La proposition de loi pour « lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs » fait débat

La proposition de loi sur les influenceurs a été adoptée à l’unanimité le 30 mars à l’Assemblée nationale. Mais le texte ne fait pas l’unanimité parmi les intéressés. La France risque de corseter ce jeune métier créatif, avec dommages collatéraux. Prochain débat : au Sénat, le 9 mai.

Portée par les députés Arthur Delaporte (photo de gauche) et Stéphane Vojetta (photo de droite), respectivement Socialiste-Nupes et Renaissance, la proposition de loi transpartisane (opposition et majorité) visant à « lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux » défraie la chronique depuis qu’elle est débattue au Parlement. Son libellé est pour le moins stigmatisant envers tous les influenceurs qui, aux yeux du public, sont plus que jamais présentés comme des malfaiteurs patentés. Le renforcement de l’arsenal judiciaire les concernant tous est une épée de Damoclès au-dessus de leur tête.

Unanimité gouvernementale et parlementaire
« Notre loi protègera le modèle des créateurs de contenu qui font aujourd’hui leur travail de manière responsable. Notre boussole : la protection des consommateurs. […] Aucune mesure ne concerne la liberté d’expression des influenceurs dans leurs vidéos », a nuancé Arthur Delaporte, dans un tweet posté le 26 mars. Et ce, après avoir lancé juste avant, de façon plus agressive : « Cette loi est une réponse à l’absence de règles d’un secteur qui concerne des millions de personnes et qui touche énormément d’argent. La loi de la jungle ou l’autorégulation, cela n’est pas possible. […] Cette loi, c’est aussi une réponse à la protection des consommateurs et un message adressé aux victimes d’arnaques d’influenceurs : nous sommes à vos côtés » (1). De son côté, Stéphane Vojetta, qui explique avoir coécrit cette proposition de loi après avoir été interpelé par des collectifs de victimes d’arnaques d’influenceurs, a tenté de rassurer les quelque 150.000 influenceurs actifs en France. « Notre seule boussole : la protection des consommateurs. Nos 4 points cardinaux : clarifier, encadrer, responsabiliser, protéger. […] Notre proposition de loi #influenceurs pose un cadre clair au monde de l’influence commerciale et de la création de contenus sponsorisés en ligne » (2).
Cette proposition de loi, sur laquelle le gouvernement a engagé le 22 mars la procédure accélérée sur ce texte, a été adoptée le 30 mars – à l’unanimité (3). Ce texte transmis au Sénat veut « créer et renforcer un appareil juridique qui pourra à la fois responsabiliser et sanctionner le cas échéant tous les influenceurs, leurs agences, les annonceurs ainsi que les plateformes de diffusion, afin de renforcer la protection des utilisateurs des réseaux sociaux et des consommateurs », selon l’exposé des motifs (4). Et comme Internet n’a pas de frontières et les influenceurs non plus, le texte reterritorialise la responsabilité : « Conscients que de nombreux influenceurs ont choisi de s’installer en dehors de France à dessein [comme par exemple à Dubaï, ndlr] afin d’y exercer leur activité, nous avons également ajouté un bornage contraignant l’influenceur à désigner un représentant légal en France ». Dans tous les cas, il s’agit selon les deux coauteurs de lutter contre les dérives dans la promotion d’objets, de fournitures ou de services. Ils citent en exemple des médicaments contre le cancer, des produits cosmétiques provoquant des pertes de cheveux ou plaques rouges sur le corps, des articles vendus bien plus chers que leur valeur (abus du dropshipping), inscription à des formations médicales ou esthétiques à l’étranger, abus du compte personnel de formation (CPF), abonnements à des pronostics sportifs bidons, produits achetés et payés mais qui ne sont jamais livrés etc.
Même le Conseil d’Etat s’était ému en septembre 2022 de l’absence de statut juridique des influenceurs (5). Le législateur va y remédier. « Le monde de l’influence ne doit pas être une zone de non-droit et doit répondre à des règles de protection des consommateurs suffisamment étoffées pour mettre fin aux dérives constatées », justifient les deux députés. Pour autant, les parlementaires admettent que « l’instauration d’un seul cadre juridique ne suffira pas à mettre un terme définitif aux abus de certains influenceurs ». D’où le renforcement des moyens de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), laquelle dépend de Bercy.

