Et si les réseaux sociaux étaient régulés par l’intelligence collective de la seule société civile

« Nous sommes les réseaux sociaux » est un essai de Serge Abiteboul, un des sept membres du collège de l’Arcep, et de Jean Cattan, secrétaire général du Conseil national du numérique (CNNum). Ils prônent « une véritable régulation-supervision » des réseaux sociaux « opérée par la société ».

Paru le 7 septembre 2022 aux éditions Odile Jacob, le livre de Serge Abiteboul (photo de gauche) et de Jean Cattan (photo de droite) – intitulé « Nous sommes les réseaux sociaux » – propose un nouveau modèle de régulation des Facebook, Twitter et autres TikTok. « Entre la censure excessive et le laisser-faire, une autre voie est possible, plus démocratique, plus participative », assurent-ils. Au bout de 250 pages (1), ils lancent un appel : « Une véritable régulation supervision opérée par la société nous paraît souhaitable. Une telle initiative permettrait d’animer un débat citoyen pour choisir la modération que nous souhaitons ».

Les risques d’un Etat « modérateur »
« Oui à une régulation fondée sur un débat citoyen, une régulation par la société », prônent Serge Abiteboul et Jean Cattan, respectivement membre du collège de l’Arcep et secrétaire général du Conseil national du numérique (CNNum). Cette régulation-supervision par la société gagnerait ainsi «sa légitimité à imposer aux réseaux sociaux une modération raisonnable qui donnerait à tous les moyens de s’exprimer dans le respect de chacun ». Et de prendre en exemple Wikipedia : l’encyclopédie en ligne montre qu’« il est possible d’exercer collectivement une forme d’intelligence de modération qui fonctionne », en tirant parti des « dynamiques collectives vertueuses ». Jimmy Wales, le fondateur de Wikipedia (2), a d’ailleurs lancé en 2019 un réseau social qu’il décrit comme « non-toxique » : WT.Social (3). L’intelligence collective des internautes en guise de régulation des réseaux sociaux serait elle la solution ? L’autorégulation par les plateformes elles-mêmes montre ses limites ; la censure stricte des contenus porte atteinte à la liberté d’expression et à la liberté d’informer ; la modération rigoriste freine l’émergence de nouvelles idées. Par conséquent, une régulation-supervision par la société semble la bonne voie : « Nous sommes les réseaux sociaux », titrent justement les auteurs de cet essai.
Mais cette régulation-supervision doit-elle se faire par l’intelligence collective de la société civile elle-même et, donc, sans l’intervention d’une autorité de régulation relevant d’un Etat, ou bien faudrait-il que cette régulation-supervision soit encadrée par les pouvoirs publics (gouvernement, régulateur, législateur, justice, …) ? Serge Abiteboul et Jean Cattan rejettent d’emblée – et c’est heureux – la voie d’une régulation tout-étatique : « Une régulation-supervision qui consacrerait un tête-à-tête entre l’Etat et le réseau social ne serait pas (…) à l’abris d’un rejet de la société ». Ils prônent donc « une véritable contribution (…) de la société à la modération [qui] serait non seulement gage d’une plus grande acceptabilité mais surtout d’une plus grande qualité ». Pour autant, les deux auteurs écartent implicitement la voie – pourtant possible – d’une régulation-supervision par la seule société civile, à la manière de Wikipedia dont ils parlent – et où ce sont les 103,9 millions d’individus contributeurs et les 3.762 administrateurs, au 20 septembre 2022 (4), qui ont voix au chapitre et non les régulateurs ni les gouvernements.
Au lieu de cela, le membre de l’Arcep et le secrétaire général du CNNum retiennent plutôt une approche à la manière de la « Mission Facebook ». A savoir : « Que les réseaux sociaux entrent dans un dialogue politique informé avec toutes les parties prenantes [gouvernement, législateur, justice, entreprises, société civile, …], collectivement ». Cette idée d’une « corégulation entre les plateformes et les autorités publiques » avait été évoquée par Mark Zuckerberg, PDG cofondateur de Facebook, et Emmanuel Macron, le président de la France, lors de leur rencontre en 2018 (5). Le rapport de la « Mission Facebook », remis par Macron à Zuckerberg le 17 mai 2019 à l’Elysée (6), a inspiré l’Europe sur certains points du DSA (Digital Services Act) : comme la « supervision » des moyens mis en œuvre par les plus grandes plateformes numériques – celles présentant un « risque systémique » – pour modérer les contenus nocifs. Mais le DSA, lui, n’associe pas directement la société civile et les internautes.

