Faut-il créer un « service universel » du haut débit ?

En fait. Le 16 juin, Sébastien Soriano, président de l’Arcep, est intervenu en visioconférence pour son rendez- vous annuel « Telconomics ». Alors que les opérateurs télécoms ont dépassé en 2019 les 10 milliards d’euros d’investissement, EM@ lui a posé une question sur un éventuel « service universel » du haut débit.

En clair. Hors fréquences, les opérateurs télécoms en France ont dépassé pour la première fois la barre des 10 milliards d’euros d’investissement, à 10,4 milliards précisément, dont 75 % pour les réseaux fixes et 25 % pour les réseaux mobiles. C’est ce qui ressort de l’observatoire 2019 des marchés des télécoms (1) publié le 16 juin par l’Arcep, à l’occasion de sa conférence annuelle « Telconomics » destinée à la presse économique et aux analystes financiers. Alors que « la 4G pour tous » n’est toujours pas une réalité en France (2), que « le bon débit pour tous » est promis pour fin 2020, et en attendant « le très haut débit pour tous » (3) d’ici fin 2022 (« la fibre optique pour tous » à la maison étant reportée à fin 2025), la question d’un « service universel » du haut débit se pose.
Le service universel du téléphone – à savoir un service de qualité à prix abordable pour tous et des tarifs sociaux – existe depuis plus de vingt ans, avec, depuis cinq ans, « un débit suffisant pour permettre l’accès à Internet » (« loi Macron » de 2015). Mais le confinement a rappelé la réalité de la fracture numérique en France. « Sur le haut débit, je trouve que la question pourrait se poser. Est-ce que c’est un service universel ou est-ce que c’est une autre modalité, ce n’est certainement pas à moi de le dire. A la fin de l’année, 100% des foyers français seront connectés au “bon débit pour tous”, à savoir 8 Mbits/s par un panachage de technologies. Donc, on pourrait se poser la question de donner un cadre formel à cette garantie de 8 Mbits/s pour tous. Pourquoi pas. En tout cas, l’Arcep est tout à fait disposée à accompagner le gouvernement si telle est la volonté du pouvoir politique », a répondu Sébastien Soriano à Edition Multimédi@.
A la suite d’une remarque transmise par la directrice générale de l’Arcep, Cécile Dubarry, sur le code européen des télécoms (4) qui doit être transposé en droit national au plus tard le 21 décembre 2020, il a précisé que cette transposition en France se fera « par voie d’ordonnance » et que « ce code européen des télécoms prévoit le cas échéant un toilettage du service universel ». Et le président de l’Arcep a ajouté : « Cela pourrait donc être l’occasion effectivement d’aller vers cette idée du haut débit. Mais je ne suis pas en proposition lorsque je dis cela. C’est un élément factuel ». @

Le haut débit pourrait entrer dans le service universel

En fait. Le 27 janvier, Jacques Pomonti, président de l’Association française des utilisateurs de télécommunications (Afutt), nous avait expliqué pourquoi il serait temps de mettre le haut débit dans le service universel, garantie d’un accès à Internet pour tous et à tarif « social ».

En clair. « Je demande, puisqu’il y a renouvellement du tenancier du service universel qui intervient le 24 février prochain (1), que l’on pose le problème de son élargissement. Après les cabines publiques téléphoniques, l’accès haut débit à Internet devrait être dans le service universel. Le fait qu’il n’y soit pas est a-légal. Le Conseil constitutionnel a déclaré en juin 2009 que l’accès à l’Internet faisait partie des libertés fondamentales garanties par la Constitution », a expliqué à Edition Multimédi@ Jacques Pomonti, président de l’Afutt, en marge des voeux de l’Arcep à la Sorbonne.
Cinq ans après la déclaration du Conseil constitutionnel, considérant dans sa décision
« Hadopi » du 10 juin 2009 que « la libre communication des pensées et des opinions
est un des droits les plus précieux de l’homme » (2) et que « ce droit implique la liberté d’accéder à ces services [en ligne] », ne pas mettre l’accès haut débit à Internet dans le service universel serait donc contraire à la Constitution française. « Que peut encore signifier en 2014 un service universel dont l’obligation ne couvre pas l’accès à Internet ? », s’interroge Jacques Pomonti, rappelant qu’il avait déjà défendu cette idée-là en 2000 auprès du ministre de l’Industrie de l’époque, Christian Pierret, lequel l’avait porté sans succès au niveau du Conseil des ministres européens…

