L’extinction du réseau de cuivre a déjà commencé, bien avant le calendrier 2023-2030 fixé par Orange

Depuis qu’Orange a annoncé le 4 décembre le « décommissionnement » du réseau téléphonique de cuivre à partir de 2023 et son extinction totale d’ici la fin de la décennie, le doute s’installe quant à la faisabilité d’une telle décision sur tout le territoire. L’ADSL convient encore à la majorité des Français.

Facile à dire, difficile à faire. L’extinction du cuivre sur huit ans maximum, de 2023 à 2030, est un ultimatum qui se le dispute à une gageure. L’objectif est inscrit dans le nouveau plan stratégique de l’opérateur historique Orange que le PDG Stéphane Richard (photo) a présenté début décembre. « La décision d’Orange d’arrêter le cuivre en 2030 est une décision de l’opérateur. L’Arcep a pour rôle d’encadrer cette fermeture qui a un impact sur les concurrents », indique le gendarme des télécoms à Edition Multimédi@.

Vers des zones de migration accélérée (ZMA)
Pour autant, « l’Arcep s’interroge sur les modalités concrètes de cette transition et l’introduction éventuelle de mécanismes incitatifs afin d’envoyer les signaux économiques pertinents ». Elle l’a indiqué lors de sa consultation publique « Accès fixe à haut et très haut débit » durant l’été dernier (1), en vue de la préparation des décisions pour le prochain cycle de régulation 2020- 2023. Car le régulateur y tient et y veillera : « La transition à venir doit donc être envisagée et préparée, sans pour autant négliger le caractère aujourd’hui toujours essentiel du réseau cuivre. Une qualité de service suffisante doit être assurée sur le réseau cuivre pour les utilisateurs qui en dépendent (…). Le réseau cuivre continue d’accueillir la plus grande partie des utilisateurs et sa qualité de service reste encore un enjeu systémique ». Et pour cause : le haut débit sur ADSL – voire le très haut débit sur VDSL2 – est encore largement plébiscité par les foyers français, qui sont encore près de 20 millions à être abonnés à une telle connexion sur paire de cuivre téléphonique. Pourquoi ? Parce qu’elle répond amplement à leurs besoins d’accès à Internet, de par la qualité du réseau de cuivre – probablement le meilleur au monde – et le tarif économique du triple play à 30 euros par mois depuis dix-sept ans. Alors que l’abonnement mensuel à la fibre optique coûte 40 à 50 euros (2). Résultat, selon les chiffres de l’Arcep au 30 septembre 2019 : seulement 6,3 millions de foyers sont passés à ce fameux FTTH (Fiber-To-The-Home), sur un total de 16,7 millions de foyers pourtant éligibles sur toute la France. « La qualité de service du cuivre demeure donc essentielle pour des millions d’entreprises et de foyers, pour des services de téléphonie fixe ou de haut débit. Pour assurer son maintien, un renforcement des garanties existantes apparaît souhaitable pour le prochain cycle d’analyse », prévient l’Arcep. Le gendarme des télécoms, qui restituera en 2020 le résultat de sa consultation et son analyse du marché, pourrait par exemple demander à Orange de donner « une vision d’ensemble des signalements et de leur traitement par territoire » provenant notamment de ses deux sites web Dommages-reseaux.orange.fr et Signal-reseaux.orange.fr.
Une autre proposition serait de définir des zones dites de « migration accélérée », ou ZMA, sur lesquelles l’orientation vers les coûts de l’accès à la paire de cuivre serait levée – favorisant ainsi la migration des opérateurs concurrents et de leurs clients vers la fibre optique. Mais ces ZMA seraient conditionnées à la présence d’une autre infrastructure que la boucle locale de cuivre, à la disponibilité d’offres de gros diversifiées pour les marchés du fixe résidentiel et professionnel, et au caractère opérationnel et fonctionnel du réseau. Ces ZMA viendraient logiquement dans le prolongement des endroits du territoire ayant déjà le statut de « zone fibrée », prévu par la loi de 2016 « pour une République numérique » pour constater la couverture complète d’une commune.
Quoi qu’il en soit, les modalités actuellement retenues par l’Arcep pour la fermeture technique de la boucle locale cuivre par l’opérateur historique prévoient « un délai de prévenance de cinq ans » avant la fermeture technique des lignes au niveau d’un NRA (nœud de raccordement d’abonnés) ou d’un SR (sous-répartiteur).

