Devant l’urgence du tout connecté à très haut débit, la Commission européenne change de paradigme

Le retard de la France dans le déploiement du très haut débit fixe et mobile
est emblématique d’une Europe qui se rend compte du relativement faible investissement de ses opérateurs télécoms. La faute à une réglementation
trop « consumériste » ? Jean-Claude Juncker veut corriger le tir.

Yves Gassot, Idate : « Face aux acteurs du Net, les opérateurs télécoms ne vont pas disparaître »

Alors que l’Idate – institut d’études sur les télécoms, l’Internet et l’audiovisuel – publie le 14 juin son DigiWorld Yearbook 2016, son directeur général Yves Gassot répond aux questions de Edition Multimédi@ sur les défis que doivent plus que jamais relever les opérateurs télécoms face aux acteurs du numérique.

La 4G peine à décoller et ne change pas les usages

En fait. Le 3 octobre, l’Arcep a publié les chiffres du marché des services mobiles pour le second trimestre 2014. Pour la première fois, la 4G en France a dépassé
le cap des 5 millions d’abonnés. Mais une étude de Deloitte, publiée le 30 septembre dernier, montre que la 4G n’influe pas sur les usages.

Bruno Lasserre n’est pas contre un retour à un triopole, pourvu qu’il y ait « un Maverick de type Free »

Nommé il y a dix ans par décret du président de la République à la tête de ce qui s’appelait encore le Conseil de la concurrence, et entamant un nouveau mandat de cinq ans, Bruno Lasserre n’est pas hostile à un retour au triopole, à condition que Free – alias « Maverick » – empêche ou limite la hausse des prix.

Bruno Lasserre« Lorsque le Maverick [comprenez un franctireur ou un original à l’esprit libre et nonconformiste, ndlr] est un opérateur indépendant de type Free, on voit que le niveau des prix dépend beaucoup de la présence de Maverick – des gens qui ont faim et qui vont gagner coûte que coûte des parts de marché en pratiquant des prix agressifs », a expliqué le président de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre (photo), devant l’Association des journalistes économiques et financiers (AJEF) le 11 juin dernier.
S’il refuse de se prononcer publiquement sur les hypothèses de consolidation du marché français des télécoms – Orange- Bouygues Telecom ou SFR/Numericable-Bouygues Telecom –, il donne pourtant bien volontiers son avis à chacun des dirigeants concernés qui le lui ont déjà demandé et le sollicitent encore.

« Le passage de quatre à trois opérateurs mobiles est inéluctable. (…) Le retour à trois opérateurs ne fait pas disparaître la concurrence, surtout si Free – “le Maverick,
le vilain petit canard” – se maintient ». Arnaud Montebourg, ministre de l’Economie, du Redressement productif et du Numérique, qui a tenu ce propos lors de la conférence « Telco & Digital » des Echos le 12 juin 2014,
est sur la même longueur d’ondes que Bruno Lasserre

Pour « le risque de l’innovation et la bataille des prix »
« Je reçois des visites (…). Quand Bouygues a proposé de racheter SFR, ils sont tous venus me voir. Quand Orange a envisagé le rachat de Bouygues Telecom, évidemment que Stéphane Richard [PDG d’Orange] est venu me voir ; Martin Bouygues est venu me voir. De même qu’Iliad est venu me voir aussi. Je ne leur ai pas donné un avis mais un sentiment et une cartographie des risques », a-t-il admis.
Bruno Lasserre les a sûrement déjà prévenus de son attachement à ce Maverick, alias Free, pour préserver aujourd’hui le jeu de la concurrence, comme l’avait fait Bouygues Telecom créé il y a vingt ans. « Méfions-nous des chiffres magiques : oui, quatre opérateur c’est mieux dans l’absolu que trois. Mais l’important est la qualité et les incitations des acteurs, et notamment la présence sur le marché d’un Maverick capable de soutenir sur le long terme la dynamique concurrentielle et de ne pas préférer le confort de la rente au risque de l’innovation et de la bataille des prix. C’est primordial », a-t-il en tout cas insisté devant l’AJEF. Une chose est sûr : si Bruno Lasserre n’exclut pas un retour au triopole mobile, près de trente mois seulement après le passage à quatre opérateurs grâce au lancement de Free Mobile en janvier 2012, il reste opposé à tout retour au duopole. Quelles que soient les opérations de concentration qui lui seront soumises, un « Maverick de type Free » devra être préservé.

