Devenu 2e éditeur de presse magazine en France, le Tchèque Daniel Kretínsky a ses chances pour Editis

Entré il y a quatre ans dans le club grandissant des industriels milliardaires propriétaires de médias français, l’oligarque tchèque Daniel Kretínsky semble le mieux placé pour devenir l’actionnaire de référence du deuxième éditeur français, Editis. Le nouveau tycoon de la presse française, s’intéresse aussi à l’audiovisuel.

Le 7 novembre est paru au Journal Officiel de l’Union européenne (JOUE) l’avis officiel de la « notification préalable d’une concentration » reçue par la Commission européenne le 24 octobre 2022 de la part de Vivendi – contrôlé par le groupe Bolloré – qui veut acquérir « le contrôle exclusif de l’ensemble de Lagardère ». Bruxelles a appelé « les tiers intéressés à lui présenter leurs observations éventuelles [qui devaient] lui parvenir au plus tard dans un délai de dix jours » après cette publication au JOUE (1). Depuis le 17 novembre, la direction générale de la concurrence (DG Comp) de la Commission européenne a donc toutes les cartes en main pour rendre sa décision – positive ou négative sur cette opération – à partir du 30 novembre, date de la fin de la procédure d’examen (2). A moins qu’elle ne décide de lancer une enquête approfondie. Le lendemain du dépôt formel de sa notification à Bruxelles, le groupe Vivendi a indiqué qu’il « poursui[vai]t l’étude du projet de cession d’Editis dans son intégralité » afin d’obtenir le feu vert de la Commission européenne pour s’emparer du groupe Lagardère, dont sa pépite Hachette Livre : troisième groupe mondial de l’édition et premier éditeur français.

Vivendi doit céder Editis pour avoir Lagardère
Pour satisfaire aux exigences de l’Union européenne en matière de concentration et de concurrence, le groupe de Vincent Bolloré est tenu de céder sa filiale Editis, deuxième éditeur en France. Il l’avait racheté en janvier 2019 et comptait initialement le garder dans le futur ensemble « Vivendi-Lagardère ». Mais les inquiétudes de l’édition en France et les réserves de la DG Comp en amont, ont poussé Vivendi à devoir vendre Editis « pour éviter les problèmes potentiels de concentration avec le groupe Lagardère ». Avec ses 53 maisons d’édition (La Découverte, Plon, Perrin, Robert Laffont, Presses de la Cité, Le Cherche Midi, Bordas, Le Robert, …), Editis a réalisé en 2021 un chiffre d’affaires de 856 millions d’euros, tandis qu’Hachette Livre avec ses 200 maisons d’édition (Calmann-Lévy, Grasset, Stock, Fayard, JC Lattès, Livre de poche, Dunod, Larousse, Hatier, …) en a généré le triple : 2,598 milliards d’euros. Comme le projet de cession d’Editis annoncé le 28 juillet se fera « via principalement une distribution aux actionnaires de Vivendi et une cotation à Euronext Paris » (3), chaque actionnaire de Vivendi recevra des actions « Editis » au prorata de celles qu’il détient dans la maison mère (4).

