L’Arcep et la FFTélécoms : d’accord sur les GAFA

En fait. Le 26 mai, la présidente de l’Arcep, Laure de La Raudière, a annoncé sur BFM Business qu’elle allait suggérer à Thierry Breton de prendre des mesures au niveau européen pour faire payer plus les GAFA pour la bande passante qu’ils utilisent. La mesure divise mais elle est poussée par la FFTélécoms.

L’audio payant prospère (streaming, podcasts, …), mais pas de radio hertzienne payante en vue

Spotify et Apple se lancent à leur tour dans les podcasts payants. Tandis que le streaming par abonnement payant a généré en France 74 % des revenus de la musique en ligne. La radio hertzienne (FM ou DAB+) reste, elle, à l’écart de cette monétisation malgré les tentatives sans lendemain d’il y a dix ans.

Il y a dix ans, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) lançait une consultation publique pour la diffusion de radios numériques sur des fréquences de la bande L (1) et dans la perspective d’autoriser un projet de radio hertzienne payante. Alors que la radio FM a toujours été historiquement gratuite pour les auditeurs, donner une place à un service de radio payante aurait été une petite révolution dans le PRF (paysage radiophonique français).

Gratuit ou payant : les radios sont divisées
« Les projets intéressés par une utilisation de la bande L envisagent-ils de soumettre l’accès à leur bouquet à un abonnement ? », demandait alors le CSA. Si le Syndicat des radios indépendantes (Sirti) s’est à l’époque « opposé au développement d’un modèle de radio numérique payante sur cette bande de fréquences, en rappelant [son] attachement à la gratuité du média radio », le Bureau de la radio (représentant les grandes radios privées Europe 1, RTL, NRJ, RMC, …) et Radio France n’ont « pas n’écart[é] une éventuelle participation à de tels projets ».
Autant dire que les radios du PRF n’étaient pas sur la même longueur d’onde sur la question sensible du gratuit et du payant. C’est du moins ce qui ressort de la consultation du CSA, auprès duquel deux porteurs de projet ont fait part de leur intérêt pour la radio payante : une société toulousaine, Onde Numérique, qui envisageait un bouquet de radios de 54 services radiophoniques à vocation nationale ; une société espagnole, Ondas Media, qui prévoyait un bouquet de radios de 20 à 30 programmes à couverture nationale et locale s’appuyant sur un réseau hybride satellite et terrestre – comme SiriusXM aux Etats-Unis. Franz Cantarano, alors président d’Onde Numérique, insistait sur « la complémentarité éditoriale qu’il y aurait entre radio numérique payante et radio numérique gratuite ».
A l’issue de l’appel à candidature lancé fin 2011 (2), deux candidatures sont déclarées recevables par le CSA : Onde Numérique et La radio numérique en bande L (association cornaquée par TDF et sa filiale Mediamobile proposant un service pour automobilistes « au prix équivalent à un plein d’essence »). En octobre 2012, le CSA sélectionne la candidature du distributeur Onde Numérique et lui délivre l’année suivante l’autorisation d’usage de fréquence. Cette décision fut attaquée en vain par le Sirti devant le Conseil d’Etat. Sur les 54 services de radio envisagés dans son bouquet payant « ON », dont la rediffusion d’Europe 1 du groupe Lagardère (3), de stations de Radio France (dont Fip), de Ouï FM, d’Euronews, de FG Radio, de Radio classique ou encore de BFM, Franz Cantarano veut faire la part belle à de nouveaux programmes « avec la création de plusieurs dizaines de radios thématiques » (4). Même le producteur de musique Naïve Records – créé par Patrick Zelnik (5) – a cru au bouquet ON que l’on surnommait déjà « le CanalSat de la radio ». Onde Numérique n’exclut pas à terme une introduction en Bourse pour lever des capitaux et vise à terme 4 millions d’abonnés – moyennant un abonnement variant de cinq à dix euros par mois. Finalement, le projet tarde, le lancement d’ON – prévu initialement en juillet 2014 – étant repoussé à l’année suivante. « Si le modèle économique était bien là, la levée de fonds n’a pas abouti. Une partie provenait des Etats Unis, mais l’essentiel devait être levé en France et les fonds ont été frileux », nous confie Franz Cantarano. Onde Numérique ayant fait part mi-2016 au CSA de sa « renonciation » à utiliser ses fréquences.
La radio payante fut abandonnée. « Le modèle payant où le consommateur final est le payeur direct semble ne pas fonctionner pour les services hertziens, hormis évidemment la CAP [la redevance audiovisuelle, dont une part va à la radio publique, ndlr] qui est un prélèvement forcé. Onde Numérique est mort-né », indique Nicolas Curien, ancien membre du CSA, à Edition Multimédi@. De son côté, Franz Cantarano rappelle que « la bande de fréquence qui avait été sanctuarisée pour la radio payante (partie de la bande L) a été réattribuée à l’Arcep pour des déploiements télécoms, après que nous ayons “rendu” nos fréquences ».

