Les podcasts sont de plus en plus natifs mais cherchent toujours leur mesure d’audience

Alors que seuls Europe 1, RTL et Radio France mesurent l’audience de leurs podcasts de radio de rattrapage avec Médiamétrie, qui ne publie plus de chiffres depuis 2013, les éditeurs indépendants de podcasts originaux (dits natifs) espèrent trouver une solution commune d’ici la rentrée.

Après ses podcasts « Minute papillon ! » (flash info) et
« Terrain glissant » (sur le football), le quotidien gratuit 20 Minutes a lancé début juillet deux nouveaux podcasts :
« Sixième science » (en partenariat avec Sciences et Avenir) et « Juste un droit » (questions sur la justice en France). Ces bulletins audios sont disponibles non seulement sur le site web 20Minutes.fr mais aussi sur Deezer, SoundCloud et les applications sous iOS (Apple) et Android (Google).

Binge Audio, FrenchSpin, Nouvelle Ecoute, …
Le gratuit 20 Minutes, détenu depuis 2016 par le groupe belge Rossel et Sipa/Ouest-France, actionnaires chacun à 49 % (de ce journal fondé par le norvégien Schibsted), fait ainsi partie des nombreux médias qui misent sur les podcasts. L’Equipe, Europe 1, Radio France, Radio Nova, Arte Radio, Les Echos, Slate.fr avec Audible (Amazon) et bien d’autres donnent aussi de la voix. Mathieu Gallet, ancien président de Radio France, serait aussi en train de créer sa propre société de production de podcasts (1). Lorsqu’il était encore à la Maison Ronde, il prévoyait de faire payer les podcasts après un certain temps de gratuité, ce que sa successeuse Sibyle Veil n’envisage pas (lire en Une). Le podcast – contraction de « iPod » et de « broadcasting » – s’est affranchi en partie de l’antenne, en n’étant plus seulement de la Catch up Radio, mais aussi un média délinéarisé à part entière.
La multiplication des podcasts natifs, productions audio originales (info ou fiction), le prouve. Outre les smartphones, premier terminal d’écoute des podcasts, l’avènement des assistants vocaux – enceintes connectées en tête (2) – dotés d’Alexa/Amazon, d’Assistant/Google ou de Siris/Apple (3) devrait booster leur audience. Or la mesure d’audience pose justement un problème. Médiamétrie ne publie plus depuis fin 2013 les résultats « eStat » de la mesure des podcasts radio, que seuls Lagardère Active (Europe 1),
RTL et Radio France utilisent pourtant. Mais tous les éditeurs de podcasts n’ont pas les moyens de financer une telle mesure. Selon nos informations, Médiamétrie – qui ne nous en dit pas plus – mène actuellement des discussions avec les éditeurs indépendants de podcasts natifs pour leur proposer « une solution alternative » (4). A défaut d’une mesure globale
des podcasts en France, des solutions moins coûteuses sont proposées par Podtrac, Triton ou encore Aqoa, mais force est de constater qu’elles ne font pas consensus et qu’elles pêchent par l’absence de tiers de confiance pour certifier les résultats. De plus, la mesure de l’écoute effective du téléchargement reste une difficulté (5). « Nous travaillons activement avec tous les éditeurs sur une mesure marché, entre la commission audio-digital du Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste) et les éditeurs indépendants. Nous devrions arriver à une tendance vers la rentrée », indique à Edition Multimédi@ Joël Ronez(photo), président et cofondateur de la société de production de podcasts Binge Audio, et ancien directeur des nouveaux médias de Radio France et ex-responsable web d’Arte. Cet éditeur audio et réseau de podcasts – le plus écouté en France avec plus de 1,5 million d’écoutes au premier trimestre 2018, selon Podtrac – utilise depuis fin 2017 la solution de mesure d’audience de l’américain Podtrac justement. D’autres éditeurs indépendants tels que FrenchSpin, Riviera Ferraille, Nouvelle Ecoute, Riviera Ferraille, MadmoiZelle, Histoire de Darons ou encore Usbek & Rica l’ont aussi retenue, « L’implémentation de Podtrac se fait au moyen d’un préfixe sur les flux RSS », indique le groupe de travail audio-digital du Geste. Tant que l’audience ne sera pas commune et certifiée en France et les tarifs pour les annonceurs raisonnables (6), la monétisation des podcasts par de la publicité audio sera difficile à réaliser. Aux Etats- Unis, où Podtrac mesure les podcasts et publie les audiences « US Ranking », la publicité sur les podcats a atteint 314 millions de dollars de recettes en 2017 grâce à une croissance de 86 %. Selon l’Interactive Advertising Bureau (IAB), organisation professionnelle de la pub online, et une étude du cabinet PwC dévoilée en juin dernier, ce marché devrait atteindre les 659 millions de dollars en 2020.