Europe : l’acte manqué du DSA
La « régulation-supervision » reste entre les mains de la Commission européenne (sur les très grandes plateformes), le nouveau Comité européen des services numériques (sur les services intermédiaires) et les régulateurs nationaux (en fonction du pays d’origine). La société civile, elle, reste absente de cette régulation-supervision des réseaux sociaux. « Un tel cadre [associant la société civile] pourrait enrichir le DSA [et] s’appliquer aussi au DMA [Digital Markets Act, ndlr], permettant ainsi à toute la société de participer à l’élaboration des objectifs de régulations », concluent les auteurs. En France, le Conseil d’Etat vient de recommander d’« armer la puissance publique dans son rôle de régulateur » (7) des réseaux sociaux… @

Charles de Laubier

Cuivre : garantir la qualité à 17 millions de foyers

En fait. Le 22 septembre, s’est tenue la conférence annuelle « Territoires connectés » de l’Arcep. Parmi les sujets de crispation : le maintien de la qualité du réseau de cuivre utilisé pour l’ADSL et le VDSL par plus de 17 millions d’abonnés en France – soit encore 53,7 % de toutes les connexions fixes à Internet.

En clair. Qui doit payer le maintien de la qualité de service du réseau de cuivre en France ? Selon les calculs de Edition Multimédi@, cela concerne encore plus de 17 millions de prises de cuivre encore opérationnelles en France, soit 53,7 % précisément de toutes les connexions fixes à Internet (1). La question à laquelle le régulateur et le gouvernement vont devoir répondre rapidement est de savoir comment garantir la qualité de service au plus de 11,1 millions d’abonnés ADSL dont la connexion haut débit passe par leur fameuse paire de cuivre. Et auxquels s’ajoutent plus de 5,9 millions d’abonnés VDSL bénéficiant d’un très haut débit par leur paire de cuivre éligible à cette technologie (VDSL2).
Selon le secrétaire général d’Orange, Nicolas Guérin, qui s’exprimait le 22 septembre lors de la conférence « Territoire connectés » de l’Arcep, l’opérateur historique supporte environ 500 millions d’euros de coût d’entretien par an pour que le réseau de cuivre fonctionne. Mais pas question pour lui financer seul le « surcoût » pour en garantir la « qualité de service ». Et ce, alors que les revenus d’Orange provenant de la location de cette « boucle locale » de cuivre aux opérateurs télécoms concurrents sont en recul en raison de la migration des abonnés vers la fibre optique (2). L’ex-France Télécom plaide donc pour une hausse des tarifs du « dégroupage » payés par les opérateurs alternatifs (SFR, Bouygues Telecom, Free, …). Sinon, prévient Orange, la qualité de service va continuer à se dégrader jusqu’à l’extinction complète du réseau de cuivre en 2030. A moins que l’Arcep n’accorde à Orange une augmentation du prix du dégroupage supporté par les autres fournisseurs d’accès à Internet, lesquels ne veulent pas payer plus pour une technologie en déclin. Les 17 millions d’abonnés ADSL et VDSL sont pris en otage. Le plan de fermeture du cuivre qu’Orange a présenté à l’Arcep en janvier 2022 a été enclenché dès 2020 par un « arrêt de commercialisation » de prises de cuivre. D’après son rapport annuel publié en mai, Orange fait état de 15 millions de prises de cuivre déjà non-commercialisées à mars 2022. «A partir de 2026, Orange ne commercialisera plus de nouveaux abonnements ADSL et la fermeture du réseau cuivre débutera à grande échelle. A l’horizon 2030, [l’extinction du cuivre] concernera la totalité du réseau », précise le groupe dirigé depuis début avril dernier par Christel Heydemann (3). @

Influenceurs, influenceuses : rançon de la gloire

En fait. Le 27 septembre, le Conseil d’Etat a publié son étude annuelle 2022 : elle porte sur les réseaux sociaux et recommande notamment d’« armer la puissance publique dans son rôle de régulateur ». La haute juridiction administrative s’intéresse aussi aux influenceurs, un « métier » sous surveillance.