Bouquet payant R+, lui aussi abandonné
Sur la radio numérique terrestre spécifiquement (DAB+) et dans la bande III cette fois, un autre projet de bouquet payant baptisé R+ était porté en 2013 par Philippe Levrier (6), ancien du CSA et du CNC. L’idée était que « chaque acheteur d’automobile choisissant l’option DAB+ verserait une contribution “cachée” unique – de quelques dizaines d’euros – rétrocédée par les constructeurs automobiles à R+ ». Mais l’attribution des fréquences par le CSA a tardé et, selon Philippe Levrier, « les constructeurs automobiles, auxquels il était demandé 30 euros one shot pour chaque récepteur DAB+ en première monte, se sont progressivement tournés vers d’autres sujets ». @

Charles de Laubier

Arcep : ce sera de La Raudière, n’en déplaise à Niel

En fait. Le 5 janvier, Emmanuel Macron a déclaré qu’il « envisage de nommer » Laure de La Raudière à la présidence de l’Arcep. Pour Xavier Niel, « ce serait aberrant pour la concurrence ». Fin 2020, la députée avait évoqué devant lui « un deuxième New Deal Mobile » et l’absence de Free sur le marché des entreprises.

Le New Deal Mobile promet « la 4G pour tous » au 31 décembre mais… pas dans les zones blanches

Le gouvernement et le régulateur nous le promettent sur tous les tons : tous les réseaux mobiles fonctionnant encore aujourd’hui uniquement en 2G et/ou en 3G devront avoir basculé en 4G d’ici la fin de l’année. Il serait temps ! Mais des zones blanches persisteront jusqu’à fin 2022.

« L’Arcep mènera dans le courant du premier semestre 2021 des enquêtes pour vérifier l’atteinte des échéances de généralisation de la 4G et de couverture des axes routiers prioritaires », nous indique le régulateur des télécoms présidé par Sébastien Soriano (photo de gauche). Mais on le sait déjà : au 31 décembre 2020, ce ne sera pas « la 4G pour tous », alors que les opérateurs mobiles nous proposent déjà la 5G et que les équipementiers télécoms préparent la 6G !

