Radio numérique terrestre : le DAB+ reste méconnu du public faute d’une réelle volonté politique

zolpidem Alors, que la radio voit son audience baisser et ses auditeurs vieillir, la radio numérique terrestre pourrait lui redonner un second souffle auprès des jeunes. Hélas, la politique de soutien envers elle – pour faire connaître le DAB+ – laisse à désirer. Alors pourquoi attendre un « livre blanc » ?

Un « livre blanc » pour préparer le basculement à terme de la FM au DAB+ ? « Les radios indépendantes souhaitent s’associer à la rédaction d’un livre blanc sur le DAB+ proposée par le président de l’Arcom pour (…) accélérer le développement attendu du DAB+ », a déclaré le Sirti, le syndicat des radios indépendantes (170 membres, 9 millions d’auditeurs) présidé par Christophe Schalk (photo de gauche), le 25 janvier. Ce jour-là, lors d’une table-ronde au Sénat sur « L’avenir de la radio à l’heure du DAB+ », Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom (1), a proposé de travailler sur un « livre blanc » sur la radio (2).

Eviter que la radio IP ne tue le DAB+
« Nous souhaitons aboutir avant la fin de l’année. Plus tôt dans la mesure du possible », indique à Edition Multimédi@ Hervé Godechot, membre de l’Arcom et président du groupe de travail « radios et audio numérique ». S’agit-il d’un énième rapport sur la radio, alors qu’il y aurait plutôt urgence à accompagner dès maintenant les radios indépendantes dans le DAB+ ? Surtout que la « RNT », qui est à la radio ce que la TNT est à la télévision, s’est lancée en France il y a près de neuf ans (3). Les grandes radios privées (RTL, NRJ, Europe 1 et RMC/BFM) avaient tout fait pour mettre des bâtons dans les roues de la RNT, avant de finalement l’adopter (4).
Les radios indépendantes, elles, y ont toujours cru et ont été les pionnières à émettre en DAB+. « Les radios indépendantes sont massivement impliquées dans le déploiement du DAB+ en France ; 75 % d’entre elles sont aujourd’hui diffusées via cette norme de diffusion radio [qui] couvre à présent 50 % du territoire. (…) Pourtant, il faut franchir un pas supplémentaire très vite. Le média radio a besoin d’être accompagné dans la transition numérique de sa diffusion hertzienne », a insisté le Sirti à l’occasion de la table-ronde au Sénat. Même son de cloche pour le Syndicat national des radios libres (SNRL), présidé par Emmanuel Boutterin (photo de droite), qui représente des radios associatives – au nombre de 700 sur tout le territoire (1,4 million d’auditeurs). « Certains poussent, notamment les GAFA, vers le tout-IP. C’est donc pour nous tous un défi industriel. Il faut réussir le passage au DAB+. Nous avons un défi considérable de l’équipement des ménages et des véhicules. (…) Et pour relever ce défi, il faut accompagner les éditeurs, simplifier leurs démarches et les soutenir financièrement, notamment les radios locales associatives en partie subventionnées depuis la loi de 1986 et son article 29 », a plaidé le président du SNRL. Les éditeurs de radios – qu’ils soient publics ou privés, locaux ou nationaux – promeuvent tous désormais la radio numérique terrestre à travers l’association « Ensemble pour le DAB+ », créée il y un peu plus de six mois (en juillet 2022), domiciliée au siège du Sirti et présidée par Charles-Emmanuel Bon (directeur de la distribution et des projets stratégiques de Radio France). Problème : le budget alloué à cette association nationale de promotion du DAB+ est cinq fois inférieur à ce qui était attendu au départ : 200.000 euros versus 1 million d’euros prévus initialement.
Alors, comment faire connaître auprès du grand public les avantages de la « RNT » si les moyens de communication, de publicité et de marketing ne suivent pas ? Les Français méconnaissent encore les atouts de la radio en DAB+ : gratuite, universelle, fiable, mobilité, qualité, peu énergivore, … « Elle offre également pour l’auditeur une diversification de son offre radiophonique, tout en préservant la souveraineté et une diffusion régulée », ajoute le Sirti. Encore faut-il inciter les auditeurs à l’adopter. C’est là que le bât blesse : « Il faut arrêter de vendre dans les magasins de la camelote chinoise, où des postes DAB+ commencent à 19 ou 29 euros et qui dégoûte l’auditeur du DAB+, s’est insurgé Emmanuel Boutterin devant les sénateurs. Il faut donc réguler cette distribution et adopter des normes de qualité sur les récepteurs, et, par la massification, faire baisser leur prix pour que l’ensemble des ménages puissent s’équiper à domicile ». Concernant les véhicules, que les constructeurs ont l’obligation depuis le 1er janvier 2021 de « primo-équiper » en DAB+, entre 2 millions et 3 millions le sont à ce jour en France.