En clair. Le rapport intitulé « Les réseaux sociaux : enjeux et opportunités pour la puissance publique » que le Conseil d’Etat a publié le 27 septembre, soit deux mois et demi après l’avoir approuvé (1), vient alimenter les interrogations sur les réseaux sociaux en général et les influenceurs en particulier. Depuis la diffusion le 11 septembre sur France 2 de « Complément d’enquête » consacré au business des influenceurs, ce « nouveau métier » – aux airs de téléréalité sur Internet – est sous le feu des critiques. Les adolescents et jeunes adultes constituent la majeure partie de l’audience de ces « leaders d’opinion ».
D’où le crédit que leur accordent de plus en plus de marques en quête de nouveaux « espaces » de publicité, de sponsoring et de placement de produit sur les réseaux sociaux (Instagram, Snapchat, YouTube, TikTok, …). Selon l’agence Kolsquare, les influenceurs dépassant les 3 millions d’abonnés peuvent gagner jusqu’à « plusieurs centaines de milliers d’euros » pour un post, une vidéo ou encore un live. D’après l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) qui a publié le 29 septembre son observatoire (2), l’« influence responsable » gagne du terrain. Le Conseil d’Etat, lui, relève que la régulation (Arcom, DGCCRF/Autorité de la concurrence) et la règlementation (loi de 2020 sur l’exploitation commerciale de l’image des moins de 16 ans, directive SMAd) se mettent en place (3). Mais la question du statut juridique des influenceurs se pose encore : « La relation contractuelle (…) prend souvent la forme d’un contrat d’artiste ou de mannequinat », constate le conseiller du gouvernement.
Si le métier d’influenceur peut susciter autant de mépris que d’admiration (4), c’est que le marché mondial du « marketing d’influence » prend de l’ampleur : 16,4 milliards de dollars de chiffre d’affaires cette année, selon les prévisions de Statista. Le titre racoleur de France 2 (France Télévisions) – « Arnaques, fric et politique : le vrai business des influenceurs » – a quelque peu jeté l’opprobre sur cette activité médiatique en pleine expansion. Le reportage à charge fut produit dans le sillage d’« une violente guerre médiatique oppos[ant] Booba, le rappeur millionnaire, à l’influente agent Magali Berdah [patronne de Shauna Events, ndlr] et ses influenceuses », le premier accusant même d’« escroquerie » et d’« #influvoleurs » (5) plusieurs vedettes de ces réseaux sociaux. @

Guéguerre entre TF1 et Canal+ : la diffusion en ligne des chaînes gratuites devant la justice

C’est une manie de Maxime Saada, président du groupe Canal+ (Vivendi/Vincent Bolloré) : arrêter la distribution des chaînes du groupe TF1 lorsqu’il ne trouve pas d’accord commercial de diffusion avec ce dernier. C’était arrivé en 2018 ; c’est à nouveau le cas depuis début septembre.

Le groupe Canal+, non seulement éditeur de la chaîne cryptée éponyme mais aussi diffuseur de 150 autres chaînes en France via son service en ligne MyCanal (par ADSL, fibre, câble, …) ou via son TNT Sat (par satellite), n’y va pas par quatre chemins lorsqu’il ne trouve pas d’accord commercial avec les éditeurs de chaînes qu’il distribue : il les coupe. En somme, ce sont les téléspectateurs de ces chaînes-là – TF1, TMC, TFX, TF1 Séries films et LCI en l’occurrence – et qui plus est abonnés aux plateformes MyCanal et TNT Sat, qui sont pris en otage. C’est en tout cas un moyen de pression de Canal+ sur TF1 pour acculer à ce dernier à négocier un accord raisonnable.

