Le monde de l’audiovisuel et du cinéma s’apprête à être bousculé par la naissance de Warner Bros. Discovery

Qui ne dit mot consent : à l’échéance du 9 février, aucune autorité antitrust américaine n’a contesté le projet de fusion entre WarnerMedia, filiale de l’opérateur télécoms américain AT&T, et son compatriote Discovery. L’Union européenne, elle, a déjà donné son feu vert en décembre. Le géant Warner Bros. Discovery naîtra au printemps.

Feux verts pour le lancement au printemps du nouveau géant du divertissement, du cinéma et de l’audiovisuel – streaming vidéo et chaînes payantes compris : Warner Bros. Discovery (WBD). Bien que la fusion entre les deux groupes américains WarnerMedia et Discovery ait été annoncée en mai 2021 (1), cette prise de contrôle de la filiale de contenus audiovisuels et cinématographiques de l’opérateur télécoms AT&T par son compatriote Discovery, lequel en prend le contrôle, entame sa dernière ligne droite.
Et ce, en vue de la finalisation – au deuxième trimestre – de cette mégafusion à 43 milliards de dollars pour AT&T. Cette somme servira à l’opérateur télécoms pour se désendetter et renforcer ses investissements dans la 5G et la fibre optique. Le nouveau groupe WBD sera placé sous la houlette de David Zaslav (photo). L’ensemble compte faire jouer des synergies technologiques, marketing et numériques pour dégager dans les deux ans « plus de 3 milliards de dollars » d’économie, selon le projet de lettre aux actionnaires (2) présentée le 1er février dernier en même temps que le prospectus de l’opération de spin-off (3). WarnerMedia et Discovery discutent en outre depuis novembre dernier de la fusion de leurs deux plateformes de SVOD : HBO Max et Discovery+. Les Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+ n’auront qu’à bien se tenir.

WBD sera coté au Nasdaq et tiré par le streaming
« Le regroupement en une seule plateforme entraînera des économies considérables. Je pense qu’il y aura aussi des avantages significatifs pour les consommateurs à fusionner en une seule plateforme », avait déclaré le directeur du streaming et de l’international chez Discovery, le Français Jean-Briac Perrette (4). La future plateforme commune de SVOD, « HBO Max Discovery+ », s’approchera des 100 millions d’abonnés et promet de bousculer les marchés audiovisuels et cinématographique au niveau mondial, y compris les chaînes payantes. Ce nouveau rival de taille pourrait mettre fin au leadership de Netflix (dont le service en ligne fut créé en 2007 avec aujourd’hui près de 222 millions d’abonnés), déjà mis à mal par l’irruption de la plateforme Disney+ (lancée en 2019 et atteignant 118 millions d’abonnés). L’ensemble Warner Bros. Discovery devrait peser d’emblée plus de 50 milliards de dollars de chiffre d’affaires pour une valorisation attendue d’environ 130 milliards de dollars. Le conseil d’administration de la nouvelle société sera composé de treize membres, dont sept avec le président du conseil nommés par AT&T, tandis que Discovery nommera six membres, dont David Zaslav, son actuel patron. Le géant des télécoms, qui se délestera de sa filiale WarnerMedia au cours du deuxième trimestre, organisera une conférence virtuelle le 11 mars avec les investisseurs sur les aspects financiers de ce spin-off.

