Puissance informatique et régulation « virtuelle » : les métavers vont poser des problèmes

Il y a 30 ans, l’auteur américain de science-fiction Neal Stephenson inventait le « metaverse » pour décrire un monde virtuel dans son roman « Snow Crash ». Aujourd’hui, ces univers immersibles en 3D misent sur le très haut débit et l’ultra haute définition pour tenter de devenir cette fois réalité.

La loi de Moore – inventée en 1965 par le cofondateur et président émérite d’Intel, Gordon Moore (93 ans depuis le 3 janvier), pour expliquer que la densité d’une puce en transistors double tous les deux ans – n’avait pas imaginée la montée en puissance des métavers. Ce néologisme – en anglais « metaverse » – est la contraction de meta qui signifie « au-delà » et d’universe pour « univers : il fut inventé par Neal Stephenson dans un roman de science-fiction paru en 1992 « Snow Crash » (Le Samouraï Virtuel). Soit cinq ans après que Gordon Moore ne quitte ses fonctions de PDG d’Intel…

Métavers mondial = puissance x 1.000
« Ces dernières années, le métavers est venu représenter une convergence utopique d’expériences numériques alimentée par la loi de Moore – une aspiration à permettre des environnements virtuels et de réalité augmentée riches, en temps réel et interconnectés à l’échelle mondiale, qui permettront à des milliards de personnes de travailler, jouer, collaborer et socialiser de façon entièrement nouvelle. En effet, le métavers peut être la prochaine plateforme informatique majeure après le World Wide Web et le mobile », prédit Raja Koduri (photo), l’actuel vice-président chez Intel, dans une tribune publiée en décembre dernier.
Mais, selon ce vétéran ingénieur informaticien américain, né en Inde, « l’informatique réellement persistante et immersive, à grande échelle et accessible en temps réel par des milliards d’êtres humains, exigera (…) une augmentation de 1.000 fois de l’efficacité informatique par rapport à l’état actuel de la technique » (1). Cela en prend le chemin, puisque la puissance des micro-processeurs et des ordinateurs s’achemine allègrement – « au cours des cinq prochaines années », avance Raja Koduri – vers l’informatique dite « zettascale », à savoir des supercalculateurs capables de traiter de l’ordre de 1 zettaflop à la seconde. Le zetta est la suite logique, en ordre décroissant, du peta, de l’exa, du tera, du giga et du mega. Cela dépasse l’entendement mais pas l’imagination des concepteurs de métavers. « Nous croyons que le rêve de fournir un pétaflop de puissance de calcul et un pétaoctet de données en une milliseconde à chaque Humain sur la planète est à notre portée », affirme celui qui est aussi directeur général de la division Accelerated Computing Systems and Graphics (AXG) créée l’an dernier au sein d’Intel et spécialisée dans la croissance de l’informatique et du graphisme haute performance.
Raja Koduri pense même que l’on est « à l’aube de la prochaine grande transition de l’informatique qui permettra une informatique persistante et immersive à grande échelle », au croisement des films d’animation, des jeux vidéo aux graphismes hyperréalistes, de la retransmission en live streaming en temp réel et à très haut débit, de la réalité virtuelle (VR) et de la réalité augmentée (AR), le tout avec des interactions aux temps de latence rendues imperceptibles. « L’explosion des technologies de la finance numérique décentralisée inspire des modèles économiques qui encouragent tout le monde à jouer un rôle dans la création de ces métavers », s’enthousiasme l’expert d’Intel qui compte bien répondre à la demande de ces univers immersibles en leur apportant des « blocs de construction ».
Car pour faire entrer les internautes dans ces métavers, il faudra que le réseau social immersible, comme le futur Meta envisagé par l’ex-Facebook, soit capable de proposer des avatars convaincants et créés dans leurs moindres détails (vêtements, cheveux, couleurs de peau réalistes, …) – « tous rendus en temps réel et basés sur des données de capteurs capturant des objets 3D du monde réel, les gestes, l’audio et bien plus encore ». Bref, la convergence numérique des mondes réel et virtuels est en marche.

