Bilan 2022 du CNC : l’après-crise sanitaire en chiffres

En fait. Le 16 mai, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a publié son bilan 2022. Le soutien financier au cinéma, à l’audiovisuel et au multimédia s’est élevé à 738,5 millions d’euros en 2022. On y apprend aussi que la (S)VOD a franchi les 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Retour à la normale ?

En clair. En tant qu’établissement public à caractère administratif placé sous l’autorité du ministère de la Culture, le CNC est le bras armé de l’Etat pour soutenir financièrement le cinéma, l’audiovisuel et le multimédia, dont la création numérique sur Internet, la réalité virtuelle, voire le métavers (1), et le jeu vidéo. L’année 2022 est la troisième année consécutive où un « soutien spécifique » supplémentaire a été débloqué dans le cadre de la crise sanitaire via des dotations exceptionnelles de l’Etat, à savoir 58,3 millions d’euros, s’ajoutant aux 680,2 millions d’euros versés par le CNC à ces secteurs aidés – soit un total de 738,5 millions d’euros. C’est un peu moins que l’année 2021 qui, elle, avait atteint un record de 799,4 millions d’euros (dont 184,7 millions d’euros d’aides « Covid-19 »). La pandémie aura donc nécessité sur 2020-2022 un total d’aides d’Etat supplémentaires de 348,8 millions d’euros.
L’an dernier – qui, selon le CNC, « traduit une forme de retour à la normale sans revenir encore pour autant aux équilibres d’avant la crise » –, le cinéma a bénéficié de la plus grosse part, à 291 millions d’euros (39,4 %), devant l’audiovisuel, à 265,1 millions d’euros (35,9 %), et les « dispositifs transversaux » (innovation, jeux vidéo, numérique, exportation, vidéo, VOD, …), à 124,2 millions d’euros (16,8 %). Rappelons que tout cet argent « public » (hors mesures « Covid ») provient à 68,9 % des taxes éditeurs et distributeurs de services de télévision (TST, dont les fournisseurs d’accès à Internet et leurs box IPTV), à 18,6 % des taxes vidéo et VOD (TSV), ou encore à 17,3 % de la taxe sur les entrées en salles de cinéma (TSA).
Le bilan 2022 du CNC a réévalué à la hausse le marché français de la VOD (par abonnement et à l’acte) qui a franchi pour la première fois la barre des 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires. A précisément 2.079.800.000 euros (alors que c’était 1.971.800.000 en février), soit une hausse de 9,2 % en un an (2). Les plateformes Netflix (toujours largement en tête), Amazon Prime Video, Disney+ ou encore Orange VOD et Canal VOD/Canal+ Séries continuent de profiter de l’appropriation des plateformes depuis la crise sanitaire. Mais « pour la première fois depuis son lancement » en France mi-septembre 2014, la part des consommateurs utilisant Netflix est « en léger recul » (-0,9 point par rapport à 2021). Face aux plateformes américaines de SVOD, Orange VOD reste le numéro un de la VOD à l’acte. @

Believe, la petite major qui contenue de monter, se rapproche du 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires

Créé comme start-up sous le nom de Believe Digital en 2005, devenu licorne avant son introduction en Bourse en juin 2021, le groupe Believe perd encore de l’argent mais est en passe de devenir la quatrième major mondiale de la musique enregistrée. Sa croissance se fait en streaming et par acquisitions.

« Believe fait désormais partie des grands acteurs mondiaux de la musique numérique », se félicite son PDG fondateur Denis Ladegaillerie (photo), dans le document d’enregistrement universel 2022 publié le 21 avril dernier. Cela fera deux ans le 10 juin que la petite major qui monte a fait son entrée à la Bourse de Paris pour lever des fonds – d’un montant net total de 294,6 millions d’euros au lieu des 500 millions escomptés – afin de poursuivre sa stratégie d’acquisitions. C’est l’un de ses principaux moteurs de croissance pour proposer ses plateformes digitales de distribution, marketing et promotion au service des artistes et labels dans une cinquantaine de pays. Avec ses solutions automatisées (comme Tunecore) ou premium (comme Backstage), Believe leur permet des débouchés rémunérateurs sur les plateformes de streaming (Spotify, Apple Music, YouTube Premium, Amazon Music, Deezer, Tencent Music, …) et les réseaux sociaux (TikTok, Instagram, Facebook, Snap, …). Mais, depuis, l’action de Believe cote toujours en-dessous de son prix d’introduction de 19,5 euros, à 12,1 euros, et la valorisation de l’entreprise est à ce jour de seulement 1,1 milliard d’euros (au 25- 05-23). Il en sera question à l’assemblée générale des actionnaires prévue le 16 juin. Actionnaire à hauteur de 12,5 % du capital de Believe, Denis Ladegaillerie s’est engagé à conserver ses actions sur une durée de 3 ans à compter de l’introduction en bourse, à savoir jusqu’à juin 2024. Sous-évalué Believe ?

