Orange, SFR, Bouygues ou Free bloquent le site de téléchargement Uptobox, sur décision du juge

L’Association de la lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa) n’a pas obtenu de l’hébergeur Uptobox le retrait des films que ses utilisateurs se partageaient de façon illicite. Saisi, le tribunal judiciaire de Paris a ordonné aux opérateurs télécoms – jugement du 11 mai 2023 – d’en bloquer l’accès.

L’Association de la lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), présidée depuis plus de 20 ans par Nicolas Seydoux (photo), avait bien repéré depuis longtemps le site web d’hébergement de contenus Uptobox comme facilitant le piratage de films. D’autant qu’Uptobox (alias Uptostream) figure aussi dans la liste noire de la Commission européenne – sa « Counterfeit and Piracy Watch List » ayant été mise à jour le 1er décembre 2022 (1). Mais malgré les notifications et les procès-verbaux émis par ses agents assermentés (2), l’Alpa a constaté que « les mesures de retrait de contenus prises [par Uptobox] ne sont ni crédibles ni efficaces ».

Le cyberlocker a décidé de faire appel
« Les utilisateurs sont informés des retraits de contenus effectués (alors que les titulaires de droits ou leurs représentants ne le sont pas) de manière à leur permettre de remettre quasi immédiatement en ligne les contenus retirés à la demande des titulaires de droits », a relevé l’Alpa lors de ses investigations. Selon ses agents assermentés, la plateforme Uptobox d’hébergement et de partage de fichiers et/ou de vidéos comportait un total de 25.504 liens actifs mis à la disposition du public, « dont la grande majorité permet l’accès sans autorisation à des œuvres audiovisuelles protégées ». Toujours selon l’Alpa, environ 84 % des liens renvoyaient vers des « œuvres contrefaisantes ». Parmi les films ou séries piratés, ses agents assermentés ont identifié « You », « Bullet train », « Novembre » ou encore « Les Survivants ».
D’après leur estimation, Uptobox était visité par plus de 1 million d’utilisateurs (« 1.111.000 de visiteurs uniques en France »). Bien que cela ne soit pas évoqué devant le tribunal, l’audience de la plateforme incriminée est autrement plus importante dans le monde avec, d’après Similarweb 34,2 millions de visiteurs au cours du dernier mois (3). Les internautes y partagent leurs fichiers et/ou vidéos en publiant les liens qui leur sont communiqués par la plateforme elle-même et qui proviennent de sites de collection de liens tels que Filmoflix, Filmgratuit, Wawacity ou encore Zone-téléchargement. Or ces quatre sites de liens ont chacun déjà fait l’objet de mesures de blocage judicaire par des jugements datés respectivement du 21 juillet, 10 novembre, 15 décembre 2022 et du 2 mars 2023. D’après les constatations de l’Alpa exposées devant le tribunal judiciaire de Paris : « Cette plateforme [Uptobox] permet à ses utilisateurs de téléverser les fichiers contrefaisants via son propre ordinateur ou par un système de clonage d’une vidéo mise en ligne sur la même plateforme par exemple. Par ailleurs la plateforme a mis en place un système de monétisation qui rémunère aussi bien elle-même que ses utilisateurs en fonction du taux de fréquentation de leurs vidéos et des publicités qui ont été visionnées. La plateforme a également mis en place un système d’abonnement payant ».
Uptobox était accessible par au moins six noms de domaine : uptobox.com, uptobox.fr, uptostream.com, uptostream.fr, uptostream.net et beta-uptobox.com. Depuis le jugement, deux autres URL ont été indiquées : uptobox.eu et uptostream.eu (4). Les dirigeants d’Uptobox ont décidé de faire appel (5).
Dans la liste noire de la Commission européenne, Uptobox est considéré comme « un cyberlocker de téléchargement direct [qui] permet également le streaming ». Autres précisions sur le modèle économique d’Uptobox : « Le contenu téléchargé comprend les films et les jeux vidéo, y compris les prédiffusions. Son emplacement d’hébergement est masqué derrière un service de proxy inverse, ce qui rend difficile d’identifier son hôte précis. Le site offre un compte premium avec un stockage illimité, des téléchargements illimités, une vitesse de téléchargement supplémentaire et aucune publicité. Les sites pirates intègrent ou établissent un lien vers le contenu téléchargé dans Uptobox pour générer des revenus via des publicités ou des réseaux qui paient par lien visité ». La Commission européenne liste d’autres cyberlockers comparables et qu’elle définit ainsi : « Un cyberlocker est un type de services de stockage et de partage en nuage (cloud) qui permettent aux utilisateurs de télécharger, de stocker et de partager du contenu dans des serveurs en ligne centralisés. Les cyberlockers génère un lien URL unique (ou parfois plusieurs liens URL) pour accéder au fichier téléchargé, permettant aux clients de télécharger ou de diffuser le contenu téléchargé ».

