Le DG de TF1, Rodolphe Belmer, en devient PDG – avec un double défi : baisse d’audience et plateformisation

En prenant les deux rênes de TF1, filiale de Bouygues, Rodolphe Belmer (53 ans) se retrouve depuis le 13 février pleinement à la tête du premier groupe de télévision privé en France. Mais l’audience s’érode. La « plateformisation » de TF1 est une réponse aux défis lancés par la profusion de vidéos et de télés.

La passation de pouvoirs à la tête du groupe TF1 a lieu ce lundi 13 février, entre Gilles Pélisson et Rodolphe Belmer (photo). Le premier rejoint la maison mère – le groupe Bouygues (détenant 43,7 % du capital de la société cotée TF1) – en tant que directeur général adjoint en charge des médias et du développement, tandis que le second devient PDG du premier groupe de télévision privé français.
Gilles Pélisson occupait ce poste à double casquette depuis plus de six ans et demi (1) jusqu’à ce que Rodolphe Belmer n’entre dans le groupe TF1 – « sur proposition » du premier – pour y être nommé le 27 octobre dernier directeur général. Depuis cette date, Gilles Pélisson avait dû se contenter de la fonction de président du conseil d’administration. Si celui-ci n’a pas démérité durant son mandat, ayant réussi à développer la plateforme MyTF1 et le pôle de production audiovisuelle avec Newen Studios, il aura échoué à mener à bien la fusion entre TF1 et M6 qui a été abandonnée mi-septembre 2022 face aux tirs de barrage de l’Autorité de la concurrence (2). Un autre échec de l’ère « Pélisson » réside dans Salto, la plateforme de SVOD commune à TF1, M6 et France Télévisions lancée en octobre 2020 (3). Mais ce qui devait être un « Netflix à la française » est abandonné par ses trois actionnaires qui s’apprêtent à dissoudre leur société commune. Rodolphe Belmer hérite du dossier « Salto » où TF1 a investi à perte 45 millions d’euros (et les deux autres actionnaires autant).

Faire de MyTF1 le « nouveau TF1 »
Rodolphe Belmer connaît bien l’enjeu des plateformes de streaming pour avoir été administrateur de Netflix de 2018 à 2022, ainsi qu’administrateur du média en ligne Brut de 2019 à 2022. Il a même été président du conseil d’administration de Brut où il fut – tout en étant alors directeur général d’Eutelsat, puis directeur général d’Atos – nommé vice-président du comité stratégique. Les difficultés des plateformes de SVOD face aux Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ et autres Paramount+, Rodolphe Belmer a pu les observer de près en ayant à la fois un pied chez le géant Netflix et l’autre chez Brut qui a dû abandonner en octobre dernier sa plateforme de SVOD BrutX faute d’avoir trouvé son public. C’est aussi ce qui arrive à Salto, qui n’a pas atteint son objectif de 1 million d’abonnés.