Préavis de 5 ans trop long, selon Orange
Ce préavis de cinq ans est « assorti d’un prérequis sur les “conditions techniques et économiques” des boucles locales optiques déployées et destinées à remplacer la boucle locale de cuivre, satisfaisantes pour permettre la réplicabilité des offres disponibles sur le réseau cuivre, en particulier s’agissant des options de qualité de service destinées au marché spécifique entreprises » (3). Ce délai de cinq ans est aussi exigé par l’Arcep pour l’arrêt de la technologie analogique RTC – le réseau téléphonique commuté – prévu par Orange (4) d’ici à fin 2023 (au lieu de 2021 initialement envisagé). L’opérateur historique demande au régulateur de réduire ce délai de cinq ans qui le gêne pour accélérer l’extinction du cuivre. « Nous pensons (…) que ce délai de cinq ans est trop long, et c’est la raison pour laquelle nous avons demandé à l’Arcep de raccourcir ce délai de façon que l’on puisse s’engager plus nettement dans un processus de disparition du cuivre », a fait valoir Stéphane Richard, lors de son audition du 18 décembre dernier au Sénat. L’opérateur historique prépare les esprits à l’extinction du cuivre qui débutera « réellement en 2023 » (dixit le PDG d’Orange) et qui sera complètement achevée en 2030.

Des collectivités inquiètes pour leur cuivre
Mais avant ce processus qui s’étale sur sept à huit ans, « une première phase d’expérimentation » donnera un avant-goût du tout-optique. Dans les faits, comme peut le constater Edition Multimédi@, le réseau de cuivre est déjà abandonné par endroits. En Ile-de-France par exemple, plusieurs communes procèdent avec le Sigeif (5) à l’enfouissement des réseaux aériens (électricité et télécoms) sous les trottoirs. Il est expliqué aux riverains que leurs lignes de cuivre « non-actives » (comprenez sans un abonnement en cours) ne seront pas réinstallées dans les goulottes sous-terraines. Seules les lignes de cuivre actives le seront. « L’ADSL, c’est fini. Place à la fibre », nous explique-t-on oralement, sans autre forme de préavis !
Sans attendre 2023, le retrait des paires de cuivre a donc déjà démarré depuis longtemps, comme l’a indiqué Stéphane Richard au Sénat : « Au cours des quatre dernières années, 80.000 tonnes de cuivre ont déjà été retirées de nos réseaux en France, en particulier dans les zones très denses, où la fibre a été largement déployée. (…) Chacun doit comprendre qu’on ne pourra conserver indéfiniment deux réseaux fixes en France : un réseau de fibre optique et un réseau de cuivre ». En attendant les obligations que lui imposera l’Arcep dans le cadre du prochain cycle de régulation 2020-2023, l’opérateur historique tente de rassurer : il « continuera d’optimiser son réseau cuivre en France » ; « cela se fera de manière très progressive de façon à accompagner l’ensemble des utilisateurs du réseau dans la transition vers la fibre ». L’opérateur historique est surtout tenu d’assurer sur toute la France le service universel téléphonique, selon lequel toute personne peut faire la demande de bénéficier d’un raccordement fixe et d’un service téléphonique de qualité à un tarif abordable. Stéphane Richard, lui, n’y voit que des inconvénients : « Le service universel est un peu surréaliste : personne ne peut le faire, et personne ne veut être candidat. Nous étions le seul candidat, et s’il n’y avait eu personne, nous aurions été contraints de le faire… Le service universel ne rapporte que des coûts et des ennuis » !
La perspective d’une extinction précipitée du réseau de cuivre inquiète nombre de communes qui n’en voient pas l’intérêt, alors même que la fibre optique est pour beaucoup d’entre elles encore une arlésienne. Et encore, même lorsque le FTTH est à proximité (via ses « prises raccordables »), les administrés ne se précipitent pas pour s’abonner pour les raisons déjà évoquées plus haut. Sans compter les communes – comme Betz et Ermenonville dans l’Oise, par exemple – qui refusent d’être fibrées ! « Trop coûteux », « Non prioritaire », « Attendons la 5G », expliquent les maires pragmatiques. Le régulateur tente de justifier et d’assurer que tout est sous contrôle : « La décision d’Orange est une décision anticipable, logique dans le contexte de déploiement massif du réseau fibre, et de la bascule bien engagée des abonnés sur cuivre vers la fibre, nous dit-il. Cela n’aurait pas de sens pour le secteur de financer durablement deux boucles locales. Plusieurs opérateurs alternatifs se sont d’ailleurs exprimés en ce sens récemment. C’est bien pour anticiper ce mouvement que l’Arcep a interrogé les acteurs du marché, Orange comme les opérateurs alternatifs ». Le groupe Iliad, maison-mère de Free, s’est dit sur la même longueur d’onde qu’Orange pour arrêter le cuivre le plus tôt possible. Leurs dirigeants l’ont exprimé lors de « Trip » organisé début novembre 2019 par l’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca). Ce groupement de collectivités, qui représente 19 villes, 83 intercommunalités et syndicats de communes, affirme que 2.600 communes intégralement fibrées dans le cadre de réseaux d’initiative publique (Rip) pourraient d’ores et déjà se passer de cuivre.