Bolloré va récupérer 29,7 % d’Editis et les vendre
Ainsi, le groupe Bolloré du milliardaire breton – actionnaire de référence de Vivendi à hauteur de 29,4 % du capital – recevra 29,4 % d’actions d’Editis, ou 29,7 % si l’on se réfère aux droits de vote. Mais Bolloré s’est engagé à céder l’ensemble de ses actions-là pour « doter Editis d’un noyau actionnarial de référence et stable ». Le reste ira en Bourse, à moins que Bruxelles ne trouve à redire sur ce découpage financier (5). Or, le seul candidat déclaré auprès de Vivendi pour le rachat des 29,4 % d’Editis à Bolloré n’est autre que le milliardaire tchèque Daniel Kretínsky (photo). Tous les autres prétendants potentiels au rachat des actions de Bolloré dans Editis (LVMH, Bouygues, Fimalac, Scor/Humensis, Lefebvre Sarrut, Kering, E.Leclerc, Bonnier, Mondadori, Bertelsmann, …) démentent ou attendent (6). Mais dès que la Commission européenne rendra sa décision à partir du 30 novembre (sauf enquête approfondie), les prétendants pourront sortir du bois et répondre à l’appel d’offres piloté par trois banques (dont Lazard et BNP Paribas). Arnaud de Puyfontaine, président du directoire de Vivendi, a déjà dit l’été dernier qu’il ne souhaite vendre « ni à un concurrent français (dans l’édition) ni à un fonds d’investissement ». Ce qui laisse toutes ses chances à Daniel Kretínsky. Le Tchèque magnat de l’énergie d’Europe centrale (7) et propriétaire du groupe Czech Media Invest (CMI) n’est pas dans l’édition de livres en France, mais plus que jamais dans la presse française.
Outre son ticket indirect dans Le Monde, en étant coactionnaire via les 49 % dans Le Monde Libre (LML) qu’il avait acquis fin octobre 2018 au banquier Matthieu Pigasse (8), le milliardaire de 47 ans est propriétaire de plusieurs magazines négociés dès avril 2018 et rachetés en février 2019 à Lagardère (Elle (9), Télé 7 jours, Femme actuelle, France Dimanche, Ici Paris, Public, Art & Décoration, …). Et, depuis le printemps 2018, il possède l’hebdomadaire Marianne fondé il y a un quart de siècle par Jean-François Kahn (10). Par ailleurs, l’oligarque tchèque a prêté en septembre au quotidien Libération 14 millions d’euros remboursable dans quatre ans (en 2026), auxquels il a ajouté un don de 1 million d’euros au Fonds de dotation pour la presse indépendante (FDPI) où se trouve la holding Presse Indépendante qui contrôle Libération. Le FDPI compte un administrateur proche du milliardaire : Branislav Miskovic. Cédé il y a deux ans par un autre milliardaire, Patrick Drahi (Altice/SFR), le quotidien créé par Jean-Paul Sartre passera la cinquantaine – le 18 avril 2023 – sans encombre malgré ses pertes (7,9 millions en 2021). Outre la presse, le nouveau tycoon des médias français a aussi fait irruption dans le paysage audiovisuel, en s’invitant en 2019 au capital de TF1 et en franchissant le seuil des 5 % deux ans après via sa société luxembourgeoise Vesa Equity Investment. Il était même candidat depuis mars 2021 au rachat de M6, jusqu’à ce que le groupe allemand Bertelsmann renonce le 3 octobre dernier à vendre sa filiale française. Le francophile et francophone Daniel Kretínsky, qui a fait une partie de ses études de droit à l’université de Dijon, est ainsi entré dans le club grandissant des industriels milliardaires propriétaires de pans entiers des médias français : Bernard Arnault, Xavier Niel, Martin Bouygues, Arnaud Lagardère, Patrick Drahi, François Pinault ou encore le nouveau venu Rodolphe Saadé. Cette oligarchie médiatique à la française est unique au monde et pose questions quant à l’indépendance des rédactions (11).
Le 14 octobre dernier à l’université d’automne de l’association Un Bout des Médias, dont Julia Cagé est présidente, Denis Olivennes (photo ci-contre) – redevenu le 1er novembre (après l’avoir déjà été de janvier 2019 à juin 2020) président du conseil de surveillance de CMI France, filiale française des médias de l’homme d’affaires tchèque – a fait une révélation. Celui qui est aussi président de Presse Indépendante (Libération) a raconté pourquoi la Une de Marianne avait été modifiée in extremis en faveur d’Emmanuel Macron durant la dernière campagne présidentielle : c’est Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne, qui a appelé Daniel Kretínsky au téléphone pour avoir son avis sur le projet initial de Une. « Bon, puisque vous me le demandez, lui a répondu le propriétaire qui l’a lui-même nommée à ce poste, je vous le donne mais je vous répète que c’est vous qui déterminez la Une : dans le choix entre Macron et Le Pen, ce n’est pas un choix gauche-droite, mais un choix démocratie-pas démocratie. Donc, si vous êtes ambigüe, c’est une façon de vous exprimer. Mais vous faites ce que vous voulez » (12). Sur ce, elle a modifié sa Une du 21 avril 2022 en « Malgré la colère… éviter le chaos », au lieu de « La colère… ou le chaos ? ». La Société des rédacteurs de Marianne avait aussitôt dénoncé une ingérence « pro-Macron » de l’actionnaire (13).

CMI France, 2e éditeur de presse magazine
Pas de quoi rassurer les journalistes de Libé que son créancier milliardaire a récemment rencontrés : « Je ne partage pas les idées de votre journal, mais je le soutiens et il est libre de son contenu », leur a dit Daniel Kretínsky. En leur lançant comme preuve, selon lui, de l’indépendance de Libé : « Vous ne me verrez plus ! ». CMI France, dont l’ancien président du conseil de surveillance était Etienne Bertier (son bras-droit), revendique être « le deuxième éditeur de presse magazine en diffusion en France » avec 17 titres, dont certains ont été créés tels que l’hebdo « de combat » Franc-Tireur lancé il y a un an. Et en octobre, Usbek & Rica, « le média qui explore le futur », est tombé dans son escarcelle. L’avenir proche, lui, nous dira si Editis élargira le pouvoir d’influence de l’oligarque tchèque à l’édition française. @

Charles de Laubier

Au coeur de l’enquête « Microsoft-Activision » de la Commission européenne, il y a le géant Sony

En ouvrant le 8 novembre une « enquête approfondie » sur le projet d’acquisition d’Activision Blizzard par Microsoft, la Commission européenne ne mentionne pas Sony qui domine encore le marché mondial du jeu vidéo avec sa console PlayStation. Comment le japonais a convaincu Bruxelles d’agir.

(Comme concession, Microsoft a proposé à Bruxelles d’accorder une licence « Call of Duty » de 10 ans à Sony pour sa PlayStation, selon Reuters le 28 novembre)

« La Commission européenne craint qu’en acquérant Activision Blizzard, Microsoft puisse verrouiller l’accès aux jeux vidéo d’Activision Blizzard pour consoles et ordinateurs personnels [afin d’être proposés en exclusivité sur les seules console Xbox de Microsoft, ndlr], notamment à des jeux emblématiques et rencontrant un énorme succès (jeux de type «AAA») tels que “Call of Duty” », a-t-elle fait savoir le 8 novembre pour justifier l’ouverture d’une enquête approfondie sur le projet de rachat de l’éditeur de jeux vidéo Activision Blizzard (1), dont la célèbre licence « Call of Duty » (2).