FNEF, SEVN, API, UPC, SPI et CNC
Outre Uptobox, la Commission européenne décrit dans cette catégorie Mega, Rapidgator, Uploaded, et Dbree. En France, c’est sur la base des constatations remontées par l’Alpa que la Fédération nationale des éditeurs de films (FNEF), le Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN),  l’Association des producteurs indépendants (API), l’Union des producteurs de cinéma (UPC), le Syndicat des producteurs indépendants (SPI) et même le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) qui a notifié le 7 avril 2023 ses « conclusions d’intervention volontaire accessoire », ont saisi le tribunal judiciaire de Paris. Et, selon la procédure accélérée au fond, l’audience a eu lieu le 17 avril 2023 sous la présidence de la magistrate Nathalie Sabotier (photo ci-dessous), première vice-présidente adjointe du tribunal judiciaire de Paris. Les six organisations étaient représentées par l’avocat Christian Soulié.

De la directive « DADVSI » au CPI
Les six organisations ont notamment invoqué la directive européenne « Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information » (DADVSI) de 2001 accordant « aux auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement » (6). Elles affirment que « les exploitants de la plateforme d’hébergement et de partage de contenus numériques “Uptobox” sait en l’occurrence que des contenus protégés sont massivement et illégalement mis à la disposition du public par son intermédiaire, tandis qu’elle s’abstient de mettre en œuvre des mesures techniques qui lui permettraient de contrer, avec la diligence attendue de sa part, de manière crédible et efficace, les violations des droits d’auteur qui sont faites par leur intermédiaire ». Selon elles, Uptobox « incite à la violation du droit d’auteur et des droits voisins par la mise en place d’outils spécifiquement destinés au partage de masse et illicite de contenus protégés, en promouvant sciemment ces partages, notamment par le biais d’un modèle économique qui laisse présumer que ses exploitants jouent un rôle actif dans le partage des fichiers contrefaisants ».
La FNEF, le SEVN, l’API, l’UPC, le SPI ainsi que le CNC ont donc demandé au juge de faire cesser la violation de leurs droits. Ils ont indiqué que le code de la propriété intellectuelle (CPI) réalise la transposition de la directive « DADVSI » qui permet aux titulaires de droits de « demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin » (7). Le tribunal judiciaire de Paris a répondu favorablement à leur requête, en accélérée, en enjoignant aux opérateurs télécoms Orange, Bouygues Telecom, Free et SFR/SFR Fibre « de mettre en œuvre et/ou faire mettre en œuvre, toutes mesures propres à empêcher l’accès au site “Uptobox”, à partir du territoire français par leurs abonnés, à raison d’un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace de leur choix ». Les mesures de blocage, qui concernent aussi les départements ou régions d’outre-mer et collectivités uniques, les îles Wallis et Futuna, la Nouvelle-Calédonie et les Terres australes et antarctiques françaises, devront être appliquées « à tous les sous domaines associés au nom de domaine figurant dans le tableau » annexé à la décision (8). Le tribunal judiciaire de Paris ordonne aux quatre fournisseurs d’accès à Internet (FAI) de mettre en œuvre ces mesures de blocage « sans délais, et au plus tard à l’expiration d’un délai de 15 jours suivant la signification de la présente décision, et pendant une durée de 18 mois, ce délai prenant tout à la fois en compte l’augmentation de la constatation des atteintes et l’efficacité des mesures d’ores et déjà ordonnées qui font qu’une mesure de blocage est rarement sollicitée consécutivement pour un même nom de domaine ». Orange, Bouygues Telecom, Free (Iliad) et SFR (Altice), qui devront « prendre en charge le coût des mesures de blocage », devront aussi informer les six organisations de ces mesures mises en œuvre « sans délai ». Ces six organisations s’engagent, elles, à indiquer aux FAI « les noms de domaine dont ils auraient appris qu’ils ne sont plus actifs, afin d’éviter des coûts de blocage inutiles ». Il est en outre précisé que la société« Orange pourra, en cas de difficultés notamment liées à des sur-blocages, en référer au président du tribunal statuant selon la procédure accélérée au fond ou au juge des référés afin d’être autorisée à lever la mesure de blocage ». Les six organisations pourront ressaisir le tribunal judiciaire de Paris, toujours selon la procédure accélérée au fond ou en saisissant le juge des référés, « afin que l’actualisation des mesures soit ordonnée ».
Ce jugement du 11 mai intervient après que la Cour d’appel de Paris ait – dans un arrêt du 12 avril 2023 – donné raison à ce même tribunal judiciaire de Paris qui, dans une autre affaire, avait condamné la société DStorage exploitant le site 1Fichier pour piratage de films, de musiques ainsi que de jeux vidéo.

