Mineurs, réseaux sociaux et sites pornos : contrôle de l’âge et risques sur la vie privée

Alors qu’une procédure de l’Arcom s’éternisent devant la justice contre cinq sites web pornographiques (Pornhub, Ttukif, xHamster, Xnxx, et Xvideos), le contrôle de l’âge – pour interdire aux mineurs l’accès à ces contenus pour adultes ou l’inscription sur les réseaux sociaux – pose problème.

Cela fait un an que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a publié – le 9 juin 2021 – huit recommandations pour « renforcer la protection des mineurs en ligne » (1), dont une – la septième – s’intitule « Vérifier l’âge de l’enfant et l’accord des parents dans le respect de sa vie privée ». Car la question du contrôle de l’âge est complexe et difficile à mettre en œuvre au regard de la protection de la vie privée et du principe de l’anonymat. Or, 44 % des 11-18 ans déclarent avoir déjà menti sur leur âge pour utiliser les réseaux sociaux (2). Et quelle proportion des mineurs ont déclaré être majeurs sur les sites web à caractère pornographique ?

Vérifier l’âge : pas de procédé fiable (PEReN)
Vérifier l’âge de l’internaute reste encore à ce jour un problème car les solutions de contrôle sont soit facilement contournables (déclaration qui peut être mensongère, vérification par e-mail inefficace, …), soit portant atteinte à la protection des données et à la vie privée (reconnaissance faciale jugée disproportionnée, utilisation des données recueillies à des fins commerciales ou publicitaires, …). A ce jour, les réseaux sociaux – le plus souvent interdits aux moins de 13 ans (voire moins de 16 ans dans certains autres pays européens comme l’Allemagne), et les sites web pornographiques interdits aux moins de 18 ans – ne savent pas vraiment comment procéder pour être irréprochables dans le contrôle de l’âge de leurs utilisateurs.
A Bercy, le Pôle d’expertise de la régulation numérique (PEReN) – rattaché à la Direction générale des entreprises (DGE) et placé sous l’autorité conjointe des ministres chargés de l’Economie, de la Culture et du Numérique (3) – a publié le 20 mai dernier une étude à ce sujet. « Détection des mineurs en ligne : peut-on concilier efficacité, commodité et anonymat ? », s’interroge cette entité interministérielle. Son constat : « Aujourd’hui, pratiquement aucun service en ligne n’utilise de procédé fiable permettant de vérifier l’âge. Malgré leur multiplicité, peu de méthodes sont à la fois faciles à mettre en œuvre, peu contraignantes et respectueuses de la vie privée des utilisateurs, performantes et robustes face à des tentatives de fraude ». Le PEReN, qui est dirigé par Nicolas Deffieux (photo), fait aussi office de task force au service notamment de l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), au moment où celle-ci – du temps du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) – a mis en demeure le 13 décembre 2021 cinq sites web pornographiques et les a enjoints de se mettre en conformité avec les nouvelles dispositions du code pénal. Faute d’avoir obtempéré dans les temps (ultimatum de quinze jours), les cinq plateformes incriminées – Pornhub, Ttukif, xHamster, Xnxx, et Xvideos – se retrouvent devant la justice, à l’initiative de l’Arcom, dans le cadre d’une procédure « accélérée » qui s’éternise (4).
Selon NextInpact, la présidente du tribunal judiciaire de Paris a considéré le 24 mai dernier comme « caduque » l’assignation adressée par l’Arcom aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) afin qu’ils bloquent les cinq sites pornos. Raison de cette annulation : l’Arcom n’a informé le tribunal de cette assignation que le jour même de l’audience, au lieu de la veille au plus tard (5). L’Arcom doit donc réassigner les FAI, ce qui reporte l’audience de quelques semaines. Toujours selon NextInpact, les avocats des sites pornos réclament le dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel et d’une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Tandis que le Conseil d’Etat, lui, a été saisi de l’annulation du décret d’application du 7 octobre 2021 portant sur les «modalités de mise œuvre des mesures visant à protéger les mineurs contre l’accès à des sites diffusant un contenu pornographique » (6). Ce décret menace les FAI contrevenants à des sanctions pénales de « trois ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende lorsque ce message [à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique] est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur » (7). Surtout que « les infractions (…) sont constituées y compris si l’accès d’un mineur aux messages (…) résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans » (8). Cette dernière disposition introduite dans le code pénal découle de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.