Fin annoncée de l’égalité d’accès à Internet…

En fait. Le 13 août, Libération a publié le rapport du gouvernement au Parlement intitulé : « La neutralité de l’Internet. Un atout pour le développement de l’économie numérique ». Prévu par la loi de 2009 sur « la lutte contre la fracture numérique », ce rapport crée… une fracture.

En clair. Avant même que la France ait répondu à la consultation publique de la Commission européenne jusqu’au 30 septembre, le gouvernement et le régulateur préparent déjà les esprits à la fin du principe de neutralité des réseaux. Dans la torpeur
de l’été, le rapport du gouvernement au Parlement – émanant du secrétariat à l’Economie numérique et daté du 16 juillet – a été mis en ligne mi-août (1). « La préservation d’un Internet ouvert n’interdit pas la mise en place de mesures techniques, notamment de gestion du trafic », y affirme le gouvernement. Et ce, après avoir expliqué en long et en large que les opérateur télécoms et les fournisseurs d’accès pratiquent déjà sur le Net : la « gestion du réseau », la « régulation du trafic », le
« traitement différencié de certains flux (2) » , le « blocage de certains contenus »,
la « garantie de la qualité de service offerte à certaines applications », les « services gérés de bout en bout », les « services garantis de certains flux », les « technologies d’analyse de trafic dites DPI (3) », le« filtrage de certains services » ou encore les
« limitations ». Et en toute légalité ! La loi de 2004 sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN) a ouvert la voie au filtrage ou aux restrictions d’accès. Les deux lois Hadopi de 2009, avec la mise en place de radars TMG sur le Net, et la loi sur les jeux d’argent en ligne adoptée cette année ont instauré le blocage de sites web. Quant à la loi sur la sécurité intérieure, la fameuse Loppsi 2 qui fait son retour au Sénat à partir du 7 septembre en session extraordinaire, elle étend le principe du blocage aux sites web pédopornographiques (4) (*) (**). Sur le terrain, des brèches ont déjà été ouvertes dans la Net Neutrality : blocage en France de Dailymotion par Neuf-SFR durant l’été 2007 en est une ; plafonnements de débit par Numericable ; limitations de flux en zones non dégroupées ; des restrictions de « peering » ; blocages de forfaits mobiles (Orange/M6, Bouygues Telecom/Universal Mobile, …) ; limitations territoriales dues aux droits d’auteur, comme pour Hulu (lire EM@8 p. 4). Sans parler des réseaux mobiles qui empêchent streaming, peer-to-peer ou encore visiophonie de type Skype. Autre exemple : Free propose un « accès prioritaire » payant à son service de télévision de rattrapage TVReplay, parallèlement gratuit en qualité standard. Quant à Google et Verizon, ils ont déclenché en août de vives protestations après s’être déclarés pour
des « services différenciés » sur le Net… @

L’après-Hadopi : le rôle des fournisseurs d’accès à l’Internet reste à clarifier

La loi « Hadopi » est relativement claire sur ce que les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) doivent faire. Mais elle l’est beaucoup moins sur ce qu’ils peuvent faire pour contribuer au développement de l’offre légale et à la lutte contre le piratage en ligne.

Par Winston Maxwell, avocat associé, cabinet Hogan & Hartson.

La loi « Création et Internet » donne plusieurs rôles bien définis aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI). Ils (1) doivent communiquer à la Commission de protection des droits de l’Hadopi – Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet – l’identité de l’abonné dont l’adresse IP a été relevée par des agents assermentés du CNC, le Centre national du cinéma et de l’image animée, des sociétés de gestion collective ou des organismes de défense professionnelle.