Fin de la redevance : sonne-t-elle le glas de la TV ?

En fait. Le 19 juillet, le ministre délégué des Comptes publics, Gabriel Attal, a indiqué sur France info « regarder [la] piste » de parlementaires proposant l’affectation d’une partie de la TVA à l’audiovisuel public pour remplacer la redevance. La suppression de celle-ci illustre surtout le recul de la télé.

En clair. Le numérique aura eu raison de la redevance audiovisuelle. Son assiette est assise pour sa quasi-totalité sur les foyers détenteurs d’au moins un téléviseur, tandis que des professionnels la paient mais dans une proportion infinitésimale. Sur l’année 2022, la dernière a priori où elle sera appliquée, la contribution à l’audiovisuel public (CAP) rapportera quelque 3,2 milliards d’euros : 96,4 % réglés par les particuliers (à raison de 138 euros par foyers) et 3,6 % par des professionnels.
La prise en compte du seul téléviseur – déclaré par son détenteur – pour déclencher son assujettissement relevait déjà d’une anomalie historique, puisque cette CAP financement non seulement la télévision public (France Télévisions pour une grosse part, Arte France, France Médias Monde et TV5 Monde), mais aussi Radio France et l’Ina (1) qui n’éditent pas de chaînes de télévision. De plus, les ressources de la redevance audiovisuelle voient leur assiette s’éroder en raison de la diminution du taux d’équipement des ménages en téléviseur : ce taux est passé d’environ 98 % il y a quelques années à 90,9 % fin 2021, selon Médiamétrie pour l’Arcom (2). Ce taux est à comparer à celui des ordinateurs (relativement stable à 85,8 %) et aux smartphones (en croissance à 79,7 %), bien loin des tablettes (en recul à 46,3 %). Ces autres équipements que le téléviseur ont, au fil des années, rendu obsolète la règle du téléviseur pour le calcul de la redevance audiovisuelle. Etendre son assiette aux ordinateurs, smartphones et tablettes a fait l’objet de débats récurrents depuis douze ans (3).
Quant au téléviseur lui-même, il est regardé de plus en plus mais pour d’autres contenus audiovisuels que les chaînes de télévision, et a fortiori que les chaînes publiques financées par la CAP. En effet, la télévision ne sert plus seulement à regarder la télévision : sur l’année 2021, les chaînes n’occupent plus que 75 % du petit écran, le quart restant étant consacré à 16 % à de la vidéo sur Internet comme sur YouTube (4) et à 9% à de la vidéo à la demande par abonnement ou SVOD (Netflix, Amazon Prime Video, Disney+, etc.). En conséquence, même si les Français regardent plus de 4h30 par jour leur écran TV, ils y regardent de moins en moins les chaînes – tant publiques que privées. Continuer à faire payer la redevance pour des chaînes publiques que les foyers regardent de moins en moins, cela devenait difficile à justifier pour un gouvernement. @

Amazon, Microsoft, Google : gros nuages sur le cloud

En fait. Le 13 juillet, l’Autorité de la concurrence a ouvert jusqu’au 19 septembre prochain, une consultation publique sur le marché du cloud – dans le cadre de son enquête sectorielle sur l’informatique en nuage lancée en janvier dernier. Elle a déjà auditionné les trois hyperscalers du cloud en France.

