Au coeur de l’enquête « Microsoft-Activision » de la Commission européenne, il y a le géant Sony

En ouvrant le 8 novembre une « enquête approfondie » sur le projet d’acquisition d’Activision Blizzard par Microsoft, la Commission européenne ne mentionne pas Sony qui domine encore le marché mondial du jeu vidéo avec sa console PlayStation. Comment le japonais a convaincu Bruxelles d’agir.

(Comme concession, Microsoft a proposé à Bruxelles d’accorder une licence « Call of Duty » de 10 ans à Sony pour sa PlayStation, selon Reuters le 28 novembre)

« La Commission européenne craint qu’en acquérant Activision Blizzard, Microsoft puisse verrouiller l’accès aux jeux vidéo d’Activision Blizzard pour consoles et ordinateurs personnels [afin d’être proposés en exclusivité sur les seules console Xbox de Microsoft, ndlr], notamment à des jeux emblématiques et rencontrant un énorme succès (jeux de type «AAA») tels que “Call of Duty” », a-t-elle fait savoir le 8 novembre pour justifier l’ouverture d’une enquête approfondie sur le projet de rachat de l’éditeur de jeux vidéo Activision Blizzard (1), dont la célèbre licence « Call of Duty » (2).

Jim Ryan s’est rendu à Bruxelles le 8 septembre
Si la Commission européenne et sa vice-présidente exécutive chargée de la politique de concurrence, Margrethe Vestager, ne mentionnent aucunement Sony dans leur annonce, le géant japonais est considéré comme l’instigateur de cette enquête approfondie. Dès le 20 janvier 2022, soit deux jours après l’annonce par Microsoft de son projet de méga-acquisition d’Activision Blizzard pour 68,7 milliards de dollars, un porte-parole de Sony s’était exprimé pour la première fois sur cette opération envisagée : « Nous nous attendons à ce que Microsoft respecte les accords contractuels et continue de veiller à ce que les jeux Activision soient multiplateformes », avait-il déclaré dans un entretien au Wall Street Journal (3).
Le groupe nippon tient à ce que tous les jeux d’Activision Blizzard demeurent disponibles sur les plateformes de jeux vidéo non-Microsoft si la méga-acquisition devait être autorisée. Autrement dit, la console PlayStation de Sony doit pouvoir continuer à proposer notamment « Call of Duty », ce jeu de tir à la première personne (4) qui relève de la catégorie « AAA » des jeux vidéo à gros budget. Six mois après l’annonce qui n’a cessé depuis de faire des vagues dans le monde des jeux vidéo, Jim Ryan (photo de droite), PDG de Sony Interactive Entertainment (SIE) depuis avril 2019 en charge notamment de l’activité PlayStation (5), se serait rendu lui-même à Bruxelles le 8 septembre dernier – soit avant que le deal « Microsoft-Activision » ne soit formellement notifié à la Commission européenne le 30 septembre – pour faire part officiellement de ses inquiétudes sur les conséquences de ce rachat s’il devait aboutir. C’est ce qu’avait révélé Dealreporter, site d’information spécialisé dans les fusions et acquisitions (M&A). Jim Ryan a dénoncé la position dominante potentielle d’une fusion « Microsoft-Activision » au seul profit de l’écosystème de la Xbox. « Les effets réseau sont tels que si Microsoft devait bloquer l’accès à “Call of Duty” sur la PlayStation, des millions d’utilisateurs migreraient alors vers la Xbox. Il y a risque de forclusion », a expliqué en substance le PDG de SIE à Bruxelles, en appuyant ses dires par des études économiques. Et il a déclaré que la proposition de Microsoft de garder « Call of Duty » pendant encore trois ans – voire cinq ans – sur PlayStation était « inadéquate à plusieurs niveaux », estimant que la proposition de la firme de Redmond « sape ce principe » qui consiste pour Sony à « garantir que les joueurs PlayStation continueront à avoir la plus haute qualité avec “Call of Duty” » (6). Google serait lui aussi préoccupé par le rachat d’Activision Blizzard par Microsoft.
Alors que l’autorité de la concurrence britannique – la CMA (7) – s’est aussi emparée de ce dossier brûlant pour rendre son verdict d’ici le 1er mars 2023, la Commission européenne s’est donnée jusqu’au 23 mars pour prendre sa décision. En attendant, Sony continue de dominer le marché mondial des consoles de jeux vidéo assorties de leurs plateformes en ligne, loin devant Microsoft et Nintendo. En présentant le 1er novembre dernier ses résultats sur le second trimestre de son année fiscale se terminant le 31 mars 2023, Hiroki Totoki, le directeur financier de la firme nipponne, a rehaussé ses prévisions de ventes de la console PlayStation 5 (PS5) de 18 millions à 23 millions d’unité sur l’exercice en cours 2022/2023. En revanche, la prévision de la rentabilité annuelle de son activité jeux vidéo a été revue à la baisse en raison des craintes de récession économique mondiale qui pourrait réduire le pouvoir d’achat des consommateurs.