Vie privée : ne pas enfreindre le RGPD
Il y a donc péril judiciaire dans le porno. D’autant qu’une deuxième procédure, distincte de celle de l’Arcom, suit son cours en référé déposé devant le tribunal judiciaire par deux autres associations – La Voix de l’enfant et e-Enfance – sur la base de la loi « Confiance dans l’économie numérique » (loi LCEN de 2004). Son visés les mêmes sites pornos que dans la première affaire, mais avec MrSexe, IciPorno, YouPorn et RedTube (soit neuf au total). Or, à ce jour, l’absence de procédés fiables pour contrôler l’âge des internautes sans porter atteinte à la vie privée – et en respectant au niveau européen le règlement général sur la protection des données (RGPD) – rend la situation compliquée pour les réseaux sociaux et les sites pornos. « Les procédés techniques visant à vérifier la majorité d’âge ne sauraient conduire au traitement de données biométriques au sens de l’article 9 du RGPD, compte tenu de la nature particulière de ces données et du fait que le recueil du consentement de la personne concernée ne pourrait être considéré comme libre s’il conditionne l’accès au contenu demandé », avait mis en garde la Cnil dans son avis du 3 juin 2021 sur le projet de décret « Protéger les mineurs » (devenu le décret du 7 octobre 2021).

Double anonymat préconisé par la Cnil
Dans sa délibération parue au J.O. le 12 octobre de la même année (9), la Cnil écarte aussi le recours à la carte d’identité : « Serait considérée comme contraire aux règles relatives à la protection des données la collecte de justificatifs d’identité officiels, compte tenu des enjeux spécifiques attachés à ces documents et du risque d’usurpation d’identité lié à leur divulgation et détournement ».
Quoi qu’il en soit, l’article 8 du RGPD interdit l’utilisation de données personnelles des enfants âgés de moins de 13 à 16 ans, selon les Etats membres. La France, elle, a retenu l’âge de 15 ans. Ainsi, en-dessous de cet âge légal, la loi « Informatique et Libertés » impose – conformément au RGPD – le recueil du consentement conjoint de l’enfant et du titulaire de l’autorité parentale (10). Si la préoccupation première était de ne pas exposer les mineurs de 13 à 16 ans à de la publicité ciblée sur les réseaux sociaux, lesquels sont censés avoir mis en place des procédés de vérification de l’âge (11), cette obligation concerne désormais les sites web à caractère pornographique.
A noter que les jeux d’argent et de hasard en ligne (comme les paris sur Internet) sont également soumis au contrôle préalable de l’âge. Au niveau européen, la Commission européenne soutient l’initiative euConsent qui vise à mettre en place des systèmes de vérification de l’âge et de consentement parental qui soient interopérables, sécurisés et ouverts à l’échelle paneuropéenne – conformes à la certification eIDAS (12). Dans le consortium euConsent se côtoient Facebook, Google, les associations européennes respectivement des opérateurs télécoms historiques Etno et des fournisseurs d’accès à Internet EuroIspa, ou encore des organisations de protection de l’enfance. Le futur Digital Services Act (DSA), législation sur les services numériques, va introduire à son tour une interdiction de la publicité ciblée pour les mineurs.
Le contrôle de l’âge va se renforcer sur Internet, mais les méthodes de vérifications laissent à désirer. Le PEReN a classé dans son étude les solutions selon le mode de preuve employé (voir aussi tableau ci-dessous) :
• Le contrôle de l’âge, à l’aide d’un document portant l’identité et la date de naissance de la personne, à l’aide d’un document dont toutes les parties identifiantes auraient été supprimées avant tout traitement, ou enfin par les parents (contrôle parental) ;
• L’estimation algorithmique de l’âge sur la base du contenu publié ou utilisé par l’utilisateur sur le site ou bien à partir de données biométriques (voix, images, vidéos, …) ;
• Le déclaratif se basant uniquement sur les déclarations des internautes.
Le PEReN estime « primordial que la vérification de l’âge ne soit pas directement opérée par la plateforme ou le service en ligne afin de réduire le risque de croisement ou de réutilisation des données collectées lors de la vérification ». Il préconise alors « un mécanisme de tiers, voire de double tiers, [qui] peut être mis en place pour la transmission du résultat de la vérification précisément afin de minimiser ce risque ». Ainsi, ce mécanisme de doubletiers constitue une mise en œuvre possible du double anonymat recommandé par la Cnil, laquelle – en partenariat avec un laboratoire de l’Ecole polytechnique et le PEReN – a développé un prototype de ce mécanisme de vérification de l’âge par double anonymat pour en démontrer la faisabilité technique. D’après le PEReN « cette preuve de concept [devait] être rendue disponible fin mai ».
Contacté par Edition Multimédi@, son directeur général Nicolas Deffieux nous indique que la Cnil est maître des horloges. Le prototype est en effet entre les mains de Vincent Toubiana, qui y dirige le laboratoire d’innovation numérique (Linc). « Notre calendrier a été décalé et je n’ai actuellement aucune date de publication prévue », nous précise ce dernier. @