En clair. Selon le cabinet d’études Markess by exægis, le marché français du cloud devrait passer de 16 milliards d’euros en 2021 à 27 milliards d’euros en 2025, au rythme de 14 % de croissance par an. Mais les hébergeurs dits « à très grande échelle » (les hyperscalers) en ont la part du lion : les américains Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure et Google Cloud détiennent en France 71 % de parts de marché en 2021. A lui seul, le géant AWS s’arroge pas loin de la moitié (46 %) du gâteau nuagique (voir graphique). C’est dans ce contexte de quasi-triopole que l’Autorité de la concurrence (ADLC) s’est autosaisie en début d’année pour enquêter sur le secteur français de l’informatique en nuage. La consultation publique (1), ouverte depuis le 13 juillet et jusqu’au 19 septembre 2022, va permettra à l’autorité antitrust d’évaluer si Amazon, Microsoft et Google abusent de leur position dominante sur le marché français du cloud ? Face à ce Big Three, OVH, IBM, Oracle, Orange (OBS), Scaleway (Iliad), T-Systems, 3D Outscale (Dassault Systèmes) ou encore Atos, Neurones, Capgemini, Kyndril (ex-IBM GTS) se partagent les 29 % restants du marché du cloud français (2).
L’ADLC veut identifier « les freins à la migration des clients et au recours à plusieurs fournisseurs de services cloud », ainsi que d’autres verrous (barrières à l’entrée, pouvoir de marché, intégration verticale, effets congloméraux, ententes, protection des données, souveraineté numérique, …). La bataille du cloud est même portée devant la Commission européenne depuis les plaintes (3) du français OVH et de l’allemand Nextcloud déposées en 2021. @

Un NFT est un OJNI dissociant l’unicité d’un bien, lequel suppose une licence d’utilisation

Toute transaction de NFT confère un droit qui n’est pas un droit de propriété, contrairement à ce que laissent supposer les plateformes de commercialisation, mais seulement l’octroi d’une licence d’utilisation restreinte, temporaire, donnée par le créateur du NFT à un souscripteur. Explications.

Par Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA.

La révolution numérique nous a propulsé dans l’univers de la dématérialisation. Sa première vague, par l’intermédiaire des plateformes, nous a initiés à la dissociation entre la propriété et son usage. Amazon est le plus grand magasin au monde sans posséder de magasins – même si à la marge sa stratégie brick-and-mortar point (1). De même, Airbnb semble être le plus grand hôtelier planétaire sans posséder un seul hôtel et Uber est sans doute la plus grande entreprise de transport sans posséder une seule voiture.

Non-fongible, unique et original
