Les médias en ligne redoutent la transformation du moteur de recherche Google en IA générative

Plus de 25 ans après sa création par Larry Page et Sergey Brin, le moteur de recherche en quasi-monopole fait sa mue pour devenir une IA générative qui aura réponse à tout. Les sites web de presse pourraient être les victimes collatérales en termes d’audience. Le chat-search présentera moins de liens.

(après que des internautes aient signalé des résultats erronés générés par « AI Overviews », Google a annoncé le 30 mai des mesures correctrices, y compris en améliorant ses algorithmes) 

Google est mort, vive Google ! Mais cet enthousiasme ne sera sans doute pas partagé par les sites de médias en ligne qui tirent jusqu’à maintenant une part importante de leurs audiences de la consultation massive du moteur de recherche Google, lorsque ce n’est pas de son agrégateur d’actualités Google News. Depuis que Sundar Pichai, le PDG d’Alphabet, maison mère de Google, a annoncé le 14 mai – lors du Google I/O 2024 (1) – la plus grande transformation du numéro un mondial du search en un moteur d’IA générative, les éditeurs de presse en ligne s’inquiètent pour la fréquentation de leurs sites Internet. L’objet de leurs craintes s’appelle « AI Overviews », la fonctionnalité la plus « intelligente » et disruptive jamais introduite dans Google depuis son lancement il y a un quart de siècle (2). La page de résultats de recherche ne sera plus présentée de la même manière : fini la liste impersonnelle de liens donnant accès à des sites web censés répondre, après avoir cliqué, à vos requêtes courtes et souvent par mots-clés ; place à une réponse détaillée et intelligible développée par l’IA générative elle-même, en fonction de ce que vous lui avez demandé en langage naturel, avec quelques liens seulement triés sur le volet en guise de sources venant étayer la réponse et/ou le raisonnement.

Avec « AI Overviews », moins besoin de cliquer
Cette combinaison de l’IA générative et de l’IA multimodale fait passer Google de l’ère du « moteur » (search) à celle d’« assistant » (chatbot). Le nouveau Google « intelligent » a commencé à être déployé aux Etats-Unis depuis mi-mai, et d’autres pays dans le monde suivront pour atteindre 1 milliard d’utilisateurs d’ici la fin de l’année. L’IA générative de Google, appelée Gemini, vous mâche le travail sans que vous ayez forcément besoin d’aller cliquer sur les liens relégués au second plan. « Maintenant, avec l’IA générative, le moteur de recherche peut faire plus que vous ne l’imaginez. Vous pouvez donc demander ce que vous avez en tête ou ce que vous devez faire – de la recherche à la planification en passant par le brainstorming – et Google s’occupera des démarches », a expliqué Elizabeth Reid, alias Liz Reid (photo), vice-présidente de Google, responsable du moteur de recherche. Cliquer sur des liens devient une option, tant la réponse « AI Overviews » (« Aperçus de l’IA » en français) peut s’évérer satisfaisante.

Le Monde en France, El País en Espagne, Die Welt en Allemagne : OpenAI séduit la presse au cas par cas

OpenAI a réussi à convaincre de grands titres de presse en Europe – Le Monde, El País et Die Welt – et, aux Etats-Unis, l’agence de presse AP et l’American Journalism Project pour que son IA générative ChatGPT soit plus au fait de l’actualité dans des langues différentes. Le New York Times, lui, a préféré un procès.

Le directeur des opérations d’OpenAI, Brad Lightcap (photo), n’est pas peu fier d’avoir décroché des accords pluriannuels avec les grands quotidiens européens Le Monde en France, El País en Espagne et Die Welt en Allemagne. « En partenariat avec Le Monde et Prisa Media [éditeur d’El País], notre objectif est de permettre aux utilisateurs de ChatGPT du monde entier de se connecter à l’actualité de façon interactive et pertinente », s’est-il félicité le 13 mars dernier lors de l’annonce des deux accords noués pour plusieurs années avec respectivement le groupe français Le Monde pour son quotidien éponyme et le groupe espagnol Prisa Media pour son quotidien El País, de même que pour son quotidien économique et financier Cinco Días et son site d’actualités El Huffpost (1). Trois mois auparavant, ce même Brad Lightcap annonçait un premier partenariat avec le groupe allemand Axel Springer pour son quotidien Die Welt, et son tabloïd Bild, ainsi que pour ses sites d’information Politico (édition européenne) et Business Insider (économie et finances). « Ce partenariat avec Axel Springer aidera à offrir aux gens de nouvelles façons d’accéder à du contenu de qualité, en temps réel, grâce à nos outils d’IA. Nous sommes profondément engagés à nous assurer que les éditeurs et les créateurs du monde entier bénéficient de la technologie avancée de l’IA et de nouveaux modèles de revenus », avait alors assuré le directeur des opérations d’OpenAI (2).