VDSL2 : le très haut débit sur cuivre
Le décuivrage précipité de la France donnera en outre un coup d’arrêt au VDSL2 qui permet du très haut débit sur le réseau de cuivre pour les abonnés situés à proximité d’un sous-répartiteur. Au 30 septembre 2019, d’après l’Arcep, près de 6 millions de lignes téléphoniques bénéficient de cette technologie (5.946.000 précisément). Mais ce parc « VDSL2 » a atteint son maximum depuis plus d’un an (6). Pour la première fois, les abonnés FTTH (6.351.00) dépassent enfin ceux du VDSL2. @

Charles de Laubier

Aux pouvoirs élargis à la distribution de la presse, l’« Arcep-dp » devient (trop ?) super-régulateur

La loi modernisant la distribution de la presse a été publiée au Journal Officiel le 19 octobre 2019 : 70 ans après la loi « Bichet », la diffusion de la presse française va s’ouvrir à la concurrence (en 2023) et prend en compte le numérique. L’« Arcep-dp » sera-t-elle à la hauteur et indépendante ?

Jean-Frédéric Lambert (ePresse) : « La pluralité de la presse numérique n’est pas protégée »

La loi « Bichet » de 1947 est morte, vive la loi de 2019 sur la modernisation de la distribution de la presse. Elle a été publiée au Journal Officiel le 19 octobre. Mais selon Jean-Frédéric Lambert, président de Toutabo et d’ePresse, le pluralisme de la presse sur le numérique n’est pas garantie.

1947-2019 : la loi « Bichet » est morte, vive la loi « Garcia-Laugier » ! Soixante-douze ans après la loi instaurant le « statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques », voici venue la loi de «modernisation de la distribution de la presse » (1). C’est qu’entre ces deux lois, le tsunami du numérique a chamboulé toute la presse française – comme celle du monde entier – à partir du milieu des années 1990 (2) avec comme conséquences la disparition de titres et la chute de nombre de kiosques physiques.

