Entre taxation et splinternet, le Web est en péril

En fait. Le 21 octobre, l’Ofcom, régulateur britannique des télécoms et de l’audiovisuel consulte jusqu’au 13 janvier 2023 en vue de définir dans un an de « nouvelles lignes directrices sur la neutralité du Net ». L’Europe, elle, songe à taxer les GAFAN. Par ailleurs, le « splinternet » menace aussi le Web ouvert.

En clair. Deux tendances menacent l’Internet ouvert, ce « réseau des réseaux » sur lequel fonctionne le Web depuis trente ans : d’un côté, la remise en cause du principe de neutralité du Net qui garantit la non-discrimination des contenus accessibles par les internautes ; de l’autre, le phénomène de la « splinternet » qui tend à accentuer la fragmentation de l’Internet sous les coups de butoirs de certains Etats à la souveraineté numérique exacerbée.
Sur le terrain de la neutralité de l’Internet, la dernière menace en date est venue de la Grande-Bretagne où son régulateur des télécoms et de l’audiovisuel – l’Ofcom – prévoit de publier d’ici un an de nouvelles directives sur la « Net Neutrality ». Il l’a fait savoir le 21 octobre en lançant jusqu’au 13 janvier 2023 une consultation publique sur ce sujet sensible. « Depuis que les règles actuelles ont été mises en place en 2016, il y a eu (…) une forte demande de capacité, l’émergence de plusieurs grands fournisseurs de contenu comme Netflix et Amazon Prime, et l’évolution de la technologie, dont la 5G », a expliqué Selina Chadha, directrice de la concurrence et des consommateurs à l’Ofcom, pour justifier cette révision à venir (1). De son côté, la Commission européenne s’apprête à lancer d’ici la fin du premier trimestre 2023 une vaste consultation publique sur notamment la question de savoir si elle doit accéder à la demande des opérateurs télécoms de taxer les GAFAN utilisant leur bande passante (2).
Sous le marteau, il y a aussi l’enclume : l’Internet est en outre menacé par ce que l’on appelle le « splinternet » (contraction de splintering et de Internet), néologisme qui désigne sa balkanisation, autrement dit sa fragmentation entre différentes parties du monde (Chine, Russie, Inde, Iran, Afghanistan, …). Le phénomène ne date pas d’hier mais il s’accélère. Le splinternet, qui va à l’opposé de l’internetting à l’origine du « réseau des réseaux », préoccupe plus l’Union européenne que les Etats-Unis.
Le Parlement européenne s’est penché sur ce risque « systémique » à travers un rapport que son service de recherche EPRS a commandité et publié le 11 juillet dernier. Dans ce document de 80 pages (3), la Commission européenne est appelée à « lutter contre la fragmentation d’Internet » par ses propositions législatives. En creux, l’abandon de la neutralité du Net serait un pas de plus vers le splinternet. @

La disparition des MVNO n’est pas bon signe pour la concurrence mobile en France et ses tarifs

Les rachats successifs des MVNO depuis dix ans – dont dernièrement Coriolis, Syma ou encore EIT (Crédit Mutuel Mobile, NRJ Mobile, CIC Mobile, Auchan Telecom, …) – ne sont pas de bon augure pour les consommateurs. Cette concentration prépare-t-elle un passage à trois opérateurs mobiles ?

Les opérateurs de réseau mobile virtuel, ou MVNO (Mobile Virtual Network Operator), sont une espèce en voie de disparition. Bien que ne disposant pas de leur propre réseau radio, ils sont néanmoins considérés comme des opérateurs mobiles à part entière. Aussi, pour offrir des services mobiles à leurs abonnés, ces MVNO – qui ne sont plus qu’une petite quinzaine en France – s’appuient sur les services d’un ou de plusieurs opérateurs de réseau mobile choisi parmi les quatre présents sur le marché (Bouygues Telecom, Free Mobile, Orange et SFR) auxquels ils leur achètent des communications en gros.