La bataille entre PS Plus et XG Pass
La déception de Sony vient de sa plateforme de jeux en streaming par abonnement PlayStation Plus (PS Plus) qui, alors qu’elle a été refondue l’été dernier, se veut la rivale de Xbox Game Pass (XG Pass) pour jouer sur console, ordinateur ou dans le cloud. Le japonais a vu le nombre de ses abonnés PS Plus décliner à 45,4 millions, perdant près de 2 millions d’abonnés sur son second trimestre se terminant fin septembre (par rapport à la fin juin). « Nous constatons que cette diminution résulte d’une plus grande baisse que prévu dans l’engagement des utilisateurs de PlayStation 4 », a expliqué le groupe de Tokyo (Minato). @

Charles de Laubier

Amazon, Microsoft, Google : gros nuages sur le cloud

En fait. Le 13 juillet, l’Autorité de la concurrence a ouvert jusqu’au 19 septembre prochain, une consultation publique sur le marché du cloud – dans le cadre de son enquête sectorielle sur l’informatique en nuage lancée en janvier dernier. Elle a déjà auditionné les trois hyperscalers du cloud en France.

En clair. Selon le cabinet d’études Markess by exægis, le marché français du cloud devrait passer de 16 milliards d’euros en 2021 à 27 milliards d’euros en 2025, au rythme de 14 % de croissance par an. Mais les hébergeurs dits « à très grande échelle » (les hyperscalers) en ont la part du lion : les américains Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure et Google Cloud détiennent en France 71 % de parts de marché en 2021. A lui seul, le géant AWS s’arroge pas loin de la moitié (46 %) du gâteau nuagique (voir graphique). C’est dans ce contexte de quasi-triopole que l’Autorité de la concurrence (ADLC) s’est autosaisie en début d’année pour enquêter sur le secteur français de l’informatique en nuage. La consultation publique (1), ouverte depuis le 13 juillet et jusqu’au 19 septembre 2022, va permettra à l’autorité antitrust d’évaluer si Amazon, Microsoft et Google abusent de leur position dominante sur le marché français du cloud ? Face à ce Big Three, OVH, IBM, Oracle, Orange (OBS), Scaleway (Iliad), T-Systems, 3D Outscale (Dassault Systèmes) ou encore Atos, Neurones, Capgemini, Kyndril (ex-IBM GTS) se partagent les 29 % restants du marché du cloud français (2).
L’ADLC veut identifier « les freins à la migration des clients et au recours à plusieurs fournisseurs de services cloud », ainsi que d’autres verrous (barrières à l’entrée, pouvoir de marché, intégration verticale, effets congloméraux, ententes, protection des données, souveraineté numérique, …). La bataille du cloud est même portée devant la Commission européenne depuis les plaintes (3) du français OVH et de l’allemand Nextcloud déposées en 2021. @

Dans l’attente de la notification du rachat de Lagardère par Vivendi, la Commission européenne enquête

Avant même d’avoir reçu de Vivendi la notification de son projet de rachat du groupe Lagardère, laquelle devrait être lui être remise en septembre, la Commission européenne questionne depuis le début de l’année des acteurs et des organisations professionnelles pour mesurer l’impact « Vivendi-Lagardère ».