Charles de Laubier

« Facebook, Google & Big Telecoms veulent continuer à violer la neutralité du Net en Europe… »

« … Les régulateurs devraient les arrêter ». C’est l’alerte lancée par Barbara van Schewick, professeure de droit de l’Internet à la Stanford Law School aux Etats-Unis. Pour cette juriste allemande, les régulateurs des télécoms européens – du Berec – doivent préserver la neutralité de l’Internet.

L’organe des régulateurs européens des télécoms, appelé en anglais le Berec (1), s’est réuni du 8 au 10 juin à Chypre pour se mettre d’accord sur une mise à jour des lignes directrices sur « l’Internet ouvert » – alias la neutralité de l’Internet. Les précédentes avaient été publiées le 30 août 2016. Depuis, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), daté du 15 septembre 2020, avait jeté un pavé dans la mare en déclarant contraire à la neutralité de l’Internet – donc illégale – la pratique du « trafic gratuit ».

Fort lobbying des Gafam et des telcos
Appelé aussi zero-rating, cet avantage consiste pour un opérateur télécoms à ne pas décompter dans son forfait mobile les données consommées par l’internaute pour un service « partenaire ». Le problème est qu’en « favorisant » tel ou tel service, l’opérateur mobile le fait au détriment des autres applications concurrentes. Facebook/ Instagram/WhatsApp, Google/YouTube, Netflix, Spotify, Apple Music, Deezer, Twitter ou encore Viber profitent du dispositif qui incite implicitement les abonnés mobiles à les utiliser en priorité puisqu’ils ne sont pas décomptés du crédit de données lié à leur forfait. Dans son arrêt de 2020, la CJUE épinglait ainsi le norvégien Telenor en Hongrie (2). Plus récemment, dans un autre arrêt daté du 2 septembre 2021, la CJUE s’en est prise cette fois à Vodafone et de TMobile en Allemagne pour leurs options à « tarif nul » contraires à l’Internet ouvert (3).
Ce favoritisme applicatif était identifié depuis près de dix ans, mais les régulateurs européens n’y ont pas mis le holà. Les « telcos » font ainsi deux poids-deux mesures : des applications gratuites et attrayantes face à d’autres payantes et donc moins utilisées. « Nous sommes réticents à la sacralisation du zero-rating qui, par définition, pousse les consommateurs de smartphones à s’orienter vers un service – généralement le leader capable de payer le plus – au détriment de ses concurrents, au risque de les faire disparaître », avait déclaré au Monde en 2016 l’association de consommateurs UFC-Que choisir (4). Plus de six ans après l’adoption par les eurodéputés du règlement européen « Internet ouvert » (5), les inquiétudes demeurent. « Des plans de gratuité discriminatoires tels que StreamOn de T-Mobile et le Pass de Vodafone violent la loi européenne sur la neutralité du Net », a dénoncé le 30 mai dernier Barbara van Schewick (photo), professeure de droit de l’Internet à la Stanford Law School aux Etats-Unis. Dans un plaidoyer publié par le CIS (Center for Internet and Society) qu’elle dirige dans cette faculté américaine (6), l’informaticienne et juriste allemande fustige « ces stratagèmes discriminatoires [qui] favorisent presque invariablement les propres services de l’opérateur ou ceux de plateformes géantes comme Facebook et YouTube ». Elle appelle le Berec à contrecarrer ces pratiques en les proscrivant clairement dans les prochaines lignes directrices révisées sur l’Internet ouvert. « Ce que décide le Berec aura un impact sur des millions d’Européens et, s’il fait les choses correctement, cela augmentera la quantité de données que les gens obtiennent chaque mois, tout en rétablissant la concurrence en ligne », espère Barbara van Schewick. Mais l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques, basé à Bruxelles, subit de fortes pressions des lobbies des Gafam et des telcos « pour laisser des échappatoires afin que la gratuité discriminatoire puisse continuer ». Or, dénonce-t-elle, « cette pratique injuste cimente le pouvoir de marché des plateformes dominantes ».
Cette concurrence déloyale se fait aussi dans la musique en ligne et la SVOD. La professeure de droit de l’Internet cite le cas d’une start-up américaine lancée il y a dix ans, Audiomack. Après avoir examiné 34 programmes de zerorating pour les applications de musique en Europe, où cette plateforme musicale voulait de lancer, elle n’a pas eu d’offres ou de réponses de la part de 25 opérateurs télécoms. « Après dix mois de travail, elle a été incluse dans 3 programmes. Pendant ce temps, Apple Music était présent dans 26 et Spotify dans 23 », relate Barbara van Schewick.