Bérézina virtuelle depuis dix-huit mois
Mais force est de constater que leur part de marché cumulée chute depuis décembre 2020 où ils atteignaient 11,9 %, pour se retrouver à seulement 6,7 % à fin juin 2022, d’après les chiffres publiés par l’Arcep le 4 août dernier. Au meilleur de leur forme, en 2014, la cinquantaine de MVNO d’alors affichaient 8,9 millions de clients, soit alors 13 % du marché de la téléphonie mobile. A l’époque, la montée en charge de Free Mobile – lancé il y a dix ans – leur avait déjà coupé l’herbe sous le pied. Les trois opérateurs mobiles historiques, Orange, SFR et Bouygues Telecom, avaient répliqué à l’opérateur de Xavier Niel en lançant leurs propres marques low-cost : respectivement Sosh, Red et B&You. Depuis lors, les MVNO étaient entre le marteau (les opérateurs de réseau mobile qui les hébergent) et l’enclume (les offres à bas prix de ces même opérateurs hôtes). Bref, ce fut des conditions concurrentielles telles que les MVNO furent cantonnés à des marchés de niche (les communautés ethniques, les expatriés, les voyageurs d’affaires, les jeunes, etc.).
D’une cinquantaine à leur apogée, les MVNO en France sont passés à une trentaine avant 2020, pour se retrouver une quinzaine aujourd’hui – en perdant au passage quelque 3,7 millions de clients en dix-huit mois – passant d’un total de 9 millions à seulement 5,3 millions de clients à fin juin 2022 – et en cédant 5,2 points de part de marché. Cette bérézina est due notamment aux MVNO qui, à bout de souffle, se sont fait racheter par des opérateurs de réseau mobile, le plus souvent leur propre opérateur hôte. Ainsi, en mai dernier, SFR (groupe Altice) s’est emparé de Syma Mobile et de ses près de 700.000 clients (acquisition finalisée fin juin). Ce MVNO s’appuyait à la fois sur les réseaux d’Orange et de SFR. Sa maison mère Altice France avait déjà acquis auparavant Coriolis et ses 500.000 clients – considéré comme le deuxième « virtuel » en France – à la suite du feu vert fin avril de l’Autorité de la concurrence (1). Moins d’un an auparavant, Altice France avait aussi mis la main sur un autre MVNO arrimé au réseau SFR : Afone et ses moins de 80.000 clients, notamment avec les offres Afone Mobile et Reglo Mobile vendues dans les supermarchés Leclerc. Ironie de l’histoire : Afone avait saisi en 2006 l’Arcep pour régler un différend avec SFR qui refusait, à l’époque, de lui ouvrir son réseau pour être un « full MVNO » ! Le gendarme des télécoms avait finalement donné raison à Afone en avril 2006 dans une décision que SFR avait attaquée devant la cour d’appel, laquelle avait rejeté ce recours (2). Dans l’acquisition de MVNO, SFR s’était déjà distingué en rachetant les 2 millions de clients de Virgin Mobile (Omea Telecom, ex-Omer Télécom) qui fut absorbés fin 2014, mettant un terme à l’aventure du premier MVNO français en taille (3).
De son côté, Bouygues Telecom a racheté fin 2020 le MVNO Euro-Information Telecom (EIT) — filiale du Crédit Mutuel intégrant NRJ Mobile, CIC Mobile, Crédit Mutuel Mobile, Auchan Telecom (cédé par Auchan) et Cdiscount Mobile. EIT, né en 2005 avec la marque NRJ Mobile, utilisait les réseaux « hôtes » d’Orange, de Bouygues Telecom et de SFR pour franchir lui aussi la barre des 2 millions de clients. EIT avait racheté en 2018 le fonds de commerce de Sisteer, un MVNE (Mobile Virtual Network Enabler) proposant un ensemble de services ou d’équipements nécessaires à l’activité d’opérateur mobile à des MVNO tels que Carrefour Mobile (racheté en 2012 par Orange), Grand Public Darty Telecom (cédé à Bouygues Telecom), ZeroForfait (revendu à Prixtel), Budget Mobile et SIM+.

