Les réformes de France Télévisions et Radio France passent par la diffusion numérique moins coûteuse

L’audiovisuel public – France Télévisions et Radio France en tête – n’a plus vocation à être diffusé uniquement sur respectivement la TNT et la FM. L’Etat actionnaire pousse les deux groupes à aller plus sur Internet et les mobiles, pour faire des économies et en même temps conquérir la nouvelle génération.

C’est une priorité fixée par le gouvernement à Delphine Ernotte (photo) et à Sibyle Veil, présidentes respectivement de France Télévisions et de Radio France : que les deux groupes emblématiques de l’audiovisuel public, situés de part et d’autre
de la Seine à Paris, aillent trouver sur Internet les indispensables économies budgétaires, tout en allant à la conquête des jeunes téléspectateurs et auditeurs issus de la génération « Digital Native » ou « Millennials ».

« Ambition numérique de l’audiovisuel public »
Chez France Télévisions, les chaînes France 4 et France Ô doivent quitter à terme la diffusion hertzienne de la TNT pour se retrouver en ligne sur Internet. France 4, la chaîne dédiée aux jeunes publics, rejoindra les marques Ludo et les Zouzous au sein d’une plateforme numérique baptisée Okoo et destinée à la jeunesse. « Plateforme de référence gratuite pour les 3-12 ans », elle sera lancée en décembre prochain avec un catalogue riche de 5.000 titres. Okoo s’inspirera de la plateforme numérique éducative Bitesize de la BBC. De son côté, France Ô intègrera début 2020 – avec le réseau Premières d’Outre-Mer – une autre plateforme en ligne dédiée à l’outremer (2). Cette délinéarisation des programmes « ultramarins » s’accompagne d’un « pacte de visibilité » sur les antennes hertziennes de France Télévisions. Par ailleurs, France Télévisions renforcera Slash, son site web pour les 18-30 ans, et, en prévision des JO de 2024, lancera dès 2020 une chaîne olympique numérique dédiée à la préparation de l’événement. Concernant la production de « contenus exclusifs » pour le site web France.tv, elle se concrétisera par exemple à la rentrée dans le cadre de la nouvelle émission « France TV Nature » (défis pour la planète). Delphine Ernotte s’est en outre engagée à mettre en oeuvre un « pacte citoyen (engagement, innovation et plaisir) pour rendre le service public meilleur qu’il ne l’est aujourd’hui » d’ici trois ans. Par ailleurs, le groupe France Télévisions s’est engagé avec les deux poids lourds du privé TF1 et M6 dans Salto, le projet commun de plateforme TV et de SVOD, actuellement étudié par l’Autorité de la concurrence.
• Chez Radio France, s’il n’est plus question pour le moment de basculement de radios sur le numérique (en webradios) comme le préconisait en 2015 un rapport de la Cour des comptes pour Mouv et même Fip, la stratégie digitale n’en est pas moins réaffirmée pour rattraper un certain retard numérique (3). En montrant le 7 juin à ses 4 millions de followers qu’il avait fait tatouer sur son poignet le logo en couleur de sa radio préférée – la française Fip –, le fondateur de Twitter, Jack Dorsey, a rappelé implicitement que la radio n’a plus de frontières à l’ère du podcast et de l’écoute en streaming – l’ère du seul hertzien est révolu. Depuis le 1er juillet dernier, Dana Hastier (ex-directrice de France 3) a remplacé Guy Lagache à la direction des antennes et de la stratégie éditoriale de Radio France. A ce titre, elle a la responsabilité de Franceinfo, France Inter, France Culture, France Bleu, Fip et Mouv, à la fois de leur stratégie éditoriale et de leur développement numérique, ainsi que de la plateforme Radiofrance.fr. L’ambition de la Maison-Ronde est de devenir la plateforme de référence de l’audio en France dans les trois ans, en misant notamment sur les podcasts, et de proposer à partir de 2020 une offre de « radio personnalisée » – projet qu’avait initié Mathieu Gallet (4). Le Premier ministre Edouard Philippe, lui, a précisé le 19 juin que le projet de loi sur la réforme de l’audiovisuel public sera présenté en conseil des ministres « d’ici la fin du mois d’octobre » par le ministre de la Culture Franck Riester. Le texte devrait être débattu « au plus tard au mois de janvier 2020 à l’Assemblée nationale », avec pour objectif une entrée en vigueur du texte législatif « durant l’année 2020 ». C’est en clôture du colloque « Médias, liberté et création », organisé pour les 30 ans du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qu’Edouard Philippe a fixé ce nouveau calendrier de la réforme qui a été à maintes reprises repoussée.