Avec le NFT (Non-Fungible Token, ou jeton non-fongible), nous découvrons la dissociation d’un bien avec son support. Un NFT est un actif numérique unique associé à un support électronique parfois extrêmement banal (un fichier au format jpeg, mp3 ou mp4, etc.). Un NFT peut représenter n’importe quoi. Il peut être une image, un son, une vidéo ou encore un écrit. Il peut être créé par n’importe qui, donc par chacun d’entre nous. L’unicité comme la traçabilité de cet actif unique sont certifiées par un dépôt dans la blockchain, à savoir une chaîne de blocs cryptée de bout-en-bout qui permet d’assurer la traçabilité et l’authenticité des transactions de façon décentralisée. Un tout récent rapport formule une définition : « Concrètement, l’acquisition d’un jeton non-fongible (“JNF” en français, “NFT” en anglais) correspond à l’acquisition d’un jeton inscrit sur la blockchain et associé à un “smart contract” (contrat intelligent, en français), qui renvoie à un fichier numérique (image, son, vidéo, …) » (2).
Ce nouvel outil numérique prometteur – mais aux allures d’OJNI (objet juridique non identifié) – n’est pas facilement appréhendable par le grand public du fait de sa totale dématérialisation, et cette difficulté est renforcée par la confusion entre l’objet (le NFT), le lieu d’échange (la plateforme de commercialisation) et les conditions de l’échange (l’environnement numérique). Bien que difficilement conceptualisable, le NFT connaît une très forte notoriété, probablement du fait du fantasme implicite d’une plus-value immédiate et importante. Quel est le concept ? Dans le domaine de l’art, par exemple, un NFT est une œuvre originale (c’est notre postulat mais gare aux contrefaçons), qui est soit directement créée de manière numérique, soit représentant numériquement une œuvre qui existe déjà sur un autre support matériel (comme une toile). Ce NFT peut représenter l’œuvre intégralement ou par morceau, comme une pièce de puzzle (ou «mass »). Cette « chose » (le jeton) est dite « non-fongible » car elle ne peut pas être échangée contre quelque chose de valeur égale. A l’inverse, une pièce de 1 euro est un bien fongible car elle peut être échangée avec une autre pièce de 1 euro qui aura la même valeur. Etant unique, le NFT est doublement non-fongible : un NFT n’a pas la même valeur qu’un autre NFT – le NFT « Merge » détient pour le moment le record avec une vente estimée autour de 91,8 millions de dollars (3). De plus, il peut exister plusieurs représentations d’un même NFT sur un même support (fichier au format jpeg par exemple) mais seul celle qui a été désignée comme unique par son auteur et authentifiée comme telle sur une blockchain a de la valeur. Si l’on fait abstraction de la plateforme et des conditions de commercialisation, au moins dans le domaine de l’art, le NFT n’est donc qu’une représentation virtuelle d’une œuvre dissociée de son support. Dans le monde matériel, l’unicité c’est à la fois le fait qu’il n’existe pas le même type d’œuvre sur le même type de support (approche objective) et qu’une seule personne puisse la détenir (approche subjective). En pratique, les deux se confondent. Lorsqu’on achète « une toile », on possède à la fois le support de la peinture et l’image de la peinture.
Dans le monde numérique, du fait de la dématérialisation, c’est l’image du NFT (c’est-à-dire sa représentation virtuelle) qui fait l‘objet de la transaction. Son support (c’est-à-dire le fichier numérique qui permet la représentation virtuelle) reste dans la blockchain.