Eviter à tout prix un duopole
C’est ce qu’il a déjà eu l’occasion de dire en novembre 2012 lorsque Xavier Niel et Jean-René Fourtou sont chacun venu le voir pour lui demander ce qu’il pensait du projet de Free de s’emparer de SFR. « Moi, j’ai dit “Non” à une hypothèse qui m’avait été soumise informellement. C’est le rapprochement Free-SFR. Là, j’ai dit que cela ne me paraissait pas présentable, non pas tellement parce que le pouvoir de marché réuni par ces deux entreprises aurait été excessif, mais parce que j’étais convaincu que cette opération de passage à trois préfigurait une autre opération beaucoup plus problématique de passage
à deux opérateurs : en réalité, derrière cette opération [Free-SFR], ce n’était pas un passage à trois mais à un duopole parce que Bouygues Telecom n’aurait jamais résisté
à cette configuration, aussi bien sur le fixe que sur le mobile. J’ai donc dit qu’un duopole était non présentable. (…) Mais je ne l’ai pas dit publiquement », a-t-il pour la première
fois relaté. Il l’a même redit en début d’année à Xavier Niel qui a songé une nouvelle fois
à un rapprochement entre Free et SFR, avant que ce dernier ne soit racheté par Altice-Numericable. « L’Autorité de la concurrence nous a dit en privé en novembre 2012 et l’a redit il y a quelques jours que ce n’était pas possible. Si nous rachetions SFR, c’était la disparition de Bouygues Telecom », avait en effet relaté Xavier Niel le 10 mars dernier
(lire EM@98, p. 2).
Dix-huit ans après l’invention par Bouygues Telecom du forfait mobile et douze ans après l’invention par Free du forfait triple play (à 29,99 euros), Bruno Lasserre entend bien garder un « troublion » des télécoms en France, lui qui fut directeur général des PTT
dans les années 1990 et qui a « brisé le monopole » (comme il le dit) de France Télécom et SFR à l’époque. « J’ai connu beaucoup de résistance », a-t-il rappelé.
Avec le nouveau Mercato des télécoms en marche en France, où il est devenu incontournable, cet énarque – qui a fêté ses 60 ans en janvier – prend aussi une revanche sur le passé : il se voyait déjà en 1997 président de l’Autorité de régulation des télécommunications (ART, devenue l’Arcep) qu’il avait contribué à créer. Mais il en fut écarté au profit de Jean-Michel Hubert.
Au cœur des tractations télécoms aujourd’hui, Bruno Lasserre se défend cependant de donner des « avis » mais plutôt un « sentiment ». « J’estime que je n’ai pas à être le faiseur de roi, ni à dire comme le paysagiste : “Là il faut planter un saule ou là un chêne”. Nous sommes les jardiniers et nous veillons à ce qu’un arbre n’étouffe pas les autres. Dans une économie de marché, les acteurs décident eux-mêmes de leur stratégie »,
a-t-il assuré. Le président de l’Autorité de la concurrence reste néanmoins un « jardinier » qui refuse le retour à un duopole de type « saule-chêne » ! Et lorsque le ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique, Arnaud Montebourg, milite pour un retour à trois opérateurs mobile au lieu de quatre, il n’y trouve rien à redire et ne voit pas cela comme un retour en arrière.
Faut-il alors voir la création de Free Mobile il y a deux ans et demi comme une erreur ?
« Non. Je ne crois qu’il faille voir ça comme un échec. La concurrence est un procédé disruptif, qui crée du désordre et qui redistribue les forces. Et il faut admettre cela. (…) Oui, il faut clairement envisager aujourd’hui le marché des télécoms à un tournant », a-t-il estimé. Et d’ajouter : « Je ne me prononce pas sur le point de savoir si une consolidation est désirable ou pas. Est-ce qu’elle est devenue inévitable ? C’est peut-être là aujourd’hui la question ». Bruno Lasserre ne pense pas pour autant qu’il y ait en France comme dans le monde un chiffre magique et que la concurrence serait une question de nombre d’opérateurs télécoms. « C’est une question de qualité et d’incitation des acteurs. Dans certains pays, le niveau des prix est plus bas à trois qu’à quatre opérateurs », a-t-il assuré.
Quoi qu’il en soit, le président préfèrerait un retour à trois par opération de rachat qu’il serait amené à examiner, plutôt que l’éviction d’un passage à trois par l’éviction du quatrième opérateur, Bouygues Telecom par exemple. « Il y a clairement un choix qu’il faut regarder en face. Comment faire en sorte que le marché ne parte pas en vrille », s’est-il inquiété.
Mais le plus dure reste à venir pour l’Autorité de la concurrence : comment être sûr que le « Maverick de type Free » puisse continuer à jouer l’aiguillon ou le lièvre sur un marché menacé quoi qu’il en soit de basculer à terme sous le joue d’un duopole ? Après avoir négocié en vain en avril la reprise du réseau mobile de Bouygues Telecom, Free se retrouve isolé face à des « opérateurs historiques ».

Le « Maverick » résistera-t-il ?
Pour Xavier Niel, le duopole existe déjà dans les faits. « Si Altice rachetait SFR,
avait-il prévenu dès le 10 mars dernier, on se retrouverait dans un scénario dans
lequel Numericable, SFR et Bouygues Telecom – grâce à l’accord de mutualisation
entre les deux derniers – feraient une seule et même entité » (lire EM@100, p. 3).
Reste donc à savoir si Iliad-Free aura les reins assez solides pour combattre une
hydre à deux têtes… @

Charles de Laubier

Internet et 3G/4G : après la bataille tarifaire, la guerre de la qualité de service ?