Après le transistor et la radio, le podcast ?
Le boom du podcast sera-t-il pérenne ? C’est toute la question. Tout dépend de sa rentabilité future. Pas de mesure certifiée fiable, pas de publicité audio, donc pas d’avenir. Bing Audio, pourtant le réseau indépendant le plus écouté perd de l’argent, et les suivants aussi. Cela n’empêche pas les producteurs de podcasts d’être plus nombreux encore : BoxSons, RadioKawa, LouieMedia, … Selon Médiamétrie, 4 millions de Français écoutent des podcasts chaque mois. @

Charles de Laubier

Apple Music fête ses trois ans mais sans tirer parti de Shazam, dont le rachat pose problème

Apple Music fête ses trois ans et va franchir la barre des 50 millions d’utilisateurs. Arrivée tardivement sur le marché du streaming musical, après n’avoir juré que par le téléchargement avec iTunes,
la marque à la pomme fait de son nouveau service de musique une priorité. Avec l’appli Shazam ?

C’est le 8 juin 2015 – il y a trois ans presque jour pour jour – que la firme de Cupertino et de Culver City annonçait le lancement d’Apple Music, son service de streaming musical rendu disponible le 30 juin suivant dans une centaine de pays. Aujourd’hui, il compte plus de 40 millions d’abonnés payants – près de 50 million avec les essais gratuits. C’est encore loin des 75 millions d’abonnés du numéro un mondial du streaming musical, le suédois Spotify, mais sa rapide montée en charge lui a permis de s’arroger la seconde place mondiale, devant Amazon Music.

Nomination de Oliver Schusser
C’est dans un e-mail envoyé aux salariés d’Apple le 11 avril dernier (1) que le franchissement du seuil des 40 millions d’abonnés – auxquels s’ajoutent
8 millions d’utilisateurs qui testent gratuitement le service – a été annoncé par Eddy Cue, vice-président sénior des services et logiciels Internet de la marque à la pomme. Plus récemment, le PDG Tim Cook a indiqué à Bloomberg qu’Apple Music allait franchir les 50 millions d’utilisateurs. Ce niveau est atteint en trois ans, là où Spotify a mis huit ans pour y parvenir. Eddy Cue annonçait aussi la nomination de Oliver Schusser (photo) – entré chez Apple en 2004 et ayant lancé iTunes en Europe – comme vice-président d’Apple Music et des contenus internationaux. Cet Allemand, qui fut en charge à l’international des lancements d’App Store, d’iTunes, d’iBooks ou encore d’Apple News, va déménager de Londres pour aller aux Etats-Unis, en Californie. Il fut un ancien de Napster, d’Universal Music ou encore de Vodafone.
Sa nomination montre la volonté du PDG d’Apple, Tim Cook, de faire de la musique – audio et vidéo – un pôle prioritaire de développement. D’ailleurs, une nouvelle division d’édition musicale – probable futur label (2) – est créée à Londres sous la direction d’Elena Segal (ex-iTunes International).
La marque à la pomme s’est fixée comme objectif de réaliser 40 milliards
de dollars de chiffre d’affaires dans les services d’ici 2020, contre près de 30 milliards au cours de la précédente années fiscales clôturée le 30 septembre 2017 (soit alors 11 % du total). Malgré son lancement tardif sur le marché mondial de la musique en streaming (3), Apple est donc bien décidé à poursuivre son ascension et rattraper son retard. Selon leWall Street Journal, Apple Music gagne plus d’abonnés chaque mois (taux de croissance de 5 %) que son rival Spotify (2 % seulement) aux Etats-Unis (4). Oliver Schusser est aussi celui qui, à Londres, a fait en sorte qu’Apple jette son dévolu sur la société britannique Shazam Entertainment créée en 1999 et éditrice de la célèbre application de reconnaissance musicale lancée, elle, il y a dix ans. En 2014, Shazam franchissait la barre des 100 millions d’utilisateurs actifs par mois (5). Lors de son rachat par Apple en décembre 2017, l’entreprise est valorisée 1 milliard de dollars et devient de ce fait une licorne d’origine européenne. Mais, sans que cela ait été confirmé ou démenti, des médias ont indiqué que le montant de l’acquisition par Apple était d’environ 400 millions de dollars. L’appli de reconnaissance musicale tire principalement ses revenus de la publicité en ligne et des commissions liées à la redirection de ses utilisateurs vers des services de téléchargement et de streaming tels qu’Apple Music, Spotify ou encore Deezer.
Mais la Commission européenne a décidé, le 23 avril dernier, de lancer
« une enquête approfondie » sur le rachat de Shazam. Margrethe Vestager, la commissaire européenne chargée de la Concurrence, craint qu’Apple n’ait accès à des données sensibles sur le plan commercial concernant les clients de ses concurrents pour la fourniture de services de diffusion de musique en continu. « L’accès à de telles données pourrait permettre à Apple de cibler directement les clients de ses concurrents et de les encourager à choisir Apple Music. En conséquence, les services concurrents de diffusion de musique en continu pourraient se voir désavantagés sur le plan concurrentiel [voire] seraient lésés si à l’issue de l’opération [si] Apple venait à décider que l’application Shazam n’aiguillerait plus ses clients vers eux », s’inquiète la Commission européenne.