Jim Ryan s’est rendu à Bruxelles le 8 septembre
Si la Commission européenne et sa vice-présidente exécutive chargée de la politique de concurrence, Margrethe Vestager, ne mentionnent aucunement Sony dans leur annonce, le géant japonais est considéré comme l’instigateur de cette enquête approfondie. Dès le 20 janvier 2022, soit deux jours après l’annonce par Microsoft de son projet de méga-acquisition d’Activision Blizzard pour 68,7 milliards de dollars, un porte-parole de Sony s’était exprimé pour la première fois sur cette opération envisagée : « Nous nous attendons à ce que Microsoft respecte les accords contractuels et continue de veiller à ce que les jeux Activision soient multiplateformes », avait-il déclaré dans un entretien au Wall Street Journal (3).
Le groupe nippon tient à ce que tous les jeux d’Activision Blizzard demeurent disponibles sur les plateformes de jeux vidéo non-Microsoft si la méga-acquisition devait être autorisée. Autrement dit, la console PlayStation de Sony doit pouvoir continuer à proposer notamment « Call of Duty », ce jeu de tir à la première personne (4) qui relève de la catégorie « AAA » des jeux vidéo à gros budget. Six mois après l’annonce qui n’a cessé depuis de faire des vagues dans le monde des jeux vidéo, Jim Ryan (photo de droite), PDG de Sony Interactive Entertainment (SIE) depuis avril 2019 en charge notamment de l’activité PlayStation (5), se serait rendu lui-même à Bruxelles le 8 septembre dernier – soit avant que le deal « Microsoft-Activision » ne soit formellement notifié à la Commission européenne le 30 septembre – pour faire part officiellement de ses inquiétudes sur les conséquences de ce rachat s’il devait aboutir. C’est ce qu’avait révélé Dealreporter, site d’information spécialisé dans les fusions et acquisitions (M&A). Jim Ryan a dénoncé la position dominante potentielle d’une fusion « Microsoft-Activision » au seul profit de l’écosystème de la Xbox. « Les effets réseau sont tels que si Microsoft devait bloquer l’accès à “Call of Duty” sur la PlayStation, des millions d’utilisateurs migreraient alors vers la Xbox. Il y a risque de forclusion », a expliqué en substance le PDG de SIE à Bruxelles, en appuyant ses dires par des études économiques. Et il a déclaré que la proposition de Microsoft de garder « Call of Duty » pendant encore trois ans – voire cinq ans – sur PlayStation était « inadéquate à plusieurs niveaux », estimant que la proposition de la firme de Redmond « sape ce principe » qui consiste pour Sony à « garantir que les joueurs PlayStation continueront à avoir la plus haute qualité avec “Call of Duty” » (6). Google serait lui aussi préoccupé par le rachat d’Activision Blizzard par Microsoft.
Alors que l’autorité de la concurrence britannique – la CMA (7) – s’est aussi emparée de ce dossier brûlant pour rendre son verdict d’ici le 1er mars 2023, la Commission européenne s’est donnée jusqu’au 23 mars pour prendre sa décision. En attendant, Sony continue de dominer le marché mondial des consoles de jeux vidéo assorties de leurs plateformes en ligne, loin devant Microsoft et Nintendo. En présentant le 1er novembre dernier ses résultats sur le second trimestre de son année fiscale se terminant le 31 mars 2023, Hiroki Totoki, le directeur financier de la firme nipponne, a rehaussé ses prévisions de ventes de la console PlayStation 5 (PS5) de 18 millions à 23 millions d’unité sur l’exercice en cours 2022/2023. En revanche, la prévision de la rentabilité annuelle de son activité jeux vidéo a été revue à la baisse en raison des craintes de récession économique mondiale qui pourrait réduire le pouvoir d’achat des consommateurs.

La bataille entre PS Plus et XG Pass
La déception de Sony vient de sa plateforme de jeux en streaming par abonnement PlayStation Plus (PS Plus) qui, alors qu’elle a été refondue l’été dernier, se veut la rivale de Xbox Game Pass (XG Pass) pour jouer sur console, ordinateur ou dans le cloud. Le japonais a vu le nombre de ses abonnés PS Plus décliner à 45,4 millions, perdant près de 2 millions d’abonnés sur son second trimestre se terminant fin septembre (par rapport à la fin juin). « Nous constatons que cette diminution résulte d’une plus grande baisse que prévu dans l’engagement des utilisateurs de PlayStation 4 », a expliqué le groupe de Tokyo (Minato). @

Charles de Laubier

Le métavers n’est pas dans un vide juridique, mais la régulation devra sortir de ses frontières

Les métavers vont-ils « disrupter » les lois et les règlements ? Ces mondes virtuels doivent déjà se soumettre au droit commun existant (civil, commercial, consommation, économie numérique). Mais les textes juridiques devront évoluer et la régulation reposer sur un solide consensus international.