Des centres-bourgs toujours sans 4G
Ces villages de France qu’il est convenu d’appeler « les zones blanches centres-bourgs » n’auront, eux, toujours pas cette chance d’avoir du « très haut débit mobile » – au moment où l’« ultra haut débit mobile » de la cinquième génération dresse ses antennes dans les grandes villes. Le Père Noël, lui, n’a pas signé le New Deal Mobile en juin 2018… A l’époque, Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free s’étaient engagés à couvrir en 4G 75 % de ces centres-bourgs – symboles de la fracture numérique en France. La Fédération française des télécoms (FFTélécoms) a indiqué, elle, que ce taux de « basculement » des sites situés dans ces zones blanches atteignait 68 % au 1er novembre – y compris, selon nos informations, en tenant compte de Free Mobile qui n’est pas membre de cette organisation professionnelle. Il restait donc à cette date-là 7 points de couverture à combler en deux mois et dans un contexte de crise sanitaire. Ce n’est pas gagné !
« Le New Deal Mobile est (…) une réalité sur le terrain ; les opérateurs sont tous mobilisés pour atteindre cet objectif. Il a certes été ralenti pendant la crise sanitaire mondiale mais les opérateurs et leurs techniciens ont continué, dans la mesure du possible, à déployer notamment durant le premier confinement », assure la FFTélécoms, présidée par Nicolas Guérin (photo de droite), par ailleurs secrétaire général du groupe Orange. Dans la dernière ligne droite, ce dernier joue l’apaisement après les escarmouches entre celui qui a été son prédécesseur jusqu’en juin dernier, Arthur Dreyfuss, et le président de l’Arcep, Sébastien Soriano. Ce dernier avait appelé en avril dernier les opérateurs mobiles à ne pas prendre prétexte du confinement pour ne pas être « au rendez-vous de leur responsabilité ». Une mise en garde du régulateur qui avait fait perdre son sang-froid au secrétaire général de SFR (1). En janvier 2018, l’Arcep et le gouvernement annonçaient des engagements des opérateurs pour accélérer la couverture mobile des territoires. Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free Mobile se sont engagés à investir plus de 3milliards d’euros dans les zones rurales. En échange de quoi, l’Etat a renouvelé leurs fréquences mobiles pour dix ans dans les bandes 900 Mhz, 1800 Mhz (sauf Free Mobile) et 2,1 Ghz. En effet, leurs autorisations arrivent à échéance entre 2021 et 2024 concernant les réseaux mobiles 2G, 3G et 4G. Les « lauréats » ont dû signer à l’époque le New Deal Mobil en faveur de l’aménagement numérique du territoire – y compris dans les zones rurales, synonymes de « zones blanches », sans aucune couverture mobile et encore moins de 4G. Il s’agit notamment de « généraliser la réception en 4G, ce qui implique de l’apporter à plus de 1 million de Français sur 10.000 communes, en équipant en 4G tous les sites mobiles » et de « couvrir les principaux axes routiers et ferroviaires ». Ce fut un accord donnant donnant et présenté comme « historique » (2), même si ce New Deal Mobile leur laisse jusqu’à 2026 pour achever pleinement le déploiement de 5.000 nouveaux sites mobiles, à raison de 600 à 800 sites par an. Ces engagements sans précédents ont été dans la foulée retranscrits dans leurs licences actuelles afin de les rendre juridiquement opposables.
Autrement dit, les centres-bourgs – au nombre de près de 5.000 sur les quelque 36.000 communes de l’Hexagone – pourront potentiellement attaquer les opérateurs mobiles qui n’auraient respecté leurs engagements de leur apporter la 4G. Mais ces villages ne pourront pas engager une action avant le 31 décembre 2022, date à laquelle ces mêmes opérateurs mobiles se sont engagés à couvrir les 25 % restants de ces zones blanches dites centres-bourgs.

De la « 4G fixe » à défaut de fibre
En outre, d’ici la fin de l’année, les quatre opérateurs mobiles devront avoir aussi assuré la couverture en voix/SMS et en 4G de tous « les axes routiers prioritaires » de l’Hexagone : soit un total de 55.000 km de routes, dont 11.000 km d’autoroutes et 44.000 km d’axes routiers principaux reliant, au sein de chaque département, le chef-lieu de département (préfecture) aux chefs-lieux d’arrondissements (sous-préfectures), et les tronçons de routes sur lesquels circulent en moyenne annuelle au moins cinq mille véhicules par jour. Les opérateurs mobiles assurent qu’ils se sont engagés, pour ces axes routiers notamment, dans un « ambitieux programme de construction de nouveaux pylônes mutualisés au travers du dispositif de couverture ciblée ».
Pour l’instant, toujours au 1er novembre selon la FFTélécoms, « 462 pylônes ont d’ores-et-déjà été construits au titre de ce nouveau dispositif, qui s’étendra jusqu’en 2027 ». La route est longue… Pour jouer la transparence, la fédération a mis en place un « compteur » du déploiement de la 4G censé être remis à jour chaque trimestre, mais le dernier décompte (3) s’est arrêté au 30 juin dernier, à 8.228 sites encore à passer en 4G. A quand le prochain relevé au 30 septembre ? « D’ici fin décembre, avec trois mois de décalage habituels », nous répond la FFTélécoms.