« Sous réserve de l’autorisation de la Commission européenne », précisaient dans les mêmes termes les communiqués de Vivendi annonçant respectivement le 25 mai le succès de la première période de son OPA amicale sur les actions du groupe Lagardère (1) et le 14 juin la détention de 57,35 % du capital et 47,33 % des droits de vote du même groupe Lagardère (2). Le sort du projet de « rapprochement » de Vivendi et de Lagardère – déjà engagé par endroits et sans attendre l’aval des autorités antitrust – est en fait depuis des mois entre les mains de la Commission européenne. Bruxelles n’a en effet pas attendu que l’opération de contrôle lui soit notifiée – ce qui devrait être fait en septembre – pour questionner les acteurs des marchés potentiellement impactés par cette mégaopération de concentration dans l’édition et les médias. Depuis fin 2021, une « case team » est en place pour, sans tarder, « recueillir des informations auprès des parties notifiantes [en l’occurrence Vivendi , mais aussi Lagardère, ndlr] et des tiers, tels que leurs clients, leurs concurrents et leurs fournisseurs ». Durant cette phase de pré-notification, où les envois de questionnaires aux intéressés se multiplient pour procéder à des « tests de marché », les informations peuvent prendre la forme de griefs formulés par des concurrents présents sur ces marchés..

La DG Competition et Margrethe Vestager scrutent
Et les reproches sont nombreux, notamment dans le secteur de l’édition, où le numéro un français Hachette (Lagardère) est appelé à fusionner avec le numéro deux Editis (Vivendi). Avec leurs multiples maisons d’édition (Calmann-Lévy, Grasset, Stock, Fayard, JC Lattès, Livre de poche, Dunod, Larousse, Hatier, … côté Hachette Livre ; La Découverte, Plon, Perrin, Robert Laffont, Presses de la Cité, Le Cherche Midi, Bordas, Le Robert, … côté Editis), la prise de contrôle du groupe d’Arnaud Lagardère (photo) – lequel conserve 11,06 % du capital – par celui de Vincent Bolloré provoque une levée de boucliers. Car ces deux géants français du livre – édition et distribution – seront en position dominante voire en quasisituation de monopole en France si un feu vert était donné en l’état par les autorités antitrust. « Les lois (européennes) sont bien faites. Il y a des lois qui empêchent cette concentration (dans l’édition notamment) et elles seront respectées. Si l’on doit revendre des maisons d’édition, on le fera », a tenté de rassurer Arnaud Lagardère dans l’émission « Complément d’enquête » diffusée le 2 juin dernier sur France 2.