Que le « trafic nul » soit bien interdit
Et d’après une étude d’Epicenter.works publiée en 2019, WhatsApp et Facebook, du groupe Meta, suivis par le français Deezer, sont les applications les plus « détaxées » parmi les 186 plans de trafic gratuit recensés (7). La professeure du CIS espère en tout cas que le Berec confirmera ce qu’il a déjà prévu d’indiquer dans les prochaines lignes directrices : à savoir que le trafic gratuit viole la neutralité du Net. C’est net et clair dans le projet de guidelines de mars dernier (8). Mais la professeure espère que toutes ces pratiques seront in fine clairement interdites, noir sur blanc, afin que les opérateurs télécoms ne puissent pas contourner l’obstacle. @

Charles de Laubier

TikTok diversifie la monétisation des productions

En fait. Le 2 juin, le média américain The Hollywood Reporter a révélé que TikTok lançait ce mois-ci une série payante intitulée « Finding Jericho » : 4,99 dollars pour les huit épisodes de 30 minutes chaque (dont les deux premiers gratuits). Une première pour le réseau social du groupe chinois ByteDance.

En clair. C’est une première tentative de production payante lancée sur la plateforme « Live Events » de TikTok avec un paiement à l’acte. Il a fallu les révélations de The Hollywood Reporter le 2 juin (1), suivies de celles de TechCrunch le lendemain (2), pour avoir connaissance de cette initiative de monétisation – sans précédent sur le réseau social du chinois ByteDance – d’une production diffusée en exclusivité.
Créée par la société Pearpop, cette comédie satirique utilise la plateforme Live Events que TikTok a lancée il y a près d’un an. Elle permet aux créateurs l’accès à des filtres, à des effets et au contrôle de la caméra. Les créateurs n’ont pas – contrairement à TikTok normal – de limites de temps lorsqu’ils sont en direct. Mais pour la première fois, les fonctions de Live Events ont été utilisées pour diffuser une production préenregistrée, une série. Les outils permettent aux créateurs de mieux planifier leurs prochaines sessions, pour sortir des docu-séries comiques comme « Finding Jericho », en en planifiant et en promouvant leurs événements à l’avance pour susciter l’adhésion de leur communauté. Les fans peuvent découvrir, s’inscrire et recevoir des notifications et des rappels lorsque le « live » est sur le point de commencer. Reste à savoir si TikTok ne sera pas tenté de produire ou coproduire des séries originales à la « Netflix » pour les proposer à son milliard d’utilisateurs dans le monde. Ce qui fait de la filiale de ByteDance un rival potentiel. « Pensez à Live comme une émission de télévision », suggère TikTok (3).
Le réseau social musical – ex-Musical.ly (4) – cherche ainsi à proposer aux créateurs et aux producteurs des outils pour gérer leurs publics et être rémunérés pour leur créativité et leurs productions. Fin mai, TikTok a lancé auprès de certains créateurs (5) la fonction « Live Subscription », afin de leur permettre de proposer un abonnement mensuel pour les fans qui acceptent de soutenir financièrement leurs créateurs préférés. Les fans abonnés payants reçoivent une insigne « abonné » et ont accès à des émoticônes personnalisées et exclusives, ou encore bénéficient d’un « chat » en tant que téléspectateur abonné payant permettant d’échanger directement avec le créateur. Fans et créateurs doivent cependant être âgés d’au moins 18 ans pour souscrire un abonnement payant, et le créateur avoir un minimum de 1.000 abonnés. @