Le confinement, pas prétexte à retards
En outre, Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free Mobile sont tenus – depuis le 1er janvier 2019 – de proposer des offres dites « 4G fixes » au grand public dans les zones géographiques identifiées où d’autres solutions de très haut débit fixe sont inexistantes. « Le gouvernement peut demander aux opérateurs d’ouvrir, dans les zones qu’ils couvrent déjà en très haut débit mobile et dans un délai de quatre mois, une offre 4G fixe, si l’ouverture de cette offre ne dégrade pas la qualité du service de 4G mobile », prévoit l’Arcep. Ce service d’accès fixe à Internet sur leurs réseaux mobiles à très haut débit doit être fourni dans les zones que les opérateurs mobiles identifient et rendent publiques et dans les zones listées par arrêté ministériel. « Par ailleurs, précise le régulateur, Orange et SFR sont tenus de participer au dispositif d’extension de la couverture 4G fixe. A ce titre, ils seront chacun tenus de fournir un service de 4G fixe sur un maximum de 500 zones identifiées par arrêté du ministre chargé des communications électroniques, grâce à l’installation de nouveaux sites 4G » (4) (*). En l’occurrence, deux arrêtés datés du 23 décembre 2019 sont venus préciser les zones où les opérateurs mobiles sont tenus de fournir la 4G fixe depuis mai dernier (dont 236 zones pour Orange et 172 zones pour SFR) – « sauf indisponibilité dûment justifiée d’une capacité suffisante pour assurer la préservation d’une qualité de service satisfaisante pour les utilisateurs mobiles » (5).
Selon le tableau de bord « 4G pour tous » de l’Arcep mis à jour le 8 décembre avec les données au 30 septembre dernier (6), Free Mobile est l’opérateur mobile qui ne dépassait pas les 97 % de population couverte en 4G (avec 17.381 sites équipés en 4G sur 18.478 déployés), là où les trois autres atteignaient chacun 99 % de population couverte en 4G (23.822 sites équipés en 4G sur 25.537 déployés pour Orange, 20.772 sites équipés en 4G sur 22.473 déployés pour SFR et 19.834 sites équipés en 4G sur 21.257 déployés pour Bouygues Telecom). Si la finalisation laborieuse du déploiement de la 4G mobile – notamment de 75 % des centres-bourgs d’ici fin 2020, et a fortiori les 100 % d’ici fin 2022 – ne doit pas être retardée sous des prétextes de crise sanitaire, elle doit être atteinte jusque dans la moindre bourgade. Le gouvernement a même rajouté, moins de quatre mois après le premier confinement de mars à mai derniers, une liste complémentaire de zones à couvrir les opérateurs mobiles d’ici la fin de l’année. Comme les précédentes listes, celle-ci a été établie par arrêté. Il est daté du 1er octobre 2020 – paru au Journal Officiel du 8 octobre (7) – et complète « les listes des zones à couvrir par les opérateurs de radiocommuni-cations mobiles au titre du dispositif de couverture ciblée pour les années 2018 et 2019 » par « de nouvelles zones à couvrir par les opérateurs de téléphonie mobile au titre de l’année 2020 dans le cadre du dispositif de couverture ciblée ». Ces nouvelles zones identifiées correspondent à la création de nouvelles obligations pour les opérateurs mobiles (en matière de sites, de zone à couvrir ou de mutualisation).
Ces nouvelles obligations de « couverture ciblée » figurent aussi dans les autorisations d’utilisation de fréquences qui leur ont été délivrées par l’Arcep. Bouygues Telecom a affirmé qu’il avait atteint le seuil des 75 % dès le 5 novembre. Les trois autres ne sont pas encore prononcé avant la première ligne d’arrivée de fin 2020. Pour voir si un centre-bourg est couvert – ou pas – par la 4G, notamment au 31 décembre, il faut se référer en ligne au « tableau de bord du New Deal Mobile » qui n’est cependant pas en temps réel puisque le régulateur met à jour les données à un rythme trimestriel (8). Pour autant, les utilisateurs ont une voie de recours possible en se connectant à Jalerte.arcep.fr, car l’Arcep est justement chargée du contrôle de l’avancement des obligations de déploiement des opérateurs mobiles.