Dissociation image-support : problèmes
Cette dissociation de l’image et de son support pose cependant des problèmes pratiques.
• Le premier problème est qu’il est difficile de commercialiser une image virtuelle. Le caractère dématérialisé de l’image est difficilement appréhendable par le juriste dès lors qu’en matière de chose, nos lois régissent essentiellement la possession et donc la détention matérielle : « En fait de meubles, la possession vaut titre » (4). Comment peut-on posséder une chose qui n’est qu’une image virtuelle ? La loi va devoir s’adapter à ce nouvel outil et elle commence à le faire. Jusqu’à récemment, la loi limitait la vente volontaire de meubles aux enchères publiques aux seuls biens mobiliers corporels (5), ce qui excluait en France notamment la vente aux enchères des NFT. Or, de telles ventes étaient possibles hors de France. Rappelons que Christie’s à New York avait vendu en mars 2021 le NFT « Everydays: the First 5.000 Days » pour plus de 69,3 millions de dollars (6). Depuis mars 2022, l’interdiction a été levée en France. L’article L320-1 du code du commerce a été modifié par la loi « Moderniser la régulation du marché de l’art » du 28 février 2022 (7). La preuve du dépôt dans la blockchain • Le second problème est de savoir comment accorder de la valeur à une image virtuelle et, ce faisant, comment s’approprier une image virtuelle. Pour être commercialisé, un NFT doit être exposé, et donc être visible de tous. A priori sa valeur ne résulte pas de son exposition. Même s’il est une représentation virtuelle, le NFT, pour être commercialisé, ne peut s’affranchir de tout support. Cette dissociation n’est donc pas totale dès lors que l’image virtuelle est en fait associée à un support unique. L’unicité du support – et donc sa valeur – résultera du fait qu’il sera désigné comme tel par l’auteur du NFT. Et ce, par un dépôt dans la blockchain. Même s’il peut exister plusieurs représentations d’un NFT sur un même type de support, seul sera unique le support du NFT qui aura été désigné comme tel par le créateur dudit NFT. Par exemple, un NFT peut être représenté sur un support extrêmement banal (une vidéo au format mp4 par exemple), copiable par milliers et, en même temps, être unique, parce que son créateur l’aura rendu unique en le déposant dans la blockchain. Cette unicité ne pourra pas être, en droit, remise en cause par l’acquéreur du NFT. En effet, en déposant dans la blockchain une autre copie en mp4 du NFT vidéo unique (notre exemple), ledit acquéreur n’en ferait qu’une contrefaçon
Tout le monde peut voir un NFT s’il est mis en ligne sur une plateforme dédiée, mais une seule personne peut se prétendre détentrice de la preuve du dépôt d’un support unique dans la blockchain. Le NFT permet donc de dissocier l’unicité de la détention du support de celle de la propriété matérielle. Il permet donc d’ajouter une nouvelle modalité à l‘unicité en déclarant le NFT comme tel par son dépôt dans la blockchain. Outre la difficulté du concept, le NFT s’échange en utilisant d’autres outils nouveaux. La commercialisation des NFT suppose d’utiliser un environnement numérique, lui-même source de complexité. En effet, qui veut comprendre le fonctionnement des NFT doit aussi s’initier à la création et l’usage du portefeuille électronique, ou wallet, qui permet en effet de stocker et gérer ses crypto-actifs de la même manière qu’un compte en banque. Mais aussi il doit savoir recourir aux smart contracts (8). L’utilisateur doit aussi de familiariser avec l’utilisation de la cryptomonnaie (monnaie numérique émise de pair-à-pair sur un réseau décentralisé et sans nécessiter de banque centrale), le tout déposé dans la blockchain (là encore sans intermédiaire centralisé).
Enfin, l’échange de NFT suppose le recours à des places de marché. Le NFT est actuellement commercialisé par le biais de plateformes dédiées (OpenSea, Binance, Sorare, …), lesquelles ont imposé leurs pratiques de commercialisation. La difficulté est que l’acheteur du NFT ne sait pas toujours ce qu’il achète, ni comment il l’achète. Les plateformes sont assez « pudiques » sur le sujet, n’offrant qu’un espace de commercialisation (9) et renvoyant aux deux parties le soin de définir la nature et les conditions de « l’échange ». C’est une place de marché qui, assez étrangement, ne fixe pas les conditions juridiques du marché.
Du fait de la nature même du NFT (une représentation virtuelle), toute transaction confère un droit qui n’est pas un droit de propriété contrairement à ce que laisse supposer le vocabulaire utilisé par les plateformes (« acheteur », « vendeur », etc.). Toute commercialisation n’est, en réalité, que l’octroi d’une licence d’utilisation restreinte temporaire donnée par le créateur du NFT à un souscripteur. Cette licence se transmet sur le marché primaire (cession initiale) ou sur le marché secondaire (cessions ultérieures).
S’agissant du marché primaire, la commercialisation suppose la réunion de trois conditions :
Le NFT doit être créé par un artiste ; il s’agit essentiellement d’une œuvre de l’esprit unique qui ne doit pas porter atteinte aux droits des tiers. Le support électronique utilisé pour reproduire ou représenter ce NFT peut être commun (comme un jpeg) ; Le NFT doit être déposé dans la blockchain, et faire l’objet d’un certificat de dépôt pour singulariser et authentifier le NFT. Le support de la représentation devient ainsi unique ; L’artiste doit transférer le NFT au client primaire contre une rémunération dans le cadre d’une licence d’utilisation du NFT, cette licence définissant les conditions dans lesquelles le titulaire peut utiliser le NFT.
S’agissant du marché secondaire, la commercialisation suppose la réunion de deux conditions :
Le client primaire cède son NFT à un client secondaire qui paye le prix net au client primaire et la rémunération directement de l’artiste (généralement 10 %) et le cas échéant, la rémunération technique à la plateforme ; L’artiste confère au client secondaire une nouvelle licence d’utilisation (celle du client primaire devenant caduque du fait de la nouvelle « cession »).