Des MVNO détenus par les « telcos »
Quant à La Poste Mobile, elle dispose du vaste réseau de distribution postale physique : plus de 8.000 bureaux de poste à l’époque (5.000 aujourd’hui complétées par plus de 4.000 points-relais). Ce qui a permis à cette filiale du groupe La Poste (51 % du capital) et de SFR (49 %) – créée en 2011 à partir des actifs de Simplicime, héritier d’un pionnier des MVNO français, Debitel (marque qui a disparu en 2008) – d’atteindre un parc total de près de 2 millions de clients. Ce MVNO publicprivé, La Poste Mobile, a fait de SFR son unique opérateur hôte. A la suite de ces acquisitions en série (4), la plupart des clients des MVNO ainsi absorbés ont été encouragés voire forcés à basculer sous la marque de l’opérateur mobile acheteur. D’autres ont disparu eux aussi. Pour les MVNO détenus à plus de 51 % par un opérateur de réseau mobile – comme Bouygues Telecom Business-Distribution (ex-EIT), Keyyo détenus par Bouygues Telecom ou Nordnet contrôlé par Orange – l’Arcep les comptabilise non pas en tant que MVNO mais en intégrant leurs clients dans ceux de l’opérateur hôte et maison mère.

Free, toujours pas de MVNO
Les derniers survivants des opérateurs mobiles virtuels se nomment, par ordre alphabétique :
côté particuliers, Joi Telecom (ACN Communications), Brazile Telecom (téléphonie pour seniors), CTExcelbiz (China Telecom), Lebara France, Lycamobile, Vectone (Mundio) ou encore Truphone ;
côté entreprises, Alphalink, Cellhire, Cubic Telecom (MtoM (5)), Netcom, SCT Telecom, Sewan Communications, Truphone, Voip Telecom, Airmob (racheté par Altitude) ou encore Transatel (MtoM).
Ce dernier, Transatel, fut un pionnier français des MVNO qui fut racheté en février 2019 par l’opérateur télécoms historique japonais NTT. Cofondé en 2000, Transatel s’est historiquement développé auprès d’une clientèle composée d’hommes d’affaires européens, de résidents étrangers et de transfrontaliers, mais aussi en tant que MVNE/A (Mobile Virtual Network Enabler/Aggregator) pour le compte de tiers et de pas moins de 180 MVNO en Europe. Ses activités sont aujourd’hui orientées connectivité MtoM, avec des solutions de cartes SIM virtuelles – eSIM – proposées depuis 2014 sur les marchés de l’Internet des objets ou de la voiture connectée.
A noter que parmi les quatre opérateurs de réseau mobile, seul Free n’a pas accueilli de MVNO malgré deux offres à leur attention lancée il y a dix ans (MVNO Light et Full MVNO), avec l’intention de limiter à quatre ses opérateurs mobiles virtuels sur son réseau. Mais les prix pratiqués la filiale d’Iliad ne laissent pas d’espace économique suffisant aux candidats, certains criant à l’époque au scandale. Il faut dire que Free Mobile, lancé en 2012, faisait pâle figure en termes de couvertures géographique (Lire p.3). Free réussira l’exploit de n’être l’hôte d’aucun MVNO, sans que le régulateur n’y trouve à redire, malgré ses engagements sur la 5G.
Autre anomalie : bien que la Commission européenne et le Parlement européen ont supprimé depuis juin 2017 les frais d’itinérance (roaming) pour les consommateurs circulant dans les Vingt-huit (passés à Vingtsept) Etats membres, une dizaine de MVNO disposent encore d’exemptions – accordées par leur « Arcep » nationale – leur permettant de facturer un surcoût en cas de roaming. D’après NextInpact (6), Reglo Mobile (Altice/E. Leclerc) continue de le faire sans avoir demandé le renouvellement de son exemption. @

Charles de Laubier

Plus de 200 opérateurs mobiles, dans 80 pays, offrent la 5G à plus de 1 milliard d’utilisateurs

Les équipementiers télécoms – Samsung, Huawei, Ericsson, Nokia, Apple, Qualcomm, Intel ou ZTE – se frottent les mains : la cinquième génération de mobiles prend enfin son envol. Deux seuils sont dépassés cette année : plus de 200 opérateurs 5G et plus de 1 milliard d’utilisateurs dans le monde.