L’influence transpartisane de Bruno Le Maire
Le locataire des lieux, le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire (photo page suivante), est à la manœuvre depuis l’automne dernier, notamment depuis la table ronde du 9 décembre dernier à Bercy où il avait convoqué le microcosme du marketing d’influence en pleine polémique sur les agissements de certains influenceurs peu scrupuleux (6). Un mois après, il lançait une consultation publique de 23 jours : « J’ai besoin de vous » (8) – l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenu (UMICC), cofondée le 18 janvier par sept agences d’influence marketing : Smile Conseil, Bump, Follow, Point d’Orgue, Reech, Influence4You et Spoutnik. Ce sont les conclusions de la consultation publique que Bruno Le Maire a présentées le 24 mars à Bercy, en présence de ses deux ministres délégués – JeanNoël Barrot, chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, et Olivia Grégoire, chargée des PME, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme – mais aussi de nos deux députés, Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta. « Parce que des députés travaillaient également sur le sujet, j’ai aussi voulu dépasser les clivages. Je me suis engagé, avec [les deux coauteurs de la proposition de loi], à ce que ces mesures soient présentées au Parlement dans une démarche transpartisane », a déclaré Bruno Le Maire.

 

Ne pas effrayer ni corseter les influenceurs
Près de 19.000 citoyens ont participé à la consultation publique, dont 400 professionnels qui ont contribué à établir treize mesures : de la création d’une définition juridique de l’activité d’influence commerciale, à la mise en place d’une « brigade de l’influence commerciale » au sein de la DGCCRF (réseau d’enquêteurs spécialisés constitué « dans un premier temps » de 15 agents), en passant par l’application des mêmes règles que la publicité à l’influence commerciale, la responsabilisation des plateformes et réseaux sociaux (Instagram, YouTube, TikTok, Facebook, …) ou encore des sanctions « renforcées et graduées » (notamment jusqu’à 2 ans de prison et 300.000 euros d’amende pour pratique commerciale trompeuse).
De son côté, le Syndicat du conseil en relations publics (SCRP) a annoncé le 24 mars la création avec l’Association française de normalisation (Afnor) d’un label d’« Agence conseil en influence responsable » qui pourra être demandé à partir d’avril (9). Il vient en complément du « Certificat de l’influence responsable » (10) délivré depuis l’automne 2021 par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). « Le secteur de l’influence commerciale et de la création de contenus n’est pas encore suffisamment pris au sérieux. C’est une erreur, a déclaré Bruno Le Maire le 24 mars. Alors qu’il est un formidable vecteur de créativité et de richesse économique, ancré dans le quotidien de millions de nos compatriotes, ce secteur souffre de règles inexistantes ou trop floues. Les conséquences sont directes, avec certains agissements trompeurs qui discréditent le secteur ».
Autrement dit, en creux, le gouvernement veut tourner la page des « influvoleurs » (néologisme popularisé par le rappeur Booba (11)) pour ouvrir celle de l’« influrégulation » (néologisme proposé par Edition Multimédi@). Mais le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a tenu à rassurer sur les intentions du gouvernement…. et des parlementaires. « Je veux être très clair : il ne s’agit pas d’être plus dur avec les influenceurs qu’avec d’autres canaux de communication comme la télévision ou la radio. (…) Ce n’est pas un combat contre les influenceurs », a-t-il assuré.
Mais les précautions du locataire de Bercy n’ont pas suffi à rassurer tous les professionnels du marketing d’influence mis sous pression réglementaire. D’où la tribune signée par 150 créatrices et créateurs de contenu d’influence, dont Squeezie, Cyprien, Enjoy Phoenix, Anna Rvr, Seb La Frite ou encore Amixem, et publiée dans le Journal du Dimanche le 25 mars à l’initiative de l’UMICC. Dans leur « appel aux députés », les signataires appellent les députés à séparer le bon grain de l’ivraie : « Arnaques, contrefaçons, pratiques commerciales douteuses, … Certains ont fait croire ces derniers mois qu’ils étaient représentatifs de notre secteur alors qu’ils ne représentent qu’une minorité ». Et à ne pas être pris pour ce qu’ils ne sont pas : « Nous travaillons avec des marques, des organisations, des institutions qui nous ressemblent parce que nous partageons leurs valeurs. Nous ne sommes pas des panneaux publicitaires ambulants. (…) Notre histoire est complexe. Elle ne se résume ni à une vidéo de 30 secondes, ni à des dérives que nous dénonçons fermement. Nous entendons parler des “influvoleurs”, “du combat à mener” contre nous. Nous pensons que c’est une erreur. Qu’une minorité est devenue une généralité. (…) Ne cassez pas le modèle vertueux que nous construisons aux quatre coins de la France avec et pour les Français. Comprenez-le, protégez-le, faites-le grandir » (12). Mais d’autres « stars » de l’influence, pourtant signataires de cette tribune qui avait le mérite de valoriser ce nouveau métier, se sont rapidement désolidarisés de cette prise de position collective.