Claire Basini (ex-Brut et ex-Canal+) en piste
Malgré l’échec « BrutX », Rodolphe Belmer a recruté à TF1 celle qui était en charge du lancement de BrutX justement, en tant que directrice générale adjoint de Brut, à savoir Claire Basini (photo en Une) qui est depuis le 16 janvier dernier directrice générale adjointe en charge d’une nouvelle direction consacrée aux activités BtoC (4) du groupe TF1 – dont elle intègre aussi le comité exécutif. Le nouveau PDG ne devra pas refaire les mêmes erreurs pour MyTF1, la plateforme vidéo du groupe sur laquelle se concentrent maintenant tous les regards. Gilles Pélisson avait préparé le terrain en poussant les feux sur MyTF1 qui était jusqu’à novembre 2021 une plateforme uniquement de télévision de rattrapage (replay) gratuite, dans le prolongement de la chaîne gratuite. C’est en effet il y a plus d’un an que le service payant MyTF1 Max a été lancé à 3,99 euros par mois (après une période de promo à 2,99 euros), pour y proposer non seulement du replay, mais aussi des contenus exclusifs, des diffusions live et des bonus, en plus du flux direct des chaînes. MyTF1 Max est propulsé par de nombreux distributeurs, notamment sur les Smart TV de Samsung depuis le 15 novembre.
Ancien PDG de Canal+ (2012-2015), le nouveau patron de TF1 sait qu’il est impossible de lutter contre les plateformes globales de streaming vidéo ou de télévision en ligne (SVOD, AVOD, FAST, …). « A chaîne gratuite, streaming gratuit » est plus son crédo, mais il pourrait faire monter en charge MyTF1 Max à grand renfort de partenariats pour marcher sur les platebandes cryptées de son ancien employeur Canal+. M6 a suivi TF1 sur ce terrain-là en lançant de son côté en octobre dernier 6Play Max aux mêmes tarifs (5). Cette « plateformisation » est une bascule historique du centre de gravité de TF1 vers la délinéarisation, au moment où la diffusion hertzienne des programmes en linéaire subit une érosion depuis quelques années.
Entre 2021 et 2022, la chaîne TF1 est passée de 19,7 % de part d’audience nationale à 18,7 %, selon l’institut Médiamétrie. Ce point en moins est la poursuite de la perte de téléspectateurs qu’enregistre la chaîne-amirale de la filiale du groupe Bouygues depuis plusieurs années. Cette érosion a commencé bien avant la prise de fonction de Gilles Pélisson comme PDG le 19 février 2016, mais c’est sous l’ère de ce dernier que TF1 a crevé le plancher des 20 %. Des 21,4 % en 2015, l’audience de TF1 passe à 20,4 % durant la première année de l’ère « Pélisson » (puis à 20 % en 2017 et à 20,2 % en 2018), avant de passer depuis 2019 dans les 19 % (19,5 % en 2019, 19,2 % en 2020, 19,7 % en 2021). L’année 2022 fait passer TF1 sous la barre cette fois des 19 %. Et le mois de janvier 2023 n’augure rien de bon puisque TF1 vient de descendre sous la barre des 18 % pour se retrouver à 17,9 %. Qu’il est loin le temps où la première chaîne gratuite du PAF affichait 30,7 % de part d’audience nationale moyenne. C’était en 2007. Et en dix ans, TF1 a perdu plus de 4 points de part d’audience nationale. Et encore faut-il dire que l’évolution de la méthodologie de Médiamétrie a servi d’amortisseur, dans le sens où l’audience TV a cumulé à partir de janvier 2011 la mesure de l’antenne et le différé du jour-même et des 7 jours suivants, puis à partir d’octobre 2014 la télévision de rattrapage (replay) en plus, et, depuis janvier 2016, les audiences cumulent le live, le différé et le replay sur un jour donné (quelle que soit la date de diffusion initiale en live). Sans parler que depuis trois ans, est prise en compte l’audience des programmes regardés à domicile sur le téléviseur et l’audience en dehors du domicile et en mobilité, quel que soit l’écran.
Rodolphe Belmer arrive donc au moment où TF1 est en sérieuse perte de vitesse dans le linéaire. Le rôle de Claire Basini sera crucial dans l’ambition du nouveau PDG de « faire du groupe TF1 un acteur de référence dans l’audiovisuel digital, comme il l’est aujourd’hui dans l’univers du “broadcast” ». L’ex-Brut et ancienne directrice du numérique de Canal+ (2010-2018), où elle a croisé Rodolphe Belmer, a pour mission d’« accélérer l’évolution du modèle du groupe TF1 vers un modèle mixte – linéaire et non linéaire – et de développer une présence élargie sur tous les supports ». C’est elle aussi qui assura « l’animation de la filière digitale au sein de l’ensemble du groupe ». L’avenir de TFI sur la TNT pourrait se poser, comme c’est le cas à Canal+. Pour l’heure, MyTF1 réunit plus de 17,6 millions de visiteurs uniques par mois et se positionne en 33e position des plateformes les plus fréquentées en France (6). Le chiffre d’affaires publicitaire digital devrait être en baisse en 2022 par rapport aux 142,5 millions d’euros de 2021 et malgré la progression de MyTF1.