Pas d’obligation d’aller sur les « e-Kiosques »
Mais sur le volet numérique de la loi, le pluralisme de la presse est loin d’être garantie. C’est du moins l’avis de Jean-Frédéric Lambert (photo), président du conseil d’administration de Toutabo, qui a racheté fin 2015 le kiosque numérique ePresse (dont il est aussi président). Contacté par Edition Multimédi@, il estime que la nouvelle loi ne va pas assez loin, même si elle entérine bien l’existence des kiosques numériques comme moyen de distribution de la presse : « En fait, nous estimons que la pluralité de la presse d’actualité en format numérique n’est pas protégée dans le cadre de cette loi, car nous ne pouvons pas obliger les différents journaux et magazines à être présent sur nos kiosques numériques », regrette-t-il. Par exemple : ni Le Monde, ni Le Canard Enchaîné, ni les titres du groupe Centre France (La Montagne, …) ne veulent être présents sur un kiosque numérique comme ePresse. Le président du directoire du groupe Le Monde, Louis Dreyfus, s’est toujours refusé à franchir le pas, estimant que « c’est un risque trop important » car il y a, selon lui, trop de destruction de valeur (3). Les kiosques numériques s’inscrivent en faux, regrettant qu’il y ait un amalgame de fait – comme dans le rapport Schwartz-Terraillot pour moderniser la distribution de la presse remis en juin 2018 au gouvernement (4) – entre les kiosques numériques et les agrégateurs d’information. La nouvelle loi est censée garantir la pluralité de la distribution de la presse d’information et réguler les kiosques et les agrégateurs numériques, en soumettant les premiers à des obligations de diffusion et les seconds à des obligations de transparence. Objectif : garantir le libre choix des lecteurs de journaux sur l’ensemble du territoire. Les kiosques numériques – dont le chiffre d’affaires dépasse un seuil déterminé par décret – ne pourront s’opposer à la diffusion d’un service de presse en ligne d’information politique et générale (IPG) ou de la version numérisée d’un titre d’IPG (5), dès lors qu’elle serait réalisée dans des conditions techniques et financières raisonnables et non discriminatoires (6). « La seule obligation qui nous est faite, explique Jean-Frédéric Lambert, est d’accepter de distribuer tous les titres d’IPG, ce que nous faisons déjà. En effet, les deux paragraphes consacrés à la presse numérique [lire encadré page suivante, ndlr] ont pour objectif de s’assurer que la pluralité de la distribution de la presse d’information soit respectée ». Mais rien n’oblige donc ces mêmes éditeurs de journaux d’aller sur ePresse, LeKiosk ou encore SFR Presse/Milibris. « Pour être efficace, estime-t-il, la loi devrait prévoir une obligation de diffusion équitable de toutes les titres d’IPG ».
L’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (« Arcepdp ») – prenant la place du Conseil supérieur des messageries de la presse (CSMP) et l’Autorité de régulation de distribution de la presse (ARDP) – disposera d’un pouvoir de sanction à l’encontre des acteurs qui ne respecteraient pas les règles. « Pour l’instant, le régulateur ne pourra que relever les compteurs. Son objectif à terme devrait être double : s’assurer de la présence de tous les titre d’IPG et s’assurer que les algorithmes de mise en avant assure une visibilité équilibrée pour tous les titres. On en est encore très loin et la loi ne lui donne pas encore d’instrument d’intervention », déplore le patron de Toutabo et d’ePresse.