Par Anne-Marie Pecoraro*, avocate associée, UGGC Avocats

Dans un futur proche, avec le Web3 et ses métavers, les problématiques juridiques seront dictées par le caractère a priori incontrôlable de l’énormité des partages : la prolifération des modes d’échanges et la nature internationale exigeront des régulations complexes et efficaces, dont on espère qu’elles prendront moins de temps à émerger que celles issues du Web 2.0. Depuis la fin des années 1990, les éditeurs de jeux vidéo ont compris que les utilisateurs s’engageraient dans de nouvelles formes d’interactions mettant en jeu leur identité virtuelle et de nouveaux espaces de partage.

Le rôle pionnier des jeux vidéo
Les internautes ont ainsi acquis la possibilité de jouer et d’interagir en temps réel et de manière immersive, par les jeux de rôle en ligne dits «massivement multijoueur » (1). De nouveaux modèles commerciaux se développent, notamment avec la création des monnaies et d’une économie interne au jeu, ouvrant la possibilité de faire des achats utiles au jeu et à leur communauté. Le métavers n’est pas scénarisé comme un jeu vidéo mais remet en scène certaines caractéristiques des jeux vidéo en 3D et en temps réel, tout autant que des réseaux sociaux. Les utilisateurs reproduisent les comportements du monde réel dans le monde virtuel, y compris sociaux et politiques, mais malheureusement aussi potentiellement violents, agressifs ou illégaux.
Philip Rosedale, fondateur de la société américaine Linden Lab ayant créé Second Life dans les années 2000, donnait sa vision en 2006 de ce métavers fondateur, toujours actif en ligne aujourd’hui : « Nous ne le voyons pas comme un jeu. Nous le voyons comme une plateforme qui, sous de nombreux aspects, est meilleure que le monde réel » (2). Au sein du monde virtuel Second Life, les marques avaient tenté une percée avant de se retirer pour la plupart, mais laissant un exemple d’interaction entre avatars et des espaces de socialisation pour écouter la musique, faire du shopping ou produire des objets (3). En parallèle, la réalité virtuelle était déjà préexistante grâce aux outils spécifiquement dédiés à la mise en place de cette expérience, notamment les gants, les systèmes audio, etc. Successivement, les industriels ont introduit une réalité virtuelle plus intense, grâce à des lunettes synchronisées et une baguette pour bouger les objets virtuels. Potentiellement, cette expérience est encore plus « réelle » grâce aux casques de réalité virtuelle réalisés par Oculus, HTC, Valve ou le français Lynx Mixed Reality, donnant aux utilisateurs la possibilité de se déplacer librement dans la pièce. C’est en 1990 que Thomas Caudell et David Mizell, chercheurs chez Boeing, introduisent le terme « réalité augmentée » (4) afin d’indiquer l’association du monde réel au monde virtuel, et l’introduction des éléments virtuels dans le monde réel, superposés, outil important dans les nouveaux environnements d’apprentissage.
Sur le plan pédagogique, la start-up Co-Idea soutenu par l’Inria (5) est spécialisée dans les technologies éducatives dites edtech et travaille sur l’idée de diffuser une forme de pédagogie active cohérente avec la révolution numérique actuelle. Un exemple d’application pédagogique et ludique de la réalité augmentée est le partenariat entre Ubisoft et le Château de Versailles qui ont lancé l’application mobile « The Lapins Crétins @ Versailles » (6). Cette application permet aux enfants de visiter le jardin, d’avoir des informations sur l’espace réel et jouer avec les lapins qui apparaissent sur l’application d’un smartphone. Ce projet s’inscrit notamment dans la politique de développement numérique de l’art. Ainsi, on le voit (c’est le cas de le dire) : de la réalité augmentée aux métavers, il n’y a qu’un pas mais le chemin de la régulation sera long.
Métavers, aujourd’hui et demain, partout ?
Le (ou les) métavers – metaverse en anglais – représente(nt) la dernière évolution fruit des caractéristiques d’Internet, des réseaux sociaux, du Web3, né avec le projet d’une possible décentralisation à tout niveau : des contrats, des transactions, des droits de propriété, des données personnelles, etc. La structure décentralisée permet de déployer les services rapidement sans avoir besoin d’une autorité centralisée, grâce aux principes de base de la blockchain. L’application de la blockchain aux métavers n’est pas obligatoire mais évolutive, récurrente et fondatrice. Il existerait 120 plateformes métavers, dont 53 « off-chain » soit non basées sur la blockchain, 67 basées sur la blockchain (7).

Blockchain et smart contract : disruptif
A cela s’ajoute le fait que la technologie blockchain peut aussi connecter le métavers au monde réel afin de sécuriser les échanges et le stockage des biens et données dans le métavers. Blockchain et smart contracts participent substantiellement à ce « tournant disruptif ». En effet ces « contrats intelligents » ont des caractéristiques communes avec les contrats électroniques tels que les lois les régissent, parfois ils les complètent, mais aussi ils obéissent à leur fonctionnement propre. La blockchain rend possibles les smart contracts et les jetons non-fongibles dits NFT (8), mais les lois en vigueur ne peuvent pas complètement les régir car ils entrainent et impliquent certaines caractéristiques totalement nouvelles qui ne sont pas encore appréhendées. Or ce sont ces blockchain et smart contracts qui, par hypothèse, ouvrent la possibilité de la décentralisation. En résumé, blockchain et smart contracts – consubstantiels au métavers – participent à la disruption en ouvrant des possibilités technologiques, factuelles et juridiques, dont certaines ne sont pas encore légalement appréhendées.