La grande réforme audiovisuelle tarde
« La loi de 1986 est une grande loi ; elle a façonné l’audiovisuel pendant 30 ans. La nouvelle loi audiovisuelle doit l’être tout autant, pour répondre aux défis des transformations profondes que nous connaissons aujourd’hui. Les travaux sont en cours », a assuré le Premier ministre. Il s’agit de « repenser la réglementation de l’audiovisuel français » face aux entreprises du numérique que sont les GAFAN, tout en « réaffirm[ant] le rôle de l’audiovisuel public ». France Télévisions et Radio France sont en première ligne de cette réforme majeure voulue par le président de la République, Emmanuel Macron, qui en avait fait une promesse de campagne. « Je sais que les groupes audiovisuels publics ont engagé de profondes transformations, a déclaré Edouard Philippe. Des transformations qui bousculent des habitudes et qui se font dans un cadre financier contraint. (…) Nous avons réaffirmé les priorités de l’audiovisuel public, l’information, la culture, la proximité et la jeunesse. Nous avons affirmé l’ambition numérique de l’audiovisuel public ».

Audiovisuel public : « ambition numérique »
L’Etat, dont les participations dans les six sociétés de l’audiovisuel public (France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, INA, Arte et TV5 Monde) pourraient être regroupées dans une holding de tête par le projet de loi audiovisuelle (5), compte sur le digital pour atteindre au total quelque 500 millions d’euros d’économies à faire d’ici à 2022. « A l’heure des bouleversements numériques, il faut privilégier l’investissement dans les contenus plutôt que dans un mode de diffusion », avait prévenu Françoise Nyssen, alors encore au ministère de la Culture le 4 juin 2018, tout en ajoutant que « [son] ambition [était] de créer un média global à vocation universelle ». En creux : la TNT hertzienne coûte chère, Internet beaucoup moins (6). La réforme de l’audiovisuel public prévoit aussi un rapprochement de France 3 et de France Bleu, avec une hausse des investissements dans le numérique pour lancer des offres communes entre la troisième chaîne à vocation régionale et le réseau des radios locales publiques (trois fois plus de programmes régionaux). Mais la numérisation à marche forcée de l’audiovisuel public, en prévision de la réforme législative, ne se fait pas sans tensions au sein des deux groupes. « Que ce soit à Radio France ou à France Télévisions, les raisons de la colère sont partagées face à une tutelle (et des directions aux ordres) obnubilées par les économies tous azimuts et leurs conséquences mortifères sur nos entreprises », avait fustigé le syndicat CGT dans son appel à la grève du 20 juin dernier avec FO et la CFDT. L’intersyndicale dénonce « la paupérisation » de l’audiovisuel public, qui passe notamment par la suppression du journal télévisé « Soir 3 » et l’arrêt des matinales filmées avec la radio France Bleu, sur fonds de plan d’économies.
• A Radio France, un nouveau plan d’économies de 60 millions d’euros d’ici 2022 est assorti d’environ 300 suppressions de postes (sur un total d’environ 4.590 salariés à fin 2018). Le plan « Radio France 2022 », que Sibyle Veil a présenté début juin, prévoit d’accroître les investissements dans le numérique, dont la radio numérique terrestre (RNT) en DAB+ pour Fip et Mouv (7), alors que la contribution de l’Etat va baisser de 20 millions d’euros quatre ans. « Si on ne change rien, a prévenu la présidente de Radio France, on sera en déficit de 40 millions d’euros en 2022 ». Cela a déclenché mi-juin une première grève, très suivie par les salariés de la Maison-Ronde. « Radio