Vincent Bolloré contrôle et va notifier d’ici septembre
Et « comme c’est Vivendi qui prend le contrôle de Lagardère, c’est Vivendi qui présente son projet à la Commission européenne », a encore souligné Arnaud Lagardère, désormais PDG pour six ans de « son » groupe, contrôlé depuis fin mai par Vincent Bolloré (photo ci-contre). Une fois qu’en septembre Vivendi aura notifié – sans doute par voie électronique – son opération de rapprochement entre les deux groupes, la direction générale de la concurrence (DG Competition) disposera alors de vingt-cinq jours pour donner un avis sur cette transaction, délai pouvant être porté à trente-cinq jours si nécessaire. Etant donné les enjeux d’une telle opération de concentration et les inquiétudes qu’elle suscite, la Commission européenne – dont la commissaire à la concurrence est depuis 2014 la redoutée Margrethe Vestager (3) – devrait alors lancer enquête approfondie sur au moins quatre-vingt-dix jours, délai qui peut être porté à cent cinq jours si besoin était. Dans le cas présent, la décision ne serait pas attendue avant la fin de l’année mais plutôt début 2023. Dans sa notification à la Commission européenne, Vivendi proposera sans doute de vendre certains actifs dans l’édition. Encore faut-il que les « remèdes » à cette concentration suffisent. Rappelons qu’en janvier 2004, dans le sens inverse, la Commission européenne avait forcé le groupe Lagardère (Hachette Livre) à se délester de plus de la moitié des actifs de Vivendi Universal Publishing (ex- Havas (4)) qu’il comptait racheter depuis fin 2002 (5). Des filiales non cédées sont à l’époque venues constituer le nouveau groupe Editis, lequel fut racheté en 2018 par Vivendi.
Vingt ans plus tard, où cette fois Vivendi s’empare des actifs de Lagardère, la DG Competition ne manquera pas à nouveau de porter son analyse sur les « effets horizontaux, congloméraux et verticaux de cette opération ». Antoine Gallimard, PDG de Madrigall (groupe lui-même issu du rapprochement de Gallimard, Flammarion et Casterman) a, lui, débuté ses échanges en visioconférence dès fin décembre 2021 avec la case team de la DG Competition (6). Il est vent debout contre cette fusion Editis-Hachette et serait intéressé par l’édition scolaire où la domination du nouvel ensemble atteindrait son paroxysme.
Quelle que soit la décision à venir de la Commission européenne et de sa vice-présidente Margrethe Vestager sur ce dossier sensible, Vincent Bolloré et Arnaud Lagardère savourent le succès de l’OPA amicale. « Je suis très heureux de ce qui se passe », a indiqué ce dernier dans « Complément d’enquête ». Pour le premier, c’est un revirement de situation puisqu’en son groupe avait déclaré en avril 2020 à l’Autorité des marchés financiers (AMF) : « Vivendi n’a pas l’intention d’acquérir le contrôle de Lagardère ». En fait, c’est Arnaud Lagardère qui a fait changer d’avis le milliardaire breton : « J’ai pris la liberté d’appeler Vincent Bolloré mi-mars 2020, au tout début du confinement, a raconté le fils unique de Jean-Luc Lagardère, pour effectivement m’aider (en entrant au capital de Lagardère), ce qu’il a accepté. Je ne l’aurais pas appelé, il ne serait jamais entré et Vivendi ne serait jamais actionnaire du groupe (Lagardère) aujourd’hui. (…) A l’époque, mon ennemi – contrairement à ce que pensent beaucoup de gens qui se trompent – ce n’était pas Vincent Bolloré ni Bernard Arnault, mais Amber Capital ». Ce fonds d’investissement activiste britannique, qui fut un temps début 2020 le premier actionnaire du groupe Lagardère et très critique envers la gestion d’Arnaud Lagardère qu’il tenta de chasser de son statut de gérant de la société en commandite par actions Lagardère SCA. Cette structure juridique atypique permettait à Arnaud Lagardère de contrôler son groupe en n’en détenant alors que 7,3 % du capital. « C’est cet activiste-là que j’espérais d’abord pouvoir contrer », a-t-il rappelé. En revanche, le patron du groupe Lagardère n’est pas allé chercher Bernard Arnault. « C’est lui qui a appelé, d’abord notre banque d’affaires, pour dire qu’il était prêt à m’aider dans ma structure personnelle et non pas en-dessous. Donc, il n’y avait aucune déclaration de guerre, entre guillemets, d’un Bernard Arnault qui viendrait à l’assaut d’un Vincent Bolloré, lequel est mon ami et vient pour m’aider ». Le PDG de LVMH était d’ailleurs le meilleur ami de son père Jean-Luc Lagardère, ancien PDG de Matra, d’Hachette et d’Europe 1.
Fin mai, Vivendi a accordé à Arnaud Lagardère un mandat de PDG de six ans en promettant de « conserver l’intégrité » de son groupe devenu la société anonyme Lagardère SA – fini la SCA qui aura vécu près de 30 ans – et « de lui donner les moyens de se développer ». Arnaud est-il inquiet de ce que pourrait faire Vincent Bolloré de l’empire médiatique de Lagardère (Europe 1, le JDD, Paris-Match, CNews, Virgin Radio bientôt rebaptisée Europe 2, …) ? « Non, cela ne m’inquiète absolument pas. D’abord, parce que je suis là », a-t-il assuré. A 61 ans, le fils unique et l’héritier de l’empire Lagardère (317e plus grande fortune française, selon Challenges), va entamer une nouvelle vie professionnelle aux côtés des Bolloré. « Ma relation avec Vincent Bolloré et avec ses enfants, Cyrille et Yannick, est telle que nous allons poursuivre cette route assez longtemps », a-t-il dit, confiant en l’avenir.

Vincent Bolloré est censeur jusqu’au 14 avril 2023
Depuis avril 2018, Yannick Bolloré a remplacé à la présidence du conseil de surveillance de Vivendi le patriarche Vincent Bolloré (70 ans), lequel y est devenu en avril 2019 « censeur » dont le mandat court jusqu’au 14 avril 2023… non renouvelable. Et si le nom Lagardère devait disparaître comme entité économique ? « Bien sûr que je le regretterais, bien sûr, a-t-il confié dans “Complément d’enquête”. Mais s’il doit disparaître au profit d’un nom comme celui de Vincent Bolloré, j’en serais plutôt heureux. Ça ne me dérangerait pas. Et ça ne dérangerait pas mon père non plus ». Il y a près de dix ans, en mars 2013, Arnaud Lagardère assurait qu’il ne cèderait son groupe « à quelque prix que ce soit ». @

Charles de Laubier

Le rachat d’Activision par Microsoft aboutira-t-il en 2023, soit dix ans après avoir été cédé par Vivendi ?