Des internautes aux « métanautes »
Si le vice-président d’Intel mesure les limites de l’informatique d’aujourd’hui pour faire face à ces ambitions « métaverses » (« notre infrastructure informatique, de stockage et de réseau n’est tout simplement pas suffisante pour concrétiser cette vision »), il fait l’impasse sur les conséquences « carbone » pour l’environnement et le climat. Car, à l’instar du minage de milliers de cryptomonnaies dans le monde, l’émergence des métavers ne manqueront pas d’être énergivores et de forts contributeurs à l’émission de gaz à erreur de serre, au trou dans la couche d’ozone et au réchauffement climatique (2). A moins que les futurs Big Meta ne s’engage dès leur « écoconception » à limiter leur dégagement de CO2 dans l’atmosphère.
C’est à se demander s’il ne faudra pas appeler les internautes virtualisés des « métanautes ». Facebook, dont la maison mère Meta Platforms se veut aux avant-postes, nourrit l’espoir de convertir ses près de 3 milliards d’utilisateurs (cumul du réseau social historique avec Instagram, WhatsApp et Messenger) à son futur réseau social immersif.

Un marché mondial bien réel
La firme de Mark Zuckerberg a déjà commencé à investir – « des milliards de dollars » – dans son métavers qu’est en train de bâtir la nouvelle division Facebook Reality Labs (FRL), laquelle va présenter des comptes financiers séparés à partir des résultats à venir du quatrième trimestre 2021. « Nous nous attendons à ce que notre investissement dans Facebook Reality Labs réduise d’environ 10 milliards de dollars notre budget opérationnel global en 2021 », a déjà prévenu David Wehner, le directeur de Meta Platforms (3), anciennement « Facebook, Inc. » jusqu’à fin octobre 2021. Facebook a commencé à se faire les dents en proposant un univers collaboratif de travail baptisé « Horizon Workrooms », disponible gratuitement pour les casques de réalité virtuelle Oculus (hérités de l’entreprise fondée en 2012 et rachetée par le numéro un des réseaux sociaux deux ans plus tard pour 2 milliards de dollars).
Facebook n’est pas le seul, loin de là, à être attiré par les sirènes des métarvers, mais c’est le premier GAFAM à s’être engagé à investis massivement dans un réseau social immersif en 3D. Microsoft est aussi un géant du Net en embuscade, depuis la firme de Redmond a racheté en septembre 2014 la société suédoise Mojang et la franchise de son jeu de construction en ligne massivement multi-joueur et immersif Minecraft pour 2,5 milliards de dollars (4). A l’instar de Facebook, Microsoft va lancer « Mesh », plateforme virtuelles intégrée à son logiciel de visioconférencesTeams.
D’autres acteurs ont déjà développé leur métavers et détiennent une longueur d’avance sur la firme de Menlo Park, comme les éditeurs de jeu vidéo Roblox et Epic Games (Fortnite). Le fabricant des micro-processeurs graphiques Nvidia a déjà lancé sa propre plateforme, Omniverse, qui fut ouverte en version bêta en décembre 2020. Le chinois Baidu s’installe dans le métavers avec XiRang. Ses compatriotes Tencent, Alibaba et ByteDance fourbissent leurs armes. Il y aussi des pionniers comme Second Life (5), Decentraland voire World Of Warcraft (le jeu de rôle en ligne massivement multijoueur ou MMORPG édité par Blizzard Entertainment). Des startup se positionnent sur ce marché potentiel, telles que The Sandbox dont le métavers est basé sur la blockchain Ethereum comme l’est celui de Cryptovoxels. Bien d’autres initiatives immersives en 3D comme le britannique Somnium Space ou le français Kinetix. La 55e édition du CES (6) de Las Vegas, qui s’est tenue début janvier, a fait la part belle à ces univers parallèles avec leurs capteurs, casques, avatars, lunettes, haptiques, sensations, secondes peaux, boîtiers, etc. Tout un équipement pour entrer de plain-pied dans la science-fiction.
Ce nouvel eldorado du numérique est en passe de constituer un marché potentiel aux perspectives bien réelles. Selon le cabinet d’études britannique Strategy Analytics, les transactions dans les métavers et les jeux en immersion 3D pourraient atteindre la somme colossale de 42 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2026, contre 6,1 milliards l’an dernier. Ces mêmes analytes tablent sur 3,7 milliards de dollars d’ici cinq ans rien qu’en dépenses des internautes et recettes publicitaires dans les mondes de réalité étendue dits XR, pour Extended Reality. De son côté, le cabinet d’étude indien Marketysers Global Consulting (Reports And Data) évalue le marché mondial du métavers à des niveaux stratosphériques : plus de 872,3 milliards de dollars en 2028.
« Le – ou les – métavers restent néanmoins des dispositifs numériques où l’extension du domaine de la collecte des données pourrait s’avérer problématique si leur développement n’est pas maîtrisé », s’est inquiété Régis Chatellier (7), responsable d’études prospectives à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Selon lui, une immersion et une intégration plus ou moins complètes entre le terminal d’accès et l’univers virtuel réduit la capacité individuelle à échapper à la collecte de données, quand bien même le cadre réglementaire européen du RGPD s’appliquera aux métavers. Qu’est-ce qui relèvera de la confidentialité des correspondances privées et de la vie privée à protéger de l’avatar et de son alter-ego ?