France a déjà fait les frais de plans d’économies successifs, qui ont conduit à des salaires bloqués depuis sept ans, de nombreux départs non remplacés et la politique de redéploiements au profit d’activités nouvelles, qui ont désorganisé bon nombre de secteurs », ont dénoncé les syndicats. Le prédécesseur de Sibyle Veil, Mathieu Gallet, avait été confronté à une grève historique en 2015, après qu’il ait annoncé restrictions budgétaires et réductions d’effectifs. Le plan « Radio France 2022 » de sa successeure prévoit la suppression de 270 postes dans tous les métiers si les salariés acceptent de faire une croix sur des semaines de congés (réorganisation des rythmes de travail), ou 390 postes s’il n’y a pas d’accord avec les syndicats. Radio France espère aboutir à un « nouveau pacte social » en septembre et à cette réforme d’ici à l’automne, afin de pouvoir négocier avec l’Etat son Contrat d’objectifs et de moyens (COM) pour la période 2019-2023. Mais le comité social et économique du groupe radiophonique, réuni le 18 juin, a opposé à la direction un rapport d’un cabinet indépendant (Tandem) qui considère les économies « surdimensionnées » et les charges de personnel prévues au cours des prochaines années « surévaluées » de 8,7 millions d’euros. Quelque 118 postes seraient ainsi supprimés par erreur ! Mais Marie Message, qui a remplacé Sibyle Veil comme directrice des opérations et des finances de Radio France, conteste la méthode de cette étude et a proposé de faire une contre-étude.
• A France Télévisions, le climat social n’en est pas moins tendu. Le groupe de télévisions public veut supprimer jusqu’à 900 postes d’ici à 2022 (sur environ 9.600 salariés à fin 2018), et va devoir supprimer deux de ses chaînes sur décision du gouvernement (France Ô et France 4). Les 6 et 13 juin ont été marqués par des grèves à l’appel de plusieurs syndicats, pour défendre l’emploi et le journal télévisé « Soir 3 », lequel sera supprimé au profit d’« une tranche d’information renforcée » en fin de soirée sur la chaîne hertzienne et numérique Franceinfo. Le 20 juin, plusieurs chaînes de France Télévisions ont été perturbées par une grève lancée à l’appel de l’intersyndicale pour dénoncer la « paupérisation » du service public télévisuel. De leur côté, le 11 juin et à l’occasion du Festival du film d’animation à Annecy, la SACD (8) et le SPFA (9) ont appelé le président Emmanuel Macron à reporter à 2022 la fermeture de la chaîne publique France 4, actuellement prévue pour 2020. Et ce, le temps de préparer une plateforme jeunesse capable de rivaliser avec Gulli (M6) et Disney.

Franceinfo « à la vitesse supérieure » ?
Quant à Franceinfo, plateforme multidiffusée (TNT, Internet, radio, câble, satellite, …) lancée il y a près de trois ans par France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA, elle ne dépasse pas encore les 0,5 % de parts d’audience (à juin 2019 selon Médiamétrie) et reste distancée par BFM TV (2,1 %), LCI (0,8 %) et CNews (0,7 %). Le basculement de « Soir 3 » sur Franceinfo pourrait être l’ultime tentative pour « passer à la vitesse supérieure » la dernière-née des chaînes d’information en continu. @

Charles de Laubier

Olivier Schrameck quitte la présidence du CSA, dont les pouvoirs de régulation audiovisuelle s’étendent à Internet

Petit à petit, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) devient de plus en plus le régulateur de l’Internet. Outre la loi « anti-Fake news » promulguée le 23 décembre 2018, la transposition de la directive européenne SMA et la future loi sur l’audiovisuel vont renforcer ses pouvoirs sur le numérique.