Apple-Shazam : verdict d’ici le 18 septembre
L’opération lui a été notifiée le 14 mars 2018 et dispose depuis de 90 jours ouvrables – soit jusqu’au 4 septembre prochain – pour prendre une décision. Cependant, ce délai a été prolongé de dix jours ouvrables supplémentaires, soit jusqu’au 18 septembre (6). Ce sont l’Autriche, la France, l’Islande, l’Italie, la Norvège, l’Espagne et la Suède qui lui ont demandé après l’annonce de l’opération en décembre dernier d’examiner l’acquisition de Shazam par Apple au regard du règlement européennes sur les concentrations, ce qu’elle avait accepté dès le 6 février. A suivre. @

Charles de Laubier

La Commission européenne veillera à ce qu’Android de Google et iOS d’Apple respectent l’Internet ouvert

Après une occasion manquée en 2010 de légiférer en Europe en faveur de la
« neutralité des terminaux », l’Arcep remonte au créneau – via le Berec – pour que la neutralité du Net ne se limite pas à l’accès aux réseaux. Il y a urgence à
ce que la Commission européenne s’empare du problème.

« Le cadre protégeant l’ouverture d’Internet étant aujourd’hui européen, il conviendrait que le législateur européen s’empare de ce sujet [de savoir si les terminaux numériques, smartphones en tête, respectent la neutralité de Internet, ndlr]. La dimension éminemment internationale des fabricants de terminaux et des éditeurs de systèmes d’exploitation conduit également à penser qu’à terme, l’échelle pertinente pour agir devrait être européenne », a conclu l’Arcep dans son rapport publié mi-février et intitulé « Smartphones, tablettes, assistants vocaux, … : les terminaux, maillon faible
de l’Internet ouvert » (1).