Appel au soutien de la puissance publique
Les acteurs de la radio numérique terrestre appellent aussi à l’aide l’Etat pour la double diffusion (FM et DAB+) qui engendre des coûts difficiles à supporter – surtout pour les indépendants. « Faut-il mettre de l’argent sur la table comme l’avait fait Jacques Chirac pour la TNT ? », demande aux sénateurs le président du SNRL. Le Sirti, lui, demande « un crédit d’impôt pour la double diffusion, ou un dispositif d’aides directes à l’image (…) du fonds de soutien à l’expression radiophonique ». Les radios espèrent qu’elles seront… écoutées. Le législateur attendra sûrement le livre blanc avant de les aider. @

Charles de Laubier

La réalité augmentée n’augmente pas la rentabilité de Snap malgré la hausse des « snapchatteurs »

Le réseau social Snapchat a beau voir le nombre de ses utilisateurs augmenter de 17 % en 2022, à 375 millions de « snapchatteurs », cela n’empêche pas la société Snap d’augmenter son déficit. Et lors de son « Investor Day » le 16 février, elle devra convaincre sur son avenir en réalité augmentée.

En publiant ses résultats 2022 le 31 janvier, la société californienne Snap a déçu, malgré la hausse de 17 % de ses utilisateurs, à 375 millions, et un objectif d’atteindre entre 382 et 384 millions de « snapchatteurs » d’ici la fin de ce premier trimestre 2023. Pour l’exercice de l’an dernier, le chiffre d’affaires est de 4,6 milliards de dollars, certes en hausse de 12 % sur un an, mais les pertes nettes – 1,4 milliard de dollars – se sont creusées de… 193 %. Son cours de Bourse a décroché à Wall Street et sa capitalisation n’est plus de que 19,3 milliards de dollars (au 09-02-23), bien loin du pic des 54 milliards de dollars d’octobre 2020.