Activités digitales d’Unify déconsolidées Avant déconsolidation sur le dernier trimestre de l’an dernier des activités d’Unify Publishers (Marmiton, Aufeminin, Doctissimo et Les Numériques), cédées à Reworld Media le 18 octobre 2022, MyTF1 pesait 63 % du chiffre d’affaires publicitaire digital de TF1 (58,7 millions d’euros sur les 92,6 millions réalisés sur les neuf premiers mois de 2022). C’est encore une mince contribution aux plus de 1,5 milliard de recettes publicitaires annuelles du groupe. La première intervention publique de Rodolphe Belmer en tant que nouveau PDG de TF1 interviendra le 14 février au matin, pour la présentation des résultats 2022 de « Télévision Française 1 », la dénomi-nation officielle du groupe. @

Charles de Laubier

Radio numérique terrestre : le DAB+ reste méconnu du public faute d’une réelle volonté politique

zolpidem Alors, que la radio voit son audience baisser et ses auditeurs vieillir, la radio numérique terrestre pourrait lui redonner un second souffle auprès des jeunes. Hélas, la politique de soutien envers elle – pour faire connaître le DAB+ – laisse à désirer. Alors pourquoi attendre un « livre blanc » ?

Un « livre blanc » pour préparer le basculement à terme de la FM au DAB+ ? « Les radios indépendantes souhaitent s’associer à la rédaction d’un livre blanc sur le DAB+ proposée par le président de l’Arcom pour (…) accélérer le développement attendu du DAB+ », a déclaré le Sirti, le syndicat des radios indépendantes (170 membres, 9 millions d’auditeurs) présidé par Christophe Schalk (photo de gauche), le 25 janvier. Ce jour-là, lors d’une table-ronde au Sénat sur « L’avenir de la radio à l’heure du DAB+ », Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom (1), a proposé de travailler sur un « livre blanc » sur la radio (2).

Eviter que la radio IP ne tue le DAB+
« Nous souhaitons aboutir avant la fin de l’année. Plus tôt dans la mesure du possible », indique à Edition Multimédi@ Hervé Godechot, membre de l’Arcom et président du groupe de travail « radios et audio numérique ». S’agit-il d’un énième rapport sur la radio, alors qu’il y aurait plutôt urgence à accompagner dès maintenant les radios indépendantes dans le DAB+ ? Surtout que la « RNT », qui est à la radio ce que la TNT est à la télévision, s’est lancée en France il y a près de neuf ans (3). Les grandes radios privées (RTL, NRJ, Europe 1 et RMC/BFM) avaient tout fait pour mettre des bâtons dans les roues de la RNT, avant de finalement l’adopter (4).
Les radios indépendantes, elles, y ont toujours cru et ont été les pionnières à émettre en DAB+. « Les radios indépendantes sont massivement impliquées dans le déploiement du DAB+ en France ; 75 % d’entre elles sont aujourd’hui diffusées via cette norme de diffusion radio [qui] couvre à présent 50 % du territoire. (…) Pourtant, il faut franchir un pas supplémentaire très vite. Le média radio a besoin d’être accompagné dans la transition numérique de sa diffusion hertzienne », a insisté le Sirti à l’occasion de la table-ronde au Sénat. Même son de cloche pour le Syndicat national des radios libres (SNRL), présidé par Emmanuel Boutterin (photo de droite), qui représente des radios associatives – au nombre de 700 sur tout le territoire (1,4 million d’auditeurs). « Certains poussent, notamment les GAFA, vers le tout-IP. C’est donc pour nous tous un défi industriel. Il faut réussir le passage au DAB+. Nous avons un défi considérable de l’équipement des ménages et des véhicules. (…) Et pour relever ce défi, il faut accompagner les éditeurs, simplifier leurs démarches et les soutenir financièrement, notamment les radios locales associatives en partie subventionnées depuis la loi de 1986 et son article 29 », a plaidé le président du SNRL. Les éditeurs de radios – qu’ils soient publics ou privés, locaux ou nationaux – promeuvent tous désormais la radio numérique terrestre à travers l’association « Ensemble pour le DAB+ », créée il y un peu plus de six mois (en juillet 2022), domiciliée au siège du Sirti et présidée par Charles-Emmanuel Bon (directeur de la distribution et des projets stratégiques de Radio France). Problème : le budget alloué à cette association nationale de promotion du DAB+ est cinq fois inférieur à ce qui était attendu au départ : 200.000 euros versus 1 million d’euros prévus initialement.
Alors, comment faire connaître auprès du grand public les avantages de la « RNT » si les moyens de communication, de publicité et de marketing ne suivent pas ? Les Français méconnaissent encore les atouts de la radio en DAB+ : gratuite, universelle, fiable, mobilité, qualité, peu énergivore, … « Elle offre également pour l’auditeur une diversification de son offre radiophonique, tout en préservant la souveraineté et une diffusion régulée », ajoute le Sirti. Encore faut-il inciter les auditeurs à l’adopter. C’est là que le bât blesse : « Il faut arrêter de vendre dans les magasins de la camelote chinoise, où des postes DAB+ commencent à 19 ou 29 euros et qui dégoûte l’auditeur du DAB+, s’est insurgé Emmanuel Boutterin devant les sénateurs. Il faut donc réguler cette distribution et adopter des normes de qualité sur les récepteurs, et, par la massification, faire baisser leur prix pour que l’ensemble des ménages puissent s’équiper à domicile ». Concernant les véhicules, que les constructeurs ont l’obligation depuis le 1er janvier 2021 de « primo-équiper » en DAB+, entre 2 millions et 3 millions le sont à ce jour en France.