L’Arcom a aussi sa liste noire
Le blocage à tous les étages n’est pas sans rappeler les blocages des sites TeamAlexandriz en 2021 et de Z-Library en 2022 obtenus devant ce même tribunal judiciaire de Paris par, ces fois-là, l’industrie du livre. Il s’agissait aussi pour l’affaire « Z-Library » d’une procédure accélérée au fond obtenue par le Syndicat national de l’édition (SNE) ainsi qu’une douzaine de maisons d’édition. Le SNE s’était d’ailleurs félicité des « nouvelles prérogatives confiées à l’Arcom en matière d’extension du blocage à tout lien redirigeant vers une réplique de site bloqué » (9). Car l’Arcom met aussi à jour sa liste noire. @

Charles de Laubier

 

Bilan 2022 du CNC : l’après-crise sanitaire en chiffres

En fait. Le 16 mai, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a publié son bilan 2022. Le soutien financier au cinéma, à l’audiovisuel et au multimédia s’est élevé à 738,5 millions d’euros en 2022. On y apprend aussi que la (S)VOD a franchi les 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Retour à la normale ?

En clair. En tant qu’établissement public à caractère administratif placé sous l’autorité du ministère de la Culture, le CNC est le bras armé de l’Etat pour soutenir financièrement le cinéma, l’audiovisuel et le multimédia, dont la création numérique sur Internet, la réalité virtuelle, voire le métavers (1), et le jeu vidéo. L’année 2022 est la troisième année consécutive où un « soutien spécifique » supplémentaire a été débloqué dans le cadre de la crise sanitaire via des dotations exceptionnelles de l’Etat, à savoir 58,3 millions d’euros, s’ajoutant aux 680,2 millions d’euros versés par le CNC à ces secteurs aidés – soit un total de 738,5 millions d’euros. C’est un peu moins que l’année 2021 qui, elle, avait atteint un record de 799,4 millions d’euros (dont 184,7 millions d’euros d’aides « Covid-19 »). La pandémie aura donc nécessité sur 2020-2022 un total d’aides d’Etat supplémentaires de 348,8 millions d’euros.
L’an dernier – qui, selon le CNC, « traduit une forme de retour à la normale sans revenir encore pour autant aux équilibres d’avant la crise » –, le cinéma a bénéficié de la plus grosse part, à 291 millions d’euros (39,4 %), devant l’audiovisuel, à 265,1 millions d’euros (35,9 %), et les « dispositifs transversaux » (innovation, jeux vidéo, numérique, exportation, vidéo, VOD, …), à 124,2 millions d’euros (16,8 %). Rappelons que tout cet argent « public » (hors mesures « Covid ») provient à 68,9 % des taxes éditeurs et distributeurs de services de télévision (TST, dont les fournisseurs d’accès à Internet et leurs box IPTV), à 18,6 % des taxes vidéo et VOD (TSV), ou encore à 17,3 % de la taxe sur les entrées en salles de cinéma (TSA).
Le bilan 2022 du CNC a réévalué à la hausse le marché français de la VOD (par abonnement et à l’acte) qui a franchi pour la première fois la barre des 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires. A précisément 2.079.800.000 euros (alors que c’était 1.971.800.000 en février), soit une hausse de 9,2 % en un an (2). Les plateformes Netflix (toujours largement en tête), Amazon Prime Video, Disney+ ou encore Orange VOD et Canal VOD/Canal+ Séries continuent de profiter de l’appropriation des plateformes depuis la crise sanitaire. Mais « pour la première fois depuis son lancement » en France mi-septembre 2014, la part des consommateurs utilisant Netflix est « en léger recul » (-0,9 point par rapport à 2021). Face aux plateformes américaines de SVOD, Orange VOD reste le numéro un de la VOD à l’acte. @

Apple TV+ : obligé de financer des films français

En fait. Depuis le 20 avril, la plateforme de vidéo à la demande à l’acte ou par abonnement Apple TV+ intègre le bouquet MyCanal (sans surcoût pour les abonnés de Canal+). Et ce, en plus d’être déjà diffusée par bien d’autres canaux de distribution. En France, Apple TV+ passe aussi un cap vis-à-vis de l’Arcom.