R&D : 2,1 milliards de dollars en 2022
Bien qu’ayant terminé 2022 avec 3,9 milliards de dollars de cash, Snap est par ailleurs très endetté, à hauteur de 3,7 milliards avec une première échéance de remboursement en 2025. De tout cela, le PDG cofondateur de Snap, Evan Spiegel (photo), devra s’en expliquer devant les investisseurs lors de l’« Investor Day » qu’il organise le 16 février prochain dans ses locaux de Santa Monica (Californie). Dans la lettre aux actionnaires datée du 31 janvier (1), l’entreprise a d’ores et déjà prévenu que « le chiffre d’affaires du premier trimestre 2023 devrait être en baisse, entre – 10 % et – 2 % sur un an ».
Snap avait lancé au troisième trimestre 2022 un plan de restructuration qui prévoyait « une réduction d’environ 20 % de [son] effectif mondial » – dont 1.300 suppressions d’emploi en août dernier. Les productions « Snap Originals » et le drone Pixy ont été sacrifiés. Au 31 décembre 2022, ses effectifs étaient de 5.288 de salariés. « Nous sommes en voie de réaliser les 500 millions de dollars de réduction des coûts d’ici le premier trimestre de 2023 », assure le groupe au fantôme (2).
Parallèlement, Snap ne lésine pas sur les dépenses de recherche et développement (R&D) qui s’élèvent à 2,1 milliards de dollars rien qu’en 2022, en forte hausse de 34,7 % sur un an. « Nos efforts de R&D sont axés sur le développement de produits, la technologie publicitaire et l’infrastructure à grande échelle », précise l’entreprise dans son rapport annuel publié par la SEC, le gendarme boursier américain, le 1er février dernier (3). Pour se différencier des Facebook, Instagram et autres TikTok, Snap mise gros sur la réalité augmentée (RA) dont l’écosystème dépasse à ce jour plus de 300.000 créateurs et développeurs qui ont construit plus de 3 millions de « lentilles » de RA (« lens » en anglais) pour permettent la créativité et l’expression de soi. Snapchat s’ouvre directement sur l’appareil photo (« camera ») du smartphone ou de la tablette, voire la webcam de l’ordinateur sur le Web, ce qui facilite la création d’un « snap » et l’envoi de photos et de vidéos à des amis (via messagerie, « map » ou « stories »). Snap vend aussi depuis septembre 2016 – et malgré l’échec de la première version – des lunettes de RA, connectées en Bluetooth et appelées « Spectacles », utilisables sur son réseau social (4). Les lentilles se distinguent des « filtres » (« filter » en anglais) par le fait que les premières sont des animations virtuelles – autrement dit un filtre à réalité augmentée. C’est là que le réseau social au fantôme, très prisé de la génération Z, se distingue de ses concurrents. Y compris sur le marché publicitaire d’où Snap tire l’essentiel de ses revenus : ses offres « Snap Ads » et « AR Ads » proposent aux annonceurs et partenaires des filtres sponsorisés (« sponsored filters ») et des lentilles sponsorisées (« sponsored lenses »), pour peu que les marques se familiarisent avec ces technologies visuelles – surtout en RA. « Nous avons ajouté de nouvelles fonctionnalités et capacités à Lens Studio, notre logiciel de développement de réalité augmentée, qui permettent des expériences plus riches et plus immersives, et aident à approfondir l’engagement », assure Snap.
Mais le contexte macroéconomique (crise sanitaire, inflation, guerre en Ukraine, …) amène des entreprises à réduire leur budget publicitaire, notamment ceux orientés vers la RA souvent utilisée à titre expérimental. Sans parler du durcissement de la protection des données (fin des cookies tiers) qui limite le ciblage et l’efficacité publicitaire. Les autres acteurs du Net surveillent Snap comme un thermomètre pour prendre la température de la publicité en ligne (5).

Plus de 2 millions d’abonnés à Snapchat+
Lancé au début de l’été 2022 dans plusieurs pays, dont la France, le service par abonnement payant Snapchat+ – mais toujours avec publicités – a dépassé les 2 millions de souscripteurs (4,59 euros par mois, ou moins selon la durée de l’engagement), lesquels bénéficient d’exclusivités, d’expérimentations et d’avant-premières. L’avenir de Snapchat est entre les mains d’Evan Spiegel, qui détient 53,1 % des droits de vote de l’entreprise mais seulement 3 % du capital de Snap (6) aux côtés des 17,6 % du chinois Tencent. @

Charles de Laubier

Engagements FTTH : « Orange veut gagner du temps »

En fait. Le 8 février, Laure de La Raudière, présidente de l’Arcep, a profité de son audition au Sénat par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable pour s’interroger sur les recours d’Orange devant le Conseil d’Etat contre l’Arcep – notamment avec une QPC déposée le 5 février. Verbatim.