Lenteur d’un consentement éclairé
Par la conclusion d’un contrat de licence à chaque « cession », chacun saurait la réalité de ce qu’il achète et les transactions n’auraient pas à se faire obligatoirement en cryptomonnaie – ce qui supprimerait les risques consécutifs à ce type de moyens de paiement. Cependant, un tel processus est beaucoup plus lourd que les facilités offertes par les plateformes. Il faut donc choisir entre la lenteur d’un consentement éclairé ou la rapidité dans l’ignorance de la nature des droits acquis. @

Le chinois TikTok fait une percée sur le marché français de la publicité dominée par les Gafam

Alors que les acteurs européens de la publicité digitale en France ne pèsent que 20 % du marché français, face notamment à la domination américaine des Google, Meta (Facebook) et autres Amazon, la « progression fulgurante » du chinois TikTok pourrait accroître encore le poids des non-européens.

« TikTok fait au premier semestre 2022 une progression fulgurante, qui représente deux tiers de la croissance de la publicité en ligne sur les réseaux sociaux », a souligné Sylvia Tassan Toffola (photo), présidente du SRI, le syndicat français des régies Internet, lors de la présentation le 12 juillet de son Observatoire de l’e-pub. La filiale du groupe chinois ByteDance profite en France comme ailleurs de la croissance exponentielle des vidéos de courte durée sur les réseaux sociaux. TikTok en est un précurseur dans le monde, Instagram, Snap et YouTube ayant par la suite adopté des formats similaires.

TikTok : haro sur Google, Meta et Amazon
Résultat, sur l’Hexagone, TikTok contribue largement à la plus forte croissance qu’enregistre la publicité sur les réseaux sociaux (le « Social », dans le jargon des professionnels de la publicité digitale), à savoir + 27 % sur les six premiers mois de l’année par rapport au semestre de l’année précédente, pour atteindre plus de 1,2 milliard d’euros.
Selon Médiamétrie, TikTok en France arrive en 23e position en termes d’audience mensuelle avec plus de 18,2 millions de visiteurs uniques par mois (sur mai 2022, dont les chiffres ont été publiés fin juin). Ainsi, le chinois TikTok vient perturber la domination des géants du Net américains – dont « le trio Google-Meta-Amazon (GMA) » qui représente encore les deux tiers (66 %) du marché global de la publicité en ligne en France. Tandis que les acteurs européens pèsent moins d’un quart (20 %). Ce trio GMA prend en compte Alphabet (Google, YouTube), Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp), Amazon (dont Twitch), mais pas Apple ni Microsoft.
TikTok pourrait jouer les trouble-fête si sa croissance se poursuit à ce rythme. La filiale de ByteDance (1) grignote des parts de marché « Social » à ses principaux concurrents que sont Meta, Twitter, Pinterest et LinkedIn (Microsoft). TikTok participe aussi, de près ou de loin, au « léger recul » du trio Google-Meta-Amazon, dont la part de marché en France passe de 68 % à 66 % – « du fait d’un ralentissement de leur croissance » (+16 % versus + 27 % entre 2021 et 2020). Mais ce triumvirat a généré à lui seul au premier semestre 2022 un chiffre d’affaires publicitaire de plus de 2,8 milliards d’euros. Selon l’Observatoire de l’e-pub, réalisé par le cabinet OliverWyman pour le SRI en partenariat avec l’Udecam (2), Meta accuse un ralentissement de sa croissance et sa part de marché « Social » s’est érodée. Un rééquilibrage entre les trois dominants Google-Meta-Amazon et les autres acteurs qui ne font pas partie du GMA est en tain de se faire, mais principalement en faveur de TikTok : les GMA ont progressé en six mois de « seulement » 16 % pendant que les non-GMA ont fait mieux avec une augmentation de leurs revenus de 16 %. « Les dynamiques de croissance montrent une forme de rééquilibre. Mais dans ce + 26 % de hausse des non-GMA, il y a bien évidemment la progression d’acteurs du “Social” comme TikTok », constate Sylvia Tassan Toffola, par ailleurs directrice générale de TF1 Publicité (dont la maison mère veut fusionner avec M6). La montée en puissance du chinois en France risque d’accroître le poids des acteurs non-européens – déjà massif avec 80 % de parts de marché – face aux acteurs européens (dont la maison mère est située en Europe) cantonnés actuellement à 20 %. « Là, c’est vrai, c’est un peu préoccupant puisque le poids des Européens a perdu 3 pourcents, passant de 23 % du marché français au premier semestre 2021 à 20 % au premier semestre de cette année, s’est inquiétée Sylvia Tassan Toffola. Mon message, il est le suivant : dans les périodes de crise, vous, agences, annonceurs, vous devez faire des choix, et des choix d’efficience [notamment en faveur de] la proposition de valeur des membres du SRI pour relever vos propres défis ».
Selon les prévisions du cabinet OliverWyman, la croissance du marché français de l’e-pub devrait ralentir au second semestre 2022 pour aboutir à une hausse d’environ 14 % sur l’ensemble de l’année, à 8,8 milliards d’euros.

