Les GAFAM se retrouvent aux Etats-Unis dans l’oeil du cyclone antitrust, avec risque de démantèlement

Le vent tourne. A deux mois de la prise de fonction de la juriste Lina Khan au poste de présidente de la FTC, l’autorité de la concurrence américaine, un paquet de six projets de loi « anti-monopole » des Big Tech a été adopté le 24 juin 2021 par la commission des Affaires judiciaires de la Chambre des représentants des Etats-Unis.

La commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, en rêve ; la future présidente de l’autorité de la concurrence américaine, Lina Khan (photo), va peut-être le faire : mettre au pas les GAFAM, si ce n’est les démanteler, pour mettre un terme aux abus de position dominante et aux pratiques monopolistiques de ces Big Tech nées aux Etats-Unis et déployées dans la plupart des régions du monde, au point d’asphyxier toute concurrence sérieuse voire de tuer dans l’oeuf toute innovation provenant de start-up gênantes. « Protéger les consommateurs américains », tel est le leitmotiv de la Federal Trade Commission (FTC) que va présider à partir du mois de septembre l’Américaine Lina Khan, née en Europe (à Londres) de parents pakistanais il y a un peu plus de 32 ans. Cette brillante juriste, que le président américain Joe Biden a nommée à la tête de l’autorité fédérale de la concurrence et de l’anti-monopole, s’est forgée une réputation « anti-GAFAM » très redoutée des Big Tech. Son premier fait d’arme est un article paru en 2017 dans le Yale Law Journal de l’université américaine Yale et intitulé « Paradoxe anti-monopole d’Amazon« . Le ton est donné. La politique concurrentielle américaine a permis à des mastodontes comme la firme de Jeff Bezos d’écraser les prix et la concurrence, sur fond d’emplois précaires et d’optimisation fiscale.

Lina Khan, chairwoman redoutée à la tête de la FTC
Comme il se doit dans le fonctionnement des institutions des Etats- Unis, Lina Khan a été désignée en mars comme commissaire – démocrate – de la FTC par Joe Biden, ce qui fut confirmé le 15 juin par le Sénat américain. Dans la foulée le locataire de la Maison- Blanche l’a nommée présidente de la FTC pour un mandat de trois ans à partir de septembre prochain. Son premier dossier sera celui du rachat des studios de cinéma Metro Goldwyn Mayer (MGM) par le géant Amazon, lequel a demandé le 30 juin dernier à ce que Lina Khan n’instruise pas elle-même cette affaire par souci d’impartialité. La FTC enquête déjà sur la marketplace d’Amazon. En avril dernier, lors de son audition d’intronisation devant le même Sénat américain, la jeune juriste spécialiste des lois antimonopoles – jusqu’à maintenant professeure de droit à l’université de Columbia à New York – avait fait part de son inquiétude sur la position dominante des GAFAM sur les nouveaux marchés. « J’ai eu l’occasion de travailler sur les questions de concurrence par l’entremise des services gouvernementaux, d’abord à la FTC et, plus récemment, en tant qu’avocate au sous-comité du droit antitrust, commercial et administratif, de la commission de la magistrature à la Chambre [des représentants des Etats-Unis, ndlr] », a indiqué Lina Khan.