Le métavers n’est pas hors-la-loi
La décentralisation est une des modalités majeures rendue possible. Possible mais pas incontournable, car l’expérience a montré à quel point les marchés prônant décentralisation et dérégulation avaient tendance à réopérer rapidement de nouvelles formes de concentrations.
Souvent les utilisateurs voudraient pouvoir utiliser les biens en passant d’un métavers à l’autre : l’interopérabilité des métavers reste un objectif à étudier. La faculté d’emmener les actifs et avatars d’un endroit à l’autre des métavers, quel que soit l’exploitant, est un enjeu similaire à celui de la portabilité des données entre réseaux sociaux.
Réguler avec modération des services émergents
Le métavers a été défini, dans un rapport remis au gouvernement français fin octobre 2022, comme « un service en ligne donnant accès à des simulations d’espace 3D temps réel, partagées et persistantes, dans lesquelles on peut vivre ensemble des expériences immersives » (9). Le métavers représente également une évolution économique importante ; nous assistons au passage du e-commerce au v-commerce ; les métavers permettent des transactions dans l’économie réelle. L’économie numérique en général et l’économie virtuelle en particulier sont en forte expansion grâce aux métavers et à l’usage de monnaie virtuelles (cryptomonnaies), ainsi que des smart contracts et des NFT.
Les défis juridiques actuels des places de marchés et plateformes comme Horizon Worlds de Meta, OpenSea d’Ozone Networks ou encore la frahttps://www.editionmultimedia.fr/wp-content/uploads/2022/10/Rapport-du-gouvernement-Mission-exploratoire-sur-les-metavers-24-10-22.pdfnçaise The Sandbox, sont notamment: la souveraineté numérique, la (cyber)sécurité, les droits de l’homme et des citoyennes et citoyens, la liberté d’expression, la protection des mineurs et de la vie privée, la préservation d’infrastructures ouvertes et de communs numériques, le respect des règles de concurrence et de la propriété intellectuelle, la conformité au droit du travail, la maîtrise de l’impact environnemental, la protection des données personnelles, la protection contre les risques sociotechniques, la bonne connaissance des liens existantes entre le métavers, la blockchain et les cryptoactifs, le déploiement partagé à travers le monde des opportunités technologiques. Il est essentiel qu’aucune entreprise ne gère seule le métavers : il s’agira d’un « Internet incarné », a déclaré le cofondateur de Facebook Mark Zuckerberg, exploité par de nombreux acteurs différents de manière décentralisée. Aujourd’hui, l’essentiel de ces thèmes sont couverts tant par le droit national que par le droit international, public comme privé. Les nouveautés du métavers ne doivent pas conduire à une fausse conception du régime juridique qui lui est applicable, car il existe. D’une part, le droit commun civil, commercial et de la consommation trouvent naturellement à s’appliquer à la métavers, et ils sont contraignants. Les métavers devront par exemple rédiger des CGV (10) exhaustives. Le droit de la consommation et des contrats s’appliquera (11). Mais l’anticipation est risquée, et quand le système juridique sera confronté à une nouveauté disruptive ou à une difficulté d’exécution, des mises à jour deviendront nécessaires.
D’autres bases plus spécifiques existent : la loi « pour la confiance dans l’économie numérique » du 21 juin 2004 (dite LCEN) en constitue notamment un fondement primordial. En matière de propriété intellectuelle, une plainte en contrefaçon a déjà pu être déposée à New York par la maison Hermès à l’encontre du créateur de NFT « MetaBirkins ». D’autre part, de nouvelles réglementations sont déjà attendues. C’est notamment le cas des réglementations européennes sur les marchés et services numériques (DSA-DMA) qui entreront en vigueur en 2023 et 2024.
Or, le métavers, comme la blockchain ou les smart contracts, sont par nature disruptifs et ont un potentiel de déclinaisons à l’infini, ce qui rend ardue la légifération à leur égard. Comment donner un cadre légal pertinent et stable à un système dont nous commençons seulement à effleurer la surface ? Le rapport de la mission exploratoire sur les métavers précité propose par exemple de consacrer un nouveau droit fondamental : le droit au respect de l’intégrité psychique. Une plateforme qui remplirait les conditions du Digital Markets Act (DMA) lui serait potentiellement soumise, mais ni ce seul principe ni ses modalités d’applications ne présentent de réponse suffisante et assez protectrice. Des précisions et adaptations aux lois seront nécessaires, tant pour le DMA et le Digital Services Act (DSA) que pour la protection des données personnelles à travers le monde, ainsi que notamment pour les règles de modération.