En clair. « Nous constatons un ralentissement inquiétant des déploiements dans les zones très denses, mis aussi dans les zones moins denses d’initiatives privée : les zones “Amii” (1). Cette situation est problématique car cela prive certains de nos concitoyens du bénéfice de la fibre. Nous avons donc, en mars 2022, mis en demeure Orange de respecter ses engagements pris auprès du gouvernement : couvrir 100 % des locaux de la zone Amii Orange, dont au plus 8 % en raccordable à la demande. Orange avait d’abord contesté cette décision de mise en demeure devant le Conseil d’Etat, estimant s’être engagé sur un volume de lignes à déployer (2). [Or, en réalité] il s’agit d’un engagement de couverture d’une liste de communes qui doit être complète à une date donnée. Plus récemment, Orange a déposé [le 3 février 2023, selon Le Monde (3)] une demande de QPC (4), d’une part sur le pouvoir de sanction de l’Arcep, mais aussi sur la constitutionnalité de l’article L33-13 du CPCE (5). Cet article est justement la base juridique rendant ses engagements, pris auprès du gouvernement, juridiquement opposables. Orange demande au Conseil d’Etat de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel et ainsi de sursoir à statuer sur la mise en demeure de l’Arcep dans l’attente de la décision. En réalité, ce qu’Orange cherche à faire, c’est a minima gagner du temps par rapport à ses engagements. C’est retarder la décision du Conseil d’Etat sur la mise en demeure elle-même. Voire que le Conseil d’Etat ne soit jamais en mesure de se prononcer sur le fond, dans l’incapacité juridique de confirmer la mise en demeure de l’Arcep ».
« Doit-on comprendre que les engagements d’Orange – pris devant le gouvernement – n’avaient pas de valeur en 2018 ? Qu’Orange renie ses engagements ? Doit-on comprendre que de nombreux habitants des Sables-d’Olonne, de La Roche-surYon, de Brive-la-Gaillarde et de bien d’autres communes en zones Amii Orange vont devoir attendre longtemps la fibre ? Doit-on comprendre qu’Orange défie les objectifs assignés à la régulation par la volonté du Parlement ? Doit-on comprendre enfin qu’Orange préfère tenter d’arracher son sifflet au gendarme des télécoms, plutôt que viser l’atteinte des objectifs qu’il s’était lui-même fixé en 2018 ? La stratégie d’Orange sur ses déploiements en zones Amii – à l’aube de la fermeture du réseau cuivre – reste un mystère ». @

Accord avec la presse : Microsoft traîne des pieds

En fait. Le 6 février, Marc Feuillée, directeur général du groupe Le Figaro, s’est exprimé dans Mind Media en reprochant notamment à Microsoft de ne toujours pas rémunérer les éditeurs au titre des droits de la presse – contrairement à Google et Facebook, et malgré ses engagements de février 2021.

En clair. « Microsoft avait (…) annoncé publiquement en janvier et février 2021 vouloir discuter et rémunérer les éditeurs, et faire mieux que Facebook et Google, or je n’en vois pour l’instant pas le résultat », a déploré Marc Feuillée, directeur général du groupe Le Figaro (1), dans une interview accordée à Mind Media et publiée le 6 février. La firme de Redmond (Etats-Unis) s’était en effet engagée – il y a aura deux ans le 22 février prochain – à « travailler ensemble sur une solution pour faire en sorte que les éditeurs de presse européens soient payés pour l’utilisation de leur contenu par des gatekeepers [comme Microsoft avec son moteur de recherche Bing, son portail d’actualités MSN, ou son application Microsoft Start, ndlr] qui ont une puissance dominante sur le marché ».
Un communiqué (2) avait même été signé par Casper Klynge, alors vice-président de Microsoft en charge des affaires publiques européennes et basé en Belgique, et quatre organisations européennes d’éditeurs de presse : European Publishers Council, News Media Europe, Newspaper Publishers’ Association/ENPA et European Magazine Media Association/EMMA. Ensemble, ils appelaient en outre à « un mécanisme d’arbitrage de type australien en Europe pour garantir que les gatekeepers rémunèrent équitablement les éditeurs de presse pour l’utilisation du contenu ». Microsoft entendait ainsi se distinguer de Google et de Facebook qui, à l’époque, étaient très réticents à rémunérer les médias pour l’utilisateur de leurs contenus sur respectivement le moteur de recherche et le réseau social. Depuis, Google et Facebook ont finalement trouvé un accord avec la presse en Europe – notamment en France, soit à la suite d’un contentieux (Google), soit dans un rapport de force (Facebook).
Mais toujours rien à ce jour du côté de la firme dirigée par Tim Cook. Casper Klynge, qui a quitté Microsoft fin 2022, avait indiqué que l’application Microsoft News (ex-MSN News et Bing News) – rebaptisé depuis Microsoft Start alias MSN (3) – permettait à Microsoft de partager « une grande partie » des revenus avec les éditeurs de presse. Et que le paiement de droits voisins était « une prochaine étape logique ». Pas de résultat depuis. « Toutes les autres plateformes refusent de discuter sérieusement, a regretté Marc Feuillée. Ma conclusion c’est que la loi française n’est pas assez précise et doit être amendée par le législateur ». @