Squeezie et Seb La Frite renient la tribune
Squeezie, numéro un en 2022 des influenceurs en France (13), s’est fendu d’un tweet le 26 mars pour déclarer qu’il avait « fait l’erreur de donner son accord [à la] tribune maladroite » de l’UMICC parue dans le JDD. Il estime que « cette tribune ne fait aucune distinction entre les créateurs de contenu et les influenceurs », assurant, lui, « [avoir] toujours été irréprochable » et « n’[ayant] rien à perdre avec cette réforme » (14). Seb La Frite a aussi regretté sur France Inter le 27 mars de l’avoir signée. « Je me réjouis car cette tribune un peu maladroite a in fine permis que les influenceurs se penchent sérieusement sur notre texte » (15), s’est félicité le député Stéphane Vojetta. Rendez-vous le 9 mai au Sénat. @

Charles de Laubier

La division fintech de Meta porte le nom de Meta Financial Technologies depuis un an, et après ?

Il y a un, le Français Stéphane Kasriel annonçait sur son compte Twitter que la division fintech qu’il dirige au sein de l’ex-groupe Facebook abandonnait son nom provisoire Novi pour s’appeler Meta Financial Technologies. Malgré l’échec de Diem, une monnaie virtuelle reste à l’étude.

Stéphane Kasriel (photo) est entré dans le groupe Facebook en Californie en août 2020, à l’époque où la division des technologies financières (fintech) de la firme de Menlo Park s’appelait encore Facebook Financial (F2) que dirigeait alors le Suisse franco-américain David Marcus (ancien président de PayPal). Le Français Stéphane Kasriel est recruté pour diriger une équipe d’ingénieurs au sein de cette entité F2 qui gère tous les services financiers du géant des réseaux sociaux, notamment le portefeuille numérique Novi, les systèmes de e-paiement WhatsApp Pay ou Facebook Pay, ainsi que les transferts d’argent transfrontaliers via NoviTransferts.

Après l’échec de Diem, des tokens pour payer
Jusqu’au jour où David Marcus annonce sur Twitter, le 28octobre 2021 et juste après le changement de nom du groupe Facebook en Meta Platforms, que la branche F2 prend le nouveau nom de Novi (1), lequel nom est déjà celui du portefeuille virtuel (anciennement Calibra) qui devait être lancé avant fin 2021 pour permettre à leurs détenteurs de pouvoir y mettre des cryptomonnaies – y compris ce qui devait être la future monnaie numérique Diem indexée sur le dollars et initiée par la firme de Mark Zuckerberg au sein de l’association également dénommée Diem (ex-Libra). Mais confrontés à des obstacles réglementaires et politiques aux Etats-Unis (où tout ce qui pourrait déstabiliser le sacro-saint dollars est exclu), le projet Novi et la crypto Diem (bien que cette dernière soit «stablecoin» et arrimée à l’US dollar) se retrouvent au point mort au grand dam de David Marcus. Celui-ci annonce le 30 novembre 2021 son départ de Meta. « Je demeure toujours aussi passionné par la nécessité de changer nos systèmes de paiement et nos systèmes financiers », dira-t-il dans son tweet (2).
En janvier 2022, Le Wall Street Journal et le Washington Post révèlent l’abandon par Meta de Diem, dont les actifs ont été cédés à la banque californienne Silvergate, celle-là même – ironie de l’histoire – qui a fait faillite en mars dernier après le crypto-krach du second semestre 2022 et surtout la banqueroute retentissante de la plateforme de cryto-exchange FTX. David Marcus était aussi membre du bureau de l’association Diem, ex-Libra, laquelle avait embarqué dans son projet plusieurs entreprises parmi lesquelles la maison mère de Free, Iliad, Spotify ou encore Uber. Le « frenchie » Stéphane Kasriel succède en novembre 2021 à David Marcus à la tête de Novi, dont il annoncera le 8 mars 2022 le changement de nom pour, cette fois, Meta Financial Technologies. « Nous avons changé le nom de notre groupe de produits [Novi] en Meta Financial Technologies. Lorsque [le groupe Facebook] s’est rebaptisé, il ne s’agissait pas seulement d’adopter un nouveau nom. Il s’agissait d’embrasser notre vision de l’avenir. Il est donc normal que nous adoptions un nouveau nom pour notre activité fintech au moment où nous construisons le métavers », avait tweeté, il y a donc un peu plus d’un an maintenant (3), le nouveau directeur de Meta Financial Technologies – appelé aussi Meta FT.
C’est aussi il y a un an, le 8 avril 2022, que le Financial Times révèle le projet d’une cryptomonnaie appelée en interne « Zuck Buck » (composé du surnom de Mark Zuckerberg et de l’appellation du dollar en argot) pour être utilisée dans Facebook, Instagram et le métavers Horizon Worlds. Les « Zuck Bucks » désignaient dix ans auparavant les « Facebook Credits » utilisés comme monnaie virtuelle dans des jeux en ligne. Mais depuis, le métavers Horizon Worlds s’est transformé l’an dernier en « métaflop » (4) malgré les milliards de dollars investis par Meta. La crypto ZBUX (5) n’est pas sortie des limbes. Contactés par Edition Multimédi@, ni Stéphane Kasriel, le patron de Meta FT, ni Edward Bowles, son directeur des affaires publiques, ne nous ont répondu sur une éventuelle « metacrypto » post-Diem. Pour l’heure, Meta FT continue de travailler sur des tokens, des jetons sur le modèle des V-Bucks dans Fortnite (6) ou des Robux dans Roblox. « Pour l’instant, nous réduisons progressivement les collectibles numériques (NFT) afin de nous concentrer sur d’autres façons de soutenir les créateurs, les gens et les entreprises, a twitté Stéphane Kasriel le 13 mars dernier.