« Les chaînes gratuites doivent le rester » (Saada)
Maxime Saada (photo de gauche), le président du directoire du groupe Canal+, a justifié dans le JDD du 3 septembre dernier la décision annoncée la veille de « renoncer à la diffusion » des chaînes du groupe TF1 en France. « En 2018, nous avions été contraints de trouver un accord et de rémunérer les chaînes gratuites et les services du groupe TF1. Ce n’est pas faute d’avoir alerté alors sur le risque de voir augmenter sensiblement les demandes à l’échéance suivante, une fois acté le principe de paiement de ces chaînes. C’est exactement ce qui se passe : TF1 souhaite nous imposer une augmentation de 50 % de sa rémunération. Notre contrat étant arrivé à son terme le 31 août [2022], nous n’avions d’autre choix que de couper », at- il expliqué. Ce que reproche aussi Maxime Saada à la filiale audiovisuelle de Bouygues dirigée par Gilles Pelisson (photo de droite), c’est d’exiger que les contenus de TF1 soient visualisés dans sa propre application et non pas dans celle de Canal+. « Or nos abonnés ne souhaitent pas être contraints de multiplier les applications pour visionner leurs contenus », assure Maxime Saada.
Le groupe TF1 ne l’entend pas de cette oreille et a annoncé vouloir porter plainte. « Nous réfléchissons sérieusement aux suites à donner compte tenu du préjudice subi », avait indiqué le 5 septembre à Edition Multimédi@ une porteparole du groupe TF1. Deux jours après, la filiale audiovisuelle du groupe Bouygues confirmait avoir assigné en référé Canal+ devant le tribunal de commerce de Paris. Dans cette procédure d’urgence, la « Une » demande que soit rétablie sans tarder la diffusion de ses chaînes sur le service satellitaire TNT Sat de Canal+. Tandis que de son côté, l’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel, assure une médiation entre les deux parties pour que les chaînes de TF1 soient à nouveau disponibles auprès de millions d’abonnés de Canal+, dont ceux de MyCanal.
Qu’est-ce qui bloque ? Le 2 septembre, la filiale audiovisuelle du groupe Bouygues avait pris acte, tout en le « déplor[ant] fortement », de la décision du groupe Canal+ de « cesser la diffusion de ses chaînes et services ». Et de fustiger : « Canal + n’a pas souhaité conclure un nouvel accord de distribution des chaînes et services du groupe TF1 malgré des semaines de discussions et de négociations, faisant le choix de priver ses abonnés des chaînes et des services qu’ils payent dans leur abonnement » (1). Ce sont donc des millions de téléspectateurs qui reçoivent les chaînes du groupe TF1 via les plateformes de diffusion de Canal+. Cela représenterait pour la filiale télé de Bouygues jusqu’à 15% d’audience en moins. «Nos abonnés ont l’impression d’être pris en otage. Nous les comprenons », compatit Maxime Saada. Les chaînes TF1, TMC, TFX, TF1 Séries films et LCI sont cependant diffusées – en plus de la TNT (numérique hertzien) – sur les « box » par Bouygues Telecom (la société sœur de TF1 au sein de Bouygues), SFR (Altice), Free (Iliad), Orange, mais aussi par les plateformes Molotov et Salto. Elles sont également accessibles, avec leur service de télévision de rattrapage (replay), sur le site web MyTF1.fr et via l’application MyTF1 pour smartphones et tablettes. Autre argument utilisé par le patron du groupe Canal+ pour justifier le fait d’avoir coupé le signal des chaînes du groupe TF1 : le risque d’être attaqué devant la justice pour diffusion sans autorisation des chaînes de ce dernier. « Notre contrat étant arrivé à son terme le 31 août, nous n’avions d’autre choix que de couper. Nous avons vu ce qui s’est passé avec Molotov, attaqué en contrefaçon par TF1, et nous ne souhaitions pas nous retrouver dans cette situation », a expliqué Maxime Saada.