Des « méta-problèmes » en perspective
« Meta est une très belle illustration du “méta-problème” de Facebook. (…) Je suis aussi très inquiète (…). Le métavers a besoin de beaucoup de capteurs et de données biométriques sur les personnes », avait fait part Frances Haugen, ancienne ingénieure chez Facebook devenue lanceuse d’alerte, lors de son audition – bien réelle celle-là – devant deux commissions sénatoriales le 10 novembre dernier. @

Charles de Laubier

Les opérateurs télécoms appellent l’UE, présidée par la France, à imposer le peering payant aux GAFAM

La France préside le Conseil de l’Union européenne (UE) durant ce premier semestre 2022, alors que les négociations sur le Digital Markets Act (DMA) débutent. C’est l’occasion pour Orange, Deutsche Telekom, Telefónica ou encore Telenor de tenter d’imposer aux géants du Net le « peering payant ».

Un mois après avoir été approuvée par le Parlement européen, lors du vote en séance plénière du 15 décembre dernier à Strasbourg (1), la proposition de législation sur les marchés numériques – appelée Digital Markets Act (DMA) – va maintenant faire l’objet de négociations entre les eurodéputés et les vingt-sept gouvernements des Etats membres réunis au sein du Conseil de l’Union européenne (UE), lequel est présidé non pas par Emmanuel Macron mais par Charles Michel (photo). Cette approbation du projet de DMA vaut en effet mandat pour la négociation qui s’engage.

Les « telcos » se sentent exclus du DMA
« Les mesures horizontales comme le Digital Markets Act jouent un rôle crucial et, pour cette raison, nous les appuyons fermement. En outre, nous devons également tenir compte [du fait qu’]une partie importante et croissante du trafic du réseau est générée et monétisée par les plateformes des Big Tech, mais cela nécessite des investissements et une planification de réseau continus et intensifs de la part du secteur des télécommunications », ont fait valoir les principaux opérateurs télécoms historiques d’Europe réunis au sein de leur organisation de lobbying Etno (2).
Et la douzaine de signataires – Telekom Austria Vivacom (ex- Bulgarian Telecom), Proximus (ex-Belgacom), Telenor, KPN, Altice Portugal, Deutsche Telekom, BT Group, Telia Company, Telefónica, Vodafone, Orange et Swisscom – de suggérer de rééquilibrer les forces en présence en faisant mieux payer les GAFAM via le « peering payant » (même si cette facturation des interconnexions réseau n’est pas explicitement mentionnée) : « Ce modèle – qui permet aux citoyens de l’UE de profiter des fruits de la transformation numérique – ne peut être durable que si ces grandes plateformes technologiques contribuent également équitablement aux coûts du réseau ». Les opérateurs télécoms semblent avoir le sentiment d’être exclus du DMA et des négociations qui s’annoncent. « Les nouvelles stratégies industrielles [doivent] permett[re] aux acteurs européens – y compris les opérateurs télécoms – de rivaliser avec succès dans les espaces de données mondiaux, afin de développer une économie de données européenne fondée sur de véritables valeurs européennes », préviennent ils. Ce futur règlement européen DMA ne s’intéresse en effet qu’aux grandes plateformes de services en ligne dits « essentiels » et dont il dresse « une liste noire » – dixit le communiqué du Parlement européen (3) – de leurs pratiques : lorsqu’elles agissent comme des « contrôleurs d’accès » – ou gatekeepers : cela va des « économies d’échelle extrêmes », des « effets de réseau très importants », des « effets de verrouillage », à l’« intégration verticale » ou encore aux « avantages liés aux données », le tout combiné à des « pratiques déloyales ». Les GAFAM – Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft et bien d’autres géants de l’Internet – sont concernés au premier chef car ils peuvent abuser de leur position dominante « au détriment des prix, de la qualité, des normes en matière de vie privée et de sécurité, d’une concurrence loyale, du choix et de l’innovation dans ce domaine ». Griefs potentiels auxquels peuvent s’ajouter des « conséquences sociétales et économiques négatives ».
Aux yeux du Parlement européen, sont considérés comme des « services de plateforme essentiels » une flopée d’acteurs du numérique tels que, pêle-mêle : « les services d’intermédiation en ligne, les moteurs de recherche en ligne, les systèmes d’exploitation tels que les dispositifs intelligents, l’Internet des objets ou les services numériques embarqués dans les véhicules, les réseaux sociaux en ligne, les services de plateformes de partage de vidéos, les services de communications interpersonnelles non fondés sur la numérotation [les messageries instantanées ou les messageries d’e-mails, ndlr], les services d’informatique en nuage, les services d’assistant virtuel, les navigateurs web, la télévision connectée et les services de publicité en ligne » (4). Il n’en reste pas moins que les GAFAM sont les premiers visés puisque pour tomber sous le coup du règlement DMA et être qualifié de « contrôleurs d’accès », il faut réaliser 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel dans l’espace économique européen (5) et avoir une capitalisation boursière d’au moins 80 milliards d’euros (6), ainsi que totaliser au moins 45 millions d’utilisateurs finaux par mois ainsi que de plus de 10 000 entreprises utilisatrices.