SVOD : HBO Max et Discovery+ face à Netflix
Warner Bros. Discovery sera alors un nouveau géant qui sera coté au Nasdaq à New York, sous le symbole « WBD ». Les actionnaires d’AT&T en détiendront 71 %, tandis que ceux de Discovery les 29 % restants. « Cette transaction offre l’occasion de créer un concurrent mondial plus fort dans le streaming et le divertissement numérique », s’est félicitée la firme de Dallas (où se situe le siège d’AT&T). Il s’agit aussi pour les deux groupes qui vont fusionner de rattraper leur retard sur le peloton de tête du marché mondial du streaming et de la SVOD constitué de Netflix, Disney+, Amazon Prime Video et Apple TV+. « La WBD combinera les actifs de divertissement, de sport et d’actualité de WarnerMedia avec les principales entreprises internationales de divertissement et de sport de Discovery, afin de créer une entreprise mondiale de divertissement de premier plan et autonome », est-il prévu, les deux parties amenées à fusionner étant en outre rompues à l’exploitation de licences à travers le monde. Rivaliser avec les plateformes de streaming Netflix ou Disney+ nécessite plus que jamais de « réunir des créateurs de contenu de calibre mondial et des catalogues de séries et de films de grande qualité dans le secteur des médias ».
• WarnerMedia apporte à WBD ses grands studios d’Hollywood et ses productions de divertissement, d’animations, d’information et de sports (plutôt de stock ou scripted). Au-delà de l’emblématique major du cinéma américain Warner Bros., l’ex-Time Warner (renommé WarnerMedia en 2018) édite la chaîne de télévision payante HBO, la chaîne d’information en continu CNN, les réseaux de télévision par câble ou satellite TNT, TBS et TruTV (Turner) ou encore des programmes pour enfants Cartoon Network et DC Comics. Et c’est en mai 2020 que la plateforme de streaming vidéo HBO Max a été lancée aux Etats-Unis, avant d’être rendue accessible dans d’autres pays dont certains en Europe depuis l’automne 2021. Prochaine extension géographique, annoncée en début de mois par Johannes Larcher (5), directeur de HBO Max à l’international : le 8 mars prochain. Mais toujours pas en France car OCS, filiale d’Orange (66,67 % du capital) et de Canal+ (33,33 %), détient jusqu’à fin 2022 l’exclusivité des contenus HBO (6). Lors d’une conférence téléphonique le 26 janvier dernier, le PDG d’AT&T John Stankey a indiqué qu’ensemble la chaîne premium HBO et la plateforme HBO Max avaient atteint 73,8 millions d’abonnés. Mais c’est à peine un tiers du parc d’abonnés de Netflix et moins de deux-tiers de celui de Disney+.
• Discovery, qui ne possède pas de studio de cinéma, apporte de son côté à WBD des programmes audiovisuels de divertissement de la vie réelle, de téléréalité (real life) et de sport (plutôt du flux ou unscripted) auprès de passionnés ou de superfans. Le groupe, dont le principal actionnaire est le « cow-boy du câble » et magnat des médias John Malone (7), diffuse des programme-phares sur tous les écrans tels qu’Eurosport, Discovery Channel, HGTV, Travel Channel, MotorTrend, Animal Planet ou encore Science Channel. Et dans les plateformes numériques et applications mobiles, Discovery apporte un savoir-faire en termes d’innovation. Dès 2015, le service de SVOD Motor Trend OnDemand est lancé pour les passionnés de voitures. En 2019, Food Network Kitchen est diffusé en live et on-demand pour les fans de cuisine. Puis, c’est à partir de 2020 qu’est déployée la plateforme de SVOD Discovery+, d’abord en Inde, puis l’année suivante aux Etats-Unis. Discovery+ s’appelait auparavant Dplay (en 2019) après avoir été lancé sous le nom de QuestOD (en 2018). Au Hollywood Reporter début août dernier, le directeur général de Discovery, David Zaslay, avait indiqué que Discovery+ avait atteint les 18 millions d’abonnés (8) : plus de douze fois moins que Netflix et plus de six fois moins que Disney+. Puis à Fierce Video début novembre dernier le Français Jean-Briac Perrette (photo ci-contre) chez Discovery, avait actualisé le nombre d’abonnés à 20 millions au 30 septembre dernier. « Nous voulons accélérer dans le domaine des services de streaming de média et de divertissement, en mode Directto- Consumer (DTC), pour les consommateurs du monde entier », a expliqué la firme de Dallas le 2 février dernier lors de la présentation de la scission d’avec sa filiale de contenus.