Protection des données en Europe : pour le CEPD, le groupe Meta ne peut imposer sa loi

Facebook, Instagram et WhatsApp (réseaux sociaux du groupe Meta) ont été épinglés par la « Cnil » irlandaise, la DPC, pour ne pas avoir respecté le règlement européen sur la protection des données (RGPD). Mais faute de consensus avec ses homologues des Vingt-sept, le CEPD a eu le dernier mot.

Par Jade Griffaton et Emma Hanoun, avocates, DJS Avocats

Après cinq ans de procédure, deux sanctions ont été annoncées respectivement les 4 et 19 janvier 2023 pour un total de 395,5 millions d’euros pour le non-respect des mesure imposées par le règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD). Il s’agit de trois amendes infligées à Meta en Irlande par la DPC, la commission de protection des données, à savoir la « Cnil » irlandaise (1). Au coeur du débat : la publicité ciblée pour les utilisateurs des réseaux sociaux du groupe : Facebook (210 millions d’euros d’amende), Instagram (180 millions) et WhatsApp (5,5 millions). Des enquêtes avaient été entreprises après des plaintes de l’organisation autrichienne Noyb (2) pour la protection de la vie privée, fondée par Max Schrems.

Un contexte procédural complexe
La société Meta Ireland est au coeur des discussions depuis plusieurs années. Dès 2021, Facebook fait l’objet d’une fuite de données personnelles de plusieurs millions de ses utilisateurs menant à l’ouverture d’une enquête par l’autorité irlandaise de protection des données. A la suite de l’enquête, Meta a été condamnée le 25 novembre 2022 à une amende de 265 millions d’euros pour avoir violé ses obligations de sécurisation des données (3). En mars 2022, l’autorité irlandaise avait déjà infligé une amende de 17 millions d’euros à Meta (4), qui n’avait pas pu démontrer la mise en place « de mesures techniques et organisationnelles appropriées […] pour protéger les données des utilisateurs » de l’Union européenne (UE). En parallèle, en France, la Cnil a condamné en janvier 2022 l’entreprise Meta à une amende de 60 millions d’euros en raison de l’impossibilité pour les utilisateurs de refuser simplement les cookies (5). En plus de cette amende, la Cnil avait ordonné une injonction sous astreinte de mettre à disposition des internautes français, dans un délai de 3 mois à compter de la notification de la décision, un moyen permettant de refuser les cookies aussi simplement que celui pour les accepter afin de respecter le consentement de chaque utilisateur. Et par deux décisions – respectivement en date du 31 décembre 2022 concernant Facebook et Instagram pour 390 millions d’amendes (6) et du 12 janvier 2023 concernant WhatsApp pour 5,5 millions d’amende (7) –, l’autorité irlandaise a infligé à Meta ces trois amendes totalisant près de 400 millions d’euros pour manquement à plusieurs principes imposés par le RGPD (8) dont le principe de transparence et le principe de licéité des traitements de données à caractère personnel. Ces dernières décisions font suite à de nombreux débats entre les différentes autorités de contrôle européennes que sont les différentes « Cnil » dans les Vingt-sept.