ChatGPT, polyglotte et informé : merci la presse
Ces « partenariats mondiaux d’information » permettent à ChatGPT d’européaniser un peu plus ses capacités d’informer en mettant à contribution trois premiers quotidiens du Vieux Continent, de trois langues différentes (français, espagnol et allemand). Et ce, après avoir largement entraîné en anglais ses grands modèles de langage « Generative Pre-trained Transformer » (GPT, GPT-2, GPT-3 et l’actuel GPT-4, en attendant GPT-5 en cours de développement). Avant les groupes européens Le Monde, Prisa Media et Axel Springer, OpenAI avait conclu aux Etats-Unis deux partenariats signés en juillets 2023 avec respectivement l’agence de presse américaine Associated Press (AP) et l’association de soutien à l’information locale American Journalism Project (AJP).

Sur fond de plainte du New York Times
« Nous sommes impatients d’apprendre d’AP [et de savoir] comment nos modèles d’IA peuvent avoir un impact positif sur l’industrie de l’information. L’accès à ses archives de textes factuels de haute qualité, aideront à améliorer les capacités et l’utilité des systèmes d’OpenAI », avait alors dit Brad Lightcap, lors de l’annonce le 13 juillet 2023 du partenariat avec l’agence de presse américaine (3). Depuis près d’une décennie, AP utilise la technologie de l’IA pour automatiser certaines tâches routinières et libérer les journalistes pour faire des reportages plus fouillés. Elle va même jusqu’à publier des dépêches automatisées prévisualisant et récapitulant certains événements sportifs, élargissant ainsi son offre de contenu.

Marina Ferrari, nouvelle secrétaire d’Etat chargée du Numérique : entre souveraineté numérique et Gafam

Secrétaire d’Etat chargée du Numérique depuis le 12 février, Marina Ferrari doit défendre la « souveraineté numérique » que porte son ministre de tutelle Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Mais, « en même temps », la France ne peut se passer des Gafam.

(Le 26 février 2024, date de la publication de cet article dans le n°316 de EM@, la licorne française Mistral AI annonçait son « partenariat » avec… Microsoft

Boosté par le cloud et l’IA, Microsoft conteste à Apple sa première place mondiale des capitalisations boursières

Le capitalisme a ses icônes, et la seconde est Microsoft. La valorisation boursière de la firme de Redmond, que dirige Satya Nadella depuis près de dix ans, atteint – au 1er décembre 2023 – les 2.816 milliards de dollars et pourrait bientôt détrôner Apple de la première place mondiale. Merci aux nuages et à l’IA.

(Cet article est paru le lundi 4 décembre 2023 dans Edition Multimédi@. L’AG annuelle des actionnaires de Microsoft s’est déroulée comme prévu le 7 décembre)

La prochaine assemblée générale annuelle des actionnaires de Microsoft, qui se tiendra le 7 décembre et cette année en visioconférence (1), se présente sous les meilleurs auspices. L’année fiscale 2022/2023 s’est achevée le 30 juin avec un chiffre d’affaires de 211,9 milliards de dollars, en augmentation sur un an (+ 7 %). Le bénéfice net a été de 72,4 milliards de dollars, en légère diminution (- 1 %). Et les résultats du premier trimestre de l’année 2023/2024, annoncé en fanfare le 24 octobre dernier, ont encore tiré à des records historiques le cours de Bourse de Microsoft – coté depuis plus de 37 ans. A l’heure où nous bouclons ce numéro de Edition Multimédi@, vendredi 1er décembre, la capitalisation boursière du titre « MSFT » – actuelle deuxième mondiale – affiche 2.816 milliards de dollars (2) et talonne celle du titre « AAPL » d’Apple dont la première place, avec ses 2.954 milliards de dollars (3), est plus que jamais contestée. Depuis la nomination il y a près de dix ans de Satya Nadella (photo) comme directeur général (4) pour succéder à Steve Ballmer, Microsoft a ainsi vu sa capitalisation boursière multiplié par presque dix. Les actionnaires de la firme de Redmond (Etat de Washington, près de Seattle) en ont pour leur argent (voir graphique), depuis vingt ans qu’elle s’est résolue à leur distribuer des dividendes – ce qui n’était pas le cas avec son cofondateur et premier PDG Bill Gates.