Feux verts de l’Europe et des Etats-Unis
Auprès du gendarme de la Bourse américaine (la SEC), Discovery a pris acte qu’il n’y a eu à l’échéance légale du 9 février dernier (9) aucune contestation au projet de fusion « WBD », ni de la part de la Federal Trade Commission (FTC), présidée depuis septembre 2021 par Lina Khan et pourtant plutôt hostile aux positions dominantes (10), ni du DoJ (département de la Justice) ni même de la FCC (régulateur des communications). Alors même que le DoJ avait reçu le 4 décembre 2021 une lettre de près de trente Démocrates américains (11) l’exhortant à examiner de très près le dossier « Discovery-WarnerMedia » avant de rendre sa décision. Car selon ces parlementaires américains, le futur WBD risque de réduire la diversité et l’inclusivité des contenus proposés aux consommateurs, lesquels pourraient être amenés à les payer plus cher. Quant à la Commission européenne, elle a déjà fait savoir le 3 janvier dernier qu’elle avait autorisé le contrôle de WarnerMedia par Discovery (12). @

Charles de Laubier

France et USA : lettres contre Netflix et Amazon

En fait. Du 10 au 12 décembre, le « Prime Video Club » d’Amazon ouvre à Paris un « vidéo club éphémère Prime Video » pour y projeter des films et des séries. Et ce, en réponse à Netflix qui en projettera lui aussi, à Paris et à Lyon, du 7 au 14 décembre. Amazon prépare son entrée dans le cinéma avec le rachat de MGM.

En clair. Les deux géants de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD), que sont Netflix et Amazon, viennent en France faire un pied-de-nez à la chronologie des médias (laquelle régit la sortie des nouveaux films, d’abord dans les salles de cinéma) et à l’exception culturelle à la française. La firme au logo « N » rouge organise du 7 au 14 décembre son festival « Netflix Film Club » dans deux lieux de cinéma différents : à la Cinémathèque française à Paris (1) et à l’Institut Lumière à Lyon (2). L’Association française des cinémas art et essai (AFCAE) n’a pas manqué de s’insurger – dans une lettre ouverte datée du 4 novembre adressée aussi à la ministre de la Culture Roselyne Bachelot et au président du CNC Dominique Boutonnat – contre ce tapis rouge déroulé sous les pieds du numéro un mondial de la SVOD : « Une programmation promotionnelle indécente [à] décliner », fustige l’AFCAE (3).
De son côté, Amazon ouvre un « vidéo club éphémère Prime Video » sans précédent, en plein coeur de Paris, au 30 place de la Madeleine (dans le très chic VIIe arrondissement), du 10 au 12 décembre. Le numéro un mondial du e-commerce y projettera des films et séries dans le cadre de son Prime Video Club (4). « Réservez un salon privé et invitez jusqu’à 5 amis pour venir découvrir ou re-découvrir vos films et séries préférés. (…) Réservez une ou deux places pour assister à une projection en avant-première de la sélection Prime Video Club », propose Amazon. Si, contrairement à Netflix, la firme de Jeff Bezos n’a pas reçu les foudres des gardiens de la chronologie des médias et de l’exception culturelle, elle a en revanche été la cible, mais aux Etats-Unis, de quatre syndicats représentant plus de 4 millions d’employés : SEIU (Service Employees International Union), IBT (International Brotherhood of Teamsters), CWA (Communications Workers of America) et UFW (United Farmworkers of America). Ensemble, réunis au sein de la coalition SOC (Strategic Organizing Center), ils ont adressé le 22 novembre une seconde lettre ouverte à Holly Vedova, devenue en septembre directrice du bureau de la concurrence à la Federal Trade Commission (FTC) pour qu’elle s’oppose au rachat des studios hollywoodiens Metro-Goldwyn-Mayer (MGN) par Amazon (5). Une première lettre ouverte de 12 pages (6) lui avait déjà été envoyée le 11 août alors qu’Holly Vedova – plus de 31 ans à la FTC – n’était pas encore officialisée à son poste. @

Autorité de la concurrence : ce que disait Isabelle de Silva sur le projet de fusion TF1-M6 avant la fin de son mandat

Isabelle de Silva a achevé le 13 octobre dernier son mandat de cinq ans à la présidence de l’Autorité de la concurrence. La conseillère d’Etat était candidate à sa propre succession, mais elle a été « un peu surprise » de ne pas être renouvelée. Etait-elle un obstacle à la fusion envisagée par TF1 et M6 ?