Appel au soutien de la puissance publique
Les acteurs de la radio numérique terrestre appellent aussi à l’aide l’Etat pour la double diffusion (FM et DAB+) qui engendre des coûts difficiles à supporter – surtout pour les indépendants. « Faut-il mettre de l’argent sur la table comme l’avait fait Jacques Chirac pour la TNT ? », demande aux sénateurs le président du SNRL. Le Sirti, lui, demande « un crédit d’impôt pour la double diffusion, ou un dispositif d’aides directes à l’image (…) du fonds de soutien à l’expression radiophonique ». Les radios espèrent qu’elles seront… écoutées. Le législateur attendra sûrement le livre blanc avant de les aider. @

Charles de Laubier

La télévision numérique terrestre (TNT) en France reste dominée par les groupes privés TF1 et M6

La TNT présente encore la meilleure alternative en France face aux plateformes globales de SVOD. Problème : les groupes privés TF1 et M6 – dont les autorisations arrivent à échéance en mai 2023 – sont toujours en position dominante. L’appel à candidature lancé par l’Arcom va les bousculer.

Les groupes TF1 et M6 ne possèdent pas seulement les chaînes éponymes historiques (TF1 et M6) mais aussi bien d’autres chaînes gratuites de la TNT : TMC, TFX, TF1 Séries Films et LCI, soit au total cinq chaînes du côté de la filiale du groupe Bouygues ; M6, W9, 6ter et Gulli, soit également cinq chaînes du côté de la filiale de RTL Group du groupe Bertelsmann. Et encore, si l’on considère les chaînes payantes de la TNT, il y a Paris Première au sein du groupe M6.