La jurisprudence « Molotov » (contrefaçon)
La plateforme numérique de télévision Molotov, rachetée en novembre 2021 par l’américain FuboTV, avait en effet perdu deux procès contre respectivement TF1 et M6 pour avoir poursuivi la diffusion de leurs chaînes alors que les accords avec les deux éditeurs de télévision étaient arrivés à échéance – le 1er juillet 2019 pour TF1 et le 31 mars 2018 pour M6. Molotov n’avait conclu en 2015 que des contrats de distribution expérimentaux avec M6 et avec TF1. Faute d’accord pour renouveler ces accords, la plateforme de télévision avait continué à diffuser les chaînes en question, en estimant qu’elle n’avait pas besoin d’autorisation de TF1 et de M6 du fait de l’obligation légale de reprise dite « must carry » dont bénéficient déjà l’hertzien, le câble et satellite (2) – alors pourquoi pas Internet. TF1 et M6 avaient chacun saisi le tribunal judicaire d’une action en contrefaçon. Les juges ont rejeté l’argument de Molotov en rappelant qu’en dehors de la diffusion par voie hertzienne – via la TNT depuis 2011 –, il n’y a aucune obligation légale de mise à disposition du signal à un distributeur, que ce soit par satellite ou par Internet.

Play Media : pas de « must carry » en ligne
Par un jugement du 2 décembre 2021 pour M6 (3) et du 7 janvier 2022 pour TF1 (4), la société Molotov a été reconnue coupable d’actes de contrefaçon de droits voisins et des marques des sociétés du groupe M6 et du groupe TF1. De plus, la même société Molotov a été condamnée à payer à 7millions d’euros de dommages et intérêts à M6 et 8,5 millions d’euros à TF1 (5) (*) (**).
Auparavant, en 2014, ce fut la plateforme Play Media, pionnier de la diffusion de chaînes en ligne, qui avait essuyé les plâtres de la diffusion de chaînes gratuite sur Internet, en l’occurrence celles de France Télévisions qui avait porté l’affaire devant la justice. Le groupe public, qui offrait à l’époque ses chaînes sur son propre service en ligne, Pluzz, avait assigné en concurrence déloyale Play Media pour avoir proposé un visionnage en direct et un accès à la télévision de rattrapage de ses chaînes sur la plateforme Playtv.fr. Et ce, sans son autorisation. France Télévisions avait obtenu, dans un jugement du 9 octobre 2014, 1 million d’euros de réparation de la part de Play Media pour avoir repris ses chaînes sans son accord. Cette première affaire s’était soldée par le rejet du « must carry » en ligne, après cinq années de procédure et de nombreuses décisions – jusqu’en cassation en juillet 2019 (6). La plateforme Myskreen.com, pourtant épaulée le groupe Figaro et Habert Dassault Finance via la société The Skreenhouse Factory créée par Frédéric Sitterlé (7), avait aussi eu maille à partir avec les chaînes de télévision, qui l’on amené à cesser ses activités et à être liquidée en 2015.
C’est face à cette jurisprudence générée par les France Télévisions, TF1 et autres M6 que le groupe Canal+ n’a pas pris le risque de reprendre les chaînes de TF1 sans autorisation. Pas plus qu’il ne l’avait fait en 2018. Cette année-là, la filiale télé de Vivendi avait coupé le signal de TF1 et porté plainte devant le tribunal de commerce de Paris sur le différend commercial qui les opposait sur la diffusion des chaînes sur MyCanal et sur CanalSat. « Nous saisissons le tribunal de commerce plutôt que le CSA [Conseil supérieur de l’audiovisuel, à l’époque, devenu l’Arcom, ndlr] car c’est une question de principe, étant donné que ces chaînes sont déjà disponibles gratuitement partout », nous avait répondu une porte-parole de Canal+ (8). Pour compenser en partie la baisse de ses recettes publicitaires dans un contexte de concurrence grandissante des services de SVOD Comme Netflix, TF1 veut faire payer la diffusion de ses chaînes assorties de services associés, ou premium, tels que replay, vidéo à la demande (VOD) ou encore programmes en avant-première. En 2019, le groupe Altice s’était lui aussi engouffré dans la brèche en demandant à Free de le rémunérer pour la diffusion de ses chaînes. Ce que l’opérateur de la Freebox s’était refusé à faire. Le TGI de Paris a estimé le 26 juillet de la même année que « Free n’a[vait] pas le droit de diffuser sans autorisation BFMTV, RMC Découverte et RMC Story sur ses réseaux » et lui a ordonné « de cesser cette diffusion, sous astreinte de 100.000 euros par jour de retard et par chaîne ». Ce jour-là, Free a cessé de diffuser les chaînes gratuites d’Altice, mais en prévoyant de les proposer en option payante. Saisi, le CSA avait considéré que Free n’avait aucune obligation de diffuser les chaînes pour lesquelles Altice est néanmoins en droit de se faire rémunérer (9) (*) (**).
Tout comme TF1 aujourd’hui. A condition que la filiale TV de Bouygues n’abuse pas de sa position dominante – qui serait renforcée si la fusion TF1-M6 en cours d’examen à l’ADLC obtenait un feu vert. « Le groupe TF1 a un sentiment de toute-puissance du fait de sa position dominante, et ce avant même une possible fusion », a dénoncé Maxime Saada dans le JDD. A défaut de pouvoir étendre le « must carry » des chaînes gratuites de la TNT à tous les moyens de diffusion – alors que l’on aurait pu penser le contraire au regard de la neutralité technologique –, TF1 et Canal+ sont condamnés à s’entendre. Soit dans le cadre d’une médiation organisée par l’Arcom, soit devant le tribunal de commerce. A moins que l’ADLC ne se saisisse de cette problématique des chaînes gratuite. N’étant ni la justice ni le régulateur, le gouvernement semble démuni face à ces bras de fer qui se font sur le dos des téléspectateurs.