Des pertes mais bientôt le milliard d’euros de revenus
La croissance est pourtant bien là, portée par la musique numérique dans le monde. « Nous sommes convaincus que le marché de la musique connaît actuellement un changement de paradigme et qu’il est entré dans la décennie de l’artiste numérique », assure-t-il. La mini-major prend de l’ampleur au point de se rapprocher progressivement de la barre du 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, avec 760,8 millions d’euros réalisés en 2022, en hausse de plus de 30 % sur un an. Believe a encore perdu de l’argent l’an dernier (25 millions d’euros). Malgré un contexte économique dégradé, l’entreprise a maintenu – lors de la présentation de ses résultats du premier trimestre le 27 avril dernier – ses prévisions de croissance organique (hors acquisitions) de 18 %. Ce qui amènerait la petite major qui monte à près de 898 millions d’euros de chiffre d’affaires. C’est encore loin des niveaux du « Big Three » que sont les majors Universal Music (10,3 milliards d’euros), Sony Music (9,3 milliards d’euros) et Warner Music (5,4 milliards d’euros), mais cela en prend le chemin (1).

Filiale russe Believe Digital OOO impactée
« Believe confirme son scénario de croissance pour l’année 2023, impliquant une augmentation et un déploiement plus vaste du streaming payant, des gains de parts de marché supplémentaires et un environnement plus difficile pour la monétisation du streaming financé par la publicité. Le passage du streaming financé par la publicité au streaming payant devrait également poursuivre son accélération sur tous les marchés », a exposé la direction de Believe, alors que la croissance du chiffre d’affaires au premier trimestre de cette année (22,2 % sur un an) la conforte dans ses prévisions. Dans son rapport annuel 2022, elle évoque tout de même « le niveau élevé d’incertitudes économiques notamment en raison de la crise ukrainienne et de l’inflation ». Car la société créée en 2005 par Denis Ladegaillerie est devenue depuis un groupe international où la France ne pèse plus que 16,9 % des revenus en 2022, l’Allemagne 14,9 %, le reste de l’Europe avec la Turquie et la Russie générant ensemble la plus grosse part (27,6 %), suivi de l’Asie, l’Océanie et l’Afrique (26,2 % à eux trois), l’Amérique du Nord et l’Amérique Sud (14,3 % à elles deux).
Malgré le conflit armé entre la Russie et l’Ukraine enclenché le 24 février 2022, Believe poursuit son activité en Russie via sa filiale Believe Digital OOO qui a accusé une perte de 5,8 millions d’euros en 2022 (2). « La guerre en Ukraine et ses répercussions sur l’environnement économique amènent le groupe à mettre sa politique de croissance externe en pause à partir de fin février. (…) Le poids de la Russie et de l’Ukraine dans son chiffre d’affaires a baissé par rapport à 2021 compte tenu d’une croissance beaucoup plus faible que dans les autres marchés du groupe, mais représentait encore 7,5 % du chiffre d’affaires en 2022, contre 8,9 % en 2021 », est-il précisé.
Believe compte 1.650 salariés présents dans plus d’une cinquantaine de pays, dont 643 en France. Cette internationalisation colle au marché « glocal » du streaming musical en pleine évolution grâce aux plateformes globales (de Spotify à Tencent Music en passant par YouTube, Apple Music, Amazon, Deezer ou encore Instagram et TikTok). C’est la filiale Believe International qui signe les contrats de licence avec ces plateformes. Et le groupe Believe basé rue Toulouse Lautrec à Paris entend poursuivre et accélérer cette dynamique par de la croissance externe. « Au cours des sept dernières années, le groupe a réalisé 23 acquisitions synergiques dans sept pays, allant des plateformes technologiques aux labels, et a dépensé 183 millions d’euros (hors trésorerie acquise) en acquisitions depuis 2018 », précise le dernier document boursier.
Pour rendre sa plateforme numérique indispensables aux artistes et labels, Believe s’était emparé en 2015 aux EtatsUnis de TuneCore (solutions automatisées pour les artistes), en France de Musicast (distributeur), et en 2020 en France de SoundsGood (outils marketing numériques pour artistes). Au point que de nombreux musiciens sont tentés de s’affranchir des maisons de disques (self-releasing) pour proposer directement sur les plateformes leurs titres (3). Parallèlement, la mini-major a rajouté des labels et des distributeurs à sa partition, parmi lesquels : en 2018, l’acquisition en Allemagne de Nuclear Blast (label de métal), de Groove Attack (distributeur) et la participation dans Tôt ou Tard (label français) ; en 2019, les acquisitions en Inde d’Entco Music (production de spectacles), de Canvas (services aux artistes), de Venus Music Private (rebaptisé Ishtar) ; en 2020, la participation majoritaire au capital du label DMC en Turquie ; en 2021, l’acquisition en France de 25 % du capital, avec option d’achat du solde dans quelques années, de Play Two (label indépendant et filiale du groupe TF1). La même année, il y a eu une prise de participation minoritaire aux Philippines dans le label Viva Music and Artists Group, l’acquisition en Inde de SPI Think Music, ainsi qu’une participation de 51 % dans le label Jo&Co en France. En 2022, Believe a conclu en Allemagne un partenariat avec le label Madizin et a pris une participation en France dans Morning Glory, société du DJ Belleck.
Et fin mars 2023, le groupe a racheté la société britannique d’édition musicale Sentric (gestion des droits numériques de 400 000 auteurs-compositeurs et artistes auto-distribués pour 4 millions de chansons), dont 23 % des abonnés de TuneCore en bénéficient déjà. « L’acquisition de Sentric est pour Believe une première étape dans le déploiement d’une offre d’édition musicale globale et complète », s’est félicité Denis Ladegaillerie en annonçant cette opération le 30 mars dernier (4).