Europe : la filiale de ByteDance contrariée
En Europe, où il compte 100 millions d’utilisateurs, TikTok est aussi en pleine croissance publicitaire. Mais le chinois rencontre quelques difficultés. « Sa stratégie de croissance largement centrée sur le e-commerce (3) a ralenti en Europe, à la suite de la performance décevante des outils comme TikTok Shopping en test au Royaume-Unis », relève l’étude OliverWyman. Par ailleurs, le 12 juillet dernier, un porte-parole de la « Cnil » irlandaise – la DPC (4) – a annoncé au site américain TechCrunch que TikTok mettait « sur pause » une mise à jour controversée de ses règles de confidentialité (privacy policy) et de ciblage publicitaire (5) qui devaient entrer en vigueur le 13 juillet. Ce qu’a aussitôt confirmé TikTok (6). La « Cnil » italienne avait, elle, été la première à « avertir formellement » (7) la filiale de ByteDance. @

Charles de Laubier

Dans l’attente de la notification du rachat de Lagardère par Vivendi, la Commission européenne enquête

Avant même d’avoir reçu de Vivendi la notification de son projet de rachat du groupe Lagardère, laquelle devrait être lui être remise en septembre, la Commission européenne questionne depuis le début de l’année des acteurs et des organisations professionnelles pour mesurer l’impact « Vivendi-Lagardère ».

« Sous réserve de l’autorisation de la Commission européenne », précisaient dans les mêmes termes les communiqués de Vivendi annonçant respectivement le 25 mai le succès de la première période de son OPA amicale sur les actions du groupe Lagardère (1) et le 14 juin la détention de 57,35 % du capital et 47,33 % des droits de vote du même groupe Lagardère (2). Le sort du projet de « rapprochement » de Vivendi et de Lagardère – déjà engagé par endroits et sans attendre l’aval des autorités antitrust – est en fait depuis des mois entre les mains de la Commission européenne. Bruxelles n’a en effet pas attendu que l’opération de contrôle lui soit notifiée – ce qui devrait être fait en septembre – pour questionner les acteurs des marchés potentiellement impactés par cette mégaopération de concentration dans l’édition et les médias. Depuis fin 2021, une « case team » est en place pour, sans tarder, « recueillir des informations auprès des parties notifiantes [en l’occurrence Vivendi , mais aussi Lagardère, ndlr] et des tiers, tels que leurs clients, leurs concurrents et leurs fournisseurs ». Durant cette phase de pré-notification, où les envois de questionnaires aux intéressés se multiplient pour procéder à des « tests de marché », les informations peuvent prendre la forme de griefs formulés par des concurrents présents sur ces marchés..