Pour les membres exécutifs de la Global Mobile Suppliers Association (GSA), que sont Samsung, Huawei, Ericsson, Nokia, Apple, Qualcomm, Intel et ZTE, le marché mondial de la 5G décolle enfin. Leur organisation internationale, basée au Royaume-Uni et présidée par Joe Barrett (photo), a publié fin juin auprès de ses adhérents un état des déploiements de la 5G dans le monde : sur près de 500 opérateurs télécoms (1) dans 150 pays et régions qui investissent dans un réseau 5G (y compris tests, achat de licences, projets, déploiements et lancements commerciaux), plus de 200 d’entre eux dans 80 pays ont lancé des services mobiles (2).

5G fixe (FWA) et 5G standalone (SA)
La GSA, dont le snapshot est établi à fin mai 2022 (voir 1er graphique), a recensé parmi ces opérateurs 85 dans 46 pays et territoires qui ont lancé des services de 5G fixe à la norme 3GPP (3), appelés aussi Fixed Wireless Access (FWA). Cela représente tout de même environ 40 % des opérateurs télécoms qui offrent de la 5G fixe. Preuve supplémentaire, s’il en était besoin, que la cinquième génération de mobiles ne sera pas uniquement au service de la mobilité. Elle est amenée aussi à concurrencer la fibre optique dans les foyers, dont certains n’hésiteront pas à remplacer leur « box » fixe (ADSL ou FTTH) par une « box » 5G (FWA).
Autre constat : quelque 108 opérateurs télécoms ont investi dans ce que l’on appelle la « 5G autonome » ou « 5G standalone » (5G SA), dont 28 d’entre eux sont des réseaux publics. Il s’agit de réseaux construits uniquement pour la 5G, contrairement à d’autres réseaux 5G qui s’appuient sur des réseaux 4G existants. L’avantage de cette 5G autonome – dotée de ses propres équipements – est qu’elle est bien plus performante, en termes de connexions disponibles, de temps de latence très faibles et de très haut débits dignes de ce nom. Mais cette « vraie » 5G suppose de la part des « telcos » des investissements plus importants. Partir des installations 4G déjà en place pour monter progressivement en puissance vers la 5G nécessite en effet de moindres dépenses, mais – contrairement à ce que croit le client abonné – les appels voix continuent de passer par la 4G et les données transitent par la 4G et la 5G. La 5G SA, elle, forte de son autonomie et de sa pleine puissance, est « 100% 5G » et peut même être une sérieuse alternative dans les zones rurales mal ou pas desservies par la fibre optique de bout-en-bout, pour peu que les opérateurs télécoms se donnent la peine d’investir de façon « autonome ».
Par exemple, en France, Bouygues Telecom (4), SFR, Free et Orange ont prévu de mettre en service dès 2023 leurs réseaux 5G standalone. Pour l’heure, selon les chiffres publiés le 7 juillet par l’Arcep au 31 mars 2022, l’Hexagone compte 4,1 millions d’abonnés 5G. Autrement dit, la France ne pèse que 0,4 % du milliard d’utilisateurs identifiés par CSS Insight. Ce cabinet d’étude britannique a publié fin juin une estimation du nombre d’utilisateurs 5G dans le monde : la barre du milliard est en train d’être franchie pour atteindre 1,2 milliard d’utilisateurs à la fin de cette année et, selon ses prévisions, ce nombre aura plus que doublé en 2024 (voir 2e graphique). La 5G devient réalité, du moins si la « vraie » 5G suit le mouvement. @

Charles de Laubier

Toujours en position dominante dans la diffusion audiovisuelle en France, TDF va encore changer de main

C’est la plus grosse opération financière attendue en France dans les télécoms cette année. Le canadien Brookfield – premier actionnaire de TDF depuis 2015 – vient de lancer le processus de vente de ses 45 % du capital de l’opérateur d’infrastructures dirigé depuis 2010 par Olivier Huart. Orange est parmi les intéressés.