Le feu vert à Starlink en France inquiète certains

En fait. Le 2 juin, l’Arcep a annoncé avoir attribué – par décision du 25 mai 2022 – des fréquences à la société Starlink appartenant au milliardaire Elon Musk pour le service Internet fixe par satellite qu’il va lancer en France en recourant à sa constellation déjà en orbite. Ce nouveau concurrent tombé du ciel inquiète.

En clair. Le Conseil d’Etat avait annulé le 5 avril 2022 la première autorisation accordée par l’Arcep à Starlink (1) deux mois plus tôt, car le régulateur avait omis de lancer une consultation publique préalable (2). Cette dernière a finalement eu lieu et nous donne un aperçu de l’état d’esprit avec lequel les opérateurs télécoms ou satellitaires déjà en place accueillent l’arrivée de ce nouvel entrant sur le marché français de l’accès à Internet.
« L’arrivée en France de la société Starlink peut perturber le marché de l’accès à haut débit par satellite existant. (…) Le déploiement massif et avancé de satellites pour la constellation Starlink en orbite basse risque de créer une situation dominante », s’inquiète l’opérateur par satellite Eutelsat, dans sa réponse à l’Arcep, en évoquant des « risques de déstabilisation du marché de la connectivité par satellite » et un « risque de constitution d’un monopole », voire des « risques environnementaux ». Selon l’opérateur français Eutelsat, Starlink est aujourd’hui – « et de très loin » – la constellation la plus avancée en termes de déploiement par le constructeur aérospatial américain SpaceX (fondée aussi par Elon Musk), avec plus de 2.100 satellites en service. Son objectif est d’en déployer plus de 4.400 satellites d’ici 2027 et à (long) terme 42.000 – « ce qui est considérable ». Ses concurrents Kuiper (de société Blue Origin appartenant au milliardaire Jeff Bezos) et OneWeb (groupe indo-britannique détenu à 24 % par Eutelsat) sont bien moins avancés.
De son côté, Orange utilise des capacités spatiales louées à des opérateurs satellitaires tels qu’Eutelsat, Intelsat, SES ou encore Arabsat pour fournir des services VSAT (3) à ses entreprises clientes, sur terre ou en mer. « S’agissant des aspects économiques et concurrentiels, nous [Orange] constatons que les constellations sont en train de se développer de manière importante : Kuiper, Bosch [via Sapcorda Services, avec Mitsubishi Electric et U-blox, ndlr], OneWeb, Télésat [M7 Group alias Canal+ Luxembourg, ndlr], la Commission européenne ont annoncé leur projet […]. Cette concurrence vis-à-vis des réseaux fixes et des offres d’Internet fixe avec satellites géostationnaires déjà présents doit se faire dans les règles […], en particulier […] en zone rurale, ou en zones difficiles d’accès, par exemple les zones de montagne ». @

Toujours en position dominante dans la diffusion audiovisuelle en France, TDF va encore changer de main

C’est la plus grosse opération financière attendue en France dans les télécoms cette année. Le canadien Brookfield – premier actionnaire de TDF depuis 2015 – vient de lancer le processus de vente de ses 45 % du capital de l’opérateur d’infrastructures dirigé depuis 2010 par Olivier Huart. Orange est parmi les intéressés.