En clair. En s’alliant avec « la chaîne du cinéma » Canal+, Apple franchit un pas de plus dans l’écosystème de « l’exception culturelle française ». Et ce, au moment où la firme de Cupertino va devoir financer plus de films et séries français. Car le chiffre d’affaires d’Apple TV+ en France a franchi en 2022 les 5 millions d’euros – le seuil de déclenchement de l’obligation de financement du cinéma français. L’Arcom s’apprête à signer une convention avec Apple TV+ (1), après avoir signé le 22 mars un avenant (2) avec Amazon Prime Video.
Sur MyCanal depuis le 20 avril, sans abonnement supplémentaire pour les abonnés de la chaîne cryptée de Vivendi, Apple TV+ devient un des produits d’appel de Canal+. « Il s’agit d’une offre incroyable pour les abonnés Canal+. Et avec des séries comme “Liaison” [série franco-britannique, ndlr] et “Les Gouttes de Dieu” [série franco-japonaise, ndlr], nous confirmons notre engagement auprès de l’industrie créative française », a assuré Eddy Cue, vice-président des services d’Apple, le 14 avril dernier. La marque à la pomme ajoute MyCanal à sa multitude de moyens d’accès déjà opérationnels, non seulement via le site web « tv.apple.com » pour ordinateurs mais aussi par l’application Apple TV+ disponible sur iPhone, iPad, sur les boîtiers et dongles Apple TV 4K, Roku, Fire TV (Amazon), Chromecast/Google TV, sur les Smart TV (Samsung, LG, Vizio, Sony, Xfinity, …), ou encore sur les consoles de jeu PlayStation et Xbox. Mais pour Canal+, c’est sans précédent : « Pour la première fois de son histoire, le groupe Canal+ a choisi d’offrir l’accès aux contenus d’une plateforme partenaire à tous ses abonnés en France. Avec ce partenariat historique, nous consolidons à la fois notre métier d’agrégateur, via la distribution d’Apple TV+, et notre métier d’éditeur, avec la diffusion de séries Apple Original sur notre chaîne Canal+ », a expliqué Maxime Saada, président du directoire de Canal+ (3). MyCanal+ offre aussi Netflix, Disney+ et Paramount+.
Bien que la firme de Cupertino soit partie plus tardivement que Netflix ou Disney+ sur le marché de la SVOD, Apple TV+ ayant été lancé en novembre 2019, elle est en train de mettre les bouchées doubles. Sa particularité par rapport à ses rivaux : « proposer uniquement des productions originales », à savoir des films et des séries désignés sous l’appellation « Apple Original » en exclusivité, moyennant 6,99 euros par mois. @

Après avoir échoué à remplacer M6, et à racheter Editis et La Provence, Xavier Niel se concentre sur Iliad en Europe

En mars, Xavier Niel voit Vivendi choisir Daniel Kretinsky pour lui vendre Editis. En février, il prend acte du rejet de son projet de chaîne Six. En octobre, La Provence lui échappe au profit de Rodolphe Saadé. Et dans les télécoms, où il poursuit des ambitions européennes, le fondateur de Free se fâche avec l’Arcep.

Xavier Niel, le milliardaire magnat des télécoms et des médias, est tendu ces derniers temps. Cela se voit dans ses coups de gueule sur le marché français des télécoms. Pourtant, à 55 ans, tout semble lui sourire : sa fortune avait dépassé pour la première fois, en 2022, la barre des 10 milliards d’euros (1) ; sa vie privée se passe aux côtés de Delphine Arnault, fille de la plus grand fortune mondiale Bernard Arnault (2), PDG de LVMH (propriétaire du groupe Le Parisien-Les Echos) ; il a eu les honneurs de la République en étant fait le 31 décembre dernier chevalier de la Légion d’honneur par décret d’Emmanuel Macron (3) qu’il fréquente et apprécie depuis 2010 – l’Elysée préfèrerait même Iliad/Free à Orange (pourtant détenu à 22,9 % par l’Etat) pour ses ambitions européennes.
Or, depuis quelques mois, les déconvenues et les échecs se succèdent pour le « trublion » des télécoms et tycoon des médias français. Mise à part la chute de sa fortune de 43 % au 5 avril (4) par rapport à 2022, dernière contrariété en date : la décision de l’Arcep d’augmenter le tarif du dégroupage de la boucle locale d’Orange, autrement dit le prix de location mensuelle payé par Free, Bouygues Telecom ou SFR pour emprunter le réseau de cuivre historique hérité de France Télécom pour les accès ADSL et le triple play Internet-TV-téléphone. « C’est une formidable rente de situation pour Orange », a-t-il dénoncé le 22 mars dernier devant les sénateurs de la commission des affaires économiques qui l’auditionnaient.