Questions juridiques, non métaphysiques
La place du juge, en tant qu’interprétateur de la loi, suffira-t-elle à répondre à ces questions, et faudra-t-il compléter par de nouvelles règles, voire un régime sui generis ? Le cas échéant, l’implémentation de plusieurs réglementations au niveau local pourra-t-elle être viable au regard du caractère inhéremment international des métavers ? D’évidence, le futur juridique de l’ère des métavers devra reposer sur un solide consensus international. Si le métavers n’est pas dans un vide juridique, il doit cependant être régulé pour le bien commun et partagé. @

* Anne-Marie Pecoraro est avocate spécialisée en droit de la propriété intellectuelle,
des médias et des technologies numériques, UGGC Avocats.

Taxe « copie privée » : les industries culturelles lorgnent sur le « hors connexion » du streaming

Le rapport du gouvernement au Parlement sur la rémunération pour la copie privée préconise d’« exclure explicitement » le « hors connexion » qui permet aux internautes d’écouter ou de visionner un contenu sans être en ligne. Alors que les ayants droit veulent taxer ces « copies de confort ».

Ce rapport du gouvernement au Parlement sur la rémunération pour copie privée, publié le 31 octobre dernier, a été réalisé par l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), lesquelles dépendent respectivement de Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, et de Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Parmi les 22 propositions faites par le gouvernement, il y en a une qui concerne le sort des copies dites de confort permettant d’écouter du contenu hors connexion ou offline.

Commission copie privée : réunion en vue
Faut-il taxer ces copies pour rémunérer la copie privée, ce droit des internautes de reproduire une œuvre pour y avoir accès dans le cadre d’un cercle restreint familial ? La réponse du gouvernement est non. « Encourager la commission [pour la rémunération de la] copie privée à clarifier le statut des copies dites de confort permettant les écoutes hors connexion, et à suivre la proposition de la mission IGF-IGAC préparatoire au présent rapport de les exclure explicitement du champ de la rémunération pour copie privée », préconise le rapport dans sa proposition n° 11.
Cette commission pour la rémunération de la copie privée, présidée depuis un an par le conseiller d’Etat Thomas Andrieu (photo), est donc appelée à ne pas taxer le hors connexion. Et ce, contrairement à la demande des ayants droit des industries culturelles de taxer ces copies de confort, sous prétexte que cela génèrerait – selon eux – un manque à gagner devant être rémunéré. Contacté par Edition Multimédi@, le président de cette commission dite « L311-5 » (1) nous indique que « la commission (copie privée) se réunira avant la fin de l’année et les conclusions du rapport IGF-IGAC seront à l’ordre du jour ». Les ayants droit, qui bénéficient d’un avantage lors des votes face aux représentants des industriels et des consommateurs en raison de la répartition des sièges, ont fait savoir à la mission gouvernementale qu’une rémunération pour copie privée se justifiait pour le offline du streaming. Ce n’est pas l’avis du gouvernement : « La question du traitement des possibilités d’écoute hors connexion offertes par les plateformes de streaming a été soulevée auprès de la mission [IGF-IGAC], certains ayants droit considérant que ces “téléchargements” constituent des copies privées devant être compensées. A ce stade, ces téléchargements à partir de plateformes de streaming payantes sont mesurés par les études d’usages mais ne sont pas inclus dans le volume de copies privées. En l’absence d’une décision de justice tranchant ce point, un faisceau d’indices amène à considérer que ces copies de confort ne relèveraient pas du champ de la copie privée créant un préjudice et devant donner lieu à compensation », estime le rapport. Si ces téléchargements aboutissent bien à une copie du fichier musical ou vidéo sur le terminal de l’utilisateur (smartphone, ordinateurs, tablette, …), cette copie est exploitable uniquement sur la plateforme de streaming : elle ne peut être transférée ou dupliquée. A cela s’ajouter le fait que ces copies sont éphémères et attachées à l’abonnement de l’utilisateur au service de streaming en question. Ces copies de confort permettent des écoutes hors connexion qui ne sont possibles que pendant la durée de l’abonnement au service payant. C’est par exemple le cas pour Deezer qui propose cette facilité dans son abonnement payant premium, afin de permettre au bénéficiaire de télécharger des albums et des playlists pour les écouter hors connexion quand il n’a pas de connexion Wifi disponible ou de réseau accessible. « Les plateformes de streaming rencontrées par la mission ont assuré que la possibilité de visionnage ou d’écoute hors connexion était prévue dans les contrats de licence et donne lieu à rémunération, dans les mêmes conditions que les écoutes ou visionnages classiques », souligne en plus le rapport, même s’il est difficile d’obtenir des informations certaines sur ce partage dans le cadre de ces contrats de licence soumis au secret des affaires.

Réguler pour mieux rémunérer le offline ?
Les copies de confort pour le hors connexion font-elles l’objet d’un traitement spécifique dans le contrat et d’une rémunération distincte, comme l’exige implicitement le code de la propriété intellectuelle (CPI) lorsque celui-ci dit que la cession d’un droit (droit de représentation ou droit de reproduction) n’emporte pas celle de l’autre (2) ? De plus, selon le même CPI, « la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée » (3). La mission part donc du principe que les contrats de licence entre plateformes de streaming et ayants droit sont conformes au CPI. En mettant en garde cependant : « Dans le cas contraire, ou si les termes des contrats sont trop vagues, l’exception de copie privée pourrait être invoquée ». Tout en excluant a priori une éventuelle taxe « copie privée » sur le hors connexion, le gouvernement suggère néanmoins aux parlementaires la mise en place d’« une régulation de la rémunération spécifique de la copie pour lecture hors connexion, par des tarifs négociés en commun entre toutes les plateformes et les OGC [organisme de gestion collective des droits d’auteur, ndlr] concernés, au niveau européen ».