Agrégateurs : pas d’obligation de référencer
Toujours concernant le souci de la loi de garantir la pluralité de la distribution de la presse, les agrégateurs que sont les moteurs de recherche donnant accès à l’actualité se voient obligés de « fourni[r] à l’utilisateur (…) une information loyale, claire et transparente sur l’utilisation de ses données personnelles dans le cadre du classement ou du référencement de ces contenus » et d’« établi[r] chaque année des éléments statistiques, qu’ils rendent publics, relatifs aux titres, aux éditeurs et au nombre de consultations de ces contenus ». Là aussi, selon Jean-Frédéric Lambert, la diffusion en direct des différents journaux et magazines n’est pas garantie par les agrégateurs : « Même si les agrégateurs jouent le jeu de la transparence sur leurs algorithmes, tel que cela est prévu dans la loi, rien ne les empêchera de ne pas référencer des titres. Si demain les agrégateurs décident que le contenu de tel journal ne génère pas assez d’audience, ils pourront faire disparaître tout son contenu de leur page. Le journal en question, même s’il a une forte image de marque comme Le Monde, n’a aucun moyen d’assurer sa diffusion si les agrégateurs ne le diffusent plus. On peut d’ores et déjà constater que le journal L’Humanité a souffert de ce manque d’exposition ».

Les spectres de Google et d’Amazon sur la loi
Quant à la directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, elle pourrait pousser les GAFA à déréférencer certains titres de presse si le coût de diffusion de ces derniers était trop élevé. « Ils préfèrerons les déréférencer, craint Jean-Frédéric Lambert. Nous allons ainsi nous retrouver dans une situation de bras de fer similaire à celui que l’on rencontre dans la grande distribution entre les distributeurs et les producteurs ». Le 24 octobre, la presse française – via l’Alliance de la presse d’information générale (APIG) et d’autres syndicats d’éditeurs (SEPM, FNPS, …) – a annoncé avoir déposé plainte auprès de l’Autorité de la concurrence contre Google qu’elle accuse de « bafouer la loi » sur le droit voisin (lire EM@219, p. 5).
Outre les démêlés de la presse française avec le moteur de recherche dominant et son Google News, le spectre d’Amazon plane aussi sur cette loi. En juillet dernier, un amendement avait tenté de barrer la route au géant américain du e-commerce en voulant interdire que les société de distribution de la presse soient détenues « par des entreprises ou leur filiales dont l’activité principale n’est pas la distribution de la presse », au motif, selon des parlementaires à l’origine de cet amendement finalement rejeté, « que rien n’empêche que de grands groupes, aux pratiques contestables et contestées, comme Amazon, créent des filiales de distribution de la presse. Ce secteur mérite pourtant des égards, d’une part pour assurer que les salarié·e·s seront correctement traité·e·s, ainsi que pour assurer l’absence de conflits d’intérêts dans la distribution de la presse ». A défaut d’empêcher complètement un GAFA comme Amazon ou une entreprise non-européenne, un autre amendement (n°15) a, lui, été adopté cet été également. Il prévoir « une limitation à 20 % de la part d’actionnariat extra-communautaire directe ou indirecte dans une société de distribution de presse ». Pour les parlementaires qui ont obtenu gain de cause, « il s’agit de garantir la libre circulation des idées et l’expression de la pluralité des opinions à travers la distribution de notre presse nationale, contre toute velléité d’influence étrangère trop importante » (7). Un autre amendement (n°36), adopté lui aussi, est allé dans le même sens (8). Ce plafond capitalistique de 20 % n’est pas une première en France puisque, par ailleurs, il est déjà utilisé dans la loi de du 1er août 1986 sur la réforme du régime juridique de la presse vis-à-vis des entreprises éditant une publication de langue française (9).
Cette nouvelle loi entérine définitivement la fin du quasimonopole de l’ère des NMPP (Nouvelles messageries de la presse parisienne), dont le nom a été changé il y a dix ans maintenant pour celui de Presstalis. Avec les Messageries lyonnaises de presse (MLP), nées deux ans avant les NMPP créées avec la loi Bichet, la France s’est contentée d’un duopole de la distribution des journaux en quasi-faillite. Avec la nouvelle loi de 2019, le marché de la distribution de la presse va pouvoir s’ouvrir. Mais il faudra encore attendre… le second semestre 2023 avant de voir apparaître des nouveaux entrants distributeurs agréés par l’Arcep-dp. Cette dernière devra publier avant le 1er janvier 2023 le cahier des charges qui sera fixé par décret après consultation des professionnels de la presse (10). Y seront consignées les obligations des distributeurs de journaux « dans le respect des principes d’indépendance et de pluralisme de la presse, de transparence, d’efficacité, de non-discrimination et de continuité territoriale de la distribution ainsi que de protection de l’environnement [et] en tenant compte de la diversité des titres de presse ». En outre, les sociétés candidates à la distribution de la presse en France devront garantir le droit des éditeurs à la portabilité des données les concernant. @