Contrat privé versus pouvoir public
La ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak (RAM), a fait parvenir le 2 septembre un courrier au patron de Canal+ qu’elle exhorte : « J’en appelle à votre sens des responsabilités et de l’intérêt général pour éviter de priver des centaines de milliers de foyers de la réception de l’intégralité des chaînes de la TNT ». De plus, ajoute RAM, « cette situation n’est pas conforme à l’intention du législateur qui était de garantir une couverture intégrale du territoire par la TNT en obligeant les chaînes de la TNT à mettre leur signal gratuitement à disposition d’un distributeur satellite qui en fait la demande ». La missive n’a pas produit l’effet escompté. @

Charles de Laubier

Pour pallier la disparition des cookies, la publicité contextuelle cherche à s’imposer dans le monde

La fin prochaine des cookies, et autres traceurs publicitaire intrusifs sur les terminaux des internautes pris pour cibles, a ouvert la voie à la publicité contextuelle. C’est aussi une alternative à l’exploitation des données personnelles des utilisateurs. Des adtech comme Seedtag relèvent le défi.

« La publicité contextuelle est une technique publicitaire qui vise à diffuser sur un support (web, télévision) des publicités choisies en fonction du contexte dans lequel le contenu publicitaire est inséré », définit la Cnil sur son site web (1). Avantage : le ciblage contextuel ne nécessite pas d’avoir des informations sur la personne regardant la publicité, ni de collecter des données personnelles la concernant. Bref, c’est l’arme anti-cookie et anti-data par excellence. Des adtech comme l’espagnole Seedtag s’en sont fait une spécialité, devançant notamment le champion français des cookies, Criteo (2), qui tente de pivoter dans le contextuel.

