectificatives ». Lorsque le directeur général du Syndicat national de l’édition (SNE), Pierre Dutilleul (photo), tient
ces propos dans une interview à ActuaLitté, c’est cinq
jours avant le verdict.

Manque de respect des auteurs
Son idée est alors de s’inspirer de ce qui a été fait lorsque la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait invalidé le taux réduit de TVA sur les livres numériques par décision du 5 mars 2015. Ainsi, la France pourrait ignorer l’invalidation de ReLire en attendant que la législation sur la numérisation les 500.000 livres indisponibles du XXe siècle (1) soit corrigée. Mais cette attitude risquerait cette fois de ne pas avoir la bienveillance de la Commission européenne. Autant l’harmonisation des taux de TVA entre livres imprimés et livres numériques apparaît inéluctable aux yeux de cette dernière, autant le non respect de l’auteur à qui il n’est pas demandé d’accord préalable avant toute numérisation ne saurait être toléré. Paris, qui se vante constamment d’être aux avant-postes de la protection du droit d’auteur face à la réforme envisagée par Bruxelles, se retrouve dans cette affaire en porte-à-faux et pris en flagrant délit de non respect des auteurs eux-mêmes…
Cinq jours après l’hypothèse formulée par Pierre Dutilleul, le verdict tombe et invalide
le dispositif mis en place par la France depuis quatre ans (2) (*) (**) car contrevenant à la directive « Droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » (DADVSI) de 2001. Contacté par Edition Multimédi@, le directeur général du SNE a
un tout autre discours : « La décision de la CJUE n’invalide pas ReLire mais impose certaines conditions à la réalisation de sa mission, et nous respectons bien évidemment cette décision. Dans cette attente, l’octroi de nouvelles licences est bien évidemment suspendu », nous a-t-il répondu. Si la France devait faire la sourde oreille, elle risquerait de s’exposer à une notification de griefs de la part de la Commission européenne, voire à une procédure d’infraction pour manquement.
Ce que reproche la CJUE à la réglementation française réside dans l’absence d’une information individuelle de l’auteur avant toute numérisation de son oeuvre littéraire.
En effet, il est prévu que le droit d’autoriser l’exploitation numérique des livres indisponibles est transféré à la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia) « lorsqu’un livre est inscrit dans la base de données [ReLire de la BnF (3)] depuis plus de six mois » – autrement dit lorsque l’auteur ne s’y est pas opposé par écrit dans les six mois après l’inscription de son livre dans la base de données.

C’est justement ce principe de opt-out qui pose problème à la CJUE, car il n’est pas assorti d’une obligation d’information préalable des intéressés. « Il n’est donc pas exclu que certains des auteurs concernés n’aient en réalité pas même connaissance de l’utilisation envisagée de leurs œuvres, et donc qu’ils ne soient pas en mesure de prendre position (…). Dans ces conditions, une simple absence d’opposition de leur
part ne peut pas être regardée comme l’expression de leur consentement implicite
à cette utilisation. », déplore la CJUE, laquelle avait été saisie par le Conseil d’Etat (renvoi préjudiciel) après la plainte de deux auteurs français (4) qui avaient dénoncé une violation des droits exclusifs garantis aux auteurs par l’instauration d’une exception ou d’une limitation. « Tout auteur doit être effectivement informé de la future utilisation de son oeuvre par un tiers et des moyens mis à sa disposition en vue de l’interdire s’il le souhaite », souligne l’arrêt. Une simple absence d’opposition de la part de l’auteur d’un livre ne peut pas être regardée comme l’expression de leur consentement implicite à sa numérisation et son exploitation en gestion collective. Directement concernée par ce désaveux, la Sofia (5) – dont le conseil d’administration s’est réuni le 22 novembre dernier – estime qu’il est urgent d’attendre : « Cette décision appelle une analyse approfondie. Le Conseil d’Etat aura à en préciser le sens et la portée [s’il n’annule
pas le décret d’application (6) ndlr], au regard de la réglementation française »

L’Etat français doit corriger
Pourtant, le 1er mars 2014, le Conseil constitutionnel avait validé la loi du 1er mars 2012 sur cette exploitation par le Registre des livres indisponibles en réédition électronique (ReLire). Sont actionnaires de cette société commune la Caisse des dépôts et consignations (CDC), bras armé financier de l’Etat, et le Cercle de la librairie, syndicat historique des éditeurs et des libraires (7). @

Charles de Laubier

Photo et Web 2.0 : quand les juges se font critiques d’art et plus sévères sur la preuve de « l’originalité »

Avec Internet, la photo passe du statut d’oeuvre de l’esprit à celle de bien de consommation. La preuve de « l’originalité » est de plus en plus difficile à établir en contrefaçon, sauf à invoquer la concurrence déloyale ou le parasitisme. La jurisprudence fluctuante crée de l’incertitude juridique.