Commission antitrust aux avant-postes
C’est justement ce « subcommittee on antitrust » (6), bipartisan (démocrate/républicain) et présidé par le démocrate David Cicilline (photo ci-contre), qui a publié en octobre 2020 un rapport de 451 pages – un véritable pavé dans la mare des Big Tech – intitulé « Investigation of competition in the Digital markets » (7). Il recommande au Congrès américain de légiférer rapidement pour empêcher ces mastodontes planétaires du numérique aux comportements monopolistiques d’évincer la concurrence – quitte à en passer par leur séparation structurelle ou spin-off (8). Et ce, après avoir entendu en juillet 2020 Sundar Pichai (Google), Jeff Bezos (Amazon), Mark Zuckerberg (Facebook) et Tim Cook (Apple), convoqués à la fin de l’enquête parlementaire. Si Satya Nadella (Microsoft) n’était pas de la partie, il a tout de même été question aussi de la firme cofondée par Bill Gates.
Démantèlement en vue ou pas, l’intégration verticale des géants du Net pose problèmes à la concurrence, à l’emploi et à l’innovation. Joseph Simons, qui fut président de la FTC jusqu’en janvier dernier, avait d’ailleurs reconnu qu’autoriser par exemple les rachats d’Instagram (en 2012) et de WhatsApp (en 2014) par Facebook fut deux graves erreurs de ce gendarme fédéral de la concurrence (9). Pour l’heure, un juge de Washington a estimé le 28 juin dernier que la FTC n’apportait pas « suffisamment de preuves » d’un abus de position dominante de la firme de Mark Zuckerberg.
Cette fois, toujours sous l’impulsion de David Cicilline, la commission de la magistrature de la Chambre des représentants des Etats-Unis (la fameuse House Judiciary Committee) vient de repartir à la charge contre les GAFAM en approuvant les 23 et 24 juin derniers six projets de loi (10) : un texte rétablit la concurrence en ligne et veille à ce que les marchés numériques soient équitables et ouverts en empêchant les plateformes en ligne dominantes d’utiliser leur pouvoir de marché pour choisir les gagnants et les perdants, favoriser leurs propres produits ou bien encore fausser le marché par des comportements abusifs en ligne (11) ; un texte visant à limiter les retards et les coûts pour les procureurs généraux des Etats lorsqu’ils portent des affaires antitrust devant la cour fédérale, en raison du transfert de ces affaires à un autre endroit (12) ; un texte interdisant aux plus grandes plateformes en ligne de se livrer à des fusions qui élimineraient des concurrents, ou des concurrents potentiels, ou qui serviraient à accroître ou à renforcer leur pouvoir monopolistique (13) ; un texte autorisant la FTC et le département de la Justice américaine (DoJ) à prendre des mesures – comme le démantèlement ? – pour empêcher les plateformes en ligne en position dominante de tirer parti de leur pouvoir monopolistique pour fausser ou détruire la concurrence sur les marchés qui dépendent de cette plateforme (14) ; un texte donnant à la FTC de nouveaux pouvoirs et outils d’application afin d’établir des règles favorables à la concurrence pour l’interopérabilité et la portabilité des données en ligne (15) ; un texte augmentant les frais imposés aux parties lors du dépôt d’un gros projet de fusion et acquisition, afin de donner plus de moyen financier au DoJ et à la FTC (16).
Avec cet arsenal antitrust tel qu’il est proposé, les GAFAM ont du souci à se faire. « Après 29 heures et les meilleurs efforts des Big Tech, la commission judiciaire de la Chambre a adopté les six projets de loi de notre programme pour construire #AStrongerOnlineEconomy ! Grande victoire pour les consommateurs, les travailleurs et les petites entreprises ! », a twitté David Cicilline le 24 juin à l’issu de l’approbation de cette demi-douzaine de projets de loi qui sont sans précédent dans l’histoire encore récente de l’Internet. Côté Républicains, il y a aussi un accueil favorable à ces mesures sans concession : l’un d’eux, Kenneth Buck, estime que cette réforme antitrust se fait « au scalpel, pas à la tronçonneuse » ! S’il n’est pas question à ce stade de démantèlement, il n’y a qu’un pas judiciaire pour imposer des spin-off. La démocrate Pramila Jayapal, elle, a été à l’origine du projet de loi obligeant les plateformes incriminées à se dessaisir entièrement de certains secteurs d’activité en cas d’abus de position dominante.La balle est maintenant dans le camp du Congrès des Etats-Unis pour que ce paquet législatif soit voté, mais aussi entre les mains de Lina Khan, la future présidente de la FTC, pour que ces nouvelles règles – si elles devaient être finalement promulguées – soient mises en œuvre.

Couper l’herbe sous pied de l’Europe
Les Facebook, Amazon et autres Apple n’auront qu’à bien se tenir. « Briser les monopoles et améliorer nos lois antitrust », a résumé le démocrate Jerrold Nadler qui préside, lui, la commission de la magistrature : « En freinant les abus anticoncurrentiels, notre loi fait en sorte qu’il y ait de la place pour les opportunités et l’innovation pour prospérer en ligne ». Même Margrethe Vestager à Bruxelles n’aurait pas mieux dit si elle avait eu son mot à dire à Washington. Finalement, comme le laisse entendre David Cicilline (17), les Etats- Unis entendent ne pas – en voulant légiférer contre ses propre GAFAM – se faire dicter des lois anti-monopoles numériques par l’Union européenne, laquelle examine actuellement le paquet DSA/DMA (Digital Services Act/Digital Markets Act). Mais le Vieux Continent a une longueur d’avance législative sur le Nouveau Monde. @

Charles de Laubier

La Coalition for App Fairness veut une régulation des magasins d’applications dominés par Google et Apple

En six mois d’existence, la Coalition for App Fairness (CAF) est passée de treize membres fondateurs – dont Spotify, Epic Games (Fornite), Match Group (Tinder) ou encore Deezer – à plus d’une cinquantaine. Son objectif : combattre les pratiques anti-concurrentielles des « App Stores ».

