Concentration : la Commission européenne tente de faire barrage à la consolidation du secteur mobile

La Commission européenne a interdit, le 11 mai, l’offre d’achat de l’opérateur Three (filiale du Hutchison Whampoa) sur O2 (filiale de Telefonica), estimant
que cette concentration sur le marché britannique du mobile aurait des conséquences néfastes sur la concurrence et les prix aux consommateurs.

Yves Gassot, Idate : « Face aux acteurs du Net, les opérateurs télécoms ne vont pas disparaître »

Alors que l’Idate – institut d’études sur les télécoms, l’Internet et l’audiovisuel – publie le 14 juin son DigiWorld Yearbook 2016, son directeur général Yves Gassot répond aux questions de Edition Multimédi@ sur les défis que doivent plus que jamais relever les opérateurs télécoms face aux acteurs du numérique.

La fin des Telcosaures ?

L’ère glaciaire des opérateurs télécoms n’est pas encore venue… Ces dinosaures, comme certains les appellent encore, sont toujours bien là. Ils ont même repris des forces
au moment où les besoins de l’économie numérique en bande passante n’ont jamais été aussi importants. Le désir de connectivité à très haut débit pour tous, à tout moment et en tout lieu, demande encore aujourd’hui des investissements gigantesques et continus que seuls sont capables de supporter des opérateurs puissants. A l’ombre de ces mastodontes qui se dévorent entre eux, notamment en Europe qui offre à leurs appétits une réserve de plus petits spécimens, se développent des opérateurs rapides et plus légers. L’histoire de ces lightoperators est jalonnée d’échecs et de succès. Ils occupent généralement des niches économiques particulières, celles des ruptures technologiques, du low cost et des faibles marges. Seuls quelques-uns, comme Free ou Vodafone ont su sortir du lot et grandir. Alors que la plupart apparaissent et disparaissent au grès des innovations techniques, des fusions-acquisitions et des nouvelles conditions de marché. C’est ainsi que les petits opérateurs d’aujourd’hui succèdent à une génération d’entreprises qui a été progressivement asphyxiée par la baisse tendancielle des prix (services voix, messagerie, haut débit) ou la progression des offres groupées, multi play et bundles en tout genre. Mais, loin des opérateurs historiques, de nouveaux entrants ont pris le relais en exploitant de nouveaux marchés viables. Ils apparaissent d’ailleurs dans un contexte déjà très dense, comme le montre le nombre des quelque 1.000 MVNO déjà recensés dans le monde en 2014. Le nombre élevé de ces opérateurs mobiles virtuels, louant leurs réseaux aux autres, prend en compte la prise de contrôle des plus importants d’entre eux par des groupes puissants. C’était le cas des MVNO dits complets (Full MVNO), comme Virgin Mobile en France ou Telenet aux Pays-Bas, maîtrisant l’essentiel des maillons clés, de la facturation aux fonctions de gestion de réseau – même si par définition ils n’étaient pas propriétaire de l’infrastructure radio.

« Ces light operators sont synonymes de low cost et de faibles marges, mais aussi de ruptures technologiques. »

Comme en réaction à ces forces qui tendent à faire disparaître les petits opérateurs fragiles ou fusionner ceux qui ont réussi, le mouvement continu de création de nouveaux acteurs ne s’est donc pas tari. Les investissements dans les réseaux de nouvelles générations fixe (fibre) ou mobile (4G et 5G) – associés aux mesures réglementaires et anti-concentration, ainsi qu’aux aménagements réguliers du spectre
– ont libéré des espaces favorables au lancement de nouveaux projets de start-up.
La niche du WiFi a également généré son lot d’opérateurs, qui, comme les nord-américains Republic Wireless ou TextNow, ont misé sur cette technologie pour proposer des services d’appels, de messagerie ou de données à des clients souhaitant utiliser leurs smartphones sans recourir aux contrats avec engagement des quatre opérateurs leaders. En France, par exemple, Osmozis s’est paré du titre ambitieux d’« opérateur de services WiFi global » en visant le marché des grands espaces que sont les campings et les ports de plaisance… A cela s’ajoute la possibilité de proposer des services de communication à des clientèles spécifiques, comme cela était déjà le cas par le passé : le britannique Lebara Group sur des cibles ethniques, les néerlandais Trined pour des personnes âgées et Helden Van Nu pour des PME, ou encore le français Sigfox pour du M2M. On ne compte plus aujourd’hui les light operators qui
ont tenté, parfois avec un certain succès, de se faire une place en lançant des services dédiés à destination des enfants, des adeptes de certains sports ou des personnes médicalisées. Plus récemment, des start-up ont proposé des services à destination
des animaux et de leurs maîtres, ou pour gérer ces véritables flottilles d’objets connectés qui nous entourent en permanence.
Condamnés à occuper une place limitée, pouvant aller de 5 % à 20 % du marché selon les pays, ces petits opérateurs sont la respiration nécessaire de l’écosystème. Ils maintiennent un minimum vital de concurrence sur des marchés de nouveau très concentrés, et alimentent le courant d’innovations indispensable à l’apport de nouveaux services de communication, pour nous les utilisateurs. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : Moi augmenté
* Directeur général adjoint de l’IDATE, auteur du livre « Vous
êtes déjà en 2025 » (http://lc.cx/Broché2025).
L’Institut a publié sur le même thème le rapport « Light operators :
Maturing, and putting on weight » par Christoph Pennings.