En effet, dans le cadre de la procédure de consultation des autorités de contrôle concernées par l’autorité de contrôle « chef de file » mise en place par l’article 60 du RGPD, en l’occurrence la DPC dans ces procédures « Meta », les projets de décisions préparés en 2021 par l’autorité irlandaise ont été soumis aux régulateurs homologues de l’UE qui ont soulevé un certain nombre d’objections. Face à l’absence de consensus, l’autorité irlandaise a alors saisi le Comité européen de la protection des données (CEPD) – ou, en anglais, EDPB (9) – pour consultation sur les points litigieux, en vertu de l’article 65 du RGPD. Ce dernier a alors rendu trois décisions contraignantes le 5 décembre 2022 relatives aux activités de traitement de données à caractère personnel par Facebook, Instagram et WhatsApp (10). L’autorité irlandaise a alors intégré ces conclusions dans ses trois décisions – celles datées du 31 décembre 2022 à l’encontre de Facebook (210 millions euros d’amende) et d’Instagram (180 millions euros), ainsi que dans celle du 12 janvier 2023 à l’encontre de WhatsApp (5,5 millions d’euros d’amende). Dans le cadre de ses projets de décisions d’octobre 2021, l’autorité irlandaise relevait, de la part des sociétés Facebook, Instagram et WhatsApp, un manquement à leur obligation de transparence édictée par le RGPD (11). En effet, l’autorité irlandaise considère que les utilisateurs des services Meta ne disposent pas d’une clarté suffisante quant aux opérations de traitement effectuées sur les données à caractère personnel, à quelle(s) finalité(s) et quelle(s) base(s) légale(s) parmi celles identifiées à l’article 6 du RGPD.

L’absence de consensus européen
Les décisions contraignantes rendues par le CEPD le 5 décembre 2022 confirme cette position en ce qui concerne la violation par Facebook, Instagram et WhatsApp de leur obligation de transparence, sous réserve de l’insertion d’une violation supplémentaire, celle du principe de loyauté édicté par le RGPD (12). Alors que la « Cnil » irlandaise considère, dans ses projets de décisions soumis au CEPD, que le recours de Meta Ireland au contrat constituait une base juridique pour certains traitements des données personnelles, ses homologues européens ont soulevé des objections sur ce point. En cause : le rejet par la DPC de la notion de « consentement forcé », s’appuyant sur le contrat entre les utilisateurs et Meta pour légitimer les traitements concernés. Dans les cas Facebook et Instagram, la question était de savoir si la diffusion de publicité personnalisée ou comportementale constituait, ou non, un des services personnalisés inclus dans les services plus largement fournis par Facebook et Instagram au titre du contrat conclu avec ses utilisateurs.