La « tour-mania » qui agite les investisseurs depuis quelques années devrait permettre au premier actionnaire de TDF, le canadien Brookfield Asset Management, de sortir par le haut. Après avoir formé en 2014 un consortium avec des partenaires institutionnels pour s’emparer en mars 2015 des 100 % de l’ancien monopole public français de radiotélédiffusion, dont 45 % détenus depuis par sa filiale Brookfield Infrastructure Partners dirigée par Sam Pollock (photo), le fonds de Toronto veut maintenant céder sa participation.
Cette sortie à forte plus-value au bout de sept ans pourrait même s’accompagner de la cession du contrôle de l’ex-Télédiffusion de France, en convergence avec d’autres membres du consortium comme le fonds de pension canadien PSP Investments (1) qui détient 22,5 %. Même si les deux canadiens n’ont toujours rien officialisé sur leurs intentions de vendre leur actif devenu « poule aux œufs d’or », leur décision est prise depuis au moins 2018. Des discussions avec un repreneur potentiel – l’opérateur Axione et son actionnaire Mirova (filiale de Natixis) – n’avaient pas abouti l’année suivante (2). Une nouvelle tentative avait été lancée à l’automne 2021 par les deux canadiens, mais sans lendemain. L’année 2022, après deux ans de crise « covid-19 », se présente sous de meilleurs auspices malgré les conséquences de la guerre en Ukraine.

Valses des fonds autour des « towerco »
Cette fois, les fuites sur de nouvelles négociations des fonds actionnaires se font plus insistantes et la valorisation évoquée de l’ensemble de TDF pourrait atteindre des sommets : jusqu’à 10 milliards d’euros, dont près de 4,5 milliards pour les 45 % de Brookfield. Ce serait une véritable « culbute » pour les investisseurs actuels qui ont acquis fin 2014 l’opérateur historique français de la diffusion audiovisuelle – diversifié dans les télécoms – pour la « modique » somme de 3,6 milliards d’euros (dont 1,4 milliard de dette). Cet engouement pour les 19.200 sites physiques du premier opérateur français d’infrastructure de diffusion audiovisuelle et de téléphonie mobile – les fameux « points hauts » (pylônes, toitsterrasses, châteaux d’eaux, gares, voire clochers d’églises) – s’inscrit dans la valse des fusions et acquisitions autour des « towerco ». Ces opérateurs d’infrastructures réseaux sont portés partout dans le monde par les mobiles (dont la 5G), la télévision (avec la TNT) ou encore la radio (numérisée en DAB+). Même des opérateurs télécoms se séparent de leurs tours pour se désendetter, plombés par de lourds investissements dans la fibre et la 5G (3).