Des garde-fous et des amendes salées
Outre le fait d’être un garde-fou des gatekeepers, le futur DMA – consacré aux «marchés contestables et équitables dans le secteur numérique » (7) – donne pouvoir à la Commission européenne pour mener des enquêtes de marché et appliquer des sanctions, lesquelles représentent « au moins 4 % et jusqu’à concurrence de 20 % de son chiffre d’affaires mondial total réalisé au cours de l’exercice précédent ». @

Charles de Laubier

Streaming et piratage : le marché mondial de la protection des contenus audiovisuels explose

C’est la face cachée du streaming et des services OTT : la surveillance quasi-systématique d’Internet – via les plateformes vidéo et les applications mobiles – pour traquer les pirates de contenus (films, séries, vidéoclips, retransmissions sportives, …) protégés par le droit d’auteur.

L’industrie des médias et du divertissement mettent de plus en plus sous surveillance Internet pour traquer le piratage de leurs contenus audiovisuels diffusés massivement en ligne, en streaming et/ou sur applications mobiles, lorsque ce n’est pas via des « box ». Il s’agit « de traquer et de neutraliser les hackers du secteur OTT, voleurs de contenus, tels que les sports en direct et les films premium », selon les propres termes du groupe Verimatrix (ex-Inside Secure), basé à Aix-en-Provence et présidé – depuis l’époque du français Inside Secure (ayant pris le nom la société américaine basée à San Diego et rachetée fin 2018) – par Amedeo d’Angelo (photo).

Bibliothèque d’animations « Gif » : comment Giphy (Facebook) et Tenor (Google) monétisent

Les petites animations au format Gif sont nées avec le Web grand public il y a près de trente ans. Depuis, s’est constitué un quasi-duopole de bibliothèques entre Giphy (filiale de Facebook depuis mai 2020) et Tenor (appartenant à Google depuis mars 2018). Mais pour quel modèle économique ?

Si Google a dépensé 100 millions de dollars en mars 2018 pour acquérir Tenor et Facebook 400 millions de dollars en mai 2020 pour s’emparer de Giphy, c’est que les petites images animées au format ultra court sont « bankable ». Ces fameux « Gif », qui tirent leur sigle du « Graphics Interchange Format » défini – avant même le Web grand public – par le service en ligne CompuServe en juin 1987 (1), permettent de tout exprimer ou presque sur Internet et surtout sur les réseaux sociaux pour peu que les internautes ou les mobinautes les trouvent.

E-réputation, intelligence média, veille sociale, … : réseaux sociaux et sites web sous surveillance

Internet est sous surveillance non seulement pour lutter contre le piratage, les fake news ou la cybercriminalité, mais aussi pour traquer tout ce que les internautes disent sur les marques et leurs entreprises. Ce « monitoring » généralisé est méconnu du grand public qui se retrouve ainsi pisté.

Le groupe Meltwater, qui se présente comme la « première société de veille des médias en ligne au monde » (1), ou tout du moins comme « l’un des leaders mondiaux de l’intelligence médiatique et de l’analyse sociale », a publié le 9 décembre son rapport sur « l’état des médias sociaux ». Ils sont désormais incontournables pour les entreprises, les organisations et, en général, « les marques ». Meltwater a été fondé il y a vingt ans par le Norvégien d’origine sud-coréenne Jørn Lyseggen (photo), qui en est le président exécutif auprès du directeur général John Box et qui détient 46.2 % du capital (2).