TF1 et M6 = 40 % des chaînes gratuites
Ensemble, les groupes TF1 et M6 – qui ont finalement abandonné mi-septembre 2022 leur projet de fusion (1) – cumulent dix chaînes gratuites de la TNT. Cela représente tout de même 40 % des 25 chaînes gratuites de la TNT (voir tableau ci-dessous). Mais leur position dominante – si l’on considère ce « duopole » potentiel – est surtout le fait de leur chaîne « vaisseau amiral » que sont les chaînes TF1 et M6. « Chaînes historiques lancées à l’ère de la télévision analogique, TF1 et M6 sont les deux principaux services privés en clair de la TNT. Ils se caractérisent en particulier par leur capacité à fédérer une large audience, leurs parts de marché publicitaire, la diversité des programmes qu’ils diffusent, leur contribution au renouvellement de l’offre et le poids de leurs investissements en production. Ces services bénéficient d’une exposition avantageuse aux numéros 1 et 6 dans le plan de numérotation des chaînes de la TNT », résume l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) dans son étude d’impact publiée le 17 novembre dernier (2). Ce sont justement les autorisations accordées aux sociétés Télévision Française 1 (filiale de Bouygues) et Métropole Télévision (filiale de RTL Group/Bertelsmann) pour ces chaînes gratuites TF1 et M6 qui arrivent à échéance le 5 mai 2023. L’Arcom, qui n’avait pas vu d’un très bon oeil le projet de fusion TF1-M6 en raison « des effets notables (…) sur les marchés publicitaires, de l’édition et de la distribution, ainsi que (…) de l’acquisition de programmes » (3), veut saisir cette opportunité pour redynamiser la TNT en perte de vitesse. Aussi, c’est la toute première fois que les chaînes historiques vont devoir répondre à un appel à candidatures pour les fréquences gratuites qu’elles détiennent jusque-là – et non pas se contenter d’une procédure simplifiée de nouvellement d’autorisation sur les fréquences gratuites respectives (ces fameuses ressources radioélectriques).
C’est une petite révolution dans le PAF – paysage audiovisuel français. « Ni la consultation publique, ni l’étude d’impact ne font apparaître que la situation économique actuelle du marché de la TNT gratuite s’oppose au lancement d’un appel à candidatures pour autoriser deux chaînes nationales gratuites et financées par la publicité », en a conclu l’Arcom présidée par Roch-Olivier Maistre (photo). Le régulateur de l’audiovisuel a même estimé que « compte tenu de la place de TF1 et M6 sur le marché (en termes de publicité, d’audience et de programmes notamment), l’absence de lancement de l’appel à candidatures serait dommageable pour le marché et pour le téléspectateur qui verrait l’offre mise à sa disposition se réduire ».
L’appel à candidatures – susceptible d’ouvrir la TNT à un nouvel entrant – a été lancé par l’Arcom le 7 décembre (4) et jusqu’au 23 janvier 2023 (aactnt@arcom.fr). Cela pourrait revigorer la concurrence entre les chaînes gratuites, bousculer les « rentes » de situations ou toute autre position dominante du « duopole » TF1-M6. D’autant que l’attribution des ressources rendues disponibles, à partir du 6 mai 2023 précisément, intervient au moment où la consommation de la télévision est en baisse et l’audience des téléspectateurs vieillissante. « La durée d’écoute individuelle (DEI) de la télévision a atteint un pic en 2012 (3h50), avant d’entamer une baisse, qui s’est accélérée en 2018 et 2019 » (la hausse durant la crise sanitaire n’ayant été que conjoncturelle). Le groupe TF1 a perdu 5,8 points de part d’audience entre 2007 et 2021, toutes chaînes confondues, dont les chaînes gratuites rachetées NT1 (devenue TFX) et HD1 (devenue TF1 Séries Films) ou lancées TMC (ex-Télé Monte-Carlo) qui ont limité la casse. De même, le groupe M6 a réussi à maintenir une part d’audience stable sur l’ensemble de la période grâce aux lancements de W9 et de 6ter, et à l’acquisition de Gulli. Pour autant, les chaînes TF1 et M6, avec leur part d’audience respective de 19,7 % et de 9,1 %, s’arrogent à eux deux près de 30 % de l’audience TV nationale (voir tableau ci-contre), voire 40 % avec toutes leurs chaînes.