TDF, toujours dominant et convoité
En obtenant une forte valorisation de TDF, qui a réalisé en 2021 un chiffre d’affaires de 731,7 millions d’euros (+ 6,4% sur un an) pour un résultat brut d’exploitation de 416,2 millions d’euros (+ 5,8 %), le meneur canadien Brookfield pourrait entraîner non seulement son compatriote PSP mais aussi tous les autres membres du consortium : le néerlandais APG Asset Management, le britannique Arcus Infrastructure Partners et, pourquoi pas, « l’investisseur français de référence » ayant rejoint le consortium : la filiale Predica du français Crédit Agricole Assurances qui détient 10 % du capital de TDF.
Les vendeurs en 2014 étaient déjà des fonds d’investisseurs qui avaient dégagé une plus-value malgré le surendettement de l’entreprises : TPG Capital détenait 42 %, Bpifrance 24 %, Ardian à 18 % et Charterhouse 14 %. Ils avaient racheté TDF à France Télécom entre 2002 et 2004 pour à peine 2 milliards de d’euros. Cette « privatisation » de cette filiale s’était faite en même temps que celle, partielle, de la maison mère, futur Orange. Aujourd’hui, Orange est cité parmi les repreneurs potentiels face à de nombreux fonds d’infrastructures.
L’ancien monopole public de diffusion audiovisuelle, dirigé depuis douze ans par Olivier Huart, est ainsi un bon parti pour les fonds d’investissement depuis vingt ans maintenant. Sa position dominante fait leurs affaires et explique pourquoi ces fonds tournoient autour des antennes de cet opérateur d’infrastructure incontournable. Aujourd’hui, avec ses 1.800 salariés, TDF a diversifié ses sources de revenus : 56 % proviennent des télécoms en 2021, 23 % de la diffusion de télévision, 15 % de la radio, 5 % de la fibre et 1 % de l’informatique.
L’ex-Télédiffusion de France reste d’autant plus un « opérateur dominant » face à ses concurrents qu’il exerce « une influence significative » sur le marché français de la diffusion audiovisuelle hertzienne terrestre. Selon la Commission européenne, « une part de marché supérieure à 50 %, détenue par une entreprise, constitue en soi la preuve de l’existence d’une position dominante ». Aussi, l’Arcep a dû encore constater dans une décision du 10 mai dernier que « les parts de marché de TDF sont largement supérieures à ce seuil ». En conséquence, elle poursuit la régulation du marché de gros des services de diffusion audiovisuelle hertzienne terrestre « en rendant opposables les engagements » pris par TDF le 25 mars 2022. Et ce, pour une durée de cinq ans (2022-2026), tout en maintenant « une pression tarifaire suffisante » sur cet opérateur dominant (4). Si l’on considère les services de diffusion des chaînes de la TNT, seuls deux acteurs sont présents sur le marché français : l’historique TDF, lequel a racheté en octobre 2016 son concurrent Itas Tim (absorbé en février 2021), et l’alternatif TowerCast (filiale du groupe NRJ). Auparavant, en 2014, Itas Tim avait absorbé OneCast, alors filiale de TF1.
Mais il y a un an, un nouvel entrant est venu bousculer ce duopole : la société Valocast, filiale de Valocîme (alias Omoyo, sa holding). Cornaquée financièrement par le fonds d’investissement américain KKR, le français Valocîme est déjà présent en tant que « towerco » avec aujourd’hui plus de 1.600 sites (terrains, terrasses) proposés en location aux opérateurs télécoms. Et depuis un accord annoncé le 1er juin dernier avec TowerCast, celui-ci a accès à ses sites pour la diffusion de télévisions et de radios (TNT, DAB+ et FM). Inversement, TowerCast « héberge » Valocîme sur ses 600 sites pour les clients opérateurs mobiles de ce dernier. « Nous sommes un caillou dans la chaussure de TDF, en rémunérant mieux le propriétaire foncier qui loue son terrain occupé par une antenne, et l’opérateur télécoms qui l’exploite. Avec nous, ce n’est plus le towerco qui capte la plus grosse part de la valeur créée », explique à Edition Multimédi@, Frédéric Zimer, président de Valocîme. TowerCast, lui, est un habitué des bras de fer avec TDF, même si Jean-Paul Beaudecroux, le patron fondateur de NRJ, a songé par trois fois (2008, 2014 et 2017) à vendre cette activité. Alors que l’Arcep avait prévu la « dérégulation » de TDF en 2019, voire « l’arrêt de la TNT » (5), TowerCast a tout fait à l’époque pour faire changer d’avis le régulateur (6) – y compris en le faisant condamner fin 2020 par le Conseil d’Etat pour « excès de pouvoir » (7). En prenant la décision le 10 mai dernier de maintenir une régulation ex ante sur TDF, son rival s’en est encore félicité.

Plus de 70 sites physiques non-réplicables
Pour autant, a déploré TowerCast dans sa réponse à l’Arcep en décembre 2021, « seules 241 zones font l’objet d’une concurrence totale par les infrastructures, soit 15,4 % des sites réputées réplicables ». Et de dénoncer « une rente [de TDF] sur les sites non-réplicables » – au nombre de plus de 70, dont la Tour Eiffel, l’Aiguille-du-Midi, le Picdu- Midi ou encore Fourvière à Lyon. Résultat : « Le marché est ainsi toujours fortement déséquilibré et à l’avantage de l’opérateur historique, ce qui traduit de forts dysfonctionnements ». Mais tant que TDF reste fort et dominateur, les fonds d’investissement s’en mettent plein les poches. @

Charles de Laubier

Le FTTH et la 5G vont permettre aux opérateurs télécoms d’accroître leurs revenus fixe et mobile

La France est en train de tourner la page des télécoms par chères. Les opérateurs télécoms commencent à encaisser des revenus à la hausse, notamment sur les forfaits grâce aux abonnements à la fibre optique et à ceux de la 5G. Les consommateurs voient déjà leurs factures augmenter.