La « tour-mania » qui agite les investisseurs depuis quelques années devrait permettre au premier actionnaire de TDF, le canadien Brookfield Asset Management, de sortir par le haut. Après avoir formé en 2014 un consortium avec des partenaires institutionnels pour s’emparer en mars 2015 des 100 % de l’ancien monopole public français de radiotélédiffusion, dont 45 % détenus depuis par sa filiale Brookfield Infrastructure Partners dirigée par Sam Pollock (photo), le fonds de Toronto veut maintenant céder sa participation.
Cette sortie à forte plus-value au bout de sept ans pourrait même s’accompagner de la cession du contrôle de l’ex-Télédiffusion de France, en convergence avec d’autres membres du consortium comme le fonds de pension canadien PSP Investments (1) qui détient 22,5 %. Même si les deux canadiens n’ont toujours rien officialisé sur leurs intentions de vendre leur actif devenu « poule aux œufs d’or », leur décision est prise depuis au moins 2018. Des discussions avec un repreneur potentiel – l’opérateur Axione et son actionnaire Mirova (filiale de Natixis) – n’avaient pas abouti l’année suivante (2). Une nouvelle tentative avait été lancée à l’automne 2021 par les deux canadiens, mais sans lendemain. L’année 2022, après deux ans de crise « covid-19 », se présente sous de meilleurs auspices malgré les conséquences de la guerre en Ukraine.

Valses des fonds autour des « towerco »
Cette fois, les fuites sur de nouvelles négociations des fonds actionnaires se font plus insistantes et la valorisation évoquée de l’ensemble de TDF pourrait atteindre des sommets : jusqu’à 10 milliards d’euros, dont près de 4,5 milliards pour les 45 % de Brookfield. Ce serait une véritable « culbute » pour les investisseurs actuels qui ont acquis fin 2014 l’opérateur historique français de la diffusion audiovisuelle – diversifié dans les télécoms – pour la « modique » somme de 3,6 milliards d’euros (dont 1,4 milliard de dette). Cet engouement pour les 19.200 sites physiques du premier opérateur français d’infrastructure de diffusion audiovisuelle et de téléphonie mobile – les fameux « points hauts » (pylônes, toitsterrasses, châteaux d’eaux, gares, voire clochers d’églises) – s’inscrit dans la valse des fusions et acquisitions autour des « towerco ». Ces opérateurs d’infrastructures réseaux sont portés partout dans le monde par les mobiles (dont la 5G), la télévision (avec la TNT) ou encore la radio (numérisée en DAB+). Même des opérateurs télécoms se séparent de leurs tours pour se désendetter, plombés par de lourds investissements dans la fibre et la 5G (3).