Assemblée générale annuelle le 7 décembre
Après avoir mis Microsoft sur les rails du cloud en faisant d’Azure – dont il était vice-président avant de devenir directeur général du groupe (5) – sa première vache à lait (87,9 milliards de dollars de chiffre d’affaires lors du dernier exercice annuel), Satya Nadella a commencé à faire de l’IA générative le moteur de tous ses produits et services. « Avec les copilotes, nous rendons l’ère de l’IA réelle pour les gens et les entreprises du monde entier. Nous insufflons rapidement l’IA dans chaque couche de la pile technologique et pour chaque rôle et processus métier afin de générer des gains de productivité pour nos clients », a déclaré fin octobre cet Indo-américain (né à Hyderabad en Inde), qui est aussi président de Microsoft depuis près de deux ans et demi (6).

Un an après avoir lancé ChatGPT, aux airs de « Google-killer », OpenAI prépare un « smartphone-killer »

La start-up californienne OpenAI, cofondée par son actuel DG Sam Altman et devenue licorne valorisée presque 100 milliards de dollars, défraie la chronique depuis le lancement de ChatGPT il y a un an. Après avoir déstabilisé Google, elle veut lancer un petit terminal « smartphone-killer » boosté à l’IA.

(Vendredi 17 novembre 2023 au soir, heure de Paris, soit peu après le bouclage du n°310 de Edition Multimédi@ faisant sa Une sur OpenAI et Sam Altman, nous apprenions le limogeage surprise de ce dernier par son conseil d’administration. Vingt-quatre heure après, OpenAI revenait sur sa décision… Après avoir hésité à rejoindre Microsoft prêt à l’embaucher, Sam Altman a finalement trouvé le 22 novembre un accord avec OpenAI – avec le soutien du bailleur de fonds Microsoft – pour finalement y retourner !)

Google et Apple pourraient bien être les prochaines victimes collatérales d’OpenAI. Car la licorne à l’origine de l’IA générative ChatGPT, lancée il y a un an presque jour pour jour, accélère son offensive technologique. D’une part, elle a organisé le 6 novembre sa toute première conférence des développeurs, OpenAI DevDay, où ont notamment été lancés un « GPT-4 Turbo » et des interfaces de programmation (API) pour créer des agents conversationnels personnalisés intégrables dans des applications ou pour développer son propre « ChatGPT » autonome sans codage (1).
En mettant le turbo, OpenAI veut faire une super-IA tout-en-un capable de générer par elle-même aussi bien du texte et des images, mais aussi de l’audio et de la vidéo. Le 9 novembre, un programme open source baptisé « OpenAI Data Partnerships » (2) a même été lancé pour exploiter tous azimuts des données publiques et privées afin de former encore plus largement les IA génératives. Ce qui positionne la future plateforme IA intégrée d’OpenAI comme un potentiel « Google-killer ». D’autre part, son PDG cofondateur Sam Altman (photo) avait confirmé dès fin septembre être en « discussions avancées » avec l’ancien designer de l’iPhone chez Apple, l’Américano-britannique Jony Ive, et le PDG fondateur du conglomérat Softbank, le Japonais Masayoshi Son, autour d’un projet de lancement d’un terminal à intelligence artificielle susceptible de remplacer à terme les smartphones (3).

Un trio de rêve : OpenAI-Softbank-LoveFrom
Parallèlement, mais sans lien a priori avec ce projet d’appareil, Sam Altman a dit le 13 novembre au Financial Time qu’il demandait à Microsoft des fonds supplémentaires, en plus des 10 milliards de dollars déjà accordés sur plusieurs années par ce dernier, afin de rendre l’IA encore plus intelligente – vers le futur ChatGPT-5 et au-delà (4). Il faudra en tout cas attendre de nombreux mois avant que ne voit le jour le terminal IA grand public rêvé par OpenAI, LoveFrom (société de design créée en 2019 par Jony Ive (5) qui a recruté d’anciens collègues d’Apple comme Marc Newson) et Softbank, dont la filiale britannique ARM pourrait produire les puces.