Le (ou la) président(e) de l’Autorité de la concurrence est nommé(e) par décret du président de la République. Le 14 octobre 2016, François Hollande avait ainsi placé Isabelle de Silva (photo) à la tête des sages de la rue de l’Echelle. La conseillère d’Etat paie-t-elle aujourd’hui le fait d’avoir succédé à Bruno Lasserre grâce au prédécesseur d’Emmanuel Macron ? Nul ne le sait. Une chose est sûre : l’actuel président de la République n’a pas renouvelé Isabelle de Silva dans ses fonctions et sans pour autant désigner de remplaçant (Emmanuel Combe assurant l’intérim). Et ce, malgré « ses compétences dans les domaines juridique et économique ». Cette conseillère d’Etat, à la double nationalité franco-américaine et polyglotte, qui plus est énarque sortie dans « la botte » en 1994, n’avait en rien démérité durant ses cinq années de mandat à l’autorité antitrust française – bien au contraire aux dires de nombreuses personnes des mondes politique, économique et médiatique. « Sur le moment, j’ai eu un petit peu de surprise (…) J’espérais continuer, c’est vrai (…) », a-telle confié le 11 octobre sur BFM Business. C’est sur Twitter qu’elle avait confirmé dès le 4 octobre son départ, alors qu’elle le savait depuis près de deux semaines auparavant.

Les GAFAM se retrouvent aux Etats-Unis dans l’oeil du cyclone antitrust, avec risque de démantèlement

Le vent tourne. A deux mois de la prise de fonction de la juriste Lina Khan au poste de présidente de la FTC, l’autorité de la concurrence américaine, un paquet de six projets de loi « anti-monopole » des Big Tech a été adopté le 24 juin 2021 par la commission des Affaires judiciaires de la Chambre des représentants des Etats-Unis.

La commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, en rêve ; la future présidente de l’autorité de la concurrence américaine, Lina Khan (photo), va peut-être le faire : mettre au pas les GAFAM, si ce n’est les démanteler, pour mettre un terme aux abus de position dominante et aux pratiques monopolistiques de ces Big Tech nées aux Etats-Unis et déployées dans la plupart des régions du monde, au point d’asphyxier toute concurrence sérieuse voire de tuer dans l’oeuf toute innovation provenant de start-up gênantes. « Protéger les consommateurs américains », tel est le leitmotiv de la Federal Trade Commission (FTC) que va présider à partir du mois de septembre l’Américaine Lina Khan, née en Europe (à Londres) de parents pakistanais il y a un peu plus de 32 ans. Cette brillante juriste, que le président américain Joe Biden a nommée à la tête de l’autorité fédérale de la concurrence et de l’anti-monopole, s’est forgée une réputation « anti-GAFAM » très redoutée des Big Tech. Son premier fait d’arme est un article paru en 2017 dans le Yale Law Journal de l’université américaine Yale et intitulé « Paradoxe anti-monopole d’Amazon« . Le ton est donné. La politique concurrentielle américaine a permis à des mastodontes comme la firme de Jeff Bezos d’écraser les prix et la concurrence, sur fond d’emplois précaires et d’optimisation fiscale.

Retour sur le rapport parlementaire « antistrust » qui a convaincu des Etats américains d’attaquer les GAFA

Alors que des Etats américains se coalisent pour engager des poursuites judiciaires à l’encontre de Google et de Facebook, accusés d’abus de position de dominante, revenons sur les conclusions du rapport parlementaire « antitrust » qui appelle le Congrès des Etats-Unis à légiférer contre les GAFA.

Par Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA.