Devant l’urgence du tout connecté à très haut débit, la Commission européenne change de paradigme

Le retard de la France dans le déploiement du très haut débit fixe et mobile
est emblématique d’une Europe qui se rend compte du relativement faible investissement de ses opérateurs télécoms. La faute à une réglementation
trop « consumériste » ? Jean-Claude Juncker veut corriger le tir.

Rémy Fekete, associé Jones Day

L’Europe n’est pas prête. Elle n’est pas prête à s’inscrire dans une économie numérique où le très haut débit est la règle et la condition du fonctionnement des nouveaux outils, des services, des contenus, bre f , d e l’activité des entreprises et de la vie
des citoyens.
« France Numérique 2012 », « Plan de relance numérique »,
« Plan national très haut débit » (PNTHD), « Plan France très haut débit » (France THD) : depuis six ans, les politiques n’ont
eu de cesse d’annoncer pour l’Hexagone des jours meilleurs et, en particulier, l’accession de la totalité de la population au très haut débit.

Yves Gassot, Idate : « Face aux acteurs du Net, les opérateurs télécoms ne vont pas disparaître »

Alors que l’Idate – institut d’études sur les télécoms, l’Internet et l’audiovisuel – publie le 14 juin son DigiWorld Yearbook 2016, son directeur général Yves Gassot répond aux questions de Edition Multimédi@ sur les défis que doivent plus que jamais relever les opérateurs télécoms face aux acteurs du numérique.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Le marché mondial du numérique devrait, selon l’Idate, franchir les 4.000 milliards d’euros l’an prochain. Vos prévisions antérieures ne le prévoyaient-elles pas dès cette année ? En outre, pourquoi la valeur des TIC (1) a tendance à croître moins vite que le PIB ?
Yves Gassot :
En fait, nous révisons nos chiffres tous les ans avec deux types d’ajustement que sont la prise en compte des taux de change et la rectification des taux de croissance constatés au regard de nos anticipations. Par exemple, la chute de la croissance des revenus mobiles aux Etats-Unis a été plus prononcée qu’on ne l’avait anticipée. Par ailleurs, la croissance moins rapide en valeur des secteurs TIC au regard de celle du PIB est effectivement contre-intuitive. Pourtant la croissance de certains secteurs du numérique – les services Internet – est très rapide. Des économistes montrent que c’est dans les secteurs des TIC que les gains de productivité sont les
plus importants. Cela a pour conséquence de faire baisser les prix unitaires. En principe, cette baisse des prix s’accompagne d’un effet positif sur les volumes. Ce que l’on peut observer sur un marché comme celui des smartphones qui peut ainsi s’élargir aujourd’hui aux consommateurs des économies émergentes. Mais on peut aussi avoir des phénomènes de déflation liés à l’intensité de la concurrence, comme on l’observe en Europe dans les services télécoms. Enfin, il est probable que les cadres statistiques ont du mal à suivre la déformation des frontières des secteurs sous l’effet de la transformation numérique.
Reste une question fondamentale : pourquoi les gains de productivité dans nos économies, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe, ont nettement décru depuis 2006, donc avant la crise des subprimes, comme si l’économie avait absorbé dans la décennie précédente les bénéfices de l’Internet ? Sans parler de la fin du cycle de transformation du numérique, il est possible qu’il y ait un palier en attendant que le puzzle de l’Internet des objets (IoT), du Big Data et de l’intelligence artificielle se mette en ordre.

La 4G peine à décoller et ne change pas les usages

En fait. Le 3 octobre, l’Arcep a publié les chiffres du marché des services mobiles pour le second trimestre 2014. Pour la première fois, la 4G en France a dépassé
le cap des 5 millions d’abonnés. Mais une étude de Deloitte, publiée le 30 septembre dernier, montre que la 4G n’influe pas sur les usages.