Impact important sur les plateformes
En effet, dans l’affirmative, ce service pourrait être considéré comme licite au sens de l’article 6 du RGPD, sans nécessité de solliciter le consentement des personnes concernées – systématiquement requis pour les traitements ayant pour finalité la publicité – en se fondant sur la base juridique de « l’exécution d’un contrat auquel la personne concernée est partie ». Selon l’autorité irlandaise, ce service personnalisé fait partie intégrante du contrat conclu entre le fournisseur de services et ses utilisateurs, et a été accepté par ces derniers au moment où ils acceptent les conditions d’utilisation des services. Ainsi, le consentement de l’utilisateur au traitement serait implicitement déduit de l’acceptation d’utiliser le service Meta. Cette réalité est au coeur du modèle économique de la firme de Mark Zuckerberg, dont la rentabilité se fonde sur les revenus publicitaires nécessitant la collecte massive et la réutilisation gratuite des données personnelles de ses utilisateurs à des fins de publicité comportementale. Andrea Jelinek, présidente du CEPD, a d’ailleurs déclaré que les décisions du comité pouvaient « avoir un impact important sur d’autres plateformes qui ont des publicités comportementales au centre de leur modèle d’affaires » (13).
Dans le cas WhatsApp, l’enjeu consistait à déterminer si le fait de subordonner l’accès des services WhatsApp à l’acceptation par les utilisateurs des conditions générales mises à jour (les services ne seraient alors pas accessibles si les utilisateurs refusaient de le faire), revenait ou non à « forcer » les utilisateurs à consentir au traitement de leurs données personnelles à des fins d’amélioration et de sécurité du service. Selon le point de vue de la « Cnil » irlandaise, le service fourni par WhatsApp comprend l’amélioration du service et la sécurité, nécessaire à l’exécution du contrat conclu avec les utilisateurs, de sorte que de telles opérations de traitement étaient licites au regard de l’article 6 du RGPD. Les autres « Cnil » européennes concernées par ces traitements ont soulevé – tant pour les cas Facebook et Instagram que pour le cas WhatsApp – des objections et ont estimé que les finalités de publicité personnalisée et d’amélioration du service et de sécurité ne sont pas considérées comme nécessaires pour exécuter les éléments essentiels du contrat conclu avec les utilisateurs. Face à l’absence de consensus sur ces points, le CEPD a par conséquent été consulté par l’autorité irlandaise, dans le cadre de la procédure issue de l’article 65 du RGPD, afin qu’il tranche sur les questions litigieuses.
Dans ses décisions rendues le 5 décembre 2022, le CEPD adopte, sur le fondement de l’article 6 du RGPD, la position selon laquelle Meta Ireland ne peut par principe invoquer le contrat comme constituant une base juridique pour traiter les données à caractère personnel à des fins de publicité comportementale (cas Facebook et Instagram) et d’amélioration et de sécurité. Le CEPD se distingue alors des autorités européennes qui soulevaient qu’un tel traitement ne satisfait pas à la condition de nécessité (en d’autres termes, la publicité personnalisée n’est pas nécessaire à l’exécution d’un contrat avec les utilisateurs de Facebook et Instagram), et rend des décisions de principe par application stricto sensu du RGPD.
Reflet du pouvoir contraignant du CEPD, l’autorité irlandaise a donc intégré cette solution dans les deux décisions rendues le 31 décembre 2022 à l’encontre de Facebook et Instagram. Il est exigé une mise en conformité avec le RGPD dans un délai de trois mois à compter de la décision – autrement dit d’ici au 31 mars prochain. De même, le 12 janvier 2023, l’autorité irlandaise a accueilli cette solution dans sa décision à l’encontre de WhatsApp, en lui ordonnant de se mettre en conformité dans un délai de six mois – soit d’ici le 12 juillet prochain.
A l’heure où il est indéniable que la donnée est le nouvel « or noir » du XXIe siècle, les entreprises doivent adopter des méthodes et techniques, et ce dès la conception de leur modèle économique, afin de protéger convenablement les données personnelles, comme l’exige le RGPD. Il apparaît désormais vital pour les entreprises d’anticiper les implications de leur conformité dès la conception de leurs projets impliquant des traitements de données personnelles (« Privacy by Design »).

Les internautes reprennent la main
On constate aujourd’hui que les internautes, surtout ceux résidant dans l’UE, cherchent, dans le cadre d’une approche « Privacy First », à utiliser des services respectueux de leur vie privée et prennent en compte la question de la protection des données personnelles les concernant comme condition à l’utilisation de tels services. Les entreprises traitant massivement les données personnelles, et notamment les GAFAM, se trouvent alors confrontées à cette problématique qui tend à modifier considérablement leur modèle économique. Il est aujourd’hui indispensable de se demander de quelle manière et à quel moment il est opportun d’appréhender la question de la protection de la donnée. @