Monétiser les fans des créateurs et entreprises
« Cela reste une priorité de connecter les créateurs et les entreprises avec leurs fans et de les monétiser, afin d’avoir un impact à grande échelle, comme les messages et les opportunités de monétisation pour Reels [fonction de vidéos courtes lancée sur Instagram en 2020 pour concurrencer TikTok, ndlr] ». Mais le patron de Meta FT d’ajouter : « Nous continuerons d’investir dans les outils de fintech dont les gens et les entreprises auront besoin pour l’avenir. Nous simplifions les paiements avec Meta Pay, pour rendre les paiements et les versements plus faciles, tout en investissant dans les paiements par messagerie à travers Meta » (7) @

Charles de Laubier

Google News : articles et communiqués cohabitent

En fait. Sur février 2023, Google News a vu sa fréquentation mondiale baisser, à 364,7 millions de visites (dont Google Actualités en France), et perdu 10 place depuis trois mois. Les médias, eux, s’y bousculent toujours autant, tandis que les communiqués d’entreprises et de gouvernements se multiplient.

En clair. Google News – alias Google Actualités en France – est le site web d’informations le plus visité au monde. Bien que son audience ait baissé en février 2023 de près de 20 % par rapport au mois précédent, à 364,7 millions de visites au total (1), d’après le site de mesure d’audience Similarweb, le numéro un mondial des agrégateurs d’actualités attire toujours autant les médias de la plupart des pays malgré quelques bras de fer sur la rémunération des éditeurs (2).
Or il y a plus de huit ans maintenant, la plateforme d’informations de Google (filiale d’Alphabet) s’est lancée en toute discrétion dans la diffusion de communiqués d’entreprises ou du gouvernement (du pays de consultation de Google News). Ces communications institutionnelles (communiqués de presse, déclarations officielles ou statements) se mêlent aux résultats de recherche d’actualités, toujours en indiquant la source (telle entreprise, tel ministère du gouvernement) mais sans forcément indiquer « communiqué de presse » (3). « Sur Google Actualité, il n’y a pas de monétisation », indique Google à Edition Multimédi@. Cette cohabitation, cette confusion ou ce mélange de genres (c’est selon) entre articles de presse et communiqués (faisant au passage de la publicité à l’entreprise) suscite encore aujourd’hui des interrogations de la part d’internautes. Par exemple, le 27 janvier de cette année, le chef de projet innovation éditoriale de Franceinfo.fr a été surpris de voir, au beau milieu de l’actualité des médias, un communiqué de TotalEnergies en réponse à un enquête de Cash Investigation diffusée la veille au soir – qui plus est sans la mention « communiqué » mais seulement le logo du pétrolier (4). Google News ne prête-t-il pas le flan aux critiques sur la confusion entre rédaction et publicité ? Interpellé à ce sujet, Google a justifié la pratique en assurant que « [ses] algorithmes sont conçus pour mettre en avant des informations provenant de sources expertes et faisant autorité » (5).
Déjà, après leurs apparitions en septembre 2014, ces communiqués de presse dans Google News avaient été critiqués par l’agence Reuters comme « détournant du trafic web des éditeurs de presse en ligne et risquant de tromper les utilisateurs ». A l’époque, le communiqué (statement) du fabricant français de cartes SIM Gemalto (racheté depuis par Thales) était prise en exemple (6). @