Charles de Laubier

Prise à partie par Bouygues Telecom, Free et UFC-Que Choisir sur la 5G, l’Arcep ne dit mot

Alors que la consultation publique sur le projet d’attribution des fréquences 5G s’est achevée le 4 septembre, l’Arcep a essuyé la veille un flot de critiques de la part de l’UFC-Que Choisir et des opérateurs télécoms Iliad-Free et Bouygues Telecom. Mais le régulateur peut encore corriger le tir.

« Non, l’Arcep n’a pas réagi et Sébastien Soriano [son président] ne va pas le faire », a indiqué le 4 septembre dernier une porte-parole du régulateur des télécoms à Edition Multimédi@. Ce jour-là s’achevait la consultation publique que l’Arcep avait lancée le 15 juillet sur les modalités d’attribution (des autorisations d’utilisation) des fréquences de la bande 3,4-3,8 GHz pour la 5G et les obligations pour les candidats.

Vers un patchwork de débits 5G
Mais la veille de cette échéance, plusieurs acteurs ont critiqué les conditions d’attribution et les risques concurrentiels. L’Arcep n’a pas souhaité répondre ni polémiquer, se retranchant derrière son calendrier établi dès l’été 2018 avec le gouvernement pour attribuer les fréquences 5G d’ici janvier 2020. En revanche, elle a réuni le 5 septembre plusieurs de ses homologues européens (1) pour avoir leur avis. Dans les prochaines semaines, elle proposera donc un texte au gouvernement « en vue de conduire l’attribution des fréquences à l’automne ». Pour autant, au vu des contributions à la consultation publique, le régulateur des télécoms a encore quelques jours pour ajuster, voire infléchir certaines conditions. C’est ce sur quoi tablent les acteurs qui ont exprimé haut et fort leurs réserves sur les règles du jeu envisagées pour l’octroi des ressources des 310 premiers Mhz.
L’Union fédérale des consommateurs-Que Choisir s’est « alarm[ée] des nombreuses failles » du projet de régulation de l’Arcep pour cette cinquième génération de mobile. « Les enchères entre opérateurs [télécoms] pourront aboutir à ce que l’un d’entre eux n’ait que 40 Mhz à exploiter, quand un autre pourra en obtenir jusqu’à 100 Mhz. Autrement dit : les débits maximaux pourront varier du simple au plus du double entre opérateurs, pour une technologie en apparence identique », s’inquiète UFC-Que Choisir à propos de la première bande de fréquences 3,4-3,8 Ghz. Alors que la 4G offrait à peu près les mêmes débits pour les abonnés, il n’en sera donc pas de même pour la 5G. Pire : lorsque la seconde bande de fréquences 700 Mhz sera utilisée, « cet écart deviendra en réalité abyssal puisque les débits théoriques pourront alors s’échelonner de 30 Mbits/s à plus de 1 Gbit/s ! », prévient l’association de consommateurs. La 5G risque d’être plus cher pour les utilisateurs que la 4G mais pour un débit pas forcément meilleur… L’UFC-Que Choisir appelle donc l’Arcep à « interdire aux opérateurs [mobile] de prétendre offrir de la 5G si celle-ci ne garantit pas – pas seulement en théorie mais aussi en pratique – des débits supérieurs à ceux de la 4G ». Et de regretter que l’Arcep n’impose plus aux opérateurs télécoms un déploiement en termes de couverture de la population – « cela est une première » – mais en termes de nombre de sites émetteurs, à savoir au moins 12.000 pour chaque opérateur au 31 décembre 2025, avec le risque de concentration dans les zones denses les plus rentables au détriment des territoires. L’association de consommateurs demande donc au régulateur de «modifier ses orientations ». De leur côté, les deux plus petits des quatre principaux opérateurs télécoms ont fait part – à cinq jours d’intervalle et à l’occasion de la présentation de leurs résultats financiers semestriels – de leurs critiques à l’égard des règles d’attribution des fréquences de la 5G. C’est Bouygues Telecom qui est monté le premier au créneau, le 29 août : Didier Casas (photo de gauche), directeur général adjoint de Bouygues Telecom et vice-président de la FFTélécoms (2), a « contest[é] vigoureusement » les conditions d’attribution des fréquences 5G. « C’est incompréhensible de la part du régulateur », a-t-il même lancé, selon des propos rapportés par La Tribune. En cause, la procédure en deux temps d’acquisition des blocs de fréquences 5G : dans une première séquence, chaque opérateur ne pourra acquérir à prix fixe que de 40 à 60 Mhz ; dans une seconde, chaque opérateur pour acquérir aux enchères plusieurs blocs de 10 Mhz. Le tout avec un maximum possible de 100 Mhz par opérateur. Pour le dirigeant de Bouygues Telecom, les jeux sont pipés d’avance car Orange et SFR (Altice) ont des moyens financiers supérieurs à ceux de leurs deux autres rivaux pour se payer jusqu’à 100 Mhz de fréquences. La 5G porterait donc atteinte à la concurrence.