NJJ Médias (Niel) veut jouer les trouble-fête
Les deux groupes privés dominants de la TNT pratiquent chacun la « circulation de leurs programmes » entre leurs différentes antennes respectives, ce qui contribue à leur « position importante » sur la TNT gratuite. Mais les téléspectateurs ont vieilli. « La durée d’écoute des plus de 50 ans est globalement en hausse depuis 2010 ». La moyenne d’âge de TF1 est montée à 55 ans, tandis que celle de M6 est aussi en augmentation à 49 ans. L’époque de la « ménagère de moins de 50 ans » est révolue mais la catégorie d’âge reste. Le constat est sans appel : « L’offre des services de la TNT subit depuis plusieurs années une érosion de ses audiences et un vieillissement des téléspectateurs. Ce problème d’attractivité s’accompagne d’une fragmentation des services liée à l’élargissement de l’offre TNT permis par le passage à la diffusion numérique ». Cela n’a pas empêché les groupes privés TF1 et M6 à maintenir des « positions d’importance » (dixit) au regard du reste de l’offre TNT. Le jeune public, lui, est plus attiré par les réseaux sociaux et les plateformes de SVOD que par les chaînes de la TNT.
C’est un fait à l’ère des « adolécrans » (5). « L’arrivée à échéance des autorisations des services TF1 et M6 intervient dans un contexte plus large de bouleversements majeurs du secteur audiovisuel, tant en termes d’offre que d’usages, qui trouvent notamment leur origine dans les innovations technologiques induites par la révolution numérique. Ces évolutions, qui se traduisent par une concurrence accrue sur le marché, en particulier de la part d’acteurs internationaux, sont de nature à impacter la place occupée par les acteurs locaux de la TNT dans cette offre audiovisuelle élargie », souligne l’étude d’impact de l’Arcom. Reste à savoir si NJJ Médias (NJJ Holding), présidé par le milliardaire Xavier Niel – candidat malheureux à deux reprises au rachat de M6 – répondra – à temps (6) – à l’appel à candidatures pour une nouvelle chaîne de télévision gratuite sur la TNT après avoir manifesté le 28 novembre auprès de l’Arcom (7) son intérêt. @

Charles de Laubier

 

Le 38e Mipcom, marché international des contenus audiovisuels, fait la part belle aux streamers

Du 17 au 20 octobre se tient le 38e Mipcom, le grand raout du marché mondial des contenus audiovisuels qui a lieu chaque année à Cannes, organisé par le groupe RX (ex-Reed Exhibitions) et sa filiale française (ex-Reed Midem). Les plateformes de streaming vidéo n’ont jamais été aussi présentes.

La capitale du tapis rouge reçoit sur sa Croisette les grands noms du streaming vidéo. Sont à Cannes pour le 38e Mipcom précédé du 30e MipJunior, tous les deux sous la direction de Lucy Smith (photo) : Netflix avec une quinzaine d’« acheteurs », Amazon avec une bonne cinquantaine, Disney+ avec trois buyers sur plus d’une quarantaine de dirigeants envoyés par la Walt Disney Company, mais aussi YouTube (Google) avec quatre dirigeants, Apple avec deux acheteurs, Paramount+ avec également deux sur près de vingt-cinq dirigeants du groupe Paramount Global (ex-ViacomCBS), dont deux buyers de sa plateforme Pluto TV. Notons aussi la présence de trois dirigeants du belge Streamz, une dizaine du français Orange ou encore un de son concurrent Altice Média.