La balle est dans le camp de Bruxelles
Mais afin que Bruxelles fasse des propositions de mesures pour que les fabricants de terminaux – tels que Apple sous iOS ou Samsung sous Android (Google) – respectent le règlement « Internet ouvert » du 25 novembre 2015, l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Berec) va l’y aider. Selon les informations obtenues auprès de Jennifer Siroteau (photo), responsable de l’analyse économique et de l’intelligence numérique à l’Arcep, « le Berec va publier à l’issue
de sa plénière des 8 et 9 mars son propre rapport sur les terminaux, intitulé “Report
on the impact of premium content on ECS (2) markets and effect of devices on the Openness of the Internet use” » (3). Si l’Arcep a bien l’intention de « mettre en oeuvre dès maintenant à l’échelle nationale » les pistes d’action qu’elle a formulées dans son rapport, c’est, dit-elle, « avec l’ambition de stimuler des démarches européennes ». D’ailleurs, le Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc) et une demie douzaine de responsables européens d’entreprises font partie des personnes auditionnées, ayant participé aux ateliers ou répondu à la consultation publique de l’Arcep. Mais l’on peut regretter et s’étonner que celle-ci n’ait pas eu affaire à au moins un représentant de la Commission européenne. Qu’à cela ne tienne. Depuis le fameux règlement du 25 novembre 2015 « établissant des mesures relatives à l’accès à un Internet ouvert » (4) et les lignes directrices du 30 août 2016 édictées par le Berec
« pour la mise en oeuvre de ces nouvelles règles par les autorités de régulation nationales » (5) depuis avril 2016, la protection de la neutralité de l’Internet – que
ces textes ont préféré appeler « Internet ouvert » – est un engagement à l’échelle de l’Europe. Et les terminaux n’échappent pas à ce cadre protecteur pour les consommateurs. A preuve : le règlement européen mentionne une quinzaine de fois le terme « terminaux » ! De plus et surtout, le premier paragraphe de son article 3 lève toute ambiguïté : « Les utilisateurs finals ont le droit d’accéder aux informations et aux contenus et de les diffuser, d’utiliser et de fournir des applications et des services et d’utiliser les équipements terminaux de leur choix, quel que soit le lieu où se trouve l’utilisateur final ou le fournisseur, et quels que soient le lieu, l’origine ou la destination de l’information, du contenu, de l’application ou du service, par l’intermédiaire de leur service d’accès à l’Internet ». Les eurodéputés ont ainsi voulu dissocier le terminal –
les smartphone en tête, mais aussi les tablettes, les ordinateurs ou encore les assistants vocaux – de l’offre d’accès des, justement, fournisseurs d’accès à Internet (FAI).
Surtout que ce même article 3 du règlement « Internet ouvert » prévoit que l’exercice par les internautes et les mobinautes des droits énoncés dans ce premier paragraphe ne peut pas être limité par « des accords (…) sur les conditions commerciales et techniques et les caractéristiques des services d’accès à l’internet, telles que les prix, les volumes de données ou le débit, et toutes pratiques commerciales mises en oeuvre par les [FAI] ». Bref, pour l’Union européenne, la neutralité du Net ne s’arrête pas aux réseaux d’accès des opérateurs télécoms : les fabricants de terminaux et éditeurs de systèmes d’exploitation – comme iOS pour Apple et Android pour Google – sont eux aussi concernés. D’autant que les mobiles évoluent dans des écosystèmes
« propriétaires » capables de limiter leurs utilisateurs dans l’accès à certains contenus et services sur Internet, et, partant, d’en restreindre les usages en violation de l’Internet ouvert.

Une occasion manquée entre 2010 et 2014
Pour autant, souligne l’Arcep dans son rapport, « si le règlement européen sur l’Internet ouvert consacre la liberté de choix et d’usage du terminal, il n’impose pas d’obligation spécifique aux équipementiers et constructeurs de terminaux, ni aux autres maillons logiciels de la chaîne technique [entre l’utilisateur final et les contenus, voir schéma
ci-dessous, ndlr] ». Le régulateur français a eu le mérite de suggérer dès 2010 « un renforcement de la surveillance de la neutralité au niveau des terminaux et de leur couche logicielle ». Car la neutralité des réseaux suppose aussi une neutralité des terminaux. L’Arcep appelait alors dans un rapport sur la neutralité de l’Internet (6) à
un « renforcement de la neutralité des terminaux » en incitant déjà la Commission européenne à prendre des mesures dans ce sens. A l’époque, l’Arcep suggérait d’inscrire les dispositions en faveur de la neutralité des terminaux dans le cadre de
la révision de la directive européenne RTTE de 1999 sur les équipements de radio et terminaux de télécommunications (7). Sans succès : ce texte communautaire, abrogé en 2016, fut bien remplacé par la nouvelle directive RED de 2014 sur les équipements radioélectriques (8), mais celle-ci a in fine fait l’impasse sur la neutralité des terminaux. Et ce n’est pas faute pour l’Arcep d’avoir pointé il y a près de huit ans maintenant « la généralisation d’environnements propriétaires fermés limitant la liste et le type des applications pouvant être installées, des navigateurs utilisables, ou des sites accessibles – ceci de manière relativement indépendante des opérateurs ».