Nommé il y a six ans par François Hollande à la présidence du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), Olivier Schrameck (photo) va achever son mandat le 23 janvier 2019 à minuit. La personne que l’actuel président de la République, Emmanuel Macron, va désigner pour lui succéder va être une femme : Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Cnil jusqu’en février
et favorite ? Nathalie Sonnac, membre du CSA ? Laurence Franceschini, conseillère d’Etat et Médiatrice du cinéma ? Frédérique Bredin, présidente du CNC jusqu’en juillet ? Sylvie Hubac, conseillère d’Etat ? Avec l’une d’elles, la féminisation de la présidence du « gendarme de l’audiovisuel » sera une première en trente ans (1). Depuis la création du CSA par la loi du 17 janvier 1989 (modifiant la loi « Liberté de communication audiovisuelle » du 30 septembre 1986), se sont succédés en tant que présidents Jacques Boutet (1989-1995), Hervé Bourges (1995-2001), Dominique Baudis (2001-2007), Michel Boyon (2007-2013) et Olivier Schrameck (2013-2019).

Fusion CSA-Hadopi, CSA-Cnil ou CSA-Cnil-Hadopi ?
Ce dernier s’est entretenu avec Emmanuel Macron à l’Elysée le 8 janvier et dressera,
le 17 janvier, un bilan sur son action aux allures de prospective – tant il reste beaucoup à faire pour passer d’une régulation devenue obsolète à une nouvelle régulation audiovisuelle et numérique. La nouvelle présidente du CSA prendra ses fonctions le
24 janvier au sein d’une autorité administrative indépendante aux compétences et aux pouvoirs élargis jusque sur Internet. Le plus gros dossier qu’elle trouvera sur son bureau de la Tour Mirabeau (siège du CSA dans le XVe arrondissement à Paris) est assurément celui de la réforme de l’audiovisuel, dont le projet de loi voulu par Emmanuel Macron sera présenté au printemps prochain. Il devrait être assorti de mesures sur la régulation du numérique. Il est prévu qu’une première mouture du texte soit transmise au CSA dans le courant de ce mois de janvier 2019. Il a été concocté entre l’Elysée, Matignon, le ministère de la Culture et le Parlement. « La réflexion interministérielle, à laquelle certains d’entre vous sont associés, examine aussi l’opportunité de rapprocher des structures », avait indiqué la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, la sénatrice (UC) Catherine Morin-Desailly, en préambule de l’« audition conjointe », le 29 novembre dernier, de plusieurs régulateurs (CSA, Arcep, Hadopi, Cnil, …).