Pendant que des actionnaires ont porté plainte en justice contre Activision Blizzard et son conseil d’administration pour « conflits d’intérêts », une enquête pour délit d’initié a par ailleurs été ouverte par le gendarme boursier américain. Quant à la FTC (antitrust), elle pourrait encore bloquer l’opération à tout moment.

Ce n’est pas gagné. La méga-acquisition d’Activision Blizzard annoncée le 18 janvier dernier par Microsoft pour 68,7 milliards de dollars pourrait ne pas aboutir en 2023. Car les obstacles s’accumulent, tant devant la justice que devant les autorités boursière et antitrust. Issu il y a quinze ans de la fusion entre Activision et Vivendi Games, l’éditeur de « Call of Duty » espère que la fusion devrait aboutir « au cours de l’exercice financier de Microsoft se terminant le 30 juin 2023 ».

Conflits d’intérêts et risques antitrust
Depuis la précédente cession d’Activision en 2013 par Vivendi et son introduction en Bourse, il y aura dix ans l’an prochain si la vente à Microsoft arrive à son terme, Robert Kotick alias Bobby (photo de gauche) et Brian Kelly (photo de droite) ont conservé ensemble une participation de près de 25 % du groupe. Le premier est encore directeur général d’Activision Blizzard, tandis que le second en est encore le président du conseil d’administration. C’est justement au sujet des administrateurs que des actionnaires – une demi-douzaine, selon le site Polygon.com (1) – ont porté plainte devant des tribunaux californien, newyorkais et pennsylvanien contre Activision Blizzard pour notamment « conflits d’intérêts potentiels » en interne. Les six recours judiciaires ont été déposés entre fin février et début mars pour dénoncer le côté « injuste » de cette méga-fusion au détriment des actionnaires du public.
Dans la plainte datée du 24 février dernier et enregistrée par un tribunal californien, un actionnaire – Kyle Watson, défendu par le cabinet d’avocats Brodsky & Smith – affirme que « la répartition des avantages de la transaction indique que les initiés d’Activision sont les principaux bénéficiaires de cette transaction proposée, et non pas les actionnaires publics de la société tels que le plaignant ». Et d’ajouter : « Le conseil d’administration et les dirigeants de la société sont en conflit parce qu’ils auront obtenu des avantages uniques pour eux-mêmes de la proposition de transaction, non disponible pour le plaignant en tant qu’actionnaire public d’Activision ». Sont ainsi visés des membres du conseil d’administration d’Activision qui possèdent actuellement d’importantes parts d’actions de l’entreprise, lesquelles seront toutes échangées en contrepartie de la fusion une fois réalisée. Ainsi, entre autres, Robert Kotick détenant déjà 4,4 millions d’actions en possèdera 6,5 millions après l’opération ; Brian Kelly passera de 1,1 million d’actions à 1,2 million. De plus, certains contrats de travail avec des cadres d’Activision donnent droit à une indemnité de départ. « Ces “parachute d’or” sont significatifs, et donneront droit à chaque directeur ou dirigeant à des millions de dollars, non partagés avec le plaignant », pointe-ton dans la plainte. Pour ne citer qu’eux : Robert Kotick – qui pourrait quitter l’entreprise à la suite des affaires d’harcèlements sexuels qu’il est soupçonné en novembre 2021 d’avoir étouffées – touchera 14,3 millions de dollars en cash, Armin Zerza 4,1 millions de dollars en cash et 21,1 millions en actions, Daniel Alegre 5,5 millions de dollars en cash et 23,4 millions en actions. De leurs côté, Barry Diller, David Geffen et Alexander von Furstenberg font l’objet d’une enquête du gendarme de la Bourse américain (SEC) soupçonnés de délit d’initié. Selon le Wall Street Journal du 8 mars, ils auraient acquis des actions Activision quelques jour avant l’annonce du rachat par Microsoft (2). Sur un autre front judiciaire, celui des concentrations cette fois, le méga-deal entre Microsoft et Activision sera passé au crible par la redoutée FTC, la Federal Trade Commission, qui a demandé le 3 mars « des données supplémentaires » de la part des deux entreprises. L’agence de presse Bloomberg avait révélé le 1er février que cette autorité américaine du commerce est chargée de mener l’enquête antitrust, puis d’autoriser ou pas cette fusion au regard du droit de la concurrence (3). De quoi inquiéter Microsoft sur l’issue de son offre sur Activision Blizzard, puisque la présidente de la FTC – Lina Khan, en fonction depuis septembre 2021 – est réputée plutôt hostile aux positions dominantes des Big Tech (4).
L’intégration verticale « Microsoft-Activision » (MA), combinaison entre l’écosystème des consoles Xbox et le catalogue de jeux vidéo comme le blockbuster « Call of Duty » (CoD), fait craindre des abus de position dominante (5). Sony pourrait être la première victime collatérale de cette fusion, alors que le japonais génère de gros revenus avec la série CoD d’Activision Blizzard sur sa propre console PlayStation.