Pour contrer Free, Bouygues Telecom casse les prix – de 37 % à 45 %moins cher que ses concurrents – avec une offre triple play à 19,99 euros disponible depuis
le 3 mars. Cette fuite en avant tarifaire en fait oublier l’autre critère majeur pour
les consommateurs : la qualité de service.

Pour contrer Free, Bouygues Telecom casse les prix – de 37 %
à 45 %moins cher que ses concurrents – avec une offre triple play à 19,99 euros disponible depuis le 3 mars. Cette fuite en avant tarifaire en fait oublier l’autre critère majeur pour les consommateurs : la qualité de service.

Qualité Internet et 4G d’ici l’été
Les publications d’ici l’été prochain des premiers résultats des nouvelles mesures de qualité des services Internet et 4G devraient enfin reléguer la question des tarifs au second plan. C’est du moins ce que peuvent espérer les utilisateurs, qui, s’ils ne savent plus où donner de la tête dans la jungle tarifaire, sont en revanche plutôt frustrés sur le plan de la qualité de service. « L’utilisateur peut disposer de tarifs relativement bas et, dans le même temps, souffrir d’une accessibilité réduite à ces services du fait de la dégradation du fonctionnement de l’ensemble du réseau. Une telle situation peut résulter d’une focalisation excessive de la compétition entre les opérateurs sur le seul problème des tarifs et de leur niveau, concurrence qui risque alors de se développer au détriment
de l’investissement et de la qualité des services », met en garde Jacques Pomonti (photo), président de l’Association française des utilisateurs de télécommunications (Afutt), laquelle fête ses 45 ans cette année. Selon lui, l’arrivée début 2012 de Free Mobile avec ses tarifs agressifs n’a fait que renforcer ce risque. « La vigueur de la compétition entre les opérateurs ne s’est pas traduite par une amélioration sensible de la qualité des services ni par une augmentation suffisante des investissements. Cette observation interroge la qualité de notre régulation et sa difficulté », nous explique-t-il encore.

A part la mesure de la qualité de service du téléphone fixe (observatoire publié trimestriellement) et celle des services mobile (rapports établis annuellement), dont les résultats sont publiés par l’Arcep, il reste beaucoup à faire en matière d’information des utilisateurs sur la qualité de service. Il y a d’autant plus urgence que la neutralité du Net (fixe et mobile) est remise en question par le prochain Paquet télécom qui devrait être adopté le 18 mars prochain par la commission « Industrie » (ITRE) du Parlement européen. Et ce, avec la perspective de « services managés » et de « tarifs différenciés » en fonction de la qualité des flux offerts par les opérateurs télécoms qui sont en droit de passer des accords avec des acteurs du Net (YouTube, Netflix, …).

Les premiers indicateurs de qualité de service Internet, d’une part, et 4G, d’autre part, devraient ainsi répondre aux attentes des consommateurs. « Nous allons publier, avant la fin du premier semestre 2014, les premières informations sur la qualité des services 4G », a indiqué le président de l’Arcep, Jean-Ludovic Silicani, lors de ses voeux le 27 janvier (1). Or depuis l’attribution de la 4e licence 3G à Free Mobile fin 2009, les opérateurs mobile n’ont jusqu’à maintenant pas joué le jeu de la transparence. « Ces travaux ont été, c’est
le moins que l’on puisse dire, mal compris et mal perçus, à l’époque, à la fois par les pouvoirs publics et par certains opérateurs. C’est dommage car nous avons ainsi, collectivement, perdu trois ans », a regretté le président de l’Arcep (2). Lorsque les prochains résultats de la mesure annuelle de la qualité de service mobile (2G/3G) seront publiés « au printemps », les premières mesures sur la 4G seront lancées (3) pour être rendues publiques avant fin juin avec la qualité 3G. Du côté de l’accès fixe à Internet,
les premières sondes de mesure de qualité de service viennent d’être installées chez les cinq principaux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) que sont Bouygues Telecom, Free, Orange, Numericable et SFR. « Les mesures réalisées portent sur sept indicateurs de performance : quatre indicateurs techniques génériques (concernant notamment les débits) et trois indicateurs relatifs à des usages-types (web, streaming vidéo et peer-to-peer) », précise l’Arcep. C’est la société française IP Label qui a été retenue pour ces mesures techniques qui vont commencer.

Le Geste lance son observatoire Internet En outre, l’Arcep étudie comment fournir aux internautes des outils de mesure de la qualité de leur accès à Internet afin qu’ils puissent vérifier que leur FAI respectent la neutralité du Net (4) (*) (**). Sans attendre l’Arcep, le Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste) a lancé le 6 mars dernier un « observatoire de la qualité de service Internet » qui porte sur une trentaine de sites web (5) « tagués » par la société française Cedexis. @

Charles de Laubier