Les pouvoirs encore plus étendus du CSA
Lors de cette audition sur la régulation audiovisuelle et numérique, Denis Rapone, président de l’Hadopi, a dit qu’il serait « utile de réfléchir aux synergies qui pourraient être développées avec le CSA ». Lors d’un colloque NPA, le 11 octobre, il s’était même dit « ouvert » à l’idée d’un rapprochement avec le gendarme de l’audiovisuel. A moins qu’il y ait une fusion CSA-Cnil, Isabelle Falque- Pierrotin s’étant dite au Sénat favorable à l’« interrégulation » et ayant parlé de « dialogue avec le CSA dans ce sens ». Dans cette même audition conjointe, le président du CSA, Olivier Schrameck, a estimé pour sa part que « la régulation ne peut être confiée qu’à plusieurs instances ». Fusion CSA-Hadopi, CSA-Cnil, CSA-Hadopi- Cnil, ou pas : l’arbitrage viendra d’en haut.
La réforme de l’audiovisuelle s’inspire du rapport « pour une nouvelle régulation de l’audiovisuel à l’ère numérique » présenté par Aurore Bergé en octobre dernier à l’Assemblée nationale (2). Parmi les préconisations de la députée (LREM) téléguidée par Emmanuel Macron : « Fusionner l’Hadopi avec le CSA pour créer une autorité unique de régulation des contenus audiovisuels » (proposition n° 9), car, selon elle,
« les sujets communs aux deux univers, audiovisuel et numérique, ne manquent pas : contenus haineux, protection des publics, régulation de la publicité, dignité humaine, protection des droits d’auteur, coopération entre les acteurs sont autant de sujets que
la nouvelle autorité pourra traiter d’une seule voix » (3). Quoi qu’il en soit, le futur régulateur de l’audiovisuel et du numérique devrait se voir attribuer par la future loi
de l’audiovisuel et du numérique des pouvoirs renforcés, notamment en matière de médiation et d’arbitrage dans de nouveaux types de conflits numériques illustrés par des différends ayant opposé les ayants droits à Canal+, les chaînes de télévision comme TF1 aux opérateurs télécoms sur leur diffusion par les « box », ou encore la chaîne M6 à la plateforme Molotov. Le CSA va devoir en outre mettre en oeuvre la nouvelle directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA) qui a
été promulguée au JOUE du 28 novembre dernier. En particulier, le gendarme de l’audiovisuel va voir son champ d’intervention étendu aux YouTube, Dailymotion et autres Facebook et Snapchat, désormais visés au même titre que les services de télévision traditionnels et les services de diffusion à la demande (replay et VOD). Le plus délicat sera de protéger les mineurs contre les contenus préjudiciables comme
la pédopornographie, et les citoyens européens contre la haine et les propos racistes, ainsi qu’en interdisant tout contenu incitant à la violence et au terrorisme, sans pour autant porter atteinte à la liberté d’expression et à la créativité (4).
En attendant la prochaine loi sur l’audiovisuelle, une étape supplémentaire dans l’élargissement des pouvoirs du CSA a d’ores et déjà été franchie avec la promulgation de la loi de « lutte contre la manipulation de l’information » – dite loi « anti-Fake news » (5), datée du 22 décembre 2018 et publiée au Journal Officiel du 23 décembre. Certes, le texte voté au Parlement est passé par les fourches caudines du Conseil constitutionnel, saisi par 140 députés et sénateurs (6) qui se sont inquiétés des risques inconstitutionnels portés à la liberté d’expression et de communication, notamment dans le recours au juge des référés en période électorale, ainsi qu’aux pouvoirs jugés trop importants accordés au CSA. « Il appartient au législateur de concilier le principe constitutionnel de sincérité du scrutin avec la liberté constitutionnelle d’expression et de communication », ont prévenu les Sages de la rue de Montpensier, en validant cette loi « sous les réserves énoncées ». De plus, ce référé « anti-Fake news » – possible trois mois avant le premier tour de l’élection ou du référendum – ne concerne que les services sur Internet (« que les contenus publiés sur des services de communication au public en ligne »).
Les parlementaires à l’origine de la saisine ont estimé qu’en donnant au CSA le pouvoir de « rejeter la demande (…) d’une convention si la diffusion du service de radio ou de télévision [n’utilisant pas des fréquences assignées par le CSA, c’est-à-dire par voie électronique ou en ligne, ndlr] comporte un risque grave d’atteinte (…) », notamment
de la part d’éditeurs étrangers qui en feraient la demande, ces dispositions « violeraient la liberté d’expression et de communication en créant un régime d’autorisation administrative préalable » et « porteraient atteinte au principe  de légalité des délits
et des peines » (7), ainsi que méconnaîtrait le principe d’égalité devant la loi.

Les décisions du CSA sont contestables
Ce à quoi le Conseil constitutionnel a répondu que la décision du CSA peut être contestée devant le juge administratif. Le gendarme de l’audiovisuel peut donc suspendre la diffusion d’un service audiovisuel, résilier une convention et même demander au juge d’ordonner aux opérateurs télécoms, fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et réseaux satellitaires de diffuser ou distribuer un service en ligne. Petit à petit,
le CSA devient donc aussi le régulateur du Net. @

Charles de Laubier

Les vieux médias tentent aussi de séduire les jeunes

En fait. Le 23 novembre, les six groupes de l’audiovisuel public (France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, Arte, TV5 Monde et l’INA) ont lancé « Culture Primes », une coédition de vidéos pour les jeunes. Un nouveau média supplémentaire en direction des « Millennials », très convoités.