Le « trublion » contrarié par l’Arcep et l’Arcom
Mais avant de ruer dans les brancards des télécoms en attaquant les décisions tarifaires du gendarme des télécoms – présidé par l’ex-députée et ex-France Télécom/Orange Laure de La Raudière dont il avait considéré la nomination à tête de l’Arcep il y a plus de deux ans comme « aberrant pour la concurrence » (5) –, Xavier Niel avait enchaîné les déconvenues dans les médias et l’édition.
Le rejet par l’Arcom de son projet de chaîne de télévision « Six ». C’est le 22 février 2023 que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) recale son dossier de candidature pour son projet de chaînes « Six » dont l’ambition était de remplacer M6 sur le canal 6 de la TNT (télévision nationale diffusée par voie hertzienne terrestre en clair et en haute définition). Sans grand suspense, ce sont les autres « projets » qui sont « sélectionnés » par le régulateur de l’audiovisuel, à savoir TF1 (Télévision Française 1) et M6 (Métropole Télévision) dont les autorisations de continuer à émettre sur la TNT seront délivrées avant le 5 mai prochain.

TV, édition, presse : des mises en échec
Eliminé, Xavier Niel a noyé sa déception dans un même ironique posté sur Twitter le jour du verdict : « Comment te récupérer putain !? JAMAIS je pourrai la récupérer » (6). Un mois après, devant les sénateurs lors de son audition, le fondateur de Free et président du conseil d’administration de la maison mère Iliad, dont il est l’actionnaire principal, a regretté l’absence d’explication donnée par l’Arcom : « On ne nous a pas communiqué les raisons pour lesquelles nous n’avons pas été retenus. On l’a dit publiquement : on avait l’impression d’une procédure perdue d’avance. (…) Je ne sais si nous reviendrons sur ces sujets. Nous pensons que l’on ne peut exister dans le monde de la télévision que si on a un des six premiers canaux » (7).
Son exclusion de la course au rachat d’Editis à Vivendi. Le 14 mars, Vivendi – maison mère du deuxième groupe d’édition en France – a annoncé son entrée en négociation exclusives avec International Media Invest (IMI), filiale de Czech Media Invest (CMI) du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Objectif de Vivendi appartenant à Vincent Bolloré : céder au Tchèque 100 % du capital d’Editis – chiffre d’affaires 2022 en baisse de 8,1 % à 789 millions d’euros avec sa cinquantaine de maisons d’édition, dont La Découverte, Plon, Perrin, Robert Laffont, Presses de la Cité, Le Cherche Midi, Bordas, Le Robert, … – , afin d’obtenir d’ici juin prochain le feu vert de la Commission européenne pour s’emparer de la totalité du groupe Lagardère, maison mère du premier éditeur français Hachette. Xavier Niel, copropriétaire depuis novembre 2010, du groupe Le Monde (Le Monde, Télérama, L’Obs, …) au côté du même Daniel Kretinsky, lui aussi coactionnaire de la holding Le Monde Libre (8), se serait bien vu en plus à la tête du deuxième éditeur français. Mais le Tchèque, lui aussi magnat des médias via sa holding CMI (Marianne, Elle, Télé 7 jours, Femme actuelle, Franc-Tireur, …, sans oublier 5 % détenu dans TF1 et un prêt consenti à Libération), lui a coupé l’herbe sous le pied.
La candidature de Xavier Niel au rachat d’Editis avait été révélée le 25 novembre 2022 par La Lettre A, en lice face à deux autres prétendants : Reworld Media (9) et Mondadori. Editis est valorisé entre 500 et 675 millions d’euros, d’après le cabinet Sacafi Alpha. Avec un fonds d’investissement, qui pourrait être le new-yorkais KKR (Kohlberg Kravis Roberts) dont il est un administrateur depuis mars 2018, Xavier Niel aurait proposé un prix d’achat jugé insuffisant par Vivendi. • Son échec dans sa tentative de s’emparer du groupe La Provence. Le 30 septembre 2022, c’est le groupe maritime CMA CGM du nouveau milliardaire Rodolphe Saadé qui est confirmé pour reprendre les 89 % du groupe La Provence, comprenant aussi Corse-Matin. Xavier Niel, détenant les 11 % restant via sa holding personnelle NJJ, était pourtant considéré comme le « repreneur naturel » – y compris par feu son propriétaire Bernard Tapie (10) – du groupe La Provence, premier éditeur de presse de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). Le patron de Free détient 11 % du capital depuis que le belge Nethys lui a vendu en 2019 sa participation (11). C’est aussi grâce à Nethys que Xavier Niel a pu faire tomber dans son escarcelle fin mars 2020 le groupe Nice-Matin (GNM), éditeur des quotidiens Nice-Matin, VarMatin et Monaco-Matin dans les Alpes-Maritimes et le Var (PACA toujours). Et ce, au détriment du favori – l’homme d’affaires Iskandar Safa (propriétaire de Valeurs Actuelles via Privinvest Médias) – qui a jeté l’éponge. Après Lagardère (1998-2007), Hersant (2007-2014) et une reprise par les salariés via une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) grâce à un crowdfunding sur Ulule et le soutien de Bernard Tapie, GNM est propriété de Xavier Niel depuis trois ans. Le milliardaire-investisseur est aussi propriétaire de France-Antilles depuis mars 2020, et de Paris-Turf depuis juillet 2020.
Cependant, en août 2020, il échoue avec Bernard Tapie à jeter son dévolu sur le quotidien historique La Marseillaise qui est alors repris par Maritima Médias. Mais c’est surtout l’échec de la tentative de Xavier Niel à prendre le contrôle du groupe La Provence, incluant Corse-Matin que GNM – dont il devenu propriétaire – avait acquis en 2014, qui sera cuisant. Dès le 24 février 2022, son offre de 20 millions d’euros est rejetée par les liquidateurs au profit de celle à 81 millions de Rodolphe Saadé (12). S’en suivra le 3 mars des échanges houleux entre Xavier Niel venu au journal marseillais et des salariés hostiles à sa visite. « Vous m’avez mis dehors », lancera-t-il au PDG du groupe La Provence, Jean-Christophe Serfati. Le tribunal de Bobigny, où est instruite l’affaire, confirmera CMA CGM sept mois après. Entre temps, il a investi dans L’Informé.