La DG Competition et Margrethe Vestager scrutent
Et les reproches sont nombreux, notamment dans le secteur de l’édition, où le numéro un français Hachette (Lagardère) est appelé à fusionner avec le numéro deux Editis (Vivendi). Avec leurs multiples maisons d’édition (Calmann-Lévy, Grasset, Stock, Fayard, JC Lattès, Livre de poche, Dunod, Larousse, Hatier, … côté Hachette Livre ; La Découverte, Plon, Perrin, Robert Laffont, Presses de la Cité, Le Cherche Midi, Bordas, Le Robert, … côté Editis), la prise de contrôle du groupe d’Arnaud Lagardère (photo) – lequel conserve 11,06 % du capital – par celui de Vincent Bolloré provoque une levée de boucliers. Car ces deux géants français du livre – édition et distribution – seront en position dominante voire en quasisituation de monopole en France si un feu vert était donné en l’état par les autorités antitrust. « Les lois (européennes) sont bien faites. Il y a des lois qui empêchent cette concentration (dans l’édition notamment) et elles seront respectées. Si l’on doit revendre des maisons d’édition, on le fera », a tenté de rassurer Arnaud Lagardère dans l’émission « Complément d’enquête » diffusée le 2 juin dernier sur France 2.

Vincent Bolloré contrôle et va notifier d’ici septembre
Et « comme c’est Vivendi qui prend le contrôle de Lagardère, c’est Vivendi qui présente son projet à la Commission européenne », a encore souligné Arnaud Lagardère, désormais PDG pour six ans de « son » groupe, contrôlé depuis fin mai par Vincent Bolloré (photo ci-contre). Une fois qu’en septembre Vivendi aura notifié – sans doute par voie électronique – son opération de rapprochement entre les deux groupes, la direction générale de la concurrence (DG Competition) disposera alors de vingt-cinq jours pour donner un avis sur cette transaction, délai pouvant être porté à trente-cinq jours si nécessaire. Etant donné les enjeux d’une telle opération de concentration et les inquiétudes qu’elle suscite, la Commission européenne – dont la commissaire à la concurrence est depuis 2014 la redoutée Margrethe Vestager (3) – devrait alors lancer enquête approfondie sur au moins quatre-vingt-dix jours, délai qui peut être porté à cent cinq jours si besoin était. Dans le cas présent, la décision ne serait pas attendue avant la fin de l’année mais plutôt début 2023. Dans sa notification à la Commission européenne, Vivendi proposera sans doute de vendre certains actifs dans l’édition. Encore faut-il que les « remèdes » à cette concentration suffisent. Rappelons qu’en janvier 2004, dans le sens inverse, la Commission européenne avait forcé le groupe Lagardère (Hachette Livre) à se délester de plus de la moitié des actifs de Vivendi Universal Publishing (ex- Havas (4)) qu’il comptait racheter depuis fin 2002 (5). Des filiales non cédées sont à l’époque venues constituer le nouveau groupe Editis, lequel fut racheté en 2018 par Vivendi.
Vingt ans plus tard, où cette fois Vivendi s’empare des actifs de Lagardère, la DG Competition ne manquera pas à nouveau de porter son analyse sur les « effets horizontaux, congloméraux et verticaux de cette opération ». Antoine Gallimard, PDG de Madrigall (groupe lui-même issu du rapprochement de Gallimard, Flammarion et Casterman) a, lui, débuté ses échanges en visioconférence dès fin décembre 2021 avec la case team de la DG Competition (6). Il est vent debout contre cette fusion Editis-Hachette et serait intéressé par l’édition scolaire où la domination du nouvel ensemble atteindrait son paroxysme.