Pour les « sans 4G », la 5G est un comble
Pendant ce temps-là, New Deal Mobile ou pas, des « patelins » enragent de ne pas avoir le très haut débit mobile, alors que l’ultra-haut débit mobile de la 5G défraie la chronique depuis plusieurs mois et commence à être commercialisée. « La 4G, ça devrait être un acquis pour tout le monde. On paie des impôts comme les autres, on travaille, on devrait avoir accès aux mêmes services », pestait en novembre Blandine Decker (9), infirmière libérale habitant dans le village Montigny, en Meurthe-et-Moselle. @

Charles de Laubier

Enchères des principales fréquences 5G en France : le gouvernement passe en force

Le coup d’envoi des enchères des fréquences 5G va être donné en France le 29 septembre, malgré les nombreux appels au principe de précaution sanitaire et environnementale. Le gouvernement, qui espère de la vente plus de 2,1 milliards d’euros, a écarté tout moratoire.

C’est mal parti. La cinquième génération de mobile (5G) ne fait pas l’unanimité. Avant même son lancement, elle est décriée par une partie de la population française que l’on ne peut ne pas écouter. Une soixantaine d’élus, dont les maires de onze grandes villes de France (Lyon, Marseille, Bordeaux, …), ont publié dans le Journal du Dimanche (JDD) du 13 septembre une tribune pour demander de surseoir au lancement de la 5G, dont les premières enchères doivent commencer le 29 septembre (1).

Macron devait « étudier » le moratoire
« Nous, maires et élus, proposons dans l’immédiat un moratoire sur le déploiement de la 5G au moins jusqu’à l’été 2021. Pendant ce moratoire, nous demandons la tenue d’un débat démocratique décentralisé sur la 5G et sur les usages numériques », ont écrit les signataires. A l’appui de leur prise de position au nom du principe de précaution, ces édiles ont tenu à rappeler que « le moratoire est l’une des propositions de la convention citoyenne pour le climat, que le président de la République [Emmanuel Macron] s’est engagé à étudier. Nous lui demandons, ainsi qu’au gouvernement, de respecter cet engagement ». Ils demandent en outre que « la priorité soit donnée à la réduction de la fracture numérique, à travers le développement de la fibre en zone rurale et en finalisant le déploiement de la 4G ». Sur ce point, l’une des signataires, la maire écologiste (2) de Besançon, Anne Vignot (photo), a même parlé sur Franceinfo le jour même de gabegie : «On a promis la fibre sur tout le territoire ; on a promis la 4G. Et là, on passe d’une technologie à l’autre. C’est une vraie gabegie. On n’arrive jamais à stabiliser les moyens que l’on donne aux entreprises et aux particuliers, donc on a besoin d’un moratoire. (…) C’est de la gabegie de changer en permanence d’équipement avant d’avoir fini le déploiement », a lancé l’élue du chef-lieu de la région de Franche-Comté et préfecture du département du Doubs. Entrée en politique il y a dix ans, chez Europe Écologie-Les Verts (EELV), Anne Vignot – ingénieure de recherche au laboratoire chronoenvironnement du CNRS – est devenue maire le 3 juillet dernier, après avoir été depuis 2014 maire-adjointe de Besançon en charge de la transition écologique. « On n’a aucune étude qui nous permette de savoir à quoi l’on expose nos populations, et en tant que maire on a cette responsabilité. On a besoin de connaître l’impact de la 5G sur [la santé et] l’environnement. On sait que le numérique est quelque chose qui demande énormément d’énergie ; on sait que les problématiques de stockage sont vraiment très gourmandes. Il serait quand même temps qu’on envisage à chaque fois l’impact d’une nouvelle technologie », a-t-elle insisté.
• Côté environnement, les signataires de la tribune se font l’écho des « anti-5G » sur le fait que l’impact environnemental induit par les usages numériques ne cesse d’augmenter, et que, avec l’explosion des usages, les gains attendus par « la faussement nommée “dématérialisation” » ne sont pas démontrés. « Les industriels s’accordent sur la promesse de multiplication par 1.000 des données échangées sur les réseaux dans les prochaines décennies », affirment-ils. Selon eux, la 5G – aux débit dix fois supérieurs à ceux de la 4G – provoquera « un “effet rebond” » induit par la hausse de la consommation de données et des usages en ligne, qui se traduira par « une très forte consommation d’énergie par la sollicitation des antennes et des serveurs ». A leurs yeux, la 5G et le renouvellement des smartphones qu’elle va engendrer vont en outre « exponentiellement accélérer l’exploitation de ressources naturelles non renouvelables, la pollution due à l’extraction des métaux rares, et la génération de quantité de déchet pas ou peu recyclable ». Ils demandent donc au gouvernement qu’une étude d’impact environnemental préalable sur la 5G soit envisagée avant son déploiement.