Réussir ses télécoms en Europe
Au-delà de ses démêlés en France avec l’Arcep, il reste encore au « trublion » des télécoms à faire d’Iliad un champion européen. La maison mère de Free est présente en Italie depuis 2018 et en Pologne depuis 2020. Après avoir échoué l’an dernier à s’emparer de la filiale italienne de Vodafone, le groupe de Xavier Niel s’est positionné pour tenter d’acquérir des actifs de TIM (Telecom Italia). En outre, depuis 2014, il contrôle personnellement via NJJ l’opérateur suisse Salt et détient une participation de l’opérateur irlandais Eir aux côtés de son groupe Iliad. En février, via sa holding Atlas Investissement (13), Xavier Niel a porté sa participation au capital de l’opérateur luxembourgeois Millicom à 19,6 %. Cette même holding est entrée en septembre 2022 à 2,5 % dans Vodafone. Déjà confronté à Orange en France, Iliad veut rivaliser avec Orange en Europe. @

Création immersive : l’audiovisuel et le cinéma se mettent très progressivement au métavers

Cela fait plus de six mois que le musicien Jean-Michel Jarre est président de la commission « Création immersive » du CNC, dotée de 3,6 millions d’euros par an pour subventionner la création d’œuvres immersives. Elle s’est réunie le 6 mars dernier pour la troisième fois afin de retenir de nouveaux projets à soutenir.

Le Fonds d’aide à la création immersive, créé en juillet 2022, remplace au sein du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), à la fois le Fonds d’aide aux expériences numériques (Fonds XN) et le Dispositif pour la création artistique multimédia et numérique (Dicréam). Pour la troisième fois, la commission « Création immersive » présidée depuis septembre 2022 par le musicien Jean-Michel Jarre (photo), s’est réunie – le 6 mars – pour choisir les projets immersifs qui bénéficieront d’une aide financière allant de quelques milliers d’euros à plus de 130.000 euros chacun.