Faisceau de quatre indices contre une taxe
La généralisation du streaming payant avec copie de confort pour une lecture offline justifie, selon les auteurs du rapport, de veiller à la rémunération des créateurs (auteurs et artistes-interprètes). Environ 70 % du prix des abonnements est reversé aux ayants droits – 55 % pour les producteurs et 15 % pour les organismes de gestion collective –, à charge pour eux de reverser aux auteurs et artistes interprètes la rémunération qui leur revient selon les indications fournies par les plateformes sur le comptage des streams. Mais quelle part concerne le hors connexion ? Sur ce point, c’est le flou artistique. Alors que le hors connexion est de plus en plus répandu. « Cette possibilité existe dans le cadre d’abonnements payants (offres premium) et constitue le plus souvent le facteur démarquant par rapport aux offres gratuites (freemium) de ces mêmes plateformes », relève le rapport gouvernemental. Selon les représentants des industries culturelle, ces copies à usage privé et de source licite dérogent au droit exclusif d’autorisation d’exploitation des ayants droit et génèrent un manque à gagner devant être rémunéré. Mais la mission IGF-IGAC a convaincu le gouvernement qu’un « faisceau d’indices » tend à exclure les copies de confort de la rémunération de la copie privée :
Bien qu’elles soient physiquement stockées dans la mémoire du terminal de l’abonné, ces copies sont cryptées, de sorte qu’il est impossible pour l’utilisateur de les dupliquer ou de les transférer (elles ne peuvent sortir de l’univers de la plateforme) ;
Ces copies sont éphémères puisqu’au bout de quinze jours sans reconnexion de l’utilisateur, la plateforme les supprime ;
Ces copies donnent déjà lieu à une rémunération car, pour les plateformes de streaming musical telles que Deezer ou Spotify, les écoutes hors connexion sont comptabilisées dans le nombre total d’écoutes qui sert de base à la rémunération des ayants droit ;
L’examen des conditions tarifaires de certains organismes de gestion collective montre que la rémunération qu’elles ont négociée avec les plateformes de streaming prend en compte les copies de confort.
Et le rapport de prendre l’exemple de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) pour l’écoute ou la visualisation de la musique en streaming par abonnement : la rémunération correspond à 15 % des recettes d’abonnement, assortie d’« un minimum de 1,20 euro hors taxe par abonné et par mois dans le cas d’une offre permettant la portabilité ainsi que l’écoute et la visualisation hors connexion » (4).
Toutes ces questions autour des copies de confort au regard de l’articulation entre droit exclusif et exception de copie privée amènent le gouvernement à appeler les parlementaires à « une réflexion plus large (…) concernant la juste contribution des plateformes de streaming, payantes et non payantes, au financement de la création culturelle ». Le rapport n’évoque cependant pas la dernière tentative de taxer le streaming pour « financer de façon pérenne » le Centre national de la musique (CNM), selon les députés à l’origine de trois amendements déposés fin septembre dernier mais tous rejetés en octobre (5) dans le cadre du projet de loi de finance 2023.
Tout en écartant une éventuelle taxe sur les copies de confort, qui reviendrait à taxer le streaming, le rapport « IGF-IGAC » du gouvernement reproche en outre à la commission copie privée le manque de transparence dans sa méthodologie de fixation des barèmes et de reversement de la rémunération en question.

Taxe « copie privée » : 300 millions d’€/an
Les études d’usage sont jugées trop anciennes (2017 et 2018 pour les dernières). Ce sont quand même près de 300 millions d’euros qui sont collectés. La taxe est prélevée sur le prix des appareils permettant le stockage numérique (smartphones, tablettes, clés USB, CD/DVD, disques durs externes, etc.) – par l’unique organisme français mandaté pour collecter la redevance pour la copie privée : Copie France (6), lequel n’a pas vraiment apprécié ce rapport « IGF-IGAC » (7). Le gouvernement appelle aussi à une meilleure gouvernance de la commission copie privée. Sa réunion prévue avant la fin de l’année s’annonce donc chargée, alors même que son rapport 2021 n’a pas encore été publié. « Nous le publierons début 2023 », nous indique Thomas Andrieu. @

Charles de Laubier

Gaia-X, le « cloud de confiance » franco-allemand, est-il pro-souveraineté numérique européenne ?

L’association Gaia-X pour un « cloud de confiance » en Europe, a organisé son 3e sommet, qui s’est tenu cette année les 17 et 18 novembre à Paris. Censée contribuer à la « souveraineté numérique » européenne, elle compte parmi ses membres de nombreux américains et chinois.