Applis préinstallées : choix imposés
Aujourd’hui, l’absence de neutralité des terminaux s’est doublée d’un risque d’abus de position dominante au détriment de la neutralité du Net. « Outre les barrières à l’entrée résultant des effets de club qui caractérisent les marchés de plateformes en général, le succès de systèmes d’exploitation mobiles concurrents à Android et iOS paraît donc compliqué. Faute de l’aiguillon d’une concurrence intense, les éditeurs de systèmes d’exploitation en place pourraient adopter des comportements susceptibles de remettre en cause l’ouverture d’Internet », met en garde le gendarme des télécoms. Pour autant, comme le souligne Jennifer Siroteau, « l’Arcep constate qu’il n’y a pas lieu, à ce jour, de considérer que les fabricants de terminaux ne respectent pas le règlement de 2015 : en effet, ces derniers ne sont pas visés par ce règlement ». Sans préjuger de ce que fera la Commission européenne, interpellée par la France et par le Berec au niveau européen, l’on constate qu’elle n’est pas insensible à la question des terminaux – en particulier des mobiles où sont préinstallées, outre le système d’exploitation (vente liée), des applications telles que moteur de recherche, service de messagerie, espace de cloud, service de vidéo, cartographie ou encore navigateur. Sauf exception, les mobinautes téléchargent rarement des applications aux mêmes fonctionnalités que
des « applis » préinstallées dont les choix sont imposés au client. En avril 2015, la Commission européenne a ouvert une enquête antitrust sur l’écosystème d’Android de Google sur lequel fonctionnent la très grande majorité des smartphones en Europe (Samsung en tête). En avril 2016, la procédure a été notifiée à sa maison mère Alphabet accusée d’abus de position dominante sur son système d’exploitation Android, son magasin d’applications Google Play Store et son moteur de recherche sur mobile Google Search. Le verdict était attendu pour… décembre 2017.
Bruxelles pointe notamment l’obligation faite aux fabricants de smartphones sous Android de préinstaller des applis Google s’ils souhaitent fournir l’accès à Google Play Store. Concernant cette fois la transparence des critères de référencement et de classement utilisés par les App Stores (mais aussi de politiques éditoriales, de règles
et délais de validation, de suppression des contenus, de documentation ouverte, …), la Commission européenne a prévu pour le printemps 2018 l’élaboration d’un « règlement sur la transparence des relations contractuelles entre entreprises et plateformes ». @

Charles de Laubier

Snapchat fait la distinction entre social et média pour mieux attirer annonceurs et éditeurs

Pour Snap qui édite Snapchat, le fonctionnement en mode « média social »
– où photos et vidéos des amis se mêlent à celles des contenus professionnels – a vécu. Ce mixte favorisaient les fake news et déplaisait aux éditeurs et annonceurs. En France, la nouvelle version est en place depuis le 13 février.

« En plus de nos efforts en cours pour faire croître le nombre de nos utilisateurs, la réalité augmentée, et les contenus, nous pensons que le nouveau design de notre application Snapchat nous donnera de bonnes bases pour faire évoluer notre activité. C’est pourquoi notre nouveau format sépare désormais “social” et “média”, résolvant ainsi beaucoup de problèmes qui surgissaient quand on mélange des amis avec les créateurs professionnels de contenus », a expliqué Evan Spiegel (photo), cofondateur et directeur général de Snap, lors d’une conférence téléphonique le 6 février, à l’occasion de la présentation des résultats annuels.