L’Italie bouscule la France en interdisant ChatGPT

En fait. Le 31 mars, la « Cnil » italienne – la GPDP – a adopté une décision à l’encontre de la société américaine OpenAI, éditrice de l’intelligence artificielle ChatGPT, en interdisant temporairement ce robot conversationnel. En France, la Cnil a finalement reçu début avril deux plaintes contre cette IA.

En clair. Edition Multimédi@ relève que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a eu – lors de sa séance plénière du 9 février – une démonstration de ChatGPT (1). Depuis, c’était « silence radio ». Jusqu’à cette décision du 31 mars dernier de son homologue italienne, la GPDP, interdisant dans la péninsule le robot conversationnel de la société californienne OpenAI, laquelle a jusqu’au 20 avril pour « se conformer à l’ordonnance, sinon une amende pouvant atteindre 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial total pourra être imposée » (2).
En France, la Cnil est donc sortie de son silence : « Sur les bases d’apprentissage et les IA génératives, l’objectif de la Cnil est de clarifier le cadre légal dans les prochains mois », a-t-elle indiqué le 1er avril à Marc Rees, journaliste juriste à L’Informé. L’autorité française de la protection des données lui a précisé ce jour-là qu’elle « n’a pas reçu de plainte » contre ChatGPT et n’a « pas de procédure similaire en cours » (3). Mais le 5 avril, deux premières plaintes contre OpenAI sont révélées (4). La Cnil dit « s’[être] rapprochée de son homologue italienne afin d’échanger sur les constats qui ont pu être faits ». Elle n’est bien sûr pas la seule, d’autant que toutes les « Cnil » des Vingt-sept sont compétentes pour « instruire » le cas ChatGPT. « OpenAI n’a pas d’établissement dans l’Union européenne ; donc le mécanisme du guichet unique ne lui est pas applicable. Il n’y a de ce fait pas d’autorité cheffe de file », indique à Edition Multimédi@ le Comité européen de la protection des données (EDPB) – réunissant à Bruxelles les « Cnil » des Vingt-sept sous la houlette de la Commission européenne. Il nous a répondu que son programme de travail 2023-2024 prévoit des « lignes directrices sur l’interaction entre le règlement sur l’IA [Artificial Intelligence Act, ndlr] et le RGPD [règlement général sur la protection des données] » (5).
L’AI Act devrait être voté d’ici fin avril par Parlement européen (6), d’après le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, qui est intervenu le 3 avril sur Franceinfo. « Tout ce qui sera généré par l’IA devra obligatoirement être signalé comme étant fait par une intelligence artificielle », a-t-il prévenu. L’Europe, elle, n’a d’ailleurs pas de champion de l’IA générative. Une nouvelle colonisation numérique… @

L’industrie du jeu vidéo s’inquiète d’être sous pression réglementaire grandissante en Europe

Le jeu vidéo fait face à des contraintes accrues en Europe : contrôle parental dans les teminaux, réduction de l’empreinte carbone de la filière vidéoludique, règlementation plus stricte sur les achats in-game, édition de jeux plus responsables, … Le lobbying de l’ISFE s’intensifie à Bruxelles.

La Fédération européenne des logiciels interactifs – Interactive Software Federation of Europe (ISFE) – existe depuis 25 ans, mais elle n’a jamais été aussi mobilisée à Bruxelles, où elle est établie, pour défendre les intérêts de l’industrie du jeu vidéo et de tout l’écosystème du 10e Art. Ses membres se comptent parmi les principaux éditeurs de jeux vidéo ou de studios de création, e-sport compris, et les associations professionnelles nationales de différents pays d’Europe.