« 60 Mhz, un minimum nécessaire »
Même son de cloche du côté d’Iliad-Free. Son fondateur Xavier Niel (3) (photo de droite) a lui aussi fait part de ses inquiétudes sur « quelque chose qui peut être potentiellement mortel, pour Bouygues Telecom comme pour nous ». Se disant « totalement aligné avec Bouygues Telecom sur cette idée », il estime que « 60 Mhz nous semblent être un minimum nécessaire pour offrir une bonne 5G » – quitte à plafonner à 90 Mhz (et non 100 Mhz) le total par opérateur. A la question 3 de sa consultation (4), l’Arcep a laissé la porte ouverte. @

Roch-Olivier Maistre est favorable à une fusion CSA-Hadopi, mais pas Arcep-CSA-Hadopi

Depuis qu’Emmanuel Macron l’a appelé au téléphone pour le convaincre de prendre
la présidence du CSA qu’il occupe depuis janvier 2019, Roch-Olivier Maistre est aux avant-postes dans la préparation du projet de loi de réforme audiovisuelle. Son avis sur le futur de la régulation pourrait être décisif.

« C’est au gouvernement et au législateur qu’il appartiendra de décider comment ils souhaitent organiser la régulation. Je me conformerai, en bon serviteur de l’Etat, aux choix qui seront faits en définitif par le Parlement. Ce n’est pas Roch-Olivier Maistre qui fait la loi jusqu’à nouvel ordre ! C’est le Parlement qui décidera. Je dessine seulement ce que cela pourrait être », a dit par précaution Roch-Olivier Maistre (photo) devant l’Association des journalistes médias (AJM), le 10 juillet.