Cela fera vingt ans cette année que le concept de triple play débarquait en France (à l’initiative de Free avec le lancement de la « box » en novembre 2002) pour 29,99 euros par mois. Ce forfait – comprenant la téléphonie, l’accès à Internet et la réception de chaînes de télévision – a défié la concurrence qui s’est alignée sur cette offre avantageuse pour les abonnés. Six ans auparavant, c’était Bouygues Telecom qui inventait en France le premier forfait mobile dont le principe fut adopté par tous ses rivaux, avec parfois des offres agressives à 9,99 euros par mois voire à des prix bien en-dessous.

Fixe et mobile : factures en hausse
Cette période de deux décennies avec des forfaits fixe (à moins de 30 euros par mois) et mobile (à moins de 10 euros par mois) est en passe d’être révolue. Autrement dit, les télécoms commencent à peser plus lourd dans le budget des foyers français. Orange, SFR ou encore Bouygues Telecom font déjà des augmentations « par défaut » du prix de certains forfaits (mobile ou fixe), bien que cette pratique discrète soit controversée. La généralisation de la fibre et de la 5G vont contribuer à augmenter encore plus les factures mensuelles des consommateurs. C’est déjà le cas des 14,4 millions d’abonnés à un forfait de fibre optique de bout en bout dit FTTH (1), ainsi que des 3millions d’abonnés à une offre 5G (au 31 décembre 2021). Si la facture mensuelle moyenne par abonné avait tendance à être plus ou moins stable depuis plusieurs années, elle s’est installée au dernier trimestre 2021 dans la fourchette haute : à 33,5 euros par mois en moyenne pour les abonnements fixe et 14,9 euros par mois en moyenne pour les clients mobile (voir tableau ci-dessous). « Pour l’utilisation d’accès Internet à haut ou très haut débit et les services associés, un abonné dépense en moyenne 33,5 euros HT par mois, une facture qui augmente légèrement depuis le début de l’année 2020 (+ 30 centimes en un an ce trimestre) après deux années de recul continu », constate l’Arcep dans son observatoire du marché des télécoms publié le 7 avril. Et côté mobile : « La facture mensuelle moyenne par carte [SIM] augmente de 3,2 % en un an, et s’élève à 14,9 euros HT. Elle progresse de 50 centimes en un an, et atteint un niveau supérieur à celle observée avant la crise sanitaire ». Ces haussent des montants payés par les abonnés se traduisent par l’augmentation des revenus des opérateurs télécoms, lesquels souhaitent depuis des années une revalorisation de leurs forfaits fixe et mobile soumis depuis des années à une pression des prix (vers le bas) en raison de la bataille tarifaire – notamment entre les quatre principaux opérateurs fixe et mobile que sont Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free. Les deux premiers appellent d’ailleurs depuis des mois à un passage de quatre à trois opérateurs télécoms en France, « pour être plus forts » et « cesser la bataille tarifaire » (2).