Radio France : Sibyle Veil n’abandonne pas le projet de « radio sur mesure » initié par Mathieu Gallet

Mathieu Gallet en avait rêvée pour 2018 ; Sibyle Veil va la faire d’ici 2022 : la radio sur mesure va transformer à l’avenir de Radio France. Cette « radio personnalisée » s’appuiera sur les sept stations du groupe, les comptes-utilisateurs des internautes et l’exploitation de leurs données. Mais il reste à financer le projet.

Il y a un an maintenant, l’ancien président de Radio France, Mathieu Gallet, lançait la plateforme « Un monde de Radio France » offrant une sélection d’émissions de radio en replay issues des programmes de Franceinfo, France Inter, France Bleu, France Culture, France Musique, Fip et Mouv. Et ce, avec la promesse faite aux auditeurs et internautes de pouvoir « se composer leur radio sur mesure dès 2018 » – dixit Mathieu Gallet (1). Cette radio sur mesure devait être lancée par Radio France au premier trimestre de cette année, avec la possibilité pour chaque internaute de créer son compte et sa propre grille de programmes à partir des émissions des sept stations du groupe public. Mais la révocation de Mathieu Gallet en janvier (2) par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), lequel a ensuite nommé en avril sa successeuse Sibyle Veil (photo), n’a pas permis de mener à bien ce projet ambitieux de radio personnalisée. Il y a aussi la complexité du projet et le montant de l’investissement en technologies et infrastructure qui ont renvoyé à plus tard le lancement d’une telle plateforme radiophonique interactive. D’autant que la Maison Ronde est dans une période de restriction budgétaire exigée par l’Etat actionnaire, avec un retour à l’équilibre espéré cette année dans le cadre de la « trajectoire du COM 2015-2019 ».

Comptes-utilisateurs, personnalisation, data, publicités ciblées, …
« Pour l’instant, la personnalisation n’a pas été faite car cela nécessite des équipements très importants. On y travaille avec des start-up [telles que Les Croissants, Radio France étant par ailleurs partenaire de l’incubateur Creatis Media et présent à Station F, ndlr] afin de pouvoir créer des comptes-utilisateur qui permettent de collecter les données d’usage des internautes pour personnaliser les contenus. Cela nécessite techniquement de l’investissement », a expliqué Sibyle Veil devant l’Association des journalistes médias (AFM) le 5 juillet dernier, pour justifier le retard mais en restant vague sur le calendrier de lancement. « C’est un travail sur les trois prochaines années », a-t-elle indiqué. « La radio personnalisée est complexe à faire techniquement. C’est une vraie priorité pour les prochaines années », a-t-elle cependant assuré.