Cinéma Paradiso

Bien enfoncés dans nos fauteuils, le temps d’aller chercher un pot de pop-corns, nous voici réunis pour savourer un grand moment de cinéma. Nous ne sommes que cinq,
même si la salle est pleine, pour assister à la première diffusion mondiale du dernier opus de l’inépuisable saga Star Wars. En sortie simultanée, comme c’est désormais la règle, dans toutes les grandes salles de cinéma de la planète, comme dans tous les foyers.
C’est, en effet, bien installé chez moi que nous attendons que raisonne l’hymne du fameux générique. Le lancement est digne de la diffusion d’un match de coupe du monde de football, mais il est désormais nécessaire. Pour les producteurs, il s’agit de trouver les moyens de financer ces blockbusters toujours plus chers à produire à l’heure de la 3D sans lunette et des effets spéciaux toujours plus réalistes et immersifs. Avec la banalisation massive de la diffusion vidéo, il était en effet plus que jamais nécessaire de trouver de nouveaux vecteurs de valorisation des nouveaux films. Et, de ce point de vue, la multiplication des lancements simultanés sur tous les écrans, publics et privés, permet de maintenir les revenus tirés de l’exploitation des films – voire de les augmenter.

« En sortie simultanée, comme c’est désormais
la règle, dans toutes les grandes salles de cinéma
de la planète, comme dans tous les foyers. »

Au final, cette évolution n’a fait que renforcer la tendance de fond d’un cinéma à domicile, toujours plus spectaculaire : la fusion de deux marchés différents, la télévision pour tous et le home cinema de quelques-uns. Ces salles de projection privées – qui
en ont fait rêver plus d’un, avec leurs fauteuils de ciné, leurs écrans muraux et leurs catalogues de films longtemps difficiles d’accès – sont désormais devenues grand public. Bien sûr, des équipements de pointe équipent toujours pour quelques-uns les home cinema d’aujourd’hui, toujours aussi surprenants avec leurs fauteuils sur vérin
et leurs systèmes 4D, qui explorent une quatrième dimension en reproduisant les sensations comme le vent dans les cheveux, les températures extérieures ou les odeurs des lieux traversés. Mais, pour le plus grand nombre, l’expérience du cinéma à domicile a vraiment progressé, à tous les niveaux. Sur le plan technique, des écrans toujours  plus fins, plus grands et plus courbes permettent de recevoir des images en ultra HD.
En 4K, dans la plupart des cas, mais aussi, de plus en plus souvent, en 8K, introduite
à l’occasion des jeux Olympiques de 2020 au Japon.
Une qualité d’image époustouflante d’une résolution de 8.000 pixels, quand la HD encore courante en 2015, ne proposait que des résolutions de 720 et 1080 pixels. Pour soutenir une telle évolution technique, les réseaux de distribution ont dû se mettre à niveau en optimisant l’ensemble des moyens disponibles du FTTH, de la 4G et de la
5G émergeante, ainsi que les solutions hybrides tirant le meilleur du fixe et du satellite.
Une évolution indispensable, dans la mesure où les programmes en ultra HD ont rapidement déferlé sur les réseaux sous la pression des grandes plates-formes internationales, comme Netflix ou Google, lesquelles proposèrent très tôt des films et
des séries originales en 4K, pour marquer toujours plus leur différence. Ce nouvel âge d’or du cinéma se caractérise également par une redistribution des cartes, dont les principaux atouts sont tenus par des majors, soit des studios historiques toujours plus puissants, soit ceux créés par des géants du Net, seuls capables de soutenir les investissements colossaux qu’exigent les nouvelles productions. Le système original français a forcément dû se réinventer en favorisant les grandes productions, de plus en plus souvent financées par des consortiums européens, tout en tirant parti du fabuleux potentiel de création des nouvelles technologies. Des pépinières de jeunes talents sont à l’origine d’œuvres originales, certaines réalisées dans les ateliers créés, dès 2014,
à Aubervilliers par Michel Gondry pour faciliter le développement de projets à petits budgets. Cette renaissance du Septième Art illustre parfaitement la prophétie de Martin Scorsese, qui écrivait à sa fille en janvier de la même année : « Pourquoi le futur du cinéma est-il si lumineux ? Parce que, pour la première fois, les films peuvent être faits avec très peu d’argent ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : La radio.
* Directeur général adjoint de l’IDATE,
auteur du livre « Vous êtes déjà en 2025 »
(http://lc.cx/b2025).