Les streamers contribuent à la diversité
Ces buyers (1), qui font la pluie et le beau temps pour la saison 2022-2023 de l’industrie mondiale de la production audiovisuelle, sont venus en nombre à cette 38e édition du Mipcom. Après deux années perturbées par la pandémie de covid, RX (ex-Reed Exhibitions) – filiale expositions du groupe anglo-néerlandais-américain RELX (ex-Reed Elsevier) – table sur la présence de 3.000 acheteurs et agents, 2.000 producteurs et plus de 300 stands d’exposition pour un total de 10.000 participants de près d’une centaine de pays.
Au cours de ce Marché international des contenus audiovisuels et de la coproduction (son libellé officiel), jamais les chaînes de télévision n’ont eu à se frotter aux plateformes de streaming pour la « haute saison d’achat » automnale de nouvelles séries ou de productions existantes.
Netflix, le numéro un mondial des plateformes de SVOD (2), qui n’a pas toujours pas eu au printemps dernier les honneurs du tapis rouge du Festival de Cannes pour cause d’incompatibilité avec la chronologie des médias française, prend sa revanche cet automne. La firme de Los Gatos (Californie) a dépêché au Mipcom l’une des plus importantes délégations pour un streamer. La plateforme au « N » rouge – … comme le tapis cannois – est même un des partenaires du 6e Prix de la Diversité qui sera décerné le mercredi 19 octobre 2022 au Palais des Festivals. Et ce, aux côtés de A+E Networks (groupe NBCUniversal), de Téléfilm Canada, de Canada Media Fund (CMF) ou encore du producteur britannique All3Media. Sur les 190 dossiers de candidature reçus pour concourir à ce 6e « Diversify TV Awards » (diversité et inclusion), 10 gagnants seront récompensés. Netflix fait d’ailleurs parti des nominés, dans la catégorie « Représentation des LGBTQIA+ » (scénario) pour sa série originale « Heartstopper » coproduite avec See- Saw Films (3). Parmi les autres nominés, la plateforme vidéo YouTube est sélectionnée trois fois : dans la catégorie « Représentation de la race et de l’ethnicité » (non-écrit) avec le show « Race Around Britain », une production YouTube Originals et Expectation & Munz Made It ; dans la catégorie « Représentation de la diversité dans les programmes pour enfants » (enfants plus âgés) avec la série « Onyx Family Dinner », coproduite par YouTube Originals et Pocket.watch ; dans la catégorie « Premio MIP Cancun » (nouveau pour 2022 en partenariat avec MIP Cancún, ville mexicaine) avec « Grandes Mujeres Latinoamericanas » (Grandes femmes latino-américaines) coproduit par YouTube et Billiken. La plateforme Amazon Prime Video n’est pas en reste, elle qui se retrouve elle aussi nominée dans cette même dernière catégorie avec « Because Victoria », une coproduction avec Vis et Oficina Burman.
Le Mipcom de l’automne étant aux « pilotes » (nouveautés) ce que le MipTV au printemps est aux « formats » (déclinables dans différents pays), il reflète les prises de risque des différents diffuseurs de contenus audiovisuels venus du monde entier. Les streamers tels que Netflix ou Amazon ont une approche plutôt globale de leurs publics, alors que les chaînes de télévision ont encore tendance à raisonner localement. Résultat : les plateformes mondiales sont plus enclines à refléter la diversité et à prendre plus de risque, tandis que les chaînes nationales font des efforts en faveur de la diversité mais ne peuvent se permettre de prendre trop de risque.

Plateformes SVOD, AVOD et FAST
Le 38e Mipcom illustre par ses contenus audiovisuels « le monde d’après », potentiellement plus inclusif et plus varié. Il en ira de même pour la multiplicité des accès aux productions (4). Les chaînes ne sont plus les passages obligés pour les téléspectateurs depuis que la SVOD les a détrônées du salon. La vidéo à la demande par abonnement va encore bondir dans les cinq ans qui viennent, à 1,68 milliard d’abonnés dans le monde en 2027 – contre 475 millions d’abonnés en 2021, selon Digital TV Research. La SVOD devrait alors ainsi atteindre 132 milliards de dollars de chiffre d’affaires, dont 30 milliards pour Netflix et 15 milliards pour Disney+, malgré la montée en charge des services de vidéo AVOD (5) ou de télé FAST (6) avec publicités. @

Charles de Laubier

Bertelsmann avait prévenu : l’échec « TF1-M6 » aura un impact sur tout l’audiovisuel en Europe

Le projet de « fusion » entre TF1 et M6 a fait couler beaucoup d’encre depuis seize mois. L’annonce le 16 septembre 2022 de son abandon laisse le groupe allemand Bertelsmann (maison mère de RTL Group, contrôlant M6) sur un gros échec face aux Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+.

La discrète famille milliardaire Mohn, propriétaire de Bertelsmann, doit s’en mordre les doigts. Son homme de confiance, Thomas Rabe (photo), PDG du premier groupe de médias européen et directeur général de sa filiale RTL Group (elle-même contrôlant M6 en France), avait pourtant mis en garde les autorités antitrust françaises : si elles ne donnaient pas leur feu vert à la vente de M6 (alias Métropole Télévision) à TF1 (groupe Bouygues), cela aurait un « un impact profond sur le secteur audiovisuel en Europe ». En insistant : « J’espère que les décideurs en sont conscients ».