TDF, toujours dominant et convoité
En obtenant une forte valorisation de TDF, qui a réalisé en 2021 un chiffre d’affaires de 731,7 millions d’euros (+ 6,4% sur un an) pour un résultat brut d’exploitation de 416,2 millions d’euros (+ 5,8 %), le meneur canadien Brookfield pourrait entraîner non seulement son compatriote PSP mais aussi tous les autres membres du consortium : le néerlandais APG Asset Management, le britannique Arcus Infrastructure Partners et, pourquoi pas, « l’investisseur français de référence » ayant rejoint le consortium : la filiale Predica du français Crédit Agricole Assurances qui détient 10 % du capital de TDF.
Les vendeurs en 2014 étaient déjà des fonds d’investisseurs qui avaient dégagé une plus-value malgré le surendettement de l’entreprises : TPG Capital détenait 42 %, Bpifrance 24 %, Ardian à 18 % et Charterhouse 14 %. Ils avaient racheté TDF à France Télécom entre 2002 et 2004 pour à peine 2 milliards de d’euros. Cette « privatisation » de cette filiale s’était faite en même temps que celle, partielle, de la maison mère, futur Orange. Aujourd’hui, Orange est cité parmi les repreneurs potentiels face à de nombreux fonds d’infrastructures.
L’ancien monopole public de diffusion audiovisuelle, dirigé depuis douze ans par Olivier Huart, est ainsi un bon parti pour les fonds d’investissement depuis vingt ans maintenant. Sa position dominante fait leurs affaires et explique pourquoi ces fonds tournoient autour des antennes de cet opérateur d’infrastructure incontournable. Aujourd’hui, avec ses 1.800 salariés, TDF a diversifié ses sources de revenus : 56 % proviennent des télécoms en 2021, 23 % de la diffusion de télévision, 15 % de la radio, 5 % de la fibre et 1 % de l’informatique.
L’ex-Télédiffusion de France reste d’autant plus un « opérateur dominant » face à ses concurrents qu’il exerce « une influence significative » sur le marché français de la diffusion audiovisuelle hertzienne terrestre. Selon la Commission européenne, « une part de marché supérieure à 50 %, détenue par une entreprise, constitue en soi la preuve de l’existence d’une position dominante ». Aussi, l’Arcep a dû encore constater dans une décision du 10 mai dernier que « les parts de marché de TDF sont largement supérieures à ce seuil ». En conséquence, elle poursuit la régulation du marché de gros des services de diffusion audiovisuelle hertzienne terrestre « en rendant opposables les engagements » pris par TDF le 25 mars 2022. Et ce, pour une durée de cinq ans (2022-2026), tout en maintenant « une pression tarifaire suffisante » sur cet opérateur dominant (4). Si l’on considère les services de diffusion des chaînes de la TNT, seuls deux acteurs sont présents sur le marché français : l’historique TDF, lequel a racheté en octobre 2016 son concurrent Itas Tim (absorbé en février 2021), et l’alternatif TowerCast (filiale du groupe NRJ). Auparavant, en 2014, Itas Tim avait absorbé OneCast, alors filiale de TF1.
Mais il y a un an, un nouvel entrant est venu bousculer ce duopole : la société Valocast, filiale de Valocîme (alias Omoyo, sa holding). Cornaquée financièrement par le fonds d’investissement américain KKR, le français Valocîme est déjà présent en tant que « towerco » avec aujourd’hui plus de 1.600 sites (terrains, terrasses) proposés en location aux opérateurs télécoms. Et depuis un accord annoncé le 1er juin dernier avec TowerCast, celui-ci a accès à ses sites pour la diffusion de télévisions et de radios (TNT, DAB+ et FM). Inversement, TowerCast « héberge » Valocîme sur ses 600 sites pour les clients opérateurs mobiles de ce dernier. « Nous sommes un caillou dans la chaussure de TDF, en rémunérant mieux le propriétaire foncier qui loue son terrain occupé par une antenne, et l’opérateur télécoms qui l’exploite. Avec nous, ce n’est plus le towerco qui capte la plus grosse part de la valeur créée », explique à Edition Multimédi@, Frédéric Zimer, président de Valocîme. TowerCast, lui, est un habitué des bras de fer avec TDF, même si Jean-Paul Beaudecroux, le patron fondateur de NRJ, a songé par trois fois (2008, 2014 et 2017) à vendre cette activité. Alors que l’Arcep avait prévu la « dérégulation » de TDF en 2019, voire « l’arrêt de la TNT » (5), TowerCast a tout fait à l’époque pour faire changer d’avis le régulateur (6) – y compris en le faisant condamner fin 2020 par le Conseil d’Etat pour « excès de pouvoir » (7). En prenant la décision le 10 mai dernier de maintenir une régulation ex ante sur TDF, son rival s’en est encore félicité.

Plus de 70 sites physiques non-réplicables
Pour autant, a déploré TowerCast dans sa réponse à l’Arcep en décembre 2021, « seules 241 zones font l’objet d’une concurrence totale par les infrastructures, soit 15,4 % des sites réputées réplicables ». Et de dénoncer « une rente [de TDF] sur les sites non-réplicables » – au nombre de plus de 70, dont la Tour Eiffel, l’Aiguille-du-Midi, le Picdu- Midi ou encore Fourvière à Lyon. Résultat : « Le marché est ainsi toujours fortement déséquilibré et à l’avantage de l’opérateur historique, ce qui traduit de forts dysfonctionnements ». Mais tant que TDF reste fort et dominateur, les fonds d’investissement s’en mettent plein les poches. @

Charles de Laubier