Denis Ladegaillerie, un ex-Vivendi Universal
Que de chemin parcouru depuis l’acquisition du label français Naïve en 2016 (5). Après avoir commencé sa carrière en 1998 à New York en tant qu’avocat d’affaires au sein d’un cabinet international, Denis Ladegaillerie a fait ses premières armes chez Vivendi Universal (de Jean-Marie Messier) qu’il avait rejoint en 2000 en tant qu’analyste avant d’en devenir à New-York directeur stratégique et financier des activités numériques jusqu’en 2004. @

Charles de Laubier

Le « Big 19 » en Europe se voit contraint de renforcer sa régulation de l’Internet

Alibaba/AliExpress, Amazon Store, Apple/AppStore, Booking, Facebook, Google Play, Google Maps, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter, Wikipedia, YouTube, Zalando, Bing et Google Search : ce sont les « très grands régulateurs » du Net en Europe.

Le règlement européen sur les services numériques (1) a prévu de les identifier ; la Commission européenne les a listés. Ce sont les « très grandes plateformes en ligne », au nombre de dix-sept, et les « très grands moteurs de recherche en ligne », au nombre de deux. Ce « Big 19 », du moins à ce stade puisque la liste sera actualisée tous les six mois, devra se conformer dans un délai de quatre mois – à savoir d’ici fin août 2023 – à l’ensemble des nouvelles obligations cumulatives découlant du Digital Services Act (DSA).