Seedtag, « n°1 mondial » du contextuel
La start-up Seedtag, fondée en 2014 par deux anciens de chez Google, Jorge Poyatos (photo de gauche) et Albert Nieto (photo de droite), a créé une intelligence artificielle contextuelle – baptisée Liz – qui permet aux annonceurs de « toucher les consommateurs en fonction de leurs intérêts sans utiliser aucune donnée personnelle ». Ayant son siège social à Madrid, cette licorne en puissance se déploie à l’international, tant en Europe qu’aux Etats-Unis et en Amérique du Sud. Fin juillet, elle a annoncé avoir levé 250 millions d’euros auprès du fonds américain Advent International. Celui-ci rejoint d’autres investisseurs institutionnels déjà présents dans Seedtag, à savoir Oakley Capital, Adara Ventures et All Iron Ventures. Objectif : « Faire évoluer le secteur de la publicité digitale à plus grande échelle », notamment outre-Atlantique.
Seedtag se revendique déjà comme étant « le numéro un en Europe et en Amérique Latine dans la publicité contextuelle ». S’étant d’abord développé dans la publicité intégrée au sein des images illustrant des articles (in-image advertising), Seedtag a ensuite élargi son offre à la vidéo (outstream) et aux bannières (display). Pour se hisser à la première place de ce marché dynamique, la start-up madrilène rachète certains de ses concurrents : la société italienne AtomikAd est tombée dans son escarcelle en novembre 2020, suivie de l’allemand Recognified en février 2021, puis du français KMTX en juillet 2022. En plus de son IA contextuelle, Liz, Seedtag ajoute ainsi des cordes à son arc pour mieux cibler les internautes sans recourir aux cookies ni exploiter leurs données, ni les suivre à la trace dans leurs navigations sur le Web. Ses outils alternatifs vont du placement in-content jusqu’à l’automatisation des performances marketing (apprentissage automatique). « En diffusant des publicités dans le contenu, nous tirons pleinement parti de l’attention des utilisateurs : selon l’eye-tracking [oculométrie en français, à savoir le suivi des mouvements des yeux sur un écran, ndlr] les publicités intégrées au contenu captent l’attention plus rapidement et la retiennent plus longtemps ».
Cette optimisation du ciblage publicitaire cookie-free est obtenue par la « lecture » approfondie des contenus des pages pour obtenir le meilleur résultat pour l’annonceur. De grandes marques telles que Microsoft, LG, Heineken, Nestlé, Renault, Unilever, Levi’s, Forbes, Marie-Claire, Vanity Fair ou encore Sky Sport font partie du portefeuille de clients de Seedtag. Par exemple, la filiale française dirigée par Clarisse Madern a renouvelé en début d’année des partenariats avec des éditeurs tels que CMI (Elle, Marianne, Télé 7 jours, …), Prisma Media (Capital, Gala, Geo, …), Lagardère Publicité News et Reworld Media.
En mai dernier, avec l’appui d’une étude de l’institut marketing Nielsen réalité auprès de 1.800 consommateurs au Royaume-Uni, Seedtag a démontré que le ciblage contextuel était bien plus accepté que le ciblage utilisant leurs données personnelles : « Les consommateurs étaient 2,5 fois plus intéressés par la publicité contextuelle que lorsqu’il la publicité n’est pas ciblée. De plus, les résultats ont montré que les personnes qui ont vu des publicités contextuelles étaient 32 % plus susceptibles de passer l’action après avoir vu la publicité. Les consommateurs ciblés en fonction du contexte se sont sentis 40 % plus enthousiastes à l’égard de la catégorie [du message publicitaire] que ceux ciblés sur le plan démographique et 28 % plus enthousiastes que ceux ciblés uniquement en raison de leur intérêt dans la catégorie » (3).

Les navigateurs deviennent cookieless
En début d’année, dans le cadre de ses tests pour sa solution alternative « Privacy Sandbox », Google avait annoncé la fin des cookies tiers sur son navigateur Chrome d’ici à fin 2023 (4), au lieu de 2022 initialement prévu. Alors qu’Apple avec Safari et Mozilla avec Firefox sont déjà cookieless (5), la filiale d’Alphabet a dû prolonger les tests : « Nous avons maintenant l’intention de commencer à éliminer progressivement les cookies tiers dans Chrome dans la seconde moitié de l’année 2024 », a-t-elle indiqué le 27 juillet dernier (6). @

Charles de Laubier