Ne pas mêler fake news et annonceurs
Cette décision de bien faire la distinction entre les contenus « sociaux » (de la famille
et des amis) et les contenus « médias » (des éditeurs et créateurs professionnels) a été prise il y a plusieurs mois, au moment où les fausses nouvelles battaient leur plein sur Internet. « Jusqu’alors, le média social mixait les photos et les vidéos provenant des amis avec des contenus d’éditeurs et de créateurs. Brouiller les lignes entre les créateurs professionnels de contenus et vos amis a été une expérience intéressante sur Internet, mais cela a provoqué quelques effets secondaires étranges (tels que les fake news) et nous a fait réaliser que nous avions à nous améliorer pour vos amis plutôt que juste nous exprimer nous-mêmes », avait déjà justifié Snap en novembre 2017 sur le blog de l’entreprise (1). Désormais, le nouveau Snapchat – installé notamment en France depuis le 13 février – sépare « social » de « média ». A gauche de l’écran, l’on retrouve les messages (chat), les « bitmoji » et les stories des amis. A droite de l’écran, les contenus de partenaires éditeurs avec l’espace Discover (Découvrir), la carte Snap Map pour localiser ses amis, ainsi que les stories publiques des médias et des influenceurs.
La société américaine Snap, qui veut attirer encore plus d’annonceurs et de partenaires média, entend ainsi dissocier le côté rendu plus personnalisé de Snapchat avec une page d’amis plus dynamique, du côté plus « public » avec la nouvelle page Discover des éditeurs et créateurs. « Séparer social de média nous permet de construire le meilleur moyen de communiquer avec les amis et le meilleur moyen de regarder de super contenus – tout en résolvant beaucoup de problèmes qui rongent Internet aujourd’hui », insiste encore la direction de Snap. C’est que cette start-up cotée à la Bourse de New York veut afficher de meilleures performances vis-à-vis des éditeurs
et des annonceurs publicitaires et comme Evan Spiegel commence à le voir : « Nous observons que le nombre d’utilisateurs quotidiens actifs qui regardent les stories sur Discover a progressé de 40 % sur la nouvelle version par rapport à l’ancienne. Nous constatons aussi des gains en termes de performances publicitaires, tant en termes de temps passé que d’engagement, ainsi qu’une augmentation générale de notre ARPU [en hausse de 46 % à 1,53 dollars en 2017, ndlr] comparé à l’ancien design ».
Discover, la plateforme des partenaires médias de Snap (2), est en quelque sorte sanctuarisée. En France, où elle a été lancée en septembre 2016, plus d’une douzaine d’éditeurs y sont présents : Le Monde, Le Figaro, Paris Match, L’Express, L’Equipe, l’AFP, MTV, Vogue, Society, Cosmopolitan, Konbini, etc. Au niveau mondial, Evan Spiegel a indiqué que Snap avait reversé pour 2017 « plus de 100 millions de dollars aux partenaires », soit près du double par rapport à l’année précédente. Cela représente plus de 12 % de son chiffre d’affaires qui s’est élevé l’an dernier à 824,9 millions de dollars (+100 % sur un an). Malgré des pertes nettes chroniques, Snap
vise toujours à terme la rentabilité. Du succès ou de l’échec du nouveau Snapchat dépend l’avenir de l’entreprise. Valorisé 21,4 milliards de dollars (au 22-02-18), Snap
a perdu de la valeur depuis son introduction il y aura un an en mars (3). Le chinois Tencent n’en a cure : il a augmenté l’an dernier sa participation au capital, actuellement autour de 10 %.

En France, 13 millions de « snapchatters »
Parmi les Millennials, qui constituent le gros bataillon des utilisateurs de Snapchat avec 12 minutes en moyenne par jour en 2017 – au détriment de Facebook (9 mn/jour), selon Médiamétrie (4) –, beaucoup ont exprimé leur désarroi ou leur perplexité, voire leur agacement envers cette nouvelle présentation. Selon la dernière mesure « Internet global » de Médiamétrie (ordinateur et/ou smartphone et/ou tablette), Snapchat totalise en France plus de 13 millions de visiteurs uniques par mois – sur 187 millions de
« snapchatters » revendiqués par Snap dans le monde, Etats-Unis en tête. @

Charles de Laubier

Les assistants vocaux s’apprêtent à bouleverser l’accès aux contenus informationnels et culturels

Google Assistant, Amazon Alexa, Microsoft Cortana, Apple Siri, … Les assistants vocaux vont redonner la main aux utilisateurs dans leurs recherches de contenus (musiques, films, infos, livres, jeux vidéo, …). Recommandations et marketing vont se retrouver court-circuités.

Les internautes vont donner de la voix, tandis que les industries culturelles risquent
de rester sans voix ! Les assistants vocaux virtuels – au premier rang desquels l’on retrouve Assistant (Google), Alexa (Amazon), Cortana (Microsoft), Siri (Apple) ou encore Bixby (Samsung) – vont non seulement transformer nos vies numériques
et nos objets du quotidien, mais aussi et surtout nous permettre d’aller directement
à l’essentiel et de façon explicite dans nos choix de contenus et de services en ligne.
Et ce, sans surfer sur le Web ni ouvrir moultes applis mobiles, et sans être la cible de publicités « ciblées » ou de recommandations « personnalisées » à tout-va.