En clair. Près de deux ans après le lancement du mobile très haut débit en France,
à peine 7 % des 78,4 millions de cartes SIM actives sont en 4G. Ils sont ainsi près
de 5,5 millions d’abonnés concernés au 30 juin (1). Ce chiffre 4G, que fournit l’Arcep depuis le début de l’année dans son observatoire trimestriel, reste cependant en deçà de ce qu’affirment les opérateurs mobile, qui, eux, comptabilisent toutes les offres 4G commercialisées. Or, un client peut souscrire à une offre 4G mais ne pas disposer pour autant du terminal adapté au très haut débit mobile ! Alors que le régulateur, lui, comptabilise uniquement les clients 4G actifs qui disposent à la fois d’une offre 4G
et d’un terminal compatible 4G.
Résultat : le très haut débit mobile reste encore un marché de niche et devrait encore
le rester un certain temps. D’autant qu’en avril dernier, Médiamétrie indiquait que seulement un Français sur cinq avait l’intention de s’abonner à la 4G. D’après l’étude du cabinet Deloitte, seul « un Français sur dix dispose d’un full package 4G (téléphone + forfait) » et « un sur dix est équipé malgré lui (téléphone ou forfait 4G seulement) ». Résultat : « Seuls 11 % des consommateurs détiennent un forfait et un téléphone compatibles 4G ». Le « principal frein » à l’adoption de la 4G est financier : le prix du forfait (36 %) et du téléphone 4G (23 %). Sinon, la 3G en déplacement et les réseaux Wi-Fi (à domicile, en hotspot ou au bureau) leur suffisent, à moins qu’ils n’aient pas
de couverture 4G…
Et encore, lorsqu’ils sont en 4G, les abonnés n’exploitent pas son potentiel et ne l’utilisent pas pour des activités réellement dépendantes de la vitesse de connexion :
« Ils ne sont que 28 % à regarder des vidéos, 21 % à écouter de la musique en streaming, 17 % à faire des transferts volumineux de photos, 13 % à jouer en ligne
et 10 % à faire des transferts volumineux de films », constate Deloitte, dont l’étude
ne parle absolument pas de télévision sur mobile.
Pourtant, dans leur 12e édition du Guide des chaînes numériques publié en avril dernier, le CSA, le CNC, la DGMIC, le SNPTV et l’ACCeS (chaînes conventionnées) table sur la 4G : « Le développement des réseaux 4G devrait accélérer l’essor de la télévision sur mobile grâce à l’accroissement des débits de connexion par rapport à ceux existant aujourd’hui » (2). Ce qui ne saute toujours pas aux yeux aujourd’hui. @

Bruno Lasserre n’est pas contre un retour à un triopole, pourvu qu’il y ait « un Maverick de type Free »

Nommé il y a dix ans par décret du président de la République à la tête de ce qui s’appelait encore le Conseil de la concurrence, et entamant un nouveau mandat de cinq ans, Bruno Lasserre n’est pas hostile à un retour au triopole, à condition que Free – alias « Maverick » – empêche ou limite la hausse des prix.

Bruno Lasserre« Lorsque le Maverick [comprenez un franctireur ou un original à l’esprit libre et nonconformiste, ndlr] est un opérateur indépendant de type Free, on voit que le niveau des prix dépend beaucoup de la présence de Maverick – des gens qui ont faim et qui vont gagner coûte que coûte des parts de marché en pratiquant des prix agressifs », a expliqué le président de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre (photo), devant l’Association des journalistes économiques et financiers (AJEF) le 11 juin dernier.
S’il refuse de se prononcer publiquement sur les hypothèses de consolidation du marché français des télécoms – Orange- Bouygues Telecom ou SFR/Numericable-Bouygues Telecom –, il donne pourtant bien volontiers son avis à chacun des dirigeants concernés qui le lui ont déjà demandé et le sollicitent encore.

Internet et 3G/4G : après la bataille tarifaire, la guerre de la qualité de service ?

Pour contrer Free, Bouygues Telecom casse les prix – de 37 % à 45 %moins cher que ses concurrents – avec une offre triple play à 19,99 euros disponible depuis
le 3 mars. Cette fuite en avant tarifaire en fait oublier l’autre critère majeur pour
les consommateurs : la qualité de service.

Pour contrer Free, Bouygues Telecom casse les prix – de 37 %
à 45 %moins cher que ses concurrents – avec une offre triple play à 19,99 euros disponible depuis le 3 mars. Cette fuite en avant tarifaire en fait oublier l’autre critère majeur pour les consommateurs : la qualité de service.