2 « VLOP » européens : Booking et Zalendo
La première liste de ces « Very large Online Platforms (VLOP) en Europe, a été publiée le 25 avril dernier par la vice-présidente Margrethe Vestager (photo) et le commissaire Thierry Breton (2). Parmi ce « Big 19 », l’américain Google – la filiale du géant Alphabet – compte à lui seul cinq plateformes (Google Play, Google Search, YouTube, Google Maps et Google Shopping), tandis que son compatriote Meta en compte deux (Facebook et Instagram). Autre américain, Microsoft est présent aussi avec deux plateformes (Bing et LinkedIn). Les dix autres de la liste – avec cette fois une seule plateforme chacun – sont les américains Amazon Store, Apple/AppStore, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter et Wikipedia, le chinois Alibaba avec AliExpress, ainsi que les européens Booking, et Zalando. Ces deux dernières plateformes – le néerlandais Booking, et l’allemand Zalando – sont à ce stade les deux seuls grands acteurs du Net émanant de l’Union européenne.
Les Etats-Unis, eux, sont surreprésentés avec pas moins de seize plateformes sur les dix-neuf. Tous ont en commun de cumuler « au moins 45 millions d’utilisateurs actifs par mois » dans les Vingt-sept, soit 10 % de la population européenne qui est de 446,7 millions au dernier recensement (3). Le « Big 19 » se retrouve ainsi avec le plus d’« obligations cumulatives », soit une vingtaine, par rapport aux autres acteurs du Net moins fréquentés que sont les « services intermédiaires », les « services d’hébergement » et les « plateformes en ligne » (voir page suivante). Les VLOP – dans lesquels nous incluons les deux « VLOSE » (4) que sont, dans le jargon de Bruxelles, les moteurs de recherche Google (Alphabet) et Bing (Microsoft) – sont tenus de :
redonner la main à leurs utilisateurs (consentir aux recommandations et au profilage, lesquels doivent pouvoir signaler des contenus illicites, exclure les données sensibles pour le ciblage publicitaire, être informé sur le caractère publicitaire des messages, avoir un résumer clair des conditions générales d’utilisation, etc.).
protéger les mineurs en ligne (protection de la vie privée, interdiction de faire du profilage publicitaire sur les enfants, fournir une évaluation des risques et des effets négatifs sur la santé mentale, revoir la conception de la plateforme pour limiter les risques, etc.).
modérer plus rapidement les contenus et limiter les fake news (éviter les contenus illicites et les effets négatifs sur la liberté d’expression et d’information, faire respecter plus rapidement les conditions générales d’utilisation, permettre aux utilisateurs de signaler les contenus illicites et y répondre rapidement, identifier les risques et les atténuer, etc.).
rendre des comptes (se soumettre à un audit externe et indépendant d’évaluation des risques et du respect des obligations européennes, permettre aux chercheurs d’accéder aux données publiques, rendre public le registre de toutes les publicités, publier des rapports de transparence sur les décisions de modération des contenus et la gestion des risques, etc.).
Alors que la Commission européenne a désormais le pouvoir de « surveiller les plateformes et les moteurs de recherche » considérés comme « très grands », avec la collaboration d’« autorités nationales » que chaque Etat membre devra désigner d’ici le 17 février 2024, le « Big 19 », lui, joue un rôle d’auto-régulation pour la part d’Internet les concernant. Cette régulation en cascade – publique-privée – instaurée par le DSA va accroître la pression réglementaire sur le Web en général et l’Internet mobile en particulier.

Effets et biais : algorithmes sous surveillance
Concernant la « gestion de risques » par les VLOP, la Commission européenne a annoncé le 17 avril le lancement du Centre européen pour la transparence des algorithmes (CETA) (5), afin de veiller à ce que les systèmes algorithmiques soient conformes aux obligations du règlement sur les services numériques (6). Objectifs : atténuer leurs effets et éviter les biais. @

Charles de Laubier

Musique : la «taxe streaming» pourrait être adoptée dans le projet de loi de finances 2024

Bien qu’elle ne fasse pas l’unanimité au sein de la filière musicale (les producteurs sont divisés), la « taxe streaming » que prône le rapport Bargeton pourrait être adoptée à l’automne dans le projet de loi de finances 2024 alors qu’elle avait été rejetée dans le projet de loi de finances 2023.

La « taxe streaming », à savoir une contribution des plateformes de streaming (Spotify, Deezer, Apple Music,…) au financement du Centre national de la musique (CNM) telle que préconisée par le rapport Bargeton, fissure la filière musicale. D’un côté, l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI), regroupant des labels et producteurs indépendants, y est favorable avec des organisations du spectacle vivant. De l’autre, le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), représentant notamment les majors Universal Music, Sony Music et Warner Music, la fustige.