Le glas sonore du Web et des applis ?
Notre voix et sa reconnaissance vocale deviennent la nouvelle interface avec Internet : exit le clavier (exigeant du doigté), la souris (fini le scrolling) et l’écran caviardé de suggestions et de promotions plus ou moins intempestives (adieu le surf). Est-ce la fin du Web et des applis mobiles ? Les métadonnées et les cookies – qui puisent leur force de persuasion dans les algorithmes pour nous influencer, voire nous détourner de notre besoin initial, dans le cadre d’opérations marketing ou de campagnes publicitaires – n’ont qu’à bien se tenir. Si les assistants vocaux font autant parler d’eux, c’est que ces systèmes à reconnaissance vocale de plus en plus fiables commencent à s’immiscer progressivement dans nos différents appareils familiers et dotés eux aussi de la voix pour nous répondre : smartphones, haut-parleurs connectés, téléviseurs, réfrigérateurs, équipements à domicile (1), voitures, … Mais c’est dans l’accès aux contenus culturels que le bouleversement pourrait être plus profond et non sans conséquences pour les industries culturelles.
Car l’intelligence artificielle (IA) d’un assistant vocal virtuel sera capable de nous trouver précisément la musique, le film, le livre, le jeu vidéo ou encore l’article de presse que nous recherchons à un instant T. Imaginez Netflix n’obéissant qu’à la voix de son maître (vous l’abonné) pour nous apporter la série et uniquement la série souhaitée (et rien d’autre) : c’est ainsi toute son architecture de recommandations à l’écran basée sur
des métadonnées et algorithmes qui devient… inutile. La conjugaison de l’IA et de l’interface vocale redonne le pouvoir aux internautes et mobinautes dans l’accès aux contenus culturels. Grâce au deep learning, ou apprentissage automatique, la recherche vocale court-circuiterait même de nombreux intermédiaires : moteurs de recherche, médias, éditeurs, prescripteurs, ou encore applications mobiles. Les assistants vocaux pourraient mettre en relation directement le consommateur et le producteur, le mélomane et le musicien, le lecteur et l’auteur, voire toute personne avec la source de l’information recherchée, etc. Ce serait un changement complet de paradigme pour le ecommerce en général (voice shopping) et les industries culturelles en particulier. Cette entrée de la maison et de la voiture dans l’ère du conversationnel n’en est qu’à ses tout débuts. Pour la recherche d’une chanson, par exemple, la reconnaissance musicale de nos enceintes connectées nous trouvera le bon morceau, à l’instar de Shazam, le moment voulu – comme le propose Siri d’Apple et bientôt Google Assistant. Les enceintes connectées Amazon Echo (leader du marché des haut-parleurs intelligents et multifonctions (2)), Google Home ou encore Apple HomePod, en attendant Samsung « Bixby Home », répondent déjà au doigt et à l’œil, … comprenez à votre voix !
Les films, séries et vidéos seront eux aussi commandés de vive voix, comme avec l’écran connecté Echo Show d’Amazon lancé en juin dernier. Le géant du e-commerce s’en est d’ailleurs pris en septembre à Google, accusé d’empêcher d’y regarder YouTube. Selon la société newyorkaise Future Today Institute, c’est en 2023 que la moitié des interactions des utilisateurs avec les contenus multimédias et services numériques se feront par la voix. Ne pas se préoccuper de ce nouvel écosystème à commande vocale pourrait être fatal aux industries culturelles. Par exemple, dans son étude « 2018 Tech Trends for Journalism and Media » publiée début octobre, cet institut parle même de « menace existentielle pour l’avenir du journalisme » (3).

La presse et la radio se mettent à l’audio
En France, le groupe Amaury a annoncé l’arrivée de L’Equipe sur Google Assistant pour smartphones et enceintes connectées. Le quotidien gratuit 20 Minutes (Schibsted) donne, lui, de la voix sur Amazon Echo. En audio : flash infos, jeux et podcasts. Le groupe Radio France, déjà partenaire sur Google Home, est tenté par l’audio d’Amazon Echo. Pour l’heure, ces écosystèmes vocaux sont incompatibles entre eux, exceptés pour Alexa et Cortana suite à un accord Amazon-Microsoft (lire EM@177, p. 2). La bataille du vocal débouchera-t-elle sur un standard international, gage d’interopérabilité pour que tout le monde se parle ? @

Charles de Laubier