Rapport de l’Anses début 2021
• Côté santé, les signataires font référence à un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), daté d’octobre 2019, qui a mis en évidence « un manque important, voire une absence de données relatives aux effets biologiques et sanitaires potentiels » de la 5G. Un rapport final de l’Anses, censé dire s’il y a un problème pour la santé ou pas, est attendu pour début 2021. « L’étude est actuellement en cours ; il nous semble indispensable d’attendre ses conclusions avant de déployer la 5G dans nos villes et dans nos campagnes. Ce temps d’analyse redonne à l’Etat son rôle souverain sur les questions sanitaires au regard de l’intérêt collectif plutôt que d’intérêts économiques industriels », insistent les élus. Pour eux, Les ondes hertziennes de la 5G vont s’ajouter à celles des 4G, 3G et 2G, « ce qui aboutira à une hausse du niveau d’exposition de la population aux ondes ». Ils estiment aussi « urgent de s’interroger sur l’impact sanitaire de la multiplication d’objets hyperconnectés ». De son côté, la maire de Rennes, Nathalie Appéré, a annoncé le 17 septembre avoir demandé à un spécialiste, Pierre Jannin, une étude d’impact sur la 5G.
• Côté technologies, là où Anne Vignot évoquait « une vraie gabegie », elle et ses homologues s’interrogent sur « l’inflation numérique » alors même que la France n’est pas capable de résorber sa fracture numérique avec les technologies existantes telles que la 4G et la fibre optique.