Quelle que soit la décision à venir de la Commission européenne et de sa vice-présidente Margrethe Vestager sur ce dossier sensible, Vincent Bolloré et Arnaud Lagardère savourent le succès de l’OPA amicale. « Je suis très heureux de ce qui se passe », a indiqué ce dernier dans « Complément d’enquête ». Pour le premier, c’est un revirement de situation puisqu’en son groupe avait déclaré en avril 2020 à l’Autorité des marchés financiers (AMF) : « Vivendi n’a pas l’intention d’acquérir le contrôle de Lagardère ». En fait, c’est Arnaud Lagardère qui a fait changer d’avis le milliardaire breton : « J’ai pris la liberté d’appeler Vincent Bolloré mi-mars 2020, au tout début du confinement, a raconté le fils unique de Jean-Luc Lagardère, pour effectivement m’aider (en entrant au capital de Lagardère), ce qu’il a accepté. Je ne l’aurais pas appelé, il ne serait jamais entré et Vivendi ne serait jamais actionnaire du groupe (Lagardère) aujourd’hui. (…) A l’époque, mon ennemi – contrairement à ce que pensent beaucoup de gens qui se trompent – ce n’était pas Vincent Bolloré ni Bernard Arnault, mais Amber Capital ». Ce fonds d’investissement activiste britannique, qui fut un temps début 2020 le premier actionnaire du groupe Lagardère et très critique envers la gestion d’Arnaud Lagardère qu’il tenta de chasser de son statut de gérant de la société en commandite par actions Lagardère SCA. Cette structure juridique atypique permettait à Arnaud Lagardère de contrôler son groupe en n’en détenant alors que 7,3 % du capital. « C’est cet activiste-là que j’espérais d’abord pouvoir contrer », a-t-il rappelé. En revanche, le patron du groupe Lagardère n’est pas allé chercher Bernard Arnault. « C’est lui qui a appelé, d’abord notre banque d’affaires, pour dire qu’il était prêt à m’aider dans ma structure personnelle et non pas en-dessous. Donc, il n’y avait aucune déclaration de guerre, entre guillemets, d’un Bernard Arnault qui viendrait à l’assaut d’un Vincent Bolloré, lequel est mon ami et vient pour m’aider ». Le PDG de LVMH était d’ailleurs le meilleur ami de son père Jean-Luc Lagardère, ancien PDG de Matra, d’Hachette et d’Europe 1.
Fin mai, Vivendi a accordé à Arnaud Lagardère un mandat de PDG de six ans en promettant de « conserver l’intégrité » de son groupe devenu la société anonyme Lagardère SA – fini la SCA qui aura vécu près de 30 ans – et « de lui donner les moyens de se développer ». Arnaud est-il inquiet de ce que pourrait faire Vincent Bolloré de l’empire médiatique de Lagardère (Europe 1, le JDD, Paris-Match, CNews, Virgin Radio bientôt rebaptisée Europe 2, …) ? « Non, cela ne m’inquiète absolument pas. D’abord, parce que je suis là », a-t-il assuré. A 61 ans, le fils unique et l’héritier de l’empire Lagardère (317e plus grande fortune française, selon Challenges), va entamer une nouvelle vie professionnelle aux côtés des Bolloré. « Ma relation avec Vincent Bolloré et avec ses enfants, Cyrille et Yannick, est telle que nous allons poursuivre cette route assez longtemps », a-t-il dit, confiant en l’avenir.

Vincent Bolloré est censeur jusqu’au 14 avril 2023
Depuis avril 2018, Yannick Bolloré a remplacé à la présidence du conseil de surveillance de Vivendi le patriarche Vincent Bolloré (70 ans), lequel y est devenu en avril 2019 « censeur » dont le mandat court jusqu’au 14 avril 2023… non renouvelable. Et si le nom Lagardère devait disparaître comme entité économique ? « Bien sûr que je le regretterais, bien sûr, a-t-il confié dans “Complément d’enquête”. Mais s’il doit disparaître au profit d’un nom comme celui de Vincent Bolloré, j’en serais plutôt heureux. Ça ne me dérangerait pas. Et ça ne dérangerait pas mon père non plus ». Il y a près de dix ans, en mars 2013, Arnaud Lagardère assurait qu’il ne cèderait son groupe « à quelque prix que ce soit ». @

Charles de Laubier