Pour l’heure, en 2021, les opérateurs télécoms enregistrent – malgré la crise sanitaire – une hausse de leur chiffre d’affaires total au rythme de 2% à 4% sur un an chaque trimestre, pour atteindre 9,4 milliards d’euros au quatrième trimestre 2021 et totaliser 36,1 milliards en 2021. Selon les calculs de Edition Multimédi@ sur l’année calendaire, cela correspond à une hausse annuelle de 2,5 % entre 2020 (35,238 millions d’euros) et 2021 (36,118 millions d’euros). « Cette progression, qui contraste après plusieurs années (de 2011 à 2020) de recul, est tirée par à la fois les revenus des services mobile et ceux des services fixe », relève l’Arcep. En y regardant de plus près, ce sont les abonnements et forfaits mobile (donc hors cartes prépayées) qui rapportent le plus aux opérateurs télécoms depuis plusieurs années : 3,5 milliards d’euros au quatrième trimestre de 2021 pour un total de 13,5 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année, soit une hausse de 5,1% sur un an. Le deuxième poste de recettes le plus élevé pour les opérateurs télécoms réside dans les abonnements d’accès haut et très haut débit à Internet et à la téléphonie (hors autres services Internet comme publicité en ligne ou commerce en ligne) : 2,6 milliards d’euros au quatrième trimestre de 2021 pour un total de 10,2 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année, soit une hausse de 5,1 % sur un an. Le fait que ces deux premières sources de revenus des opérateurs télécoms (forfaits et abonnements mobile et fixe) affichent le même taux de croissance l’an dernier (5,1 %) n’est que pure coïncidence, mais cette hausse significative prouve que les consommateurs paient plus cher leurs accès télécoms. Il faut s’attendre à ce que ces hausses tarifaires pour le client final se poursuivent voire s’amplifient avec la généralisation de la fibre et de la 5G aux forfaits plus coûteux.

Les terminaux mobiles rapportent
Quant à la troisième source de revenu des opérateurs télécoms, elle correspond à location ou à la vente de terminaux mobiles tels que les smartphones (n’étant pas comptabilisée ici la vente de terminaux de téléphonie et Internet fixes plus marginale et en déclin) pour un total de 1,1 milliard d’euros au quatrième trimestre de 2021 et un total de 3,3 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année, soit une hausse là aussi non négligeable de 7,1 % sur un an. Non seulement ce poste a franchi l’an dernier la barre du milliard d’euros de chiffre d’affaires, mais aussi affiche une hausse supérieure à celles des accès fixe ou mobile. Pour la hausse des ventes d’accès fixe à Internet, par exemple, l’Arcep souligne que « cet accroissement s’explique en partie par l’accélération de la transition du cuivre vers la fibre optique ». D’autant que, pour la première fois, le nombre d’abonnements FTTH (14,4 millions au 31 décembre 2021) dépasse celui des abonnements ADSL/VDSL (12,4 millions). Et le terrain est favorable à la poursuite voire à l’accélération des hausses tarifaires fixes, puisque la fibre est orientée à la hausse et le cuivre à la baisse. « Au total, au 31 décembre 2021, 58 % du nombre total d’abonnements à Internet sont à très haut débit, dont près de 80 % en fibre optique de bout en bout. Parallèlement, le nombre de locaux raccordables au réseau FTTH progresse également fortement chaque année : 29,7millions de locaux le sont ce trimestre, soit + 5,5 millions en un an », détaille l’Arcep.

Baisse du cuivre, hausse des prix
Mais un peu plus de la moitié de ces prises « optiques » raccordables ne font pas encore l’objet d’un abonnement (voir tableau ci-dessus), alors que le raccordement technique lui-même peut poser de sérieux problèmes (3). L’opérateur télécoms historique Orange a d’ailleurs commencé à basculer vers la fibre, avec l’extinction du réseau de cuivre « à partir de 2023 » et sa disparition totale d’ici à 2030 (4). Avec l’explosion de la vidéo en (ultra) haute définition, de la musique en qualité hi-fi (5), des visioconférences ou encore des métavers qui déferlent (lire p. 8 et 9), les usages dévoreurs de bande passante ne manqueront pas de tirer vers le haut les forfaits et abonnements. C’est notamment sensible sur les mobiles.
Rien que sur la 4G encore largement dominante en France, la consommation de données a progressé l’an dernier de 22 % sur un an, à 2,2 exaoctet (Eo) sur le quatrième trimestre de 2021 – soit 8,6 Eo sur l’année. Ce qui correspond à 12,3 gigaoctets (Go) et par abonné 4G sur le quatrième trimestre de 2021 – soit 47,3 Go sur l’ensemble de l’an dernier. La cinquième génération de mobiles, elle, promet de faire exploser ces volumes de données consommées. Il en coûtera plus cher aux consommateurs. @

Charles de Laubier