Yves Gassot, Idate : « Face aux acteurs du Net, les opérateurs télécoms ne vont pas disparaître »

Alors que l’Idate – institut d’études sur les télécoms, l’Internet et l’audiovisuel – publie le 14 juin son DigiWorld Yearbook 2016, son directeur général Yves Gassot répond aux questions de Edition Multimédi@ sur les défis que doivent plus que jamais relever les opérateurs télécoms face aux acteurs du numérique.

Piratage : les plateformes du Net évitent l’obligation de « surveillance généralisée » des contenus, quoique…

Elles ont eu chaud. Les plateformes YouTube, Dailymotion, Facebook et autres Yahoo ont failli perdre leur statut d’hébergeur à responsabilité limitée. La loi
« République numérique », si elle est promulguée en l’état, ne leur impose pas d’obligation de surveillance généralisée ni de filtrage automatique. Seulement une « censure préventive »…

Les députés avaient imposé aux plateformes numériques « la mise en oeuvre de dispositifs de reconnaissance automatisée » de contenus piratés tels que des musiques ou des films. C’était une obligation majeure adoptée en janvier dernier par l’Assemblée nationale en matière de « loyauté des plateformes », au grand dam des acteurs du Net tels que YouTube, Dailymotion, Facebook ou encore Yahoo (lire ci-dessous).

Censure préventive des contenus
« Ces opérateurs de plateforme en ligne dont l’intensité de l’activité est susceptible d’exposer un grand nombre de consommateurs français à des contenus illicites devront désigner (…) élaborer des bonnes pratiques afin de lutter contre la mise à disposition
de contenus illicites, notamment en mettant en oeuvre des dispositifs techniques de reconnaissance automatisée de contenus illicites », avaient plaidé des députés épaulés par le groupe socialiste dans leur amendement n°268 adopté en janvier. A l’instar des plateformes numériques, les sénateurs ne l’ont pas entendu de cette oreille. Ils ont donc supprimé cette disposition, la considérant « extrêmement large, puisqu’[elle] recouvre l’ensemble des contenus illicites » et contraire non seulement au droit européen tel que la directive « Commerce électronique » de 2000, et en se référant
à un arrêt de la CJUE (1), mais aussi à la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) de 2004, qui prévoient le régime de responsabilité limitée de l’hébergeur. « Cette disposition revient à soumettre l’opérateur de plateforme à une obligation de surveillance généralisée [et] est de nature à conduire la plateforme à procéder un filtrage automatique et a priori des contenus, qui est préjudiciable à la liberté d’expression », ont contesté des sénateurs dans leur amendement n°157 adopté en avril. Le jour de l’adoption le 3 mai dernier de la loi « République numérique », le Conseil national du numérique (CNNum) – actuellement présidé par Mounir Mahjoubi (photo) – s’est « réjouit de l’abandon » par les sénateurs de la disposition de leurs collègues députés. Dans son rapport « Ambition numérique » publié en juin 2015,
cette instance – créée il y a cinq ans maintenant sous l’impulsion du l’ancien chef
d’Etat Nicolas Sarkozy pour « civiliser Internet » (2) – « invite à conserver ce régime [d’hébergeur à responsabilité limité, ndlr] afin de préserver la liberté de communication, dans la mesure où une responsabilité trop lourde pourrait les pousser à une censure préventive des contenus présents sur leurs sites, par crainte de voir leur responsabilité engagée ». Cette commission consultative indépendante basée à Bercy, dont les missions ont été redéfinies et étendues par un décret du président de la République
en 2012, milite en outre pour « l’obligation d’intervention humaine concernant le filtrage automatique a priori de contenus : imposer en ce sens une obligation de supervision humaine réelle (et non seulement formelle) et indiquer les critères d’appréciation » (3).

Bien que le statut d’hébergeur des plateformes numériques soit finalement épargné par le projet de loi portée par la secrétaire d’Etat au Numérique, Axelle Lemaire, le CNNum – dans son « bilan mitigé » sur ce texte – « s’inquiète de l’essor d’une forme de censure préventive des contenus, préjudiciable à l’exercice de la liberté d’expression et de création sur Internet, pour ce qui concerne par exemple les œuvres transformatrices (mashup, remix) ». Il regrette donc l’adoption fin avril de l’amendement n°307 par
les sénateurs qui prévoit : « A compter du 1er janvier 2018, (…), les opérateurs de plateformes en ligne sont tenus d’agir avec diligence en prenant toutes les mesures raisonnables, adéquates et proactives afin de protéger les consommateurs et les titulaires de droits de propriété intellectuelle (4) contre la promotion, la commercialisation et la diffusion de contenus et de produits contrefaisants ». Ce devoir de diligence s’inspire de celui existant en matière de lutte contre l’apologie d’actes de terrorisme, l’incitation à la haine raciale, la pédopornographie et les jeux d’argent illégaux. L’Asic a dénoncé, le 9 mai, dernier « une vision archaïque de l’économie numérique ». @

Charles de Laubier

L’Arcep pivote et, ce faisant, cherche à étendre son champ d’intervention : à tort ou à raison ?

Avec sa « revue stratégique » de janvier 2016, l’Arcep veut élargir la régulation des « communications électroniques » aux « communications numériques ».
En Europe, deux visions s’opposent entre les partisans d’une régulation des acteurs du Net et ceux craignant une sur-régulation des « marchés émergents ».

Société de l’information : vers une généralisation du signalement des incidents de sécurité

L’Union européenne va adopter deux textes majeurs qui vont étendre et renforcer les responsabilités des entreprises et des acteurs du Net dans la société de l’information : la nouvelle directive « Cybersécurité » et le règlement « Protection des données personnelles ».

La lutte renforcée contre le terrorisme jusque sur Internet risque de tuer la liberté d’expression

Avec le renforcement de la lutte contre le terrorisme, la victime collatérale
de l’extension des mesures – retraits de contenus, blocages de sites web, déréférencement, ou encore responsabilité engagée des acteurs du Net,
… – se trouve être la loi de 1881, fondement de la liberté d’expression.

* Christiane Féral-Schuhl, ancien bâtonnier du Barreau
de Paris. Elle est co-présidente de la Commission
de réflexion sur le droit et les libertés
à l’âge du numérique, à l’Assemblée nationale.