Projets VR, MR, XR, voire métavers
Le Fonds d’aide à la création immersive est doté de 3,6 millions d’euros par an pour financer des contenus de réalité virtuelle (VR), de réalité mixte (MR), de réalité étendues (XR) ou encore de narrations interactives (Interactive Storytelling). Lancé durant l’été 2022 en pleine euphorie « métavers » déclenchée par la firme de Mark Zuckerberg, Meta (ex-groupe Facebook), ce fonds vise aussi à aider des projets de métavers. En lançant la commission « Création immersive », le CNC avait appelé la filière à « investir le métavers comme un nouveau territoire d’expression artistique ».
Le but était alors d’« accélérer la structuration de cet écosystème, actuellement porté par le développement du métavers qui désigne en premier lieu le processus de plateformisation des usages immersifs, et présente des opportunités sans précédent ». Surtout que JeanMichel Jarre croit en ces mondes immersifs, se présentant lui-même comme « musicien, auteur, interprète, pionnier des métavers ». Il est par ailleurs associé au studio de production Vrroom (société Perpetual Emotion), lequel a déjà assuré la virtualisation de certains de ses concerts (immersion complète dans un monde virtuel) et qui va lancer « un métavers entièrement dédié au spectacle » – pour l’heure à l’état de prototype (1).
Malgré le « métaflop » constaté en fin d’année dernière (2), les œuvres dans le métavers entrent toujours dans le dispositif. Mais la mise en avant du métavers n’a pas fait long feu. De quoi aussi apaiser les craintes de certains créateurs du numérique (auteurs et producteurs) qui se sont inquiétés de voir disparaître la Dicréam – au bout de plus de vingt ans d’aides aux artistes multimédias –, n’ayant pas forcément les moyens de faire de la réalité virtuelle ni du métavers (3). Quant au Fonds XN, lui aussi remplacé, il avait été créé en octobre 2018 à la suite de l’ancien Fonds nouveaux médias (4) – le CNC ayant commencé à aider des projet de réalité virtuelle dès 2014. La commission « Création immersive » est composée de deux collèges : l’un examine les demandes d’aide à l’écriture et à la préproduction ; l’autre examine les demandes d’aide à la production et aux manifestations à caractère collectif. Le tout, sous l’œil de membres « observateurs » que sont Dorine Dzyczko, chargée au ministère de la Culture de la coordination des politiques numériques en faveur de la création, et un représentant de l’Institut Français. Un même projet peut se présenter successivement à chacun des dispositifs d’aide à la création existants – écriture, préproduction, production – au fur et à mesure de son avancement, et cela qu’il ait obtenu ou non une aide à l’un de ces dispositifs. Les membres de cette commission (comme pour les autres du CNC) sont des professionnels, nommé pour deux ans. Les aides financières, elles, sont in fine délivrées par le président du CNC, actuellement Dominique Boutonnat, lequel a nommé en septembre 2022 Jean-Michel Jarre président de cette commission « Création immersive ».
Etant donné que la commission « Création immersive » se réunit environ deux mois après la date limite de dépôt des dossiers, les projets retenus le 6 mars portent sur les dossiers de candidature déposés à l’échéance du lundi 16 janvier dernier. Mais, selon les informations de Edition Multimédi@, le CNC ne divulguera pas les résultats avant « début avril, ce décalage étant dû à des procédures administratives ». Les prochaines dates limites de dépôts des dossiers pour 2023 sont respectivement le mardi 11 avril, le lundi 3 juillet et le lundi 16 octobre. Les candidatures sont à envoyer au format numérique uniquement (5).

52 projets au total aidés en 2022
L’an dernier, la commission a sélectionné par deux fois des projets immersifs lors de ses réunions du 4 octobre et du 5 décembre – soit 52 projets au total.
Lors des premiers résultats (6): six projets immersifs ont bénéficié d’aides financières au titre de l’aide à l’écriture, tels que « Uncanny You ! » (Sigrid Coggins) pour 6.000 euros de dotation la plus basse, ou « Pour en finir avec la fin du monde » (Samuel Lepoint) pour 12.000 de dotation la plus élevée ; onze projets immersifs ont été retenus au titre de l’aide à la préproduction, tels que « Mille » (L’instant Mobile) pour 8.000 euros de dotation la plus basse, ou « Alternates » (Floréal) pour 50.000 euros de dotation la plus élevée ; quatre projets immersifs l’ont été au titre de à la production, tels que « Champollion » (Lucid Realities) pour 60.000 euros de dotation la plus basse, ou « Entrez dans la danse » (Tchikiboum) pour 120.000 euros de dotation la plus élevée ; quatre projets immersifs au titre de l’aide aux opérations à caractère collectif, tels que « Courant 3D » (Prenez du relief) pour 5.000 euros de dotation la plus basse, ou « Showroom » (Zinc) pour 15.000 euros de dotation la plus élevée.