Financer le CNM, comme le CNC et le CNL
Ce projet de « taxe streaming » à 1,75 % serait à la musique enregistrée le pendant de la « taxe billetterie » à 1,75 % du spectacle vivant. Selon le rapport du sénateur Julien Bargeton (majorité relative présidentielle), lequel avait été missionné par la Première ministre Elisabeth Borne et la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak (photo), l’instauration de ce prélèvement « sur les revenus » de la consommation de musique en flux continu (streaming), aurait le mérite de mettre un terme à « l’asymétrie de financement entre spectacle vivant et musique enregistrée qu’on observe actuellement pour le financement du CNM ». Un an après avoir échoué à être adoptée dans le projet de loi de finances 2023, où trois amendements avaient été rejetés (1), la « taxe streaming » pourrait bien être adoptée à l’automne prochain dans le projet de loi de finances 2024.
Actuellement, la « taxe billetterie », prélevé sur les revenus des entrées aux spectacles de variétés représente environ 35 millions d’euros par an. Selon les calculs de Edition Multimédi@, la « taxe streaming » aurait pu rapporter 9,7 millions d’euros au titre de l’année 2022 où le streaming a généré en France 556,9 millions de chiffre d’affaires (2). Cette somme de près de 10 millions d’euros sont à comparer aux 20 millions d’euros de « rendement annuel » qu’attend le rapporteur Julien Bargeton (3) pour les prochaines années – anticipant ainsi une forte croissance du streaming musical par rapport à l’an dernier. La mission « de réflexion sur le financement des politiques publiques en direction de la filière musicale », qui a remis le 20 avril sa centaine de pages (4) à Rima Abdul Malak (5), estime que cette manne « supplémentaire » est indispensable – sur les 30 à 40 millions d’euros estimés nécessaires en plus par rapport au budget actuel (46 millions d’euros en 2023) – pour que le CNM puisse continuer à mener son action et à l’élargir. D’autant que l’innovation (data, livestream, blockchain, IA, NFT, VR, métavers, …) l’amène à assurer un « veille proactive » (accompagnement, formation, expertise), y compris via son think tank CNMlab. La « taxe streaming » a été préférée à deux autres pistes de financement que sont la contribution budgétaire complémentaire (Etat) ou une affectation de la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels (TSN).
Ainsi, créé en janvier 2020, soit plus de huit ans après que la mission Chamfort-Colling-Thonon-Selles-Riester sur le « financement de la diversité musicale à l’ère numérique » ait proposé sa création (6), le CNM – établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle du ministre de la Culture – devrait fonctionner sur le modèle du CNC pour le cinéma et du CNL pour le livre. Mais cette « taxe streaming » ne fait pas l’unanimité au sein de la filière musicale. Huit organisations représentatives de producteurs indépendants de musique enregistrée et de spectacles vivants – UPFI, SPPF, Camulc, Felin, Forces musicales, Prodiss, Profedim et SMA – se sont félicitées le 21 avril « de la priorité donnée à la “taxe steaming” [qui] s’impose comme la solution la plus réaliste, la plus soutenable et la plus cohérente » (7). De même, la Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD) s’est félicitée elle aussi de la proposition de « soumettre à contribution les opérateurs de streaming, payants comme gratuits, [qui] constitue la seule démarche permettant d’assurer pérennité et dynamisme des ressources et de construire un modèle de financement juste basé sur la mutualisation ». Même si la SACD trouve insuffisant ce taux de 1,75 % qui « gagnerait à être relevé » (8).

Le Snep (dont les majors) en désaccord
En revanche, le Snep – représentant notamment les majors de la musique enregistrée (Universal Music, Sony Music et Warner Music) – fustige « la création d’un nouvel impôt sur le streaming dont notre secteur devrait s’acquitter » et « une analyse erronée de la dynamique actuelle du streaming et de ses acteurs », alors qu’« il existe des alternatives pour financer le CNM». Le rapport Bargeton, lui, pointe le fait que les données de stream et de vente physique soient consolidées par le Snep, ce qui « participe du climat général de méfiance autour de la réalité économique du streaming ». @

Charles de Laubier

Eclairage sur NewsGuard, la start-up qui éloigne les publicitaires des « mauvais » sites d’actualités

NewsGuard a repéré une cinquantaine de sites web d’actualités générées par des intelligences artificielles (newsbots). Mais qui est au juste cette start-up newyorkaise traquant depuis 5 ans la mésinformation en ligne, notamment pour le compte de Publicis qui en est coactionnaire ?

Il y a cinq ans, en mars 2018, la start-up newyorkaise NewsGuard Technologies lançait la première version de son extension pour navigateurs web qui avertit les utilisateurs lorsque des contenus faisant état de fausses informations (fake news) ou relevant de conflits d’intérêt (lobbying) sont détectés sur les sites web visités. L’équipe d’analystes et de journalistes de NewsGuard évaluent la fiabilité générale et la crédibilité des sites en ligne, avec un système de notation sur 100 et de classement. A partir de 75/100, un site d’actualité devient généralement crédible.