Annoncé en juin 2020, le projet franco-allemand de « cloud de confiance » Gaia-X a été officiellement lancé sous forme d’association internationale à but non lucratif en janvier 2021. De 22 entreprises et organisations fondatrices au départ, toutes d’origine européenne, Gaia-X compte aujourd’hui plus de 359 membres venus quasiment des quatre coins du monde, comme le montre le répertoire en ligne des entités adhérentes (1). Beaucoup d’entre eux se sont retrouvés les 17 et 18 novembre à Paris en présentiel ou en distanciel à la troisième édition du Gaia-X Summit.

14 membres américains et 4 chinois
Si les différents intervenants à ces deux journées étaient tous européens (2), il n’en demeure pas moins que la Gaia-X European Association for Data and Cloud (sa dénomination officielle), de droit belge, basée à Bruxelles et dirigée par Francesco Bonfiglio (photo), joue plus sur le registre du « cloud de confiance » que sur celui de « cloud souverain ».
La composition de ses membres le démontre, au-delà des 22 fondateurs européens (dont Atos, Deutsche Telekom, OBS/Orange, EDF, Docaposte/La Poste, Outscale/Dassault Systèmes, OVH, SAP, Siemens, …). Ainsi, sont aussi membres de Gaia-X des entreprises et des organisations extra européennes qui doivent composer avec les objectifs de cloud de confiance et de souveraineté numérique recherchés en Europe. Ces membres « étrangers » au Vieux Continent, qui sont au nombre de vingt-quatre selon le décompte effectué par Edition Multimédi@ sont étatsuniens (quatorze d’entre eux), chinois (cinq), japonais (quatre) ou sud-coréen (un). Ainsi, le consortium Gaia-X qui se veut le garant en Europe du cloud de confiance, voire du cloud souverain, est plus ouvert aux acteurs du reste du monde qu’il n’y paraît.
Y sont présents les américains Amazon (basé au Luxembourg), Google (basé en Irlande), Microsoft (basé en Belgique), Palantir Technologies (proche de la CIA et basé dans le Colorado), Oracle (basé en Californie), Salesforce (également en Californie), AMD (aussi en Californie), mais aussi Cisco (basé en Belgique), Seagate (basé en Irlande), Dell (également en Belgique), Hewlett Packard (basé en Allemagne), IBM (également en Allemagne), Intel (aussi en Allemagne) ou encore Snowflake (basé en Californie). L’Empire du Milieu n’est pas exclu du cloud européen, loin s’en faut puisque sont membres de Gaia-X les chinois Alibaba (basé à Singapour), Huawei Technologies (basé en Allemagne), Haier (basé à Qingdao en Chine), Shenzhen Shuxin Technology (basé à Shenzhen en Chine) ou encore la China Academy of Information and Communications Technology (CAICT basée à Pékin). Le pays du Soleil-Levant n’est pas en reste avec les japonais Fujitsu (basé en Allemagne), Nec (basé au Japon), NTT (également au Japon) et Mitsubishi Electric (basé Allemagne). Quant au Pays du Matin frais, il est lui aussi présent au sein de Gaia-X à travers le sud-coréen Kosmo (basé à Sejong en Corée du Sud). Or, le projet Gaia-X n’était-il pas de construire l’infrastructure de données de nouvelle génération pour favoriser la souveraineté numérique de l’Europe, offrant une alternative européenne aux hyperscalers américains que sont en tête Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure et Google Cloud, et même chinois comme Alibaba ?
Il y a un an presque jour pour jour, la sénatrice Catherine Morin- Desailly avait exprimé son incompréhension de voir le chinois Huawei si actif au sein de Gaia-X, qui plus est sponsor du second Gaia-X Summit arborant alors ce message commun: « Gaia-X & Huawei considèrent de la même manière la souveraineté des données et la digitalisation comme des facettes tout aussi importantes de la société et de l’économie d’aujourd’hui » (3). D’où le tweet de sénatrice : « Je croyais que le but de Gaia-X était à l’origine de construire une offre franco-allemande indépendante des géants américains et chinois ! C’est tout le contraire qui s’est produit depuis un an » (4). Pour ce troisième Gaia-X Summit, les français Dawex et Ionos, et les allemands Ionos et De-Cix sont cette fois les sponsors – de quoi redonner des couleurs franco-allemandes à Gaia-X ! La souveraineté numérique et les « infrastructures de données souveraines » ont été au coeur des discussions de ce sommet. Sans que l’on sache vraiment si le cloud souverain doit rester franco-français ou euro-européen.

La position dominante des hyperscalers
Rien qu’en France, le trio de tête Amazon-Microsoft-Google s’arroge plus des deux tiers du marché nuagique en 2021. Ils ont été convoqués par l’Autorité de la concurrence dans le cadre d’une consultation publique sur le cloud qui s’est achevée en septembre (5). La bataille du cloud sévit aussi sur toute l’Europe, des plaintes du français OVH et de l’allemand Nextcloud ayant notamment été déposées en 2021 auprès de la Commission européenne (6). Quant aux grandes entreprises françaises, souvent internationales, elles parlent plus de cloud de confiance – référentiel de trusted cloud à la clé (7) – plutôt que de cloud souverain. @

Charles de Laubier