Réforme audiovisuelle à l’heure du Net : la France ne peut passer à côté d’un changement de paradigme

La loi « Liberté de la communication » de 1986 – 30 ans ! – est devenue obsolète depuis la mondialisation de l’audiovisuel induite par Internet. Sa réforme reste timorée. La ligne Maginot du PAF (paysage audiovisuel français) peine à laisser place à un cadre ambitieux pour conquérir le PAM (mondial).

L’année 2016 s’annonce comme le – trop lent – décollage de la radio numérique terrestre (RNT)

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) se hâte lentement dans le lancement des appels à candidatures, qui s’étaleront de fin mars 2016 à… fin 2023. Tant d’années pour que la RNT devienne nationale, c’est de l’avis de certains professionnels « trop lent » à l’heure du numérique.

Par Charles de Laubier

Olivier Schrameck« C’est beaucoup trop lent pour déployer une nouvelle technologie numérique, mais, au moins, cela avance avec un calendrier qui fixe les dates précises des appels à candidatures », a confié à Edition Multimédi@ un bon connaisseur de la RNT quelque peu circonspect, en marge de la cérémonie des voeux du CSA prononcés par son président, Olivier Schrameck (photo), le 21 janvier dernier. Les nouveaux appels à candidatures vont en effet s’échelonner de 2016 à 2023, soit durant huit ans encore et aussi huit ans après le premier appel à candidatures de… mars 2008 sur Paris, Marseille et Nice (comme le montre le tableau ici). Le CSA a décidé ce calendrier à rallonge durant son assemblée plénière du 9 décembre 2015, après de nombreuses années de débats et d’oppositions, ainsi qu’à l’issue d’une ultime consultation publique menée l’an dernier.

L’Alliance pour la RNT se mobilise
Car, faut-il le rappeler, la RNT avait été promise pour fin 2008… par Nicolas Sarkozy, alors président de la République, tandis que Michel Boyon – à l’époque président du CSA (1) – l’avait annoncée en 2009 « pour Noël » sur les trois premières villes de Paris, de Marseille et de Nice… « Mieux vaut tard que jamais », a poursuivi notre interlocuteur avec ironie.
L’Alliance pour la RNT, qui a été constituée en octobre 2014 entre le Sirti, le SNRL et le WorldDAB afin de coordonner leurs actions pour favoriser un déploiement rapide de la diffusion hertzienne numérique de la radio, avait dès le 11 décembre dernier reproché au CSA « une approche trop prudente » en l’ « invit[ant] à envisager dès à présent une accélération de son calendrier qui pourrait ainsi prévoir un lancement d’au moins quatre vagues d’appels par an plutôt que de deux ». L’Alliance pour la RNT a même proposé au régulateur de l’audiovisuel de lui présenter « début 2016 à l’occasion d’une future séance plénière » les raisons d’un « rythme plus soutenu ».
Selon nos informations, des rendez-vous ont par ailleurs été sollicités auprès du cabinet de Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication – dont dépend d’ailleurs la décision de l’Etat de préempter ou pas pour Radio France des fréquences sur la RNT –, ainsi qu’avec la direction « numérique » de Radio France pour faire suite à une première rencontre en décembre dernier avec son président Mathieu Gallet – lequel s’est dit plutôt favorable à la RNT. Accélération ou pas en France, notamment par rapport à nos voisins européens (2), la RNT fait plus que jamais partie des « importants défis » à relever au cours de l’année 2016 pour le CSA, comme l’a souligné son président Olivier Schrameck (photo) lors de ses voeux : « Nous serons également attentifs au développement de la radio numérique terrestre, susceptible d’élargir une offre de programmes qui persiste à rencontrer de sérieuses limites dans certains territoires ». Ainsi, après Paris, Marseille et Nice où elle est actuellement diffusée depuis l’été 2014, la RNT va continuer à s’étendre en France pour faire bénéficier à la radio de l’évolution de la diffusion hertzienne. « Le CSA a fixé un calendrier progressif de déploiement de la radio numérique terrestre, en complément de tous les modes de développement actuels de ce média essentiel », a rappelé Olivier Schrameck. Rien qu’en 2016, deux appels à candidatures seront lancés d’ici fin mars pour le premier sur les zones de Lille, Lyon et Strasbourg, puis d’ici fin septembre pour le second sur celles de Nantes, Rouen et Toulouse.
« Le CSA remplit sa mission légale pour que les acteurs du secteur fassent leur choix en pleine conscience des enjeux financiers, technologiques et humains qui se présentent à eux. La route de la RNT est désormais pavée ; aux radios existantes ou
à d’autres de manifester s’ils veulent l’emprunter », a-t-il ajouté. A part Radio France, dont le lancement sur la RNT dépend de la décision de l’Etat (3), la question sera de savoir si les grandes radios privées – RTL, Europe1/Lagardère Active, NRJ, BFM/ NextradioTV – continueront de bouder la RNT, à laquelle ils préfèrent la radio sur IP (webradios). @

Charles de Laubier

La concentration des médias s’est accélérée en 2015 ; l’année 2016 garantira-t-elle leur indépendance ?

Le numérique accélère la concentration des médias en France entre les mains
– ce qui est unique au monde – d’industriels et de milliardaires. Cela n’émeut pas vraiment le gouvernement, pourtant garant de l’indépendance et du pluralisme des médias. La question de légiférer ou de réglementer se pose.