Spectrum Crunch ?

La gestion des ressources rares, au-delà d’alimenter des discussions savantes entre économistes, a toujours des répercutions sur notre vie quotidienne. Certaines, comme l’eau, l’air, les métaux précieux ou l’espace pour les transports urbains sont très concrètes et nous percevons chaque jour un peu plus leur rareté. D’autres sont très longtemps restées dans l’ombre. Les fréquences hertziennes sont de celles-là, invisibles et discrètes pendant des décennies, puis s’invitant régulièrement dans les débats avec l’explosion des services mobiles et la multiplication des chaînes de télévision. Une pression telle que certains n’hésitèrent pas à prédire l’écroulement des plans d’allocation des fréquences ! La pression est en effet montée régulièrement à partir des années 2000 et à chaque changement de réseaux hertziens. Le basculement d’un Internet fixe vers
un Internet mobile, l’usage massif de la vidéo et surtout le développement exponentiel
des usages et du nombre des mobinautes, ont engagé les opérateurs et les Etats dans une course à la puissance des réseaux mobiles. Une course en escalier, où chaque marche correspond à une nouvelle génération de réseaux : 3G, 4G et 5G. Et pour chaque transition, tous les dix ans en moyenne, la question incontournable des fréquences disponibles pour satisfaire cette faim dévorante de spectre radioélectrique. N’oublions pas que, depuis 2010, le volume de données échangées sur les réseaux mobiles du monde entier a été multiplié par plus de 30, pour se monter aujourd’hui à 130 milliards de gigaoctets.

« Cette fameuse bande des 700 Mhz était
l’occasion de permettre une harmonisation spectrale
à l’échelle européenne mais aussi mondiale. »

La vague fut telle que les arbitrages rendus ont régulièrement été favorables à l’utilisation de nouvelles ressources spectrales. Il s’est agi tout d’abord de réallouer les fréquences libérées par l’extinction de la télévision analogique, d’abord dans la bande des 800 Mhz
en 2011 pour la France (premier « dividende numérique ») puis des 700 Mhz trois ans plus tard (second « dividende numérique »). Ces dernières fréquences ont d’ailleurs fait l’objet d’âpres discussions entre l’Etat, qui essayait d’avancer le calendrier pour récolter de nouveau les 3 milliards d’euros attendus de leur mise aux enchères, et les opérateurs télécoms qui déclaraient ne pas être pressés car devant faire face à une crise de croissance et de rentabilité inédite en Europe. Les chaînes de télévision de la TNT ont, elles aussi, voulu une partie de ces nouvelles fréquences libérées afin de pouvoir généraliser la HD et développer de nouveau services audiovisuels. Les nouvelles
normes de diffusion (DVB-T2, LTE, …) et de compression (Mpeg4, HEVC, …) ont
permis d’économiser du spectre et de pouvoir en allouer aussi bien aux télécoms qu’à l’audiovisuel.
Ces fréquences « basses », nouvelles pour les télécoms, étaient dites en or, par leur qualité particulière qui permet de diffuser les signaux plus loin en pénétrant mieux dans les bâtiments que les fréquences « hautes » initialement utilisées pour les communications mobiles. Elles avaient une autre qualité, peut-être plus importante encore : cette fameuse bande des 700 Mhz était l’occasion de permettre une harmonisation spectrale à l’échelle européenne mais aussi mondiale. Cela a en effet facilité le roaming international, mais surtout permis aux opérateurs de réaliser des économies d’échelle, si difficiles à concrétiser dans un contexte européen historiquement fragmenté. La bande des 700 Mhz avait déjà été allouée lors du premier dividende numérique sur tout le continent américain et en Asie. Elle le fut à l’occasion des allocations du second en Europe et pour la zone Afrique-Moyen Orient. Certains n’ont pas attendu que l’utilisation de la bande des 700 soit effective, il y a à peine cinq ans, pour poser bien avant la question de trouver de nouvelles fréquences pour le lancement cette année des premières licences 5G. Dès 2013, NTT Docomo testait au Japon une connexion à 10 Gbits/s dans une voiture en mouvement,
en utilisant des fréquences inhabituelles de 400 Mhz ! Tandis qu’au Royaume-Uni, le régulateur britannique Ofcom préparait le terrain pour disposer du spectre nécessaire,
dès 2020, permettant de faire oublier son retard sur la 4G en reprenant de l’avance sur
la génération suivante. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Publicité
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’institut a publié son rapport :
« La bande des 700 MHz : une nouvelle harmonisation
des fréquences pour le LTE ? », par Frédéric Pujol.