Radio France fait alliance avec la Chine
La présidente de Radio France observe de près ce qui se fait à l’étranger.
« J’étais en Chine récemment où j’ai été voir des radios qui commencent à le faire. On en est aux prémices parce qu’il faut un lien plus direct avec l’internaute et une interaction. Cela suppose un investissement technique et une infrastructure, ainsi qu’une collecte et une analyse de données issues de ces comptes-utilisateur ». Selon nos informations, Sibyle Veil s’est rendue du 22 au 24 juin en Chine – avec une délégation du Premier ministre – où elle est restée une matinée entière à la radio de Shanghaï, SMG Radio, du groupe audiovisuel public Shanghai Media Group (réunissant télés et radios publiques), afin de constater leurs avancées dans ce domaine. A noter que Radio France a intégré en juin le Comité France Chine (CFC).
Mais la radio personnalisée va coûter de l’argent. C’est aussi le message que Sibyle Veil a fait passer auprès des députés et des sénateurs lors de ses auditions respectives des 13 et 6 juin derniers. En creux, le projet de radio sur mesure est suspendu au futur cadrage budgétaire de l’audiovisuel public et surtout à la dotation qui sera votée dans le projet de loi de Finances pour 2019 à l’automne. Celle qui fut auparavant directrice déléguée en charge des opérations et des finances de Radio France table sur « un chiffrage pluriannuel » pour mettre en oeuvre sa stratégie dans le temps et avec une visibilité d’ici à 2022. La nouvelle PDG de la radio publique veut s’inscrire dans la durée – y compris dans le numérique en faisant référence à « la stratégie de long terme de Jeff Bezos sur Amazon ». Et ce, malgré la vaste réforme immédiate de l’audiovisuel public qu’a initiée le président de la République, Emmanuel Macron. Elle a d’ailleurs confié devant l’AJM avoir gardé « une relation d’amitié d’école qui ne va pas au-delà en termes professionnel » – depuis l’ENA d’où ils sont sortis de la même promotion Senghor (2002-2004). Quoi qu’il en soit, son mandat de présidente de Radio France est d’une durée de cinq ans et le projet ambitieux de radio personnalisée est en bonne place dans son projet stratégique 2018-2023 qu’elle a présenté en avril au CSA juste avant d’être retenue (3). A l’heure du Net, le secteur de la radio va être amené à basculer dans le monde de la data et des algorithmes de recommandation. « La personnalisation de la relation avec l’internaute va reposer sur l’exploitation des données d’usage produites à chaque interaction et agrégées au profil de chaque utilisateur.
Pour pouvoir offrir un espace de personnalisation, Radio France devra accentuer ses efforts de recherche et de développement sur l’exploitation de ces données. L’objectif est (…) que l’auditeur/internaute qui entre par un type de programme ou par une marque se voit offrir l’accès à l’univers plus large des contenus de la radio publique », avait-elle expliqué au régulateur de l’audiovisuel, en mentionnant la plateforme « Un monde de Radio
France » mise en place par son prédécesseur pour y parvenir. Cela suppose pour la Maison Ronde de se lancer dans l’analyse des données d’usage nécessaires pour faire des recommandations susceptibles d’enrichir l’écoute, et ce dans un esprit de « prescription culturelle » et de « média de service public ».
« Cela implique de travailler sur un algorithme intelligent ou sur un outil de recommandation ouvert (comme la radio américaine Pandora) paramétré pour ne pas polariser l’usager sur ses seuls centres d’intérêt (4) », avait-elle précisé.
Mathieu Gallet, lui, prenait volontiers en exemple ni la plateforme audio américaine Pandora ni la radio chinoise SMG, mais l’application de radio personnalisée NPR One lancée en 2014 par la radio publique américaine National Public Radio. La personnalisation interactive de ce média revient en quelque sorte à faire en streaming un « Spotify gratuit de la radio » et pourrait sonner à terme le glas des podcasts à télécharger (lire aussi p. 4). Sibyle Veil, elle, va chercher son inspiration ailleurs. « Je suis allé en Chine, en Allemagne ; nous avons des relations avec la RTBF en Belgique et nous allons voir prochainement nos homologues suédois (Sveriges Radio). Toutes les questions sur les évolutions de nos médias, on les partage très fortement avec les autres. Dans les enjeux de transformation, il faut que l’on passe du monde ancien – où l’on parlait marques et audiences – à un monde nouveau du numérique – où l’on parle individu et expérience client. Il faut que l’on arrive à avoir une relation personnalisée avec ceux qui s’intéressent à nos programmes et que, par innovations successives, nous les gardions et les fidélisions », a-t-elle insisté devant l’AJM.

« Ma radio demain » sera ciblée
A cet égard, la prochaine concertation avec le public – qui sera lancée à la rentrée sur une plateforme participative « Ma radio demain » et dont les résultats seront communiqués à l’automne – permettra d’engager une première réflexion en ligne avec le public auditeur-internautes pour cerner avec lui les enjeux radiophoniques futures (audio, texte, image et vidéo) des prochaines années où la radio sur mesure donnera le la. Pour l’heure, la radio linéaire hertzienne de la FM reste comme ailleurs dominante à Radio France (88 % de l’écoute) par rapport au numérique (12 %). Pour l’instant… @

Le numérique va-t-il sauver l’audiovisuel public ?

En fait. Le 4 juin, la ministre de la Culture Françoise Nyssen a présenté « le scénario de l’anticipation » de la réforme de l’audiovisuel public – dont « la transformation » était un engagement de campagne d’Emmanuel Macron et
« désormais une priorité de l’exécutif ». Objectif : « Créer un média global ».