Vincent Bolloré, Patrick Drahi, Bernard Arnault, Serge Dassault, Pierre Berger, Xavier Niel, Matthieu Pigasse, Arnaud Lagardère, François-Henri Pinault, Bernard Tapie, … Le point commun entre tous ces milliardaires et industriels français réside dans leur mainmise sur la majeure partie des grands médias français.

 

Situation unique au monde
L’emprise des industriels « papivores » sur les médias français s’est accentuée en 2015 sous l’effet de mouvements de concentration où l’on a vu Vincent Bolloré s’emparer de Canal+ via Vivendi, Patrick Drahi de Libération, de L’Express et de NextRadioTV (BFM TV, RMC, …) pour les regrouper au sein du groupe Altice Media, Bernard Arnault du quotidien Le Parisien (alors qu’il est déjà propriétaire des Echos), Serge Dassault de l’éditeur de médias en ligne CCM-Benchmark pour l’intégrer à son groupe Le Figaro, … Et cette valse de fusions et acquisitions dans les médias français devrait se poursuivre en 2016.
Ce contrôle capitalistique sur la presse, la télévision, la radio et leurs déclinaisons numériques est unique au monde. Ce problème, qui ne date pas d’hier, met en doute l’indépendance éditoriale des médias et devient sensible à un peu plus d’un an de la campagne présidentielle très médiatique de 2017. Il y a trois mois, la ministre de la Culture et de la Communication Fleur Pellerin (photo) a laissé entendre, à l’issue d’un conseil des ministres, qu’elle menait une « réflexion sur des mesures réglementaires
ou législatives » pour garantir l’indépendance et le pluralisme de la presse (écrite et audiovisuelle), notamment sur un éventuel élargissement des compétences du CSA (1). « C’est un sujet très important, on doit assurer cette garantie de liberté. [Fleur Pellerin] ouvre ce débat, je ne sais pas quelles en seront les conclusions », avait déclaré Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement, lors du compte rendu du conseil
des ministres du 14 octobre dernier (2), abondant dans le sens de Fleur Pellerin.
Cette dernière ne semble toutefois pas disposée à limiter l’emprise capitalistique des industriels dans les médias français. « Sur le plan économique, la France a besoin
de groupes multimédias solides et dynamiques, des fleurons capables d’affronter la compétition internationale », avait d’ailleurs dit la ministre le 3 octobre dans Le Figaro. Cette déclaration ressemble à un blanc-seing donné aux puissants propriétaires de médias français, dans le sens où il ne remet nullement en question le mouvement de concentration en cours. Toutes mesures anti-concentration qui seraient « anti-Bolloré » (dixit Patrick Bloche (3)), « anti- Drahi » ou encore « anti-Arnault » sont d’office écartées par le gouvernement de Manuel Valls. La marge de manoeuvre est donc étroite pour une réflexion en France sur l’indépendance des rédactions et le pluralisme des médias. L’une des nouvelles mesures qui serait étudiées consisterait à introduire dans les conventions signées entre le CSA et les médias des engagements d’indépendance des rédactions : indépendance des journalistes par rapport aux intérêts économiques des actionnaires et des annonceurs, chartes déontologiques, comités d’éthique (comme le fait Canal+ (4)), protection des journalistes dénonçant les manquements, etc. Si la démarche pourra apparaître comme complémentaire aux obligations existantes de l’audiovisuel hertzien, il en ira plus difficilement pour la
presse écrite où l’autorégulation domine tant bien que mal.
Dans l’audiovisuel, il existe déjà des gardes fou fixés par la loi « Liberté de communication » du 30 septembre 1986 (5) : la part qu’une même personne peut détenir dans le capital d’un service national de télévision, dont l’audience moyenne annuelle dépasse 8 % de l’audience totale des services de télévision, est limitée à 49 % (contre 25 % avant 1994). Cette limitation est même de 20 % pour les participations
« extracommunautaires » (6). Le CSA est chargé de veiller au respect de ce dispositif anti-concentration, tout en veillant lors de l’attribution des fréquences terrestres au respect du pluralisme.

L’année 2016 sera-t-elle décisive ?
Liés aux fréquences hertziennes, ces plafonds n’existent pas dans la presse écrite. Néanmoins, la loi « Liberté de communication » prévoit des restrictions dans les opérations de concentration dans le secteur de la presse : seuil maximal de 30 % de
la diffusion totale en France des quotidiens d’information politique et générale (IPG), différents plafonds de diffusion non cumulatifs (7), plafond capitalistique des 20%
pour les extracommunautaires. Quelles que les soient les mesures réglementaires
ou législatives qui pourraient être présentées au cours de cette nouvelle année 2016
– par amendements dans le projet de loi « Création » ? –, elles ne verraient le jour qu’après arbitrage du président de la République François Hollande et de son Premier ministre. Si cela arrive un jour… @

Charles de Laubier

Cloud PVR, nPVR, Cloud TV, … Les chaînes TV gratuites menacées

En fait. Le 16 décembre dernier, se tenaient les 9e Assises de la convergence des médias – organisées par l’agence Aromates – sur le thème de « Audiovisuel français : la transformation par le cloud« . Les chaînes de télévision gratuites, comme M6, sont les premières à s’inquiéter de la publicité « skippable » dans le cloud.

Gilles Pélisson : vers plus de convergence entre TF1 et Bouygues Telecom ?

En fait. Le 28 octobre, Gilles Pélisson a été désigné successeur – à partir de mi-février 2016 – de Nonce Paolini à la tête de TF1, lequel était PDG depuis juillet 2008. Mais cet ancien de Bouygues Telecom (2001-2005) ne dit pas s’il est chargé de trouver des synergies avec la filiale télécoms.