Contrôle parental, climat, dépenses in-game, …
L’ISFE, dirigée par Simon Little depuis 2009, représente ainsi auprès des instances européennes une vingtaine d’entreprises dont Activision Blizzard, Electronic Arts, Epic Games, Bandai Namco, Microsoft, Riot Games ou encore Ubisoft (1), ainsi qu’une douzaine d’organismes nationaux comme le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (Sell) en France. Celui-ci vient d’élire, lors de son assemblée générale qui s’est tenue le 28 mars, son nouveau président en la personne de James Rebours (photo), directeur général de Plaion France, éditeur et distributeur de jeux vidéo. « Le Sell informe en permanence l’ISFE des évolutions de la législation nationale qui pourrait avoir un impact direct sur l’industrie ou déboucher sur une initiative législative européenne plus large », explique-t-il à Edition Multimédi@. Et les dossiers au niveau européen s’accumulent. Le dernier en date porte sur le projet de décret français « visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à Internet » qui vient d’être examiné par la Commission européenne (2). Dans leur contribution, le Sell et l’ISFE critiquent notamment l’article 3 du projet de décret prévoyant pour les fabricants ou les importateurs « l’intégration du dispositif de contrôle parental obligatoire dans les “équipements terminaux” », s’ils veulent que ces derniers soient mis sur le marché français. Ce serait selon les deux organisations « [in]justifiée » et « [dis]proportionnée » (3). Autre dossier sur la table de l’ISFE : la réduction de l’empreinte carbone de l’industrie des jeux. La fédération fait partie depuis 2021 de la Playing for the Planet Alliance, laquelle a publié le 9 mars son rapport d’impact annuel sur l’environnement (4), lors d’un événement organisé à Bruxelles par le Parlement européen. L’alliance soutenue par les Nations Unies (5) prévoit de fournir en 2023 de nouvelles orientations à l’industrie du jeu vidéo, afin que celle-ci puisse réduire ses émissions de gaz à effet de serre. « Il reste encore beaucoup à faire », reconnaît l’ISFE. Autre préoccupation : l’adoption le 18 janvier 2023 par le Parlement européen (6) de la résolution sur « la protection des consommateurs en matière de jeux vidéo en ligne » (7), notamment mineurs. Le rapport (8) de l’eurodéputée Adriana Maldonado López, membre l’Imco, commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs, en est à l’origine. La balle est dans le camp de la Commission européenne et du Conseil de l’UE. L’ISFE et la Fédération européenne des développeurs de jeux vidéo (EGDF) s’en inquiètent : « Nous sommes préoccupés par les appels à une réglementation plus stricte de tous les achats dans le jeu [in-game ou in-app, ndlr], ce qui aura une incidence sur la capacité de toutes les entreprises de jeux vidéo – petites et grandes – à financer leurs créations au profit des joueurs européens, et cela peut empêcher de nombreux jeux européens d’être disponibles gratuitement » (9).
Et il y a de quoi : aux Etats-Unis, la FTC a confirmé le 13 mars (10) la lourde amende infligée à Epic Games, éditeur de « Fortnite », qui doit payer 520 millions de dollars pour avoir incité abusivement les gamers(les mineurs étant friands de loot boxes entre autres) à dépenser in-appavec la monnaie virtuelle V-Buck (11). En Europe, la résolution « Maldonado López » exige un gameplay plus responsable et « des informations plus claires sur le contenu, les politiques d’achat et la tranche d’âge ciblée par les jeux », en prenant modèle sur le système européen d’évaluation Pegi (Pan European Game Information) créé il y a 20 ans par l’ISFE – Simon Little étant aussi PDG de la société bruxelloise Pegi SA – et déjà utilisé dans 38 pays, dont la France.

Gaming et e-sport : soft power de l’UE
Autre front pour le lobby de l’industrie du jeu vidéo : l’esport, à la suite d’une autre résolution du Parlement européen sur « le sport électronique [e-sport] et les jeux vidéo » (12) adoptée le 10 novembre 2022 sur la base du rapport (13) porté cette fois de l’eurodéputée Laurence Farreng (commission de la culture et de l’éducation). Elle appelle à « promouvoir le fair-play, la non-discrimination, […] l’antiracisme, l’inclusion sociale et l’égalité entre les hommes et les femmes ». L’industrie vidéoludique a du pain sur la planche. @

Charles de Laubier