Avenir de « Call of Duty » sur Sony PS
Pour couper court à ces soupçons d’éviction de la concurrence, Microsoft avait assuré fin janvier qu’il respectera les accords en cours entre Activision et Sony sans préciser leur échéance – trois jeux de CoD à venir d’ici fin 2023 seraient sécurisés (6), mais après ? Microsoft cherche en tout cas à renforcer son emprise sur l’industrie du jeu vidéo, en étant à la fois fabricant de consoles et éditeurs de titres. Il y a un an, la firme de Redmond a finalisé le rachat pour 7,5 milliards de dollars de ZeniMax Media, la maison mère de Bethesda Softworks et d’autres studios de jeux vidéo (7). Si cette fusion «MA » devait être résiliée par l’une ou l’autre partie, plus de 2 milliards de dollars seront dus soit à Microsoft ou inversement à Activision Blizzard. @

Charles de Laubier

Etats-Unis : la FTC divisée sur le cas Amazon-MGM

En fait. Le 17 mars, Amazon a annoncé avoir finalisé l’acquisition des studios de cinéma hollywoodiens MGM (Metro Goldwyn Mayer) pour 8,5 milliards de dollars. Si la Commission européenne a donné sont feu vert le 15 mars, la FTC américaine n’a toujours rien dit d’officiel mais sa présidente a l’œil.

En clair. Le géant Amazon fait comme s’il avait obtenu aux Etats-Unis le feu vert formel de la Federal Trade Commission (FTC) pour son acquisition des studios de cinéma MGM presque centenaires. Deux jours après avoir obtenu la bénédiction de la Commission européenne, qui, le 15 mars, n’a rien trouvé à redire (1) sur cette opération de concentration à 8,5 milliards de dollars (autorisée sans condition), la firme de Jeff Bezos a annoncé la finalisation de l’opération. « MGM a rejoint Prime Video et Amazon Studios. Ce studio historique, vieux de près de 100 ans, qui compte plus de 4.000 films, 17.000 épisodes télévisés, 180 Oscars et 100 Emmy Awards, complétera le travail de Prime Video et d’Amazon Studios en offrant une offre diversifiée de choix de divertissement aux clients », s’est-t-elle félicitée, dans un communiqué daté du 17 mars dernier (2).
La FTC n’ayant pas intenté d’action – dans le délai imparti (dont l’échéance était fixée à mi-mars) – à l’encontre de cette méga-acquisition, Amazon a estimé de fait avoir les coudées franches. Or, contrairement aux apparences, le PDG Andy Jassy – successeur de Jeff Bezos à ce poste depuis juillet 2021 – n’a pas obtenu l’aval de la présidente de la FTC, Lina Khan, et encore moins de blanc-seing de sa part. Cette dernière l’a fait savoir, via une porte-parole, dans une déclaration faite au magazine américain Variety le 17 mars : « La FTC n’approuve pas les transactions et peut contester une opération à tout moment si elle détermine que celle-ci contrevient à la loi » (3). Mais pourquoi Lina Khan, pourtant réputée « anti- GAFAM » et auteure en 2017 du « Paradoxe anti-monopole d’Amazon », ne s’est toujours pas prononcée publiquement sur ce dossier ? Pas parce qu’Amazon avait demandé le 30 juin 2021 que Lina Khan n’instruise pas elle-même cette affaire en raison de ses prises de position passées (4).
La réponse se trouve au sein de la FTC : selon Politico (5), ses quatre commissaires actuels sont divisés sur le dossier Amazon-MGM – les Républicains Noah Phillips et Christine Wilson étant contre toute plainte. La présidente aurait donc évité d’organiser un vote officiel mais, a indiqué la porte-parole, elle peut envoyer des « lettres d’avertissement » à Amazon, à défaut de finaliser une enquête antitrust dans les délais prévus par le HSR Act. Le blocage de la transaction reste une épée de Damoclès. @