Les magasins d’applications – les fameux « App Stores », au premier rang desquels Apple Store et Play Store– sont soupçonnés d’être des moyens pour les acteurs qui en contrôlent l’accès (gatekeepers) de privilégier leurs propres services au détriment des autres. C’est pour dénoncer ces comportements anticoncurrentiels que la Coalition for App Fairness (CAF) a été fondée en septembre 2020 (1). Depuis, elle fait monter la pression, surtout sur Apple – déjà dans le collimateur de la Commission européenne dans la musique (plainte de Spotify) et les jeux vidéo (plainte d’Epic Games).

Un code de conduite « App Store »
Cette coalition pour l’équité des applications, association à but lucratif, vient de désigner sa directrice générale, Meghan DiMuzio (photo). « Les appels en faveur d’une législation antitrust gagnent du terrain à l’échelle mondiale. Aucune concurrence, aucune option et aucun recours ont été acceptés depuis trop longtemps. Ce comportement monopolistique réduit la qualité et l’innovation, entraînant des prix plus élevés et moins de choix pour les consommateurs. Chaque utilisateur d’appareil devrait s’attendre à un choix illimité en ce qui concerne son propre pouvoir d’achat, et chaque développeur devrait avoir accès à des règles du jeu équitables », a-t-elle déclaré lors de sa prise de fonction (2). La CAF a établi une dizaine de principes de l’App Store, une sorte de code de conduite pour faire en sorte « que chaque développeur d’applications ait droit à un traitement équitable et que les consommateurs puissent avoir un contrôle total sur leurs propres appareils ».
Aucun développeur ne doit être contraint d’utiliser exclusivement une boutique d’applis ou les services annexes de son propriétaire, comme le système de paiement, ou d’acheter des obligations supplémentaires pour avoir accès à la boutique d’applis.
Aucun développeur ne doit être exclu d’une plateforme ou discriminé à cause de son modèle commercial, de la façon dont il distribue son contenu et ses services, ou s’il entre en concurrence d’une façon ou d’une autre avec le propriétaire de la boutique d’applis.
Chaque développeur doit avoir accès en temps opportun aux mêmes interfaces d’interopérabilité et informations techniques que les développeurs du propriétaire de la boutique d’applis.
Chaque développeur doit avoir accès aux boutiques d’applis, tant que son application répond à des normes justes, objectives, et non discriminatoires en matière de sécurité, confidentialité, qualité, contenu et sécurité numérique.
Les données d’un développeur ne doivent pas être utilisées pour le concurrencer.
Chaque développeur doit pouvoir communiquer directement avec ses utilisateurs par le biais de son application pour des raisons commerciales légitimes.
Aucun propriétaire de boutique d’applis ou de plateforme ne doit faire la promotion de ses propre applis ou services, ou interférer avec les choix des utilisateurs.
Aucun développeur ne doit être contraint de s’acquitter des frais injustes, déraisonnables et discriminatoires, de partager ses revenus ou de vendre contre son gré une partie de son application pour pouvoir accéder à une boutique d’applis.
Aucun propriétaire de boutique d’applis ne doit interdire des tiers de proposer des boutiques d’applis concurrentes sur sa plateforme, ni décourager les développeurs ou les consommateurs de les utiliser.
Les boutiques d’applis seront transparentes sur leurs règles, politiques, opportunités commerciales et promotionnelles, les appliqueront de manière égales et objectives, signaleront tout changement et publieront une procédure rapide, simple et équitable pour résoudre les litiges. Basée à la fois à Washington et à Bruxelles, la coalition s’attaque d’abord à Apple et à son écosystème iOS. Mais Google et son environnement Android, également dominant dans le monde, est aussi dans son collimateur. « Les plus grandes plateformes en ligne de la planète et les boutiques d’applis qui en régissent l’accès sont devenues une passerelle essentielle pour les consommateurs de produits et services numériques du monde entier. Si elles peuvent être bénéfiques quand elles sont gérées équitablement, elles peuvent aussi être utilisées par leurs propriétaires pour flouer les consommateurs et les développeurs », prévient la CAF.

France Digital attaque Apple devant la Cnil
La CAF vient d’accueillir un membre supplémentaire : France Digital. Cette association de start-up est très remontée contre Apple. Elle compte s’appuyer sur la CAF à Bruxelles, au moment où le futur Digital Markets Act (DMA) est en préparation (3). En attendant, France Digital attaque Apple devant la Cnil – plainte déposée le 9 mars – en accusant la marque à la pomme de ne pas demander le consentement préalable des utilisateurs pour des publicités personnalisées. @

Charles de Laubier

Systèmes d’exploitation des smartphones : le duopole d’Apple et de Google n’est pas tenable

Le duopole de fait constitué par les écosystèmes mobiles Android (Google Play) ou iOS (App Store) pose problèmes non seulement aux éditeurs et développeurs de contenus, mais aussi aux autorités antitrust. L’arrivée d’HarmonyOS de Huawei (avec son AppGallery) pourrait jouer les trouble-fête.

Le duopole Apple-Google en tant qu’écosystèmes mobiles dominants dans le monde, à savoir Android et iOS assortis de leur boutique d’applica-tion respective Google Play et App Store, est de plus en plus mal vécu par les développeurs et les éditeurs qui dénoncent des abus de position dominante et des pratiques monopolistiques. Les OS du petit robot vert et de la marque à la pomme s’arrogent, à eux deux, plus de 95 % de ce marché mondial sur smartphone.

Accusés d’abus de position dominante
Dans le monde, d’après StatCounter, Android domine à lui seul avec plus de 70 % de parts de marché sur smartphones et iOS suit de loin avec plus de 25 % de parts de marché (1). Lorsqu’il s’agit de tablettes, l’écart entre le système d’exploitation de Google et celui de Apple s’avère moins grand : plus de 56 % pour Android et plus de 43 % pour iOS (2). Que cela soit sur smartphone ou sur tablettes, le duopole de Google et d’Apple – dirigé respectivement par Sundar Pichai (photo de gauche) et Tim Cook (photo de droite) – est quasi sans partage. Lancés respectivement en juin 2007 et septembre 2008, iOS et Android ont rapidement évincé du marché des systèmes d’exploitation dits de première génération comme Symbian de Nokia, Blackberry de RIM, Bada de Samsung, Windows Mobile de Microsoft ou encore Palm OS de Palm Computing.
La bataille des OS s’est réduite à peau de chagrin au profit des deux géants américains, Google et Apple, qui font partie du cercle très fermé des GAFAM. Rappelons que Google avait racheté la start-up Android il y a plus de quinze ans pour seulement 50 millions de dollars, puis s’est mis à proposer gratuitement aux fabricants de smartphones dans le monde cet OS (sans frais de licence) à condition que ses propres applications – Gmail, YouTube, Chrome, Google Maps et Google Play Store, etc. – soient installées et mises en avant sur les terminaux mobiles. Depuis, les deux géants sont soupçonnés voire condamnés pour abus de position dominante et pour pratiques anticoncurrentielles (3). Aucun rival européen n’est présent sur ce marché mondial des écosystèmes mobiles, pourtant stratégique. La seule arme du Vieux Continent a été réglementaire, en sanctionnant financièrement Google en juillet 2018 pour abus de position dominante dans le mobile à hauteur de 4,34 milliards d’euros d’amende. Ce fut la plus grosse condamnation pécuniaire de la filiale du groupe Alphabet en Europe (4). En France, la Cnil a pointé – dans une décision datée de janvier 2019 mettant à l’amende Google (50 millions d’euros) – la position dominante du système d’exploitation Android sur le marché français, associée au modèle économique du moteur de recherche bâti sur la publicité personnalisée.
Plus récemment, en juin 2020, Margrethe Vestager, viceprésidente exécutive de la Commission européenne en charge de la concurrence, lançait deux enquêtes sur les pratiques douteuses de respectivement l’App Store et l’Apple Pay de la marque à la pomme. Et ce, à la suite de plaintes distinctes déposées par Spotify pour la musique en ligne et par Kobo du groupe Rakuten pour le livre numérique (5). Globalement, la marque à la pomme compte 1,5 milliard de terminaux sous iOS (smartphones) ou iPadOS (tablettes) dans le monde, tandis que 500 millions de personnes utilisent l’App Store régulièrement.
Concernant la boutique en ligne (App Store), l’enquête européenne porte sur « l’utilisation obligatoire du système d’achat intégré [in-app, ndlr] propriétaire d’Apple et sur les restrictions de la capacité des développeurs à informer les utilisateurs d’iPhone et d’iPad de possibilités d’achat moins coûteuses en dehors des applications ». Concernant cette fois le système de paiement électronique (Apple Pay), sont dans le collimateur européen « les modalités, conditions et autres mesures imposées par Apple pour l’intégration d’Apple Pay dans les applications commerciales et les sites web commerciaux sur les iPhone et les iPad, sur la limitation instaurée par Apple de l’accès à la fonctionnalité de communication en champ proche (NFC) dite tap-and-go sur les iPhone pour les paiements [sans contact, ndlr] en magasin, ainsi que sur des refus allégués d’accès à Apple Pay ».

Joe Biden, prêt à réguler Internet
Aux Etats-Unis, Google (Alphabet) répond depuis octobre 2020 devant la justice à propos de son moteur de recherche monopolistique. De son côté, le département de la justice américaine, le DoJ, s’apprête à demander aussi des comptes à Apple sur ses pratiques liées à son écosystème App Store. Le rapport du groupe spécial antitrust de la Chambre des représentants des Etats-Unis, publié le 6 octobre dernier (6), avait appelé le Congrès américain à légiférer rapidement, sans attendre des années de procès. Les auteurs parlementaires de ce pavé dans la marre des GAFA se sont penchés sur les deux écosystèmes dominants des smartphones, qui ont en commun d’être quelque peu verrouillés et anticoncurrentiels. Le nouveau président américain, Joe Biden, semble disposé à réguler Internet et le monde merveilleux des applications (7).

Spotify, Epic Games, Tinder, Deezer, Facebook…
A propos d’Android, l’enquête américaine a démontré que « Google a utilisé Android pour enraciner et étendre sa domination de multiples façons qui minent la concurrence : en utilisant des restrictions contractuelles et des dispositions d’exclusivité pour étendre le monopole de recherche de Google des ordinateurs de bureau aux téléphones mobiles, et en favorisant ses propres applications ; en concevant “Android Lockbox”, un processus secret pour suivre les données en temps réel sur l’utilisation et l’engagement de tiers-partie des applications, dont certains étaient des concurrents de Google ». En outre, la boutique d’application Play Store de Google fonctionne maintenant comme « un “gardien de l’accès” (gatekeeper) que la filiale d’Alphabet utilise de plus en plus pour augmenter les frais et favoriser ses propres applications ».
Globalement, dénonce le rapport, les pratiques commerciales d’Android révèlent comment Google a maintenu sa domination de recherche « en s’appuyant sur diverses restrictions contractuelles qui ont bloqué la concurrence et par l’exploitation des asymétries d’information, plutôt que par la concurrence sur les mérites ». Pour maintenir sa domination de son moteur de recherche, la filiale d’Alphabet a exigé que tout fabricant de smartphones, souhaitant une licence Android, préinstalle Google Search et Google Play Store, aux côtés de bien d’autres applications sélectionnées par le géant du Net. « Google a également offert aux fabricants d’appareils mobiles des accords de partage des revenus » (8).
A propos d’iOS, cette fois, l’enquête américaine a démontré que la puissance de marché d’Apple est pérenne en raison des coûts de commutation élevés, du verrouillage de l’écosystème et de la fidélité de la marque. Apple est le seul maître à bord de l’écosystème iOS en tant que gatekeeper sur la distribution de logiciels sur les terminaux iPhone et iPad. « Par conséquent, [la firme de Cupertino] occupe une position dominante sur le marché des boutiques d’applications mobiles et détient le monopole de la distribution d’applications logicielles sur les appareils iOS ». App Store est non seulement un passage obligé pour que les éditeurs et les développeurs puissent atteindre les utilisateurs de la pomme, mais aussi la boutique d’applications est la seule proposée sur les terminaux d’Apple qui ne permettent pas l’installation d’autres magasins d’applications que le sien, ni aux applications d’être mises en dehors de son écosystème (9). « Les développeurs ont expliqué qu’Apple sape activement les progrès du Web ouvert sur iOS pour pousser les développeurs à construire des applications natives sur iOS plutôt que d’utiliser les technologies web », rapportent les auteurs de l’enquête parlementaire. Côtés royalties, Apple empoche une commission de 30 % sur les applications mobiles vendues sur son App Store et sur les achats effectués dans l’appli sous iOS, ces frais étant appelés In-app Purchases (IAP), que cela soit pour des biens ou des services numériques. Quant aux abon-nements proposés par une application, ils sont facturés là aussi sous une forme de commission de 30 % pour la première année et de 15 % pour les années suivantes (10).
Ce sont ces émoluments élevés que contestent Spotify, le numéro un mondial des plateformes de streaming musical, et Epic Games (éditeur du jeu vidéo « Fortnite »). Le suédois et l’américain, rejoints par d’autres éditeurs numérique tels que le français Deezer et l’américain Match Group (éditeur du site de rencontres Tinder), fustigent cette « taxe Apple » qu’ils considèrent bien trop élevée et déloyale. Sous la pression, Apple a réduit de moitié depuis le 1er janvier 2021, soit à 15 %, la commission prélevée sur les ventes effectuées par les « petits développeurs » (dont les revenus sont inférieurs à 1 million de dollars dans l’année), lesquels constituent tout de même la majorité des éditeurs. Cela n’empêche : après les Etats-Unis et l’Australie, Epic Games a porté plainte contre Apple et Google au Royaume-Uni cette fois. Une première confrontation a eu lieu le 21 janvier devant le tribunal d’appel de la concurrence (11), d’après BBC News (12). Par ailleurs, en Californie, Facebook fustige – quitte à porter l’affaire devant la justice (13) – l’obligation de plus de transparence imposée par Apple sur la collecte des données et le ciblage publicitaire.

Ecosystème HarmonyOS-AppGallery en vue
« Il est peu probable qu’il y aura une entrée de marché réussie pour contester la domination d’iOS et Android », avait affirmé le rapport antitrust. Mais n’est-ce pas sans compter sur Huawei ? Le géant chinois déploie son propre système d’exploitation mobile – HarmonyOS – après avoir été interdit par l’administration Trump de travailler avec Google. La version bêta commence à être installée dans des smartphones Huawei. Après cet embargo américain l’empêchant d’utiliser Android et le Google Play, la firme de Shenzhen mise gros. Mais son écosystème HarmonyOS et sa boutique d’applications AppGallery pourraient, après la Chine, s’attaquer au duopole Google-Apple. @

Charles de Laubier

Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA) : l’Europe vise une régulation équilibrée du Net

Présenté par la Commission européenne le 15 décembre 2020, le paquet législatif « DSA & DMA » – visant à réguler Internet en Europe, des réseaux sociaux aux places de marché – relève d’un exercice d’équilibriste entre régulation des écosystèmes et responsabilités. Son adoption est espérée d’ici début 2022.

iTunes n’a pas fêté ses 20 ans le 9 janvier 2021,et pour cause : iTunes est mort, mais bouge encore

C’est le 9 janvier 2001 – il y a deux décennies – que feu Steve Jobs avait présenté iTunes, soit neuf mois avant de lancer l’iPod, le baladeur qui redonna des couleurs à la pomme. De player musical au format MP3, iTunes est devenu le couteau suisse multimédia d’Apple, avant d’éclater en 2019.

Steve Jobs (photo) n’a pas inventé iTunes puisque le lecteur de musiques au format MP3 existait déjà depuis juin 1999 sous le nom de « SoundJam MP », un player développé par Jeff Robbin et Bill Kincaid qui en avaient confié l’édition à Casady & Greene (C&G), spécialisé dans les logiciels Macintosh (Crystal Quest, Spreadsheet, …). L’ancien président cofondateur d’Apple a aussitôt jeté son dévolu sur SoundJam MP en rachetant ses lignes de code en 2000, point de départ d’iTunes.+

iTunes, de la musique au multimédia
La première version d’iTunes fut lancée par Steve Jobs le 9 janvier 2001, lecteur présenté comme « le plus étonnant logiciel de jukebox que le monde ait jamais vu ». Le player permettait aux utilisateurs de Mac de « ripper » des CD en fichiers numérique MP3 et d’organiser leurs musiques dans une interface facile à utiliser. Son slogan : « Rip. Mix. Burn. » (récupérez, mixez, gravez), comme sur une table de mixage. La société C&G a finalement cessé définitivement d’éditer son SoundJam MP en juin 2001. Ce n’est que neuf mois après ce rachat opportun qu’Apple a lancé – le 23 octobre 2001 – la première version de son baladeur musical, l’iPod, qui, conjugué à iTunes, remis la marque à la pomme en manque d’inspiration sur la voie du succès. On connaît la suite : l’iPod débouche en 2007 sur l’iPhone (juin) et sur l’iPod (septembre), consacrant tous les deux l’écran tactile. Il faudra attendre une trentaine de mois avant l’arrivée ensuite de l’iPad (avril 2010). Sans le player iTunes, ni l’iPod, ni l’iPhone, ni l’iPad n’auraient rencontré immédiatement le succès et fait la fortune d’Apple, et celle de Steve Jobs. Pourtant, la firme de Cupertino ne s’est pas donnée la peine de fêter le 9 janvier les 20 ans d’iTunes. Il faut dire la marque à la pomme a cessé de mettre à jour ce logiciel au logo à double croche, d’abord musical avant de devenir au fil de ces deux décennies multimédia, la dernière version disponible (1) pour Mac datant de janvier 2019 et celle pour Windows de janvier 2018.
Le logiciel iTunes est devenu un player multimédia non seulement pour librairie musicale (téléchargements, playlists, éléments à imprimer, équaliseur, …) mais aussi depuis 2005 pour vidéos et pour podcasts, puis à partir de 2010 pour lire des ebooks. D’autres services associés ont fait leur apparition tels que iTunes U en 2007 pour dispenser des cours en ligne provenant des meilleurs collèges et universités américains, ou encore iTunes Radio en 2013 pour de la musique en streaming. L’an dernier, Apple a annoncé qu’iTunes U allait s’arrêter « à partir de fin 2021 » (2). Quant à la boutique numérique iTunes Store, elle n’a ouvert qu’en avril 2003 avec un modeste catalogue de 200.000 musiques. Mais le succès est au rendez-vous puisqu’en une semaine plus de 1 million de titres payants sont téléchargés (0,99 dollar le titre, 9,99 dollars l’album). Ces musiques sont alors protégées par un dispositif numérique DRM (3) appelé FairPlay, ce qui en limite leur lecture et pose des problèmes, jusqu’à ce que Steve n’obtienne de l’industrie musicale de proposer en 2007 certains titres sans DRM., puis tout son catalogue sans ce verrou de propriété intellectuelle en 2009 (à l’époque 10 millions de musiques). Dix ans plus tard, en 2020, iTunes Store était riche de 60 millions de chansons, de 2,2 millions d’applications, de 25.000 émissions de télévision et de 65.000 films.
Mais, entre-temps, après les lancements emblématiques de Spotify en 2006 et de Netflix en 2007, le streaming s’est généralisé au détriment du téléchargement cher à iTunes. L’écosystème fermé et verrouillé iTunes (4) est devenu une usine à gaz, malgré son succès auprès de centaines de millions d’utilisateurs, soit autant de cartes bancaires (575 millions de comptes d’utilisateurs en juin 2013). L’iTunes Store est devenu le passage obligé des « Applemaniaques », qu’ils soient sur iPhone, iPad, iPod Touch, Apple TV ou encore Mac.
Il y a deux ans et demi, le 3 juin 2019, la firme de Cupertino mettait fin à son logiciel multimédia iTunes pour les nouveaux Mac (5) au profit d’Apple Music (lancé en 2015), d’Apple Podcasts (lancé en 2016) et de l’application Apple TV (exiTunes Remote). Les iPhone et les iPad avaient déjà basculé dans les nouvelles applications dissociées. En tournant la page d’iTunes, Steve Jobs est finalement entré de plain-pied dans l’ère du streaming.

Après le player iTunes, la fin d’iTunes Store ?
Ce changement de pied intervenait aussi au moment où la boutique d’applications de la marque à la pomme – l’App Store, lancé en juillet 2008 – commençait à faire l’objet de sérieux griefs, Apple étant accusé d’abus de position dominante, non seulement par des utilisateurs américains qui avaient saisi la Cour suprême des Etats-Unis, mais aussi par Spotify en Europe (6). Bien que l’App Store fasse partie intégrante d’iTunes Store, la firme dirigée par Tim Cook depuis août 2011 ne fait plus depuis 2019 mention d’« iTunes Store » dans ses rapports annuels. C’est un signe. @

Charles de Laubier