RTL Group perd une bataille devant Netflix
Thomas Rabe s’exprimait ainsi dans une interview au Financial Times, publiée le 31 août dernier. « Si les autorités décident de s’opposer à cette combinaison [TF1-M6],c’est une occasion perdue, non seulement pour cette année mais pour le long terme », prévenait-il. Soit quinze jours avant l’abandon du projet en raison des exigences de l’Autorité de la concurrence (cession soit de la chaîne TF1, soit de la chaîne M6 pour que l’opération soit acceptable). Thomas Rabe estimait qu’un échec du projet ne laisserait rien présager de bon en Europe : « Si cet accord ne passe pas en France, il sera très difficile pour un accord similaire de passer en Allemagne et dans d’autres pays ».
Or Bertelsmann prévoit justement en Allemagne de fusionner ses télévisions avec le groupe de chaînes payantes et gratuites ProSiebenSat.1 Media (1). Cela reviendra pour la famille Mohn à racheter ProSiebenSat.1, le rival allemand de RTL Group. Et aux Pays-Bas, RTL Nederland a annoncé il y a un an qu’il va absorber les activités audiovisuelles et multimédias de Talpa Network, le groupe néerlandais fondé par John de Mol. Parallèlement, afin de se recentrer sur « la création de champions média nationaux », Bertelsmann a vendu RTL Belgium aux groupes DPG Media et Rossel, et RTL Croatia au groupe CME du magnat des médias Ronald Lauder (2). Comme avec TF1 en France et ProSiebenSat.1 en Allemagne, l’objectif de la fusion avec Talpa Network aux Pays- Bas est le même : répliquer en Europe à l’offensive des plateformes numériques mondiales américaines, que sont Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou encore Apple TV+, en créant localement des groupes « cross-media » de taille capables d’investir dans les technologies et la créativité – en particulier dans des contenus premiums pour rivaliser avec les productions originales des GAFAN. Et à l’heure où Netflix, Amazon/Freevee (3) et Disney+ s’ouvrent à la publicité audiovisuelle, ces consolidations sur le marché européen de la télévision traditionnelle visent à résister avec des écrans publicitaires attractifs. Les éditeurs de télé redoutent en plus que l’audience des plateformes de SVOD soit certifiée et comparée avec celle de leurs chaînes (4). Dans leur communiqué commun du 16 septembre annonçant l’abandon du projet de fusion, RTL Group et Bouygues (maison mère de TF1 acquéreur de M6) sont amères : « Les parties regrettent que l’Autorité de la concurrence n’ait pas tenu compte de la rapidité et de l’ampleur des changements qui ont touché le secteur de l’audiovisuel française. Ils continuent de croire fermement qu’une fusion des groupes TF1 et M6 aurait fourni une réponse appropriée aux défis découlant de la concurrence accrue des plateformes internationales » (5). Le groupe de Martin Bouygues renonce ainsi à un ensemble de plus de 3,4milliards d’euros de chiffre d’affaires, qui aurait constitué le quatrième acteur de l’audiovisuel européen.
De son côté, Bertelsmann a aussitôt relancé le processus de cession de M6. Les candidats au rachat de M6 – dont l’autorisation de diffusion en France arrivera à échéance le 5 mai 2023 – avaient jusqu’au jeudi 29 septembre pour déposer leurs offres fermes (6). Et Bertelsmann n’aura que l’embarras du choix mais le groupe allemand doit aller vite au regard de cette échéance devant l’Arcom. Il y a trois favoris au rachat de M6 : Daniel Kretínsky (CMI) ; Stéphane Courbit (FL Entertainment (7)) avec Rodolphe Saadé (CMA CGM) et Marc Ladreit de Lacharrière (Fimalac) ; Xavier Niel avec l’italien MediaForEurope. Et d’autres potentiels candidats : Vivendi, Altice, NRJ, …

En France, l’Arcom et l’Arcep divergeaient
Quant à l’Arcom et à l’Arcep, ils ont rendu public le 21 septembre leur avis respectif sur le projet de rachat de M6 par TF1 – avis remis cinq mois plus tôt à l’Autorité de la concurrence. L’Arcom a émis des réserves en raison « des effets notables (…) sur les marchés publicitaires, de l’édition et de la distribution, ainsi que (…) de l’acquisition de programmes », tout en prenant en compte des mouvements de concentration en Europe face aux plateformes de streaming (8). L’Arcep, elle, y était défavorable, craignant « des risques sur le marché de la fourniture d’accès à Internet, au détriment des utilisateurs » (9), mais sans parler de ce qui se passe en Europe. @

Charles de Laubier