Le studio français Atlas V mieux loti
Lors des seconds résultats (7) : sept projets immersifs ont bénéficié d’aides financières au titre de l’aide à l’écriture, tels que « Habiter les nuits » (Maria Victoria Follonier/Elie Blanchard) pour 6.000 euros de dotation la plus basse, ou « Vibrotanica » (Jérôme Li-Thiao-Té) pour 16.350 euros de dotation la plus élevée ; quatorze projets immersifs ont été retenus au titre de l’aide à la préproduction, tels que « Minos » (Rebonds d’Histoires) pour 9.000 euros de dotation la plus basse, ou « Slipstreaming » (1er Stratagème) pour 55.000 euros de dotation la plus élevée ; sept projets immersifs l’ont été au titre de à la production, tels que « Mille » (L’Instant mobile) pour 10.000 euros de dotation la plus basse, ou « La Petite Souris » (Atlas V) pour 139.000 euros de dotation la plus élevée ; trois projets immersifs au titre de l’aide aux opérations à caractère collectif, tels que « SVSN 2023 » (Dark Euphoria) pour 20.000 euros de dotation la plus basse, ou « Taiwan XR Residency » (Forum des images) pour 50.000 euros de dotation la plus élevée.
Ainsi, le studio français de réalité virtuelle Atlas V est jusqu’à maintenant le mieux doté avec ses 135.000 euros pour la production de « La Petite Souris », un film aux allures de conte de fées narratif qui raconte en réalité virtuelle l’histoire d’une jeune créature têtue se rendant dans le monde pour se faire connaître. Atlas V a aussi décroché en même temps une aide de 48.000 euros pour la préproduction de « Faire Corps ». Contacté par Edition Multimédi@, Antoine Cayrol (photo ci-contre), cofondateur de l’entreprise avec Fred Volhuer, nous indique qu’il a obtenu à nouveau le soutien pour un projet lors de la réunion de la commission le 6 mars. Atlas V a déjà une douzaine d’œuvres immersives à son actif, dont « Gloomy Eyes », « Ayahuasca », « Vestige », « Sphères », « Battlesca », « Fragments Miroir », « Goodbye Mr. Octopus », « Madrid Noir », « Atomu », et « The color of infinity ». Le studio parisien et lyonnais, également implanté aux Etats-Unis, se présente comme un créateur de métavers, de mondes alternatifs et de contenus immersifs. L’entreprise a en outre créé en 2020 une société baptisée Albyon et dédiées aux expériences situées à la croisée des chemins entre l’immersif et le jeu vidéo.
Le Fonds d’aide à la création immersive est d’ailleurs géré dans le service de la création numérique, dirigé au CNC par Olivier Fontenay, qui inclut les aides au jeu vidéo (Fonds d’aide au jeu vidéo, d’une part, et Crédit d’impôt jeu vidéo, d’autre part). Cependant, un projet ne peut « pour les mêmes dépenses » bénéficier à la fois d’une aide à l’écriture de projets d’œuvres immersives et d’une autre aide attribuée par le CNC. En tout cas, la commission « Création immersive » dispose d’un grand rayon d’action puisqu’elle peut subventionner une « œuvres immersives des créations audiovisuelles » qui, par définition, « proposent une expérience de visionnage dynamique liée au déplacement du regard et/ou à l’activation de contenus visuels ou sonores par le spectateur, faisant notamment appel aux technologies dites de réalité virtuelle ou augmentée ou tout autre dispositif permettant l’immersion ». Elle précise même que « les œuvres pluridisciplinaires sont admissibles au bénéfice de l’aide à condition de comporter une forte composante audiovisuelle » et que « les contenus à destination des réseaux sociaux dont le primo-diffuseur n’est pas un SMAd [VOD/SVOD, ndlr] sont également éligibles ».
Le CNC rappelle au passage que « l’utilisation d’un casque de réalité virtuelle est fortement déconseillée aux enfants âgés de moins de 13 ans ». Et pour être éligible, le projet doit être « une œuvre originale spécifiquement conçue pour une expérience immersive », « destiné à un ou plusieurs médias », et « conçu et écrit en langue française ».

Eligible : sociétés de production en France
La subvention est plafonnée à 50 % du budget de préproduction ou, en cas de coproduction internationale, à 50 % de la participation française (8). En outre, au moins 50 % des dépenses doivent être effectuées en France. « Dans le cas d’une coproduction internationale, précise le CNC, les dépenses minimum à effectuer en France s’élèvent à 50 % de la part française de financement. Par ailleurs, le projet doit être financé par une participation française au moins égale à 30 % de son coût définitif ». L’entreprise de production (société ou association) doit être établie en France par son siège social. @

Charles de Laubier