Fracture numérique : risque d’aggravation
Les trois mois de confinement ont jeté une lumière crue sur cette fracture numérique justement (3). «Alors que la technologie 4G n’est toujours pas totalement déployée, que les collectivités dépensent des sommes importantes pour équiper en fibre les espaces ruraux et des espaces mal desservis, l’arrivée de la 5G risque surtout d’aggraver les fractures numériques existantes, craignent les maires. Nous nous interrogeons sur le rôle de la 5G et de l’Internet mobile dans la résorption de la fracture numérique. Nous souhaitons que les communes aient la capacité de choisir le mode d’accès à Internet et la maîtrise du développement des réseaux numériques ». A noter que dans leur tribune, les élus n’évoquent pas du tout le risque supposé de cybersurveillance avancé par certains – Donald Trump en tête – lorsqu’il s’agit du numéro un mondial des équipements 5G, le chinois Huawei (4).
Le lendemain de la parution de cette tribune aux allures de pavé dans la marre (5), le ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, s’est opposé à tout retard de la 5G. « Ce serait une erreur dramatique pour le pays. Ça nous priverait d’avancées en matière médicale, de gestion des flux d’énergie, de gestion des transports, a-t-il plaidé sur France 2 le 14 septembre. Ce serait un retour en arrière pour la France et moi je préfère la France en avant, conquérante, qui réussit économiquement, que la France fossilisée qui ne bouge pas ». Le même jour, Emmanuel Macron, ironisait sur les adeptes du « modèle Amish » et du « retour à la lampe à huile » ! Venant du président de la République, cette pique a été perçue comme méprisante.
Quant à l’eurodéputé EELV, Yannick Jadot, il s’est exprimé, sur France Inter, pour appeler à ne pas se précipiter sur la 5G sans « savoir » : « On ne peut pas dans le même temps dire qu’avec la 5G, c’est une révolution numérique qui va transformer nos modes de vie, nos modes de travail, nos entreprises, et ne pas avoir un débat public autour de qui va bénéficier de cette 5G et comment ça va changer nos modes de vie », a-t-il déclaré. Et sur Franceinfo, Benoît Hamon, l’ancien candidat socialiste à la présidentielle, était sur la même longueur d’onde : « A partir du moment où il peut y avoir une menace sur la santé publique, l’on doit obtenir les informations nécessaires pour savoir s’il y a un danger ou pas ». Quant aux opérateurs télécoms concernés au premier chef – Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free –, ils font le dos rond. Il y a bien eu la tribune surprise du 23 mai dernier de Martin Bouygues dans Le Figaro, où il demandait le report des enchères. La raison première avancée par le PDG du groupe éponyme était qu’il fallait tirer les conséquences du coronavirus : « La situation du pays, qui se relève avec difficulté d’un terrible cauchemar sanitaire humain et économique, commande de repousser de quelques mois supplémentaires l’attribution des fréquences 5G ». Et d’ajouter plus loin : «Je le regrette, mais c’est ainsi. Il y a ceux qui sont persuadés, sans aucun fondement scientifique, que la 5G serait dangereuse (…) » (6) (*) (**). Devant une commission du Sénat le 10 juin, Martin Bouygues a confirmé sa proposition de repousser les enchères de quelques mois, mais cette fois « pour avoir le temps de renégocier un accord global [dans le cadre du New Deal mobile, ndlr] pour construisent 1.500 ou 2.000 sites mutualisés supplémentaires dans les prochaines années » (7). Le lendemain de son audition, le gouvernement et le régulateur lui lançaient une fin de non-recevoir en maintenant les enchères à fin septembre – initialement prévues en avril dernier (8).
A quelques jours du coup d’envoi de la « vente » des fréquences qui devrait rapporter plusieurs milliards d’euros à l’Etat (mise à prix à 2,17 milliards d’euros), et alors que les « anti-5G » se font encore plus entendre, Stéphane Richard apparaît comme le défenseur-en-chef de la 5G. Le PDG d’Orange tente de désamorcer les résistances :« Il n’y a rien de dramatique mais je pense qu’il était vraiment temps de le faire. C’est la raison pour laquelle on a milité pour le maintien du calendrier. Je pense que cela aurait été préjudiciable qu’on les reporte encore », a-t-il déclaré dans un entretien à l’AFP le 8 septembre, tout en laissant entendre que le début de la commercialisation des offres 5G sera « faisable avant la fin de l’année ». Quid des interrogations légitimes sur les risques sur la santé et l’environnement ? « Je l’entends et évidemment je ne peux pas l’ignorer, a concédé Stéphane Richard. J’observe que le débat est plus fort en France que partout ailleurs en Europe ».

70 M€ minimum chaque bloc de 10 Mhz
La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a écarté le 16 septembre sur Europe 1 l’idée d’un report des enchères : « Le moratoire a un intérêt à partir du moment où on n’a pas les données, et justement on a un rapport qui est sorti [le 15 septembre], qui nous précise que, sur les bandes qui vont être occupées d’ici la fin de l’année, il ne va y avoir en gros aucun risque si on respecte les normes ». Le même jour, le président de l’Arcep, Sébastien Soriano, lançait sur Radio Classique : « Il n’y a pas de raison de stopper la 5G en elle-même ». Le président du Sénat, Gérard Larcher, renchérissait sur France Inter : « la 5G est indispensable ». @

Charles de Laubier