L’Hadopi serait absorbée par le CSA
Celui qui a l’oreille du président – tous deux sortis de l’ENA à 24 ans d’intervalle – n’en a pas moins une idée très précise de ce que pourrait être l’avenir du CSA, de l’Arcep et de l’Hadopi, alors que le projet de loi sur l’audiovisuel sera présenté d’ici fin octobre pour être voté en 2020. « Ma conviction est simple : face à ces acteurs très puissants [les GAFAN, ndlr], la collaboration entre les régulateurs est indispensable. Il faut la renforcer. Le Premier ministre a déjà dévoilé, lorsqu’il a clôturé le colloque du 30e anniversaire du CSA le 19 juin, le projet du rapprochement entre le CSA et l’Hadopi. Je considère, et le président de l’Hadopi Denis Rapone partage cette analyse, que cette convergence a du sens », a indiqué Roch- Olivier Maistre (ROM). Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), qui viennent de fêter respectivement leurs 30 et 10 ans, sont à ses yeux dans une logique de régulation de contenus qui les rapproche. « Mettre dans un même ensemble la promotion de l’offre légale, la lutte contre le piratage, et le contrôle que nous faisons depuis toujours du respect des obligations du financement de la création par les acteurs (de l’audiovisuel), je pense que cela a du sens ».
Mais le président du CSA émet tout de même un bémol aux allures de sine qua non :
« Cette fusion fera d’autant plus sens qu’elle s’accompagnera – à l’occasion du projet de loi de réforme de l’audiovisuel – de nouvelles dispositions en matière de lutte contre le piratage. Car c’est une législation [les deux lois Hadopi (1), ndlr] qui a été conçue au départ pour lutter contre le peer-to-peer, alors qu’aujourd’hui tout le monde sait que le débat se déplace sur le terrain des plateformes de streaming. Cette fusion prendra d’autant plus de sens que l’arsenal législatif qui nous serait donné s’en trouvera enrichi ». Roch-Olivier Maistre a expliqué qu’« en étant un régulateur unifié, où les missions de l’Hadopi (2) seraient fondues dans celles du CSA, l’idée serait d’avoir les outils d’intervention et de sanction, avec un collège unique dont un membre chargé plus particulièrement de suivre les problématiques du piratage ». Pour l’heure, ROM a précisé que le directeur général du CSA, Guillaume Blanchot, et la secrétaire générale de l’Hadopi, Pauline Blassel, se parlent déjà. Il en va de même pour les deux présidents.
Concernant l’Arcep, cette fois, il y a deux scénarios sur la table : le scénario sans fusion de collaboration renforcée entre l’Arcep et le CSA, et celui plus lourd d’une fusion pour créer un grand ensemble CSA-Arcep-Hadopi. Roch-Olivier Maistre privilégie le premier scénario :
« Dans la collaboration renforcée, l’on pourrait concevoir qu’un membre du collège du CSA siège au collège de l’Arcep, et qu’un membre du collège de l’Arcep siège au collège du CSA. Cela permettrait d’avoir le réflexe de l’autre institution lorsqu’il y a des sujets d’intérêt communs qui viennent en délibéré. Il pourrait aussi y avoir la création d’un service commun entre les deux institutions, avec un directeur désigné par les deux institutions. Ce dispositif de ce type est concevable pour l’Arcep et le CSA ». C’est un schéma qui existe déjà entre deux autres autorités importantes que sont l’Autorité des marché financiers (AMF) et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), lesquelles ont créé un service commun (d’accueil et de traitement des demandes du public). « Il pourrait y avoir aussi un dispositif commun de règlement de différends, procédure plus “usitée” par l’Arcep que par le CSA. Il pourrait y avoir un instrument de règlement de différends commun ».

Pas d’« Ofcom » ni de « Big Brother »
« Sur l’autre option, la fusion, j’y suis réservé, a insisté le président du CSA. Lorsque l’Ofcom [le régulateur des télécoms et de l’audiovisuel en Grande-Bretagne, ndlr] a été créée en 2003 avec la fusion de cinq régulateurs, cela a pris plus de quatre ans. Est-ce que le jeu en vaut la chandelle de s’engager dans un chantier administratif ? (…) J’ai peur que le coût soit très lourd, à un moment où les deux régulateurs ont des choses autrement plus importantes à faire » (3). Il entend aussi collaborer étroitement avec la Cnil et le CNC. @

Charles de Laubier