Le français Publicis, actionnaire et client
La société NewsGuard a été cofondée en août 2017 par les deux directeurs généraux actuels et « co-directeurs de la rédaction », Gordon Crovitz (photo de gauche) et Steven Brill (photo de droite), deux vétérans de la presse américaine, notamment respectivement ancien éditeur du Wall Street Journal (Dow Jones) pour le premier et fondateur du magazine The American Lawyer et de Court TV pour le second. Parmi ses nombreux coactionnaires, il y a un géant mondial de la publicité, le français Publicis – « moins de 10 % du capital » –, nous dit Gordon Crovits – aux côtés de Knight Foundation, Cox Investment Holdings ou encore Fitz Gate Ventures (1). La relation avec Publicis est non seulement actionnariale mais aussi partenariale. Cela fait deux ans que NewsGuard et Publicis ont annoncé leur alliance pour « stimuler la publicité sur les sites d’actualité fiables ».
Le groupe publicitaire fondé il y a presqu’un siècle par Marcel Bleustein-Blanchet (dont la fille Elisabeth Badinter est toujours la principale actionnaire) identifie ainsi depuis pour ses clients annonceurs et professionnels du marketing « des plateformes publicitaires plus responsables et dignes de confiance, et des opportunités de combattre l’infodémie dans les médias ». Et surtout « pour éviter que leurs publicités financent involontairement des milliers de sites de mésinformation et d’infox » (2). L’enjeu est de taille puisque la publicité programmatique a tendance à financer aussi bien des sites de mésinformation que des sites d’actualités fiables. Dans son dernier document d’enregistrement universel pour l’année 2022, publié le 26 avril dernier, le groupe Publicis parle de « partenariat exclusif » avec NewsGuard qui « donne à tous [s]es clients accès à l’outil “Publicité responsable dans les médias” (3) permettant l’inclusion ou l’exclusion de sites, afin d’éviter que leurs publicités financent involontairement des sites d’infox ou de mésinformation/désinformation » (4). Au-delà de sa solution de «Ratings» sur la transparence des sites web d’information, NewsGuard Technologies propose aussi aux annonceurs, agences et autres sociétés de l’adtech une solution baptisée BrandGuard pour éviter que leurs publicités en ligne ne se retrouvent sur des sites web jugés non fiables ou sources de mésinformation. Ainsi, les analystes et conseillers éditoriaux de la start-up américaine – il y a même des « rédacteurs en chef » – évalue « des milliers de sites d’actualité et d’information couvrant 95 % de l’engagement en ligne dans chaque marché, pour certifier les sites d’actualité fiables, et alerter sur les domaines peu fiables qui diffusent de fausses informations dangereuses, des théories du complot, ou se font passer pour des sources d’actualité légitimes ». Ainsi, ce sont plusieurs milliers de sites web d’actualités qui sont passés au crible aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Canada, en Allemagne, en Italie et en France. NewsGuard Technologies se préoccupe aussi de débusquer une autre catégorie de sites d’actualités sujets à caution : les newsbots, dont les contenus sont en majorité ou totalement écrits par des intelligences artificielles (IA) et qui s’avèrent être « de qualité médiocre ».
NewsGuard en a identifié une cinquantaine et l’a fait savoir le 1er mai dernier. Ces robots d’actualités ou « fermes à contenus », ou newsbots, ont pour nom : Famadillo, GetIntoKnowledge, Biz Breaking News, News Live 79, Daily Business Post, Market News Reports, BestBudgetUSA, HarmonyHustle, HistoryFact, CountyLocalNews, TNewsNetwork, CelebritiesDeaths, WaveFunction, ScoopEarth ou encore FilthyLucre (5). Contactés par Edition Multimédi@, les deux auteurs de l’étude – McKenzie Sadeghi et Lorenzo Arvanitis – indiquent qu’ils ont aussi en France identifié Actubisontine et Commentouvrir, sites web francophones boostés à l’IA.

Détecter les textes générés par l’IA
« Malheureusement, les sites ne fournissent pas beaucoup d’informations sur leur origine et sont souvent anonymes », nous précise McKenzie Sadeghi. Tandis que Lorenzo Arvaniti nous indique que « la saisie d’articles dans l’outil de classification de texte AI (6) vous donne une idée d’un modèle selon lequel une quantité substantielle de contenu sur le site semble générée par IA ». NewsGuard a aussi soumis les articles de son étude à GPTZero (7), un autre